vendredi 2 décembre 2022

Le Bingo des clichés de l'escrime de spectacle

Pour changer voici un article sarcastique, dans la lignée de celui que j'avais écrit il y a déjà plusieurs années sur Ces actions que l'on voit trop souvent en escrime de spectacle. Il s'agit de recenser pas mal de clichés sur notre discipline et d'en faire un bingo. Cela sera aussi l'occasion de revenir vers plusieurs de mes anciens articles et de mettre des liens partout.

La liste qui va suivre est une recension de choses que l'on voit un peu trop dans les spectacles ou les vidéos amateurs comme professionnelles. C'est un joyeux mélange d'erreurs, d'une mauvaise connaissance de certaines escrimes spécifiques, de trucs scénaristiques trop fréquents, le tout avec une certaine dose de mauvaise foi, de subjectivité et de goûts personnels. Notons que je pourrais probablement cocher moi aussi pas mal de cases en analysant mes combats passés donc ne le prenez pas trop pour vous !

Vous trouverez donc juste en-dessous le bingo puis quelques explications un peu plus détaillées avec des liens.

 Le bingo :

 

Il ou elle rend son épée à son adversaire désarmé La phrase d'armes commence par une attaque basse sans préparation C'est déjà le 3ème retournement de situation en 30 secondes L'épée longue est maniée comme un gourdin Mousquetaire vs Garde du Cardinal ou Cyrano de Bergerac
Aucun coup d'estoc alors qu'on se bat avec des rapières Une ouverture flagrante est complètement ignorée L'un des escrimeurs attend, immobile, qu'on le désarme Une esquive alors que l'arme passait déjà très très loin du corps Le bouclier ne sert à rien et est même rejeté en arrière
Les adversaires commencent le combat en étant déjà à distance de danger On s'affronte à l'arme d'acier alors qu'il s'agit d'un entraînement Une volte sort de nulle part, sans justification OSEF la différence d'allonge alors qu'on a des armes différentes Toutes les attaques sont simples et sans préparation
Ce sont des pirates mais ils se battent avec des rapières Sans armes, il ou elle parvient à en récupérer une sur son adversaire Le combat de groupe est constitué uniquement de duels On enchaîne les attaques sans aucune justification et l'adversaire ne fait que parer sans riposter C'est un combat médiéval mais il n'y a aucune technique de jeu court
Les escrimeurs exécutent visiblement une gamme lors d'un spectacle Aucune impression que ces gens sont là pour se tuer Une attaque est complètement hors de la cible La main armée n'est pas couverte par le bouclier lors des attaques Aucune réflexion sur le récit du combat (début/milieu/fin)

Les explications :

Il ou elle rend son épée à son adversaire désarmé

"Bon, on a fait un chouette désarmement (ou pas) mais on doit encore faire une minute de combat, on fait quoi du coup ? - Bon, bah tu me rends mon arme. - OK c'est une bonne idée"
Sérieusement ? Je ne dis pas que certains scénarios pourraient le justifier mais quand même, c'est souvent un peu facile, d'autant qu'en plus c'est très souvent celui ou celle qui rend l'arme qui se fait tuer à la fin, quel imbécile non ? Bref vous avez compris, il faudrait arrêter d'abuser de ce genre de scénario et trouver autre chose.

Aucun coup d'estoc alors qu'on se bat avec des rapières

Eh oui, la rapière est d'abord une arme d'estoc. Certes elle peut parfois donner quelques coups de taille mais ce n'est pas son usage principal, essayez d'ailleurs avec une rapière plus historique et plus lourde, vous verrez que ce n'est pas le plus naturel. Et allez lire l'excellent article que Marc-Olivier Blattlin lui a consacré sur ce blog.

Les adversaires commencent le combat en étant déjà à distance de danger

Bon, l'article qui en parle est encore en cours d'écriture (enfin d'illustration vidéo plutôt) mais en gros si on y réfléchit 2 secondes ce n'est pas normal de commencer un combat à une distance où on peut être attaqué. Donc logiquement on va commencer hors distance et rentrer dans la distance pour attaquer ou provoquer une attaque, oui comme en escrime sportive, en sparring d'AMHE ou toute opposition, armée ou non !

Ce sont des pirates mais ils se battent avec des rapières

Les pirates étaient pour la plupart des marins ou de pauvres gars qui s'étaient formés sur le tas et n'avaient pas appris l'escrime académique. D'ailleurs on va surtout trouver des sabres, des piques d'abordage, des haches, des fusils sur le pont d'un navire et très rarement des rapières ou des épées de cour. Voyez mon article sur les armes des pirates.

Les escrimeurs exécutent visiblement une gamme lors d'un spectacle

J'avais lu quelque part (désolé je n'ai plus le lien), une interview de René Geuna qui disait que ses gammes de sabre n'étaient évidemment pas faites pour être utilisées telles qu'elles en assaut. Eh bien figurez-vous que c'est pareil en escrime artistique. Donc on oublie les "croix" ou les "huit", ces enchaînements ne sont là que pour vous apprendre à bien porter des coups, ce ne sont pas des chorégraphies. Et puis lisez aussi l'article du Baron là-dessus !

La phrase d'armes commence par une attaque basse sans préparation

Sérieusement ? Vous faites ça ? Vous avez déjà entendu parler de Pythagore ? Non seulement c'est plus ou moins suicidaire si vous n'avez pas de bouclier pour vous couvrir mais en plus ce n'est pas très joli non plus. Et puis allez voir mon article également.

Et BIM, Pythagore dans ta face !

Une ouverture flagrante est complètement ignorée

Je sais bien qu'on n'a pas toujours envie de faire une escrime hyper-réaliste. Mais bon, quand même, il y a des bases et un moment le public va le voir. Donc, sauf si votre adversaire est censé être particulièrement nul évitez de présenter des ouvertures que tout le monde verra sans qu'il les exploite.

On s'affronte à l'arme d'acier alors qu'il s'agit d'un entraînement

Spoiler alert : nos ancêtres n'étaient pas stupides. Bon, ils s'entraînaient sans masques et sans protections le plus souvent dans des conditions qui feraient bondir n'importe quel officiel ou assureur. Mais ils avaient tout de même l'intelligence d'utiliser des armes de bois ou en acier souple avec des lames non affûtées et mouchées. Donc s'il vous plaît utilisez ce genre d'armes pour un entraînement, on n'est pas dans un film d'Hollywood !

Sans armes, il ou elle parvient à en récupérer une sur son adversaire

La variante de l'arme rendue par l'adversaire. Comme je l'avais déjà fait remarqué dans l'article cité en introduction : si votre adversaire vous a désarmé c'est qu'il est probablement plus fort que vous et donc normalement vous devriez être encore moins bon qu'elle ou lui sans arme. Alors expliquez-moi quelle logique ferait que vous récupéreriez tout de même votre arme dans ces conditions ?

Aucune impression que ces gens sont là pour se tuer

Au fait, vous savez que vous représentez un combat non ? Alors pourquoi est-ce que vous bougez à 2 km/h avec cet air si appliqué et absolument aucune impression de combat ? Bon, cela peut être voulu dans un contexte proche de la danse, donc là je ne dirais rien. Mais sinon bougez-vous un peu plus : mettez de l'intention dans vos actions et pensez qu'il faut tout de même de la rapidité d'exécution.

C'est déjà le 3ème retournement de situation en 30 secondes

Les retournements de situation c'est bien, ça crée de la surprise, mais évitez d'en abuser à tout bout de champ, ou de faire toujours les mêmes (genre vous êtes vaincu mais tuez votre adversaire au moment où il ou elle vient vous achever). C'est une question de dosage évidemment mais essayez d'être créatifs !

L'un des escrimeurs attend, immobile, qu'on le désarme

Oui je suis méchant (bon pour tout avouer on m'a suggéré celui-ci) mais bon, pensez à avoir le bon timing et si vous n'y arrivez pas répétez plus longtemps le geste. Et si vous n'avez pas le temps de le répéter et bien... changez !

Une volte sort de nulle part, sans justification

Oui, je n'aime pas beaucoup les voltes parce que c'est irréaliste, qu'on s'y expose inutilement, ce n'est pas historique, pas si joli que ça et surtout qu'on a l'impression qu'il ne peut pas y avoir un combat d'escrime artistique ou de spectacle sans une volte. Alors essayez au moins de bien les placer si vous aimez ça (je ne juge pas, des gens aiment bien la pizza à l'ananas). Faites en sorte que le mouvement soit logique, dans la continuité de votre élan et non sorti de nulle part, juste pour placer une volte comme ça.

Le combat de groupe est constitué uniquement de duels

Oui je sais on l'a tous fait et moi le premier (et j'avoue que je continue encore). Mais bon gardez en tête que l'idéal d'un combat de groupe ce n'est pas ça. Les adversaires doivent changer, il doit y avoir des déséquilibres etc.

Une attaque est complètement hors de la cible

Je sais que parfois on a peur mais, par pitié, visez les cibles ! Pas à côté, pas à 1 mètre mais bien sur la cible. Cela facilite le travail du partenaire pour ses parades, esquives, ripostes etc. Et c'est plus crédible aussi.

L'épée longue est maniée comme un gourdin

Si vous me suivez vous connaissez mon exaspération pour les clichés sur l'épée longue maniée comme une arme de bûcheron. Donc vous commencez par mettre la main gauche sur le pommeau, utiliser l'effet de levier, faites des parades en suspension ou en frappant l'arme adverse. Rendez à l'arme sa maniabilité et sa polyvalence qui en ont fait l'arme d'apprentissage de l'escrime par les Allemands du XVe au XVIIe siècle.
Et allez voir mon article et notre vidéo (allez-je vous la mets en dessous)


Une esquive alors que l'arme passait déjà très très loin du corps

Un grand classique qui répond aux attaques hors cible évoquées plus haut. Montrez bien votre coup à votre partenaire, assurez vous qu'il ou elle est prêt, éventuellement présentez bien le pommeau pour être plus explicite et envoyez le coup sur l'endroit où aurait dû se trouver sa tête ou la partie du corps que vous visiez. Et n'abusez pas des esquives hein !

OSEF la différence d'allonge alors qu'on a des armes différentes

Si vous décidez de prendre une arme différente de votre partenaire pensez que cela ne doit pas seulement être pour faire joli mais que cela modifiera en profondeur la nature du combat puisque la différence d'allonge doit être prise en compte sous peine de plein d'approximations et d'astuces hasardeuses pour essayer de la gommer. Oui, sur ça aussi j'ai écrit un article.

On enchaîne les attaques sans aucune justification et l'adversaire ne fait que parer sans riposter

Vous n'avez rien trouvé de mieux pour justifier la domination d'un adversaire sur un autre ? Mais pourquoi celui-ci ne riposte-t-il pas ? Est-il si mauvais combattant ? Pensez à justifier les enchaînements d'attaques par une déstabilisation préalable de l'adversaire : une feinte, un déséquilibre, une autre préparation d'attaque qui fait qu'il ou elle va mettre un peu de temps à retrouver sa stabilité.

La main armée n'est pas couverte par le bouclier lors des attaques

Bon ce n'est pas très connu mais en fait, quand vous attaquez avec un bouclier vous devez protéger votre main armée avec celui-ci. Ça évite de se la faire attraper par un coup d'épée et, croyez-moi, ça fonctionne très bien (testé dans plein de GN par exemple). A priori vous pouvez même envoyer la riposte en même temps que la parade ou presque.

Mousquetaire vs Garde du Cardinal ou Cyrano de Bergerac

Je sais bien que les imaginaires d'Alexandre Dumas et d'Edmond Rostand sont très puissants et moi aussi cela me touche. Mais bon, niveau originalité en escrime de spectacle ou est sur du degré zéro. On en voit vraiment beaucoup trop, et puis bon cela commence à être loin pour les jeunes générations même si un film sur les 3 mousquetaires va bientôt sortir. Essayez d'être un peu originaux s'il vous plaît.


Le bouclier ne sert à rien et est même rejeté en arrière

Si vous prenez un bouclier c'est pour vous en servir non ? Il sert à parer des attaques voire envoyer des coups pour certains d'entre eux ainsi qu'à vous procurer une protection passive. Donc prenez soin de bien vous couvrir avec celui-ci et ne le rejetez pas en arrière quand vous attaquez. Et lisez mon article sur les boucliers.

Toutes les attaques sont simples et sans préparation

Essayez ça dans un vrai assaut et vous verrez que bientôt vous tenterez des feintes, des préparations d'attaque, que vous travaillerez l'arme adverse pour la neutraliser. C'est évidemment plus valable à certaines armes (l'attaque composée à la hache c’est compliqué) mais à la rapière, l'épée de cour ou même le sabre c'est quand même la base.

C'est un combat médiéval mais il n'y a aucune technique de jeu court

On ne le redira jamais assez mais le combat médiéval implique la possibilité de se retrouver à distance de corps à corps et donc de travailler à saisir, projeter son adversaire voir lui faire des clefs ou simplement le neutraliser pour le frapper. C'est valable à toutes les armes : aussi bien à la dague qu'à l'épée longue, au coutelas et même aux armes d'hast. Donc mettez du corps à corps dans vos combats !

 

Aucune réflexion sur le récit du combat (début/milieu/fin)

Un combat c'est uns histoire et, si il dure un peu, on ne verra probablement pas les mêmes coups au début et à la fin. Au début on aura tendance à se tester, à attaquer de loin, à soigner ses attaques. Au milieu on tentera des coups plus osés et on réservera ses coups désespérés pour la fin. Bien sûr le scénario peut être différent tant qu'il est cohérent mais surtout réfléchissez-y !

***

Voilà, c'est la fin de cette autopromotion pour mes articles ces explications sur ce Bingo. Il est évidemment perfectible, incomplet et hautement subjectif. Mais j'espère qu'il vous permettra de bitcher d'être plus critique sur les combats que vous verrez et de mieux réfléchir lors de la construction de vos propres combats de spectacle.

Je remercie tous ceux qui m'ont aidé à compléter ces cases : le Baron de Sigognac, Gaëtan et Pierre.

 



jeudi 13 octobre 2022

L'escrime est-ce uniquement avec des épées ?

Le nouveau règlement des championnats de France d'escrime artistique reprend et adapte en partie le règlement international. Cette adaptation est plutôt réussie et corrige nombre de faiblesses du règlement international, notamment en remettant une part de la note artistique qui permet de prendre en compte notre discipline dans tous ses aspects. Cependant j'ai remarqué une autre modification pas si anodine : la disparition des armes d'hast. L'escrime serait donc réservée uniquement aux épées, selon la FFE du moins.

Il y a un an j'avais déjà écrit un article où j'estimais, entre autres choses, que la définition de l'escrime ne pouvait se limiter uniquement aux épées. J'en revenait à l'ancêtre des rapières et des sabres : l'épée chevaleresque et ses ancêtres : la spatha romaine et l'épée celte. Or celle-ci n'était pas destinée à être maniée seule mais d'abord avec un bouclier et dans les techniques armes-bouclier c'est le maniement du bouclier qui est plus important que l'arme avec laquelle on l'associe. En complément de cette réflexion je vais d'abord examiner les aspects étymologiques et historiques avant de me pencher vers la réalité des techniques.

N.B. : on entendra ici le mot "épée" dans un sens large comprenant aussi les sabres et allant des grands espadons aux rapières en passant par les glaives et les épées chevaleresques.

1ère image du manuscrit de Joachim Meyer de 1568

Étymologie et histoire du mot escrime

L'étymologie du mot "escrime" n'est pas claire : elle pourrait venir du provençal "escrima", de l'italien "scherma" ou encore des langues germaniques. Plus anciens, les mots "parma" (latin), "parme" (grec), "skermen" (allemand) voire "carma" (sanskrit) dénotent une origine indo-européenne commune. Notons que la signification de tous ces mots est "combattre", sans précision des armes employées. Le mot apparaîtrait en français plus ou moins au XVe siècle, peut-être avant.

Le dictionnaire de l'Académie française qui existe depuis 1694 a connu de nombreuses éditions qui permettent de percevoir certains changements dans la perception du mot. Notons cependant que l'Académie est presque toujours en retard sur les usages des mots et ne les valide que bien après. 

De 1694  jusqu'à l'édition de 1798 la définition est la suivante : 

"Art de faire des armes, exercice par lequel on apprend avec des fleurets à se battre à l’épée seule, ou à l’épée et au poignard. Il sait tous les tours d’escrime. Salle d’escrime. Maître d’escrime. On dit plus ordinairement, Un maître d’armes.
On dit figurément et familièrement, qu’Un homme est hors d’escrime, qu’on l’a mis hors d’escrime, pour dire, qu’Il ne sait où il en est, qu’il ne peut plus se défendre."
La première page de la première édition du Dictionnaire - 1694

L'édition de 1835 n'est qu'une simple modification qui est reprise par l'édition de 1878 :

"Art de faire des armes ; exercice par lequel on apprend à se battre à l’épée ou au sabre. Il sait tous les tours d’escrime. Salle d’escrime. Maître d’escrime. On dit plus ordinairement, Maître d’armes, ou Maître en fait d’armes."

Jusque là l'Académie française conçoit donc d'abord l'escrime comme l'exercice, l'entraînement aux armes et non le combat lui-même avec ces mêmes armes. On notera en revanche que l'on ne mentionne que l'épée ou le sabre, le poignard n'est mentionné qu'en complément avec l'épée. Notons également que l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert (1751-1779) va dans le même sans :

"L'escrime est un des exercices qu'on apprend dans les académies. Le maître d'escrime s'appelle ordinairement parmi nous, maître en fait d'armes."

L'édition de 1935 n'introduit quelques petits modification mais elles sont de taille :

"Art de faire des armes ou Exercice à l’épée, au sabre, au fleuret, à la baïonnette, etc., par lequel on apprend à se battre. Salle d’escrime. Escrime à l’épée. Maître d’escrime. On dit plus ordinairement Maître d’armes."
On notera donc que l'on n'est pas uniquement sur l'exercice mais que l'on envisage également le combat. Autre ajout de taille : la baïonnette est mentionnée et le "etc." ouvre la porte à d'autres armes. L'escrime est donc le combat avec d'autres armes que les seules épées et sabres. Notons que nous sommes à une époque où les duels sont devenus extrêmement rares et même l'escrime a la baïonnette a peu servi dans la première guerre mondiale.

Enfin l'édition actuelle accepte les deux sens :

"1. Art de manier l’épée, le sabre, le fleuret. Pratiquer l’escrime. Un assaut d’escrime. Salle d’escrime (on dit plutôt Salle d’armes). Escrime à l’épée. Maître d’escrime (on dit plutôt Maître d’armes). Un champion, une championne d’escrime. L’escrime est devenue un sport olympique en 1896. Par extension. Exercice par lequel on apprend à se battre à l’arme blanche. Escrime à la lance, à la baïonnette.
"2.  Fig. Tout exercice qui met en jeu le corps ou l’esprit. L’escrime pugilistique, la boxe. La dialectique, escrime de l’intelligence."

On remarquera également que les traités d'escrime en français ne mentionnent jamais le mot escrime jusqu'au XIXe siècle et les traités du Suisse vivant en Russie Baltazar Ficher, L’art de l’escrime dans toute son étendue ; Nouveau traité ; Avec toutes les connaissances qu’il faut pour bien manier l’épée. (1797) et de Lafaugère, l'Art de l'escrime en 1820. Au lieu de ça on parle de l'art de faire les armes, d'école des armes, de l'art de l'épée, des secrets de l'épée etc. Notons que la traduction anglaise de L'école des armes de D. Angelo parue en 1787 se nomme School of Fencing, le mot anglais que nous traduisons par "escrime".

L'escrime semble donc, jusqu'au XIXe siècle, ne concerner que l'exercice du maniement des armes, l'apprentissage et les jeux d'escrime (les assauts). Le véritable combat porté à l'aide de ces techniques semble relever d'une autre définition.

En ce qui concerne les armes, ce sont d'abord des épées (en fait des rapières puis des épées de cour) mais la combinaison épée-dague est également mentionnée et l'on accepte des accessoires à l'épée. Le XIXe siècle rajoute d'autres armes : le sabre évidemment, mais également la baïonnette ainsi que le bâton et la canne. Si ces armes ne sont pas dans la définition de l'Académie française on trouve le mot escrime dans les manuels d'Alexandre Müller, Le maniement de la bayonnette (1835), de Joseph Pinette, École du tirailleur (1837) ou dans le Traité de boxe, savate, canne et bâton de Jean-Félix Delaunney (fin XIXe s.). Ces armes font à cette époque l'objet de traités alors qu'elles avaient été très largement ignorées par les traités auparavant. Le mot "escrime" semble donc à l'époque désigner les techniques de maniement des armes et pas seulement l'épée même si cette arme reste l'arme reine des traités et semble avoir une place supérieure aux autres.

Le mot escrime semble donc avoir désigné majoritairement l'art de manier l'épée, art qui a été le plus développé et est resté le plus prestigieux. Cependant dés le XIXe siècle et dés que des techniques ont été "anoblies" par l'impression de traités, l'usage du mot a été accepté pour les autres armes blanches les plus répandues à l'époque : sabre, baïonnette, canne et bâton. 

Extrait du Maniement de la bayonnette par Alexandre Müller - 1835

Les traités de combat, l'épée et les autres armes

Nous pouvons également aborder les choses en nous posant une autre question : les épées sont-elles les seuls à bénéficier de techniques de combat élaborées, ou du moins ces techniques leurs sont-elles spécifiques ou plus complexes ?

Si l'on se penche sur les livres de combat on constate qu'on est loin de n'y trouver que des techniques d'épée. Ainsi le plus ancien traité d'armes en français est Le noble jeu de la hache (Ms FR. 1996) daté peut-être des environs de l'année 1400. Il ne traite pas d'épée mais de la hache de pas à laquelle j'avais d'ailleurs consacré un article. Les techniques sont variées et complexes et n'ont rien à envier à celles de l'épée. D'autres armes comme la dague, le bâton ou les armes d'hast ont bénéficié de la description de nombreuses techniques dans les traités d'armes de la fin du Moyen-Âge et de la Renaissance. Pour d'autres comme le fléau d'armes

Notons cependant dans ceux-ci une place souvent prépondérante des techniques d'épée longue dans la plupart de ces traités d'armes. Ainsi Paulus Hector Mair qui a écrit les traités traitant du plus grand nombre d'armes consacre 136 jeux à l'épée longue soit bien plus que pour toutes les autres armes. Seule la lutte avec ses 130 jeux égale presque ce score, on trouve ensuite la dague avec 64 jeux et la rapière (en diverses combinaisons : seule, avec bocle ou dague) avec 56 jeux et enfin le dussack (qui est une autre épée) avec 44 jeux. La plupart des autres armes n'ont qu'une vingtaine de techniques qui leur sont consacrées voire moins.

La 88e technique du traité de Paulus Hector Mair Opus Amplissimum de Arte Athletica (années 1540)
 

De même la plupart des traités germaniques de cette époque commencent avec l'épée longue qui fut pendant trois siècles l'arme d'apprentissage de l'escrime (jusqu'au XVIIe siècle), même quand elle n'était plus utilisée nulle part ailleurs que dans dans les salles d'armes. C'est avec elle que l'on apprend les grands principes de l'escrime que l'on retrouve ensuite déclinés dans les autres armes. On a donc un ensemble de techniques et d'appréhension du combat communs à toutes les armes et qui sont déclinés de l'épée longue et adaptés aux spécificités de chaque arme.

Les traités d'armes à partir du XVIIe siècle mentionnent assez peu d'armes en dehors de la rapière puis de l'épée de cour qui est clairement la reine des traités à l'époque et il faut attendre principalement le XIXe siècle pour voir des techniques de bâton, de canne puis de baïonnette concurrencer les techniques d'épées de cour/fleuret.

On y retrouve parfois des principes d'escrime communs. En général les gens apprenaient un style d'escrime et pouvaient le décliner à d'autres armes. C'est ce que l'on peut, par exemple observer en France au XIXe siècle dans ce que le Capitaine France et ses comparses appellent les arts martiaux français. Les techniques d'escrime au fleuret/épée de duel et celles du combat non armé de la savate et de la lutte se sont croisées pour donner un ensemble cohérent applicable aussi à la canne, au bâton, au sabre ou encore au biscaïen. Les principes de déplacement sont appliqués partout par exemple ainsi que la même conceptualisation du combat ce qui fait que les Maîtres d'armes de l'époque pratiquaient en général également la savate, la canne, le bâton etc. même si chacun avait en général sa spécialité.

Si l'on prend un peu de distance on voit donc clairement une prédominances des techniques d'épées sous ses diverses déclinaisons (épée longue, à une main, sabre, rapière, épée de cour..) dans les livres de combat. Les techniques d'épée sont souvent les plus développées, les plus élaborées et servent souvent de base aux techniques des autres armes. L'épée semble donc, à toutes les époques ou presque, l'arme de prédilection de l'escrime. Cependant on a vu aussi que ses techniques n'étaient en général pas de nature fondamentalement différentes de celles des autres armes. Et on ne voit donc pas pourquoi on refuserait ainsi le terme "escrime" pour des techniques d'armes similaires à celles présentées pour les épées.

 

Affiche promotionnelle du XIXe siècle montrant la diversité des disciplines enseignées dans une salle d'armes.

Conclusion : l'épée est-elle la seule arme de l'escrime ?

Il faut maintenant tenter de répondre à la question posée en introduction : doit-on réserver le terme "escrime" aux seules épées ?

Il ressort de ce que nous venons de voir que le terme escrime a longtemps été associé uniquement aux épées même si il était réservé à l'entraînement avec ces armes et non à son application pratique sur le pré, dans la rue voire à la bataille. Au moment où il se généralise on y introduit d'autres armes. De même, dans les traités les diverses épées on clairement un place centrale. Cependant cette place n'est pas exclusive et ses techniques pas si différentes des autres armes, en fait elles leur servent souvent de base. Pour tout cela il ne serait donc pas illégitime de réserver le terme "escrime" pour les combats à l'épée tant cette arme bénéficie d'un statut spécial. Cependant l'inverse est tout à fait défendable et parler d'escrime au bâton, à la dague ou à la hache de pas s'entend tout à fait.

Reste à revenir à notre pratique : l'escrime artistique ou l'escrime de spectacle. Et là on ne voit pas bien l'intérêt de limiter la pratique aux seules épées. D'autres armes offrent une plus grande diversité, plus de possibilités scéniques, notamment sur le jeu des distances avec les armes d'hast ou les dagues. Plus d'options de spectacle donc, plus de jeux différents. Du coup pourquoi vouloir se priver de cette diversité ? C'est aussi celle-ci que j'aime mettre en avant avec mon amour des armes insolites.

vendredi 16 septembre 2022

Trouver ses formes scéniques. Entre liberté artistique et rigueur technique.

Fiou ! C'était intense mon absence. Imagine ! En quelques mois, j'ai connu la guerre des AMHE empiristes contre historiques, savouré celle de la Destreza or not Destreza, la preuve que mes confrères Maîtres d'Armes ont parfois du mal à comprendre notre discrédit en escrime artistique, la naissance de la première rencontre fédérale régionale d'escrime artistique… le silence de l'été et paf soudain la rentrée.
Bon ben on va y retourner hein.
Baron de Sigognac, vacances addict

Bonjour à tous, ici le Baron de Sigognac pour vous desservir. 

Avant tout, je voulais revenir légèrement sur notre vision et l'importance que nous accordons à l'historique dans nos premières ébauches chorégraphiques. Le Capitaine m'épargnant cette peine grâce à son article Du traité à la scène : mettre en scène l'escrime historique , rentrons plutôt dans le vif de notre sujet.   

Aujourd'hui, parlons d'art, parlons de scène, parlons de forme. 


Crédit : Hulki Okan Tabak, Unsplash


Et par forme, j'entends ce qui touche à votre posture, expressions faciales, positions dans l'espace qui enrichissent le simple signe que représente votre défensive ou offensive. Bref, ce qui va rendre votre "tête, flanc, tierce" différent de celui de votre voisin et, si vous faites bien les choses, soutenir votre histoire, votre personnage. Un travail important qui se mène en amont de celui d'enrichir techniquement nos chorégraphies voire conjointement. 


Nous pouvons classer ses formes en deux catégories : celles qu'on nous impose et celles qu'on nous impose pas. 


Un chorégraphe décidera davantage, à priori, des formes scéniques qu'un simple cascadeur ou, pour viser large, simple "exécutant". Ce même s'il est souhaitable que le dit exécutant ne soit pas qu'un yes man et le chorégraphe, un tyran sourd, mais je m'avance de trop.

Sur la partie imposée, l'exigence sera avant tout technique. La décision étant prise par d'autres, il nous incombe de la mettre en œuvre par une phase d'entrainement et de répétitions que nous appellerons consolidation. 

En revanche, en absence de demandes scéniques suffisamment précises, ce sera aux escrimeurs, eux même, de trouver des formes adéquates. Je dis "des". Il existe, à mon sens, autant de formes pertinentes que de joueur, si ce n'est plus, pour une même situation. Le propre de l'art ( ceci est important ). Sauf que cela pousse à prendre des décisions, ce qui, sans méthode et pratique régulière, n'est jamais évident. 


La principale conséquence est de de décaler la phase de consolidation, au profit d'une autre dédiée à la recherche de formes scéniques.  
Et rechercher c'est comme tout, ça s'apprend !


Crédit : Hulki Okan Tabak, Unsplash



Attardons nous donc quelques instants.

Rechercher ses formes : entre principes et liberté de pratique.


Préférences personnelles contre attendus naturels : les principes et choix directeurs de nos recherches


Copieur, déjà, tu ne seras pas !

D'abord, le principal écueil à éviter est celui de copier . En fonction de notre formation, nous avons appris de façons explicites ou non des schémas de créations. La première erreur serait de les reproduire sans recul. Alors, certes nos enseignants, modèles ont pu établir leur réputation, carrière autour de ceux-ci, sauf que eux c'est pas nous. Ils savent (du moins, je l'espère) intellectuellement, mais aussi émotionnellement, pourquoi ils agissent de telles manières. 
En soi, s'inspirer de ce qui fonctionne est intelligent, mais le reproduire tel quel ne vous aidera pas davantage à trouver des formes pertinentes que de tenter au hasard. Parce qu'il vous en manquera l'esprit qui anime ceux dont vous voulez copier l'image. Au mieux nous arriverions à être les bons élèves de... pour un artiste, qui par essence a une volonté émancipatrice, c'est un peu chaud. Et ça ne fera pas de vous de meilleures exécutants.  

Après, si vous ne pratiquez qu'en loisir, cet écueil n'en est pas un. Il offre même des avantages en terme de tranquillité d'esprit. En revanche ne vous attendez pas à faire autre chose que de "l'industrie". Tout aussi qualitative soit-elle. D'où mon appel à commencer votre réflexion le plus tôt possible. 

Ceci étant dit, deux catégories de recherches scéniques s'offrent à nous : celle où l'histoire est déterminée et celle où elle ne l'est pas. 



Crédit : Ahmad Odeh, Unsplash



Dans la première, nous allons pouvoir rechercher tout de suite nos formes en ayant en tête des balises précises : mon personnages est un artiste, je suis agressif etc... Certes, cela ne vous donnera pas une solution pré-faite, mais un cadre qui facilitera votre imagination. Une voie à suivre que vous pourrez agrémenter des manières de faire de ceux qui vous inspirent ou de nouvelles en fonctions de ce que vous ressentez. 

Dans la seconde, plus rare, nous cherchons sans connaitre les tenants et aboutissants de l'histoire : Exercices, travail préparatoire en attente du scénario, page blanche, etc... La principale conséquence est d'élargir le champs des possibles jusqu'à en devenir totalement ingérable. Ce qui va nous forcer à intervenir et trouver nous-même notre propre cadre : réduire volontairement cette océan d'incertitude en prenant nous-même des décisions, quitte à en changer plus tard parce que manque de bol on se voyait artiste et par la grâce du scénario en retard nous finîmes bandit. 

Une gymnastique mentale que nous avions commencé à explorer avec Osez créer ! L'art de décider.

Cette hypothèse étant la plus complexe, je vous propose de fonder notre réflexions dessus. Il vous suffira ensuite de considérer les autres comme des situations plus simples et favorables nous dispensant de certaines étapes. Joie.

Alors, nous y voilà, nous avons un combat à monter, nous ignorons l'histoire, mais on désire commencer à s'y pencher. Nous avons mis en place quelques cibles voire quelques enchainements ou non, plus ou moins répartis nos rôles d'offenseurs et défenseurs et le temps de rechercher nos formes scéniques semble venu.   
En l'absence de repère, nous allons en décider plusieurs. Les manières de faires sont nombreuses. Celle que j'utilise souvent repose sur deux axes : nous et les attendus naturels du public.



Crédit : Ahmad Odeh, Unsplash


Nous. 


L'expression "naturelle" de nos corps, ce que nous formons, par exemple, sur une parade de seconde quand nous nous imposons rien est la base de ce nous. A travers diverses répétitions, elle dégagera un panel de formes plus fréquentes que d'autres sur lequel nous intéresser.
La prochaine étape consiste à l'affiner par nos préférences en termes personnage. Ainsi, sur une parade de seconde, si nous aimons jouer les vieux briscards, un changement de garde aura davantage grâce à nos yeux qu'un quart de volte à gauche, plus artiste. Même si à l'origine notre corps proposait les deux à égalité. De quoi réduire le nombre de possibilités. Pour plus de détails je vous renvoie de nouveau à l'excellent Les neuf types de combattants : ma typologie révisée et rationalisée.

Les attendus naturels du public. 

En parallèle et sans être une science exacte, les perceptions "primaires" du public, vis à vis de notre apparence, sont un excellent moyen d'anticiper l'impact de nos postures. En effet, un géant à la musculature imposante semblera moins enclin à jouer les artistes. A contrario, étant moi-même plutôt petit et menu  -- je suis nul aux jeux de hasard depuis ma conception que voulez-vous --  il serait curieux de me voir jouer les brutes. Et le fait que j'ai pu hériter, ado, du doux surnom de Patataure ne change rien à ça. 

Cependant, ce constat peut s'opposer à vos propres ressentis : celle d'un colosse aimant jouer les artistes et dont le corps choisis principalement des postures conformes à cet archétype. De quoi complexifier notre affaire, c'est évident.

En revanche, cette dualité possible entre attentes du public et personnelles, nous permet des choix scéniques plus concrets, à savoir se conformer aux "mythes" des spectateurs et les y conforter ou s'y opposer ; ce à des degrés divers (nuances toussa, toussa)

La dessus, nos préférences personnelles ont une grande influence : si les préjugés des spectateurs s'opposent à mes préférences, je serais enclin à jouer avec et les prendre à contrepied. Que ce soit par le personnages ou le style scénique. 

Toutefois, dans le contexte de notre article, si vous savez ne pas avoir le dernier mot sur le futur scénario, je vous conseillerai de suivre ces attendus naturels. Vous aurez plus de chance de tomber juste et de moins revenir sur votre travail.

Cette précision faite, voyons la chose en pratique, en partie tout du moins.


Crédit : Ahmad Odeh, Unsplash


Guider et se laisser guider : la liberté de décider et d'explorer. 


La recherche de formes scéniques, par essence, ne consiste pas à travailler au plus juste techniquement, mais de trouver des expressions corporelles selon des situations établies. Voyez ça comme un brouillon. Si la sécurité est toujours obligatoire (liberté ne veut pas dire faire n'importe quoi) c'est bien la mise en confiance, l'échange et la fluidité corporelle qui seront nos meilleurs alliés dans cette phase. 

La technique et le travail qu'elle demande viendront après : vous n'allez pas monter sur scène tout de suite, prenez votre temps. Et si vous en avez pas ... bon courage ^^' ou alors... on y reviendra un jour, promis.

Ainsi, comme j'ai pu l'aborder dans  A travers le débutant et l'urgence : l'art de mettre en confiance, je vous conseille, à ce stade, de ne pas user de pied ferme. Profitez du mouvement en essayant de rester fluide quitte à enchainer les préparations de jambes pour un mouvement de bras.

Notez que les répétitions viendront d'elle-même réduire le nombre de préparations nécessaire jusqu'à tendre vers un mouvement de bras pour un mouvement de jambe. Donc, n'ayez pas peur d'exagérer au début pour préserver votre fluidité ou celle de votre partenaire. Cela vous permet en plus de vous synchroniser tranquillement. 

A cet instant, vous allez pouvoir  guider votre exploration en vous posant différents scénarios. La liste qui suit servira d'illustration, mais ne la prenez pas comme exhaustive et dans l'ordre. 

  • Autour des jambes 
    • déplacements linéaires, circulaires, à gauche, à droite, croisés, non croisés... A vous de choisir : plus vous aurez une idée précise, plus vous irez à l'essentiel, mais en cas de doute n'hésitez pas brasser large. (c'est valable pour la suite)


  • Autour des bras et des cibles
    • préparations aux fers, feintes, gardes... 

  • Autour des cibles et des rôles
    • Jouer l'offenseur sur toutes les cibles concernés par notre recherche scénique, le défenseur ( contre-offenseur, avec prudence ), répartir équitablement, à l'avantage de l'un...

    • Vous remarquerez que la recherche de forme scénique peut se faire en parallèle ou conjointement à l'enrichissement technique de nos chorégraphie : la recherche de forme peut nous faire enrichir techniquement notre chorégraphie et l'enrichissement technique peut nous faire trouver des formes Ainsi, si je parle de l'un, sentez bien que l'autre n'est pas loin. 

  • Autour du jeu d'acteur. 
    • Expressions corporelles, faciales, émotions... je suis énervé(e), apeuré(e) etc... 


Crédit : Ahmad Odeh, Unsplash


Gardez juste à l'esprit de partir du plus simple jusqu'au plus ouvert pour ne pas vous perdre. En revanche, vous êtes libre de partir de ce qui vous convient : chaque situation est unique.

 
Quoiqu'il en soit vous devriez obtenir des formes scéniques plus ou moins grossières (attaque simple au ventre en quart de volte, expression de rage ; parade quinte inversé en fente latérale à gauche, expression de surprise ou encore à déterminer...). L'occasion de les filtrer à travers les attendus estimés du publics et la manière dont nous voulons nous y conformer. Puis, avec celles restantes, intéressez-vous à la suite : consolider et peaufiner. 

Consolider les formes, la rigueur technique à l'œuvre.


Identifier, répéter, rationaliser... : le chemin rigoureux de la maitrise technique. 

 

Nous laisserons de côté ce qui touche uniquement le jeu d'acteur pour nous concentrer sur l'escrime. 

Donc, nous avons nos formes, du moins une bonne idée, et savons où aller. Reste que ce n'est pas ça que nous allons montrer au public, nonobstant les changements possibles. De quoi, nous inciter à travailler et peaufiner chaque aspect technique de nos formes, on a pas le choix de toute façons. Un entrainement que nous pousserons jusqu'à obtenir le résultat voulu.
Pour faire simple, nous sommes d'accord qu'à deux à l'heure on arrive à volter, mais qu'à vitesse de représentation et devant un public, il va falloir plus ou moins, mais plus que moins, travailler.

C'est ici que la liste, issue de Construire et reconstruire, l'art d'enrichir ses chorégraphies, prend une autre dimension pratique.

  1. Offensive simple de pied ferme
    • distance d'allongement du bras en se rappelant qu'on est à distance de touche avec le faible pour taille et entaille et qu'en cas de coup d'estoc on est hors de cette distance : la pointe s'arrêtant avant sur un bras allongé, bla bla bla... tu sais. 
  2. Offensive simple sans préparation
    • Départ de pied ferme suivi d'un développement : fente, demi passe, changement de garde, marche, latéral, linéaire, diagonale… 
  3. Offensive simple avec préparation de jambe
    • Faire précéder votre développement de préparation de jambes 
  4. Offensive simple avec préparation de jambe et de bras
    • Rationaliser ses gardes et positions de mains pendant les préparations de jambes
    • Rajouter les préparations au fer
  5. Offensive composée avec préparation de jambe et de bras
    • Intégrer des feintes à nos offensives


Attention, l'idée n'est pas de la suivre à la lettre, loin de là. 


Encore une fois

En revanche, pour chaque forme, vous trouverez un niveau de complexification correspondant à cette liste. Si le plus faible du groupe est capable de travailler en confiance ce degré technique, vous pouvez commencer directement à le faire. En effet, après un certain niveau on ne vas pas décomposer une attaque simple ( le bras allongé, stop, puis les jambes ) pour la réaliser correctement. On la fait ( prédominance du bras ). 


Dans le cas contraire, les étapes précédentes, sans être des plus précises,  vous aideront à déconstruire la forme et son exigence technique pour une version plus simple. Ce jusqu'à ce que vous puissiez revenir dessus grâce au progrès issus de votre, vos séances : le quart de volte sur l'attaque au ventre me semble compliqué en l'état, je fais juste l'attaque simple au ventre en déplacement linaire, puis je reviens progressivement à la forme désirée (travailler le quart de volte à part, rajouter une étape avec un déplacement latéral vous appartenant comme décision). Vous pouvez consulter Pourquoi mettre en scène l'escrime ancienne n'est pas si compliqué. sur ce sujet. 

J'insiste sur le fait que nous ne sommes plus en train de nous interroger sur les formes scéniques à utiliser, mais bien de les acquérir.


Crédit : Léon Liu, Unsplash


Quelques remarques. 

Remarque une : le travail de pied ferme n'est pas à occulter. Même si vous êtes à l'aise techniquement, travailler de pied ferme, permet de se concentrer sur la rigueur des mouvements de bras et de l'équilibre qu'ils imposent. Sur une parade en croix haute froissée / chassée, passer un moment sur du pied ferme permet de vérifier que seuls nos bras agissent : éviter les coups d'épaules, une impulsion du buste etc... des petits défauts techniques qui peuvent à bonne vitesse nous jouer des tours. Donc, je ne saurais trop vous conseiller de faire du pied ferme pour chaque technique, si possible. N'y passez pas forcément beaucoup de temps, mais c'est un plus indéniable pour peaufiner et consolider vos formes. C'est un excellent complément à l'échauffement, en plus.

Remarque deux : la liste se concentre que sur les bras, et la coordination bras-jambe. D'où mes appels à ne pas prendre ça comme exhaustive, mais comme un simple outil ; utile, mais imparfait. Dans votre entrainement n'hésitez pas, par moment, à faire que des jambes. Surtout si vous sentez que c'est là que ça pêche. On appelle pas ça des fondamentaux pour rien ^^.

Remarque trois : vous pouvez toujours revenir en arrière. Ce n'est pas parce que vous consolidez une forme que vous ne pouvez plus en changer. l'histoire change, les formes aussi. La pratique vous donne une meilleure idée, allez-y. L'important c'est de vous lancer. Les idées peuvent venir de suite ou par la pratique. Bref, rien n'est irremplaçable. Après, si vous allez monter sur scène, remettez les changements à plus tard (pas de blague !)


Crédit : Nihal Demirci Erenay, Unsplash


Résumons

Qu'importe que vous connaissiez les tenants et aboutissants de l'histoire que vous allez raconter : rechercher et consolider ses expressions, postures peuvent s'en passer. Au départ en tout cas. 

Les possibilités sont nombreuses. Donc, n'hésitez pas à procéder par étapes. Rechercher vos formes dans un premier temps en laissant agir votre corps, puis en le guidant à travers différentes possibilités, de plus en plus vastes et l'impact que vous estimez obtenir du public. 

A cette fin, misez sur l'aisance, la confiance et la fluidité sans rechercher la justesse technique. Puis, une fois des formes déterminés, consolidez les et affinez les progressivement en mettant l'accent sur la technique sans vous empêcher de revenir en arrière, changer de forme, voire juste la simplifier pour mieux revenir aux résultats souhaités.

Voilà.
C'était le Baron de Sigognac pour vous desservir, je vous donne rendez-vous dans un mois pour un prochain article. Bonne rentrée scénique à tous et portez-vous bien. 




samedi 27 août 2022

Du traité à la scène : mettre en scène l'escrime historique

Il traîne encore dans nos milieux d'escrimeurs de spectacle français une vieille rumeur qui voudrait que cela soit très compliqué voire impossible de mettre en scène une escrime historique et/ou un traité d'escrime. Ou alors cela serait trop dangereux et nécessiterait des adaptations très complexes... J'avoue y avoir moi-même vaguement cru avant d'expérimenter les AMHE et de ne plus du tout y croire. Cette tâche est loin d'être insurmontable et les adaptations sont minimes. En revanche cela va demander un certain travail qui va consister à comprendre l'escrime que l'on veut montrer et non à calquer à une autre arme (un sabre ou une épée longue par exemple) des techniques inventées pour des armes extrêmement légères

Cet article veut donc faire le point sur ce que vous devrez faire pour adapter un traité d'escrime ou une tradition martiale dans un spectacle de combat.

 

Couverture du Der Allten Fechter gründtliche Kunst édité par l'imprimerie de C. Egenolff en 1558 et reprenant le traité d'Andre Paurefeyndt.

Comprendre l'escrime présentée

La première chose à faire est de comprendre l'escrime que l'on veut présenter. Il s'agit de comprendre et d'assimiler les formes de corps, les logiques et les déplacements qui en font l'essence. C'est probablement la partie la plus compliquée, surtout pour des escrimes dont les logiques sont parfois assez éloignées de l'escrime moderne qui sert de base à l'escrime artistique. Ainsi, vous serez assez peu dépaysés si vous faites de l'épée de cour, vous les serez plus en faisant de l'escrime médiévale et peut-être encore plus en pratiquant la Verdadera Destreza (j'avoue personnellement avoir eu énormément de mal à en assimiler la logique et les mouvements, notamment les déplacements qui accompagnent systématiquement les mouvements d'épée).

Pour cela il faut lire les traités, mais cela ne suffit pas, ne travaillez pas seuls et seules, surtout quand des tas de gens compétents ont déjà travaillé sur les mêmes sujets ! N'hésitez pas à regarder des vidéos, prioritairement de groupes d'AMHE qui ont pour seul but de travailler la forme et la technique, vous y mettrez votre style après au besoin. Regardez des vidéos explicatives, des vidéos de techniques et même éventuellement de sparrings (assauts) pour vous aider à comprendre. N'hésitez pas non plus à échanger avec les spécialistes de ces pratiques sur les réseaux sociaux, en général ils sont toutes et tous très heureux de vous faire bénéficier de leurs lumières pour l'amour de l'Art.

Présentation de la dague médiévale selon Fiore dei Liberi par Jeanne Bréard et Gilles Martinez

Une fois que vous vous êtes un peu renseignés pratiquez, testez, regardez à nouveaux, échangez encore au besoin et, SURTOUT, ne retombez pas dans les vieilles techniques habituelles de l'escrime de spectacle à la rapière à lame triangulaire. Vous êtes là pour présenter autre chose et non pour singer à une autre arme une escrime que vous connaissez.



Vidéo de la chaîne "Les arts martiaux français" présentant les techniques d'attaque de de parade à la canne selon Maître Larribeau (il s'agit de canne de défense et non de canne sportive)

Sécuriser la pratique (pointes au visages et clefs)

Il faut tout de même dire quelques mots de la sécurisation des coups. On estime que, si vous vous lancez dans ce genre d'entreprise, vous avez un minimum d'expérience (pas besoin d'être expert non plus) ou vous êtes bien encadrés et que vous êtes capables d'identifier ce qui est dangereux pour vous car vous n'avez pas le niveau pour le faire.

Il n'en reste pas moins que les coups de pointes à la tête restent trop dangereux pour qu'on les fasse, le jeu n'en vaut pas la chandelle. Or les techniques historiques présentant ce genre de coups sont fréquentes, c'est logique en fait puisqu'on veut initialement tuer ou mettre hors de combat et que le visage est une cible fragile. Il faut donc faire attention de bien retravailler vos estocs pour viser la poitrine et non la tête ce qui va parfois amener à modifier légèrement certaines techniques, à lever plus haut les bras et donc, oui, c'est l'un des cas où il est possible que, pour des raisons de sécurité, une technique soit dénaturée.

 

La garde à deux cornes de Fiore dei Liberi (ici présentée dans le Florius de arte luctandi, BNF lat. 11269.) est une technique très sympathique mais presque imprésentable dans un combat de spectacle tant son but est de menacer le visage et le haut du crâne en permanence !

Les clefs de bras sont un des autres cas où il faut évidemment modifier la technique. On les retrouve surtout en escrime médiévale où le corps à corps est partie intégrante de la pratique du combat. Il faut donc utiliser la classique technique du coude retourné, comme au catch par exemple. Il convient cependant d'être très prudent avec les clefs de bras et de bien répéter ces mouvements qui peuvent être dangereux.

Pour le reste des techniques c'est pour moi juste une question de niveau technique. De nombreuses escrimes anciennes proposent des mouvements de contre en un seul temps d'escrime qui sont techniquement difficiles à réaliser en sécurité. Du coup mon conseil est simple : ne le faites pas si vous ne vous sentez pas capables de le faire sans risques ! Et surtout, répétez-le lentement, la répétition appliquée peut tout à fait pallier un niveau plus faible (et vous apprendre le principe pour la suite), aussi, si vous avez du temps devant vous vous pouvez tout à fait l'envisager si vous êtes prêts à travailler patiemment le mouvement. Il en va de même pour le reste et notamment les projections qui va vous demander un petit niveau en cascade, voire une certaine condition physique pour les plus compliquées. Mais là encore rien d'impossible avec de l'entraînement.

La catcheuse Becky Lynch effectuant une fausse clef de bras sur Sasha Banks à la WWE

Sélectionner ses techniques

La dernière tâche va être de sélectionner les techniques que vous voulez mettre en scène dans votre chorégraphie. Vous allez voir des dizaines de techniques plus ou moins intéressantes et/ou spectaculaires et vous n'allez pouvoir en placer que quelques unes dans un combat qui sera forcément assez court.

La différence entre un combat réel et un combat de spectacle est que, dans ce dernier, on peut se faire plaisir et placer plus de techniques. Là où on placerait au mieux une technique complexe en sparring, on peut en placer jusqu'à trois ou quatre dans un combat de spectacle ! Si vous voulez faire un combat réaliste évidemment cela ne sera pas le cas mais tout en gardant une grande crédibilité dans l'approche on peut se permettre d'en placer plus pour faire plaisir au public et se faire plaisir soi-même.

Choisissez donc vos préférées mais pas seulement celles-ci. Faites d'abord attention au type de média par lequel votre combat parviendra au spectateur. Si vous filmez un combat vous pourrez vous permettre de mettre en scène des techniques qui prennent peu d'ampleur et qui seront plus difficilement visibles de loin comme dans un combat présenté sur une scène de théâtre. Dans le cas du spectacle vivant pensez à ce qui sera le plus spectaculaire, préférez les projections aux clefs par exemple si on en vient au corps à corps. De même, pensez que le public verra plus difficilement de subtils changements de positions de mains, surtout si les mains sont emmêlées.

Une dernière chose concernant les techniques : il vous faudra trouver des contres. Les techniques des traités sont faites pour piéger l'adversaire et celui-ci est censé ne pas pouvoir en réchapper, ou du moins avoir du mal à le faire. Or, pour faire durer un peu le combat il faudra bien que l'on en réchappe quelques fois. Certains auteurs présentent des contres aux techniques et même des enchaînements comme Paulus Hector Mair pour l'escrime de Moyen-Âge et de la Renaissance mais ce n'est pas toujours absolument le cas. Il faut faudra parfois les trouver vous-mêmes d'où l'importance de la première étape consistant à bien comprendre l'escrime que vous voulez présenter pour inventer vous-mêmes des échappatoires crédibles.

 

Interprétation d'un enchaînement de dussack de Paulus Hector Mair par Fechkunst.schüle
 

***

Pour conclure je ne peux que vous encourager à adopter cette démarche que j'essaie d'appliquer au mieux dans la construction de mes combats. C'est en fait pour moi un vrai plaisir d'expérimenter de nouvelles escrimes, de nouvelles armes à chaque combat que je monte. Si vous voulez changer d'arme, d'époque, donnez-vous en les moyens. Ce n'est pas excessivement compliqué (notamment grâce à l'abondance de vidéos en ligne) mais cela demande de se casser un peu la tête et de creuser le truc. C'est évidemment plus facile quand vous avez déjà une expérience de plusieurs styles d'escrime, c'est un peu comme les langues, plus on en connait, plus vite on en apprend d'autres car on retrouve parfois certains mécanismes qu'on a déjà vu ailleurs.

jeudi 30 juin 2022

Typologie des scénarios de combat

Bon, on veut représenter un combat dans un spectacle - c'est la raison d'être de notre discipline - mais voilà, on n'est pas au gala des arts martiaux et il semblerait que le public, ce grand dictateur, veille savoir pourquoi les personnages de notre combat se battent. La simple beauté du combat, du fracas des lames (il fallait que je la fasse), ne leur suffit pas et nous devons donc, en plus de la chorégraphie, écrire un scénario qui explique pourquoi l'on se bat. On doit donc raconter une histoire avec nos lames (mais aussi nos corps, nos costumes et, éventuellement, nos voix) et il serait donc bon d'avoir quelques idées sur les types d'histoire à raconter et même ce que ça implique.

Hé oui, parce que le type de scénario prévu pourrait imposer des restrictions sur les mouvements qu'on peut s'autoriser en combat, sur la façon dont les personnages doivent enchaîner ou non les passes d'armes etc. En fait il faudrait même mieux choisir le scénario avant de créer le combat (ne me mentez pas, vous ne le faites pas toujours, je vous vois là dans le fond !), ou du moins choisir un type de scénario en fonction des actions que l'on a envie ou non de voir en combat. Pour vous aidez je vais donc tenter ici d'établir une typologie des types de scénarios de combat les plus courants en les classant du plus encadré (et donc contraignant en terme d'actions) au plus libre.
 
N.B. : Je décris ici certains types de combat mais on peut parfois, au cours d'un scénario passer de l'un à l'autre. Ainsi, par exemple un combat sportif peut se transformer en rixe, ou une rixe devenir un duel etc.

 

Tournois dans un festival - Jacques Callot - 1627

Le combat "sportif" (tournois, Fechtschülen etc.)

Le premier type de scénario de combat, le plus encadré est le combat "pour de faux". En fait il s'agit quand même d'un vrai combat, qui oserait prétendre qu'un match d'escrime aux Jeux Olympique n'est pas un combat ! Simplement il y a des règles, des règles de sécurité d'abord, parce qu'on ne veut pas de mort ou de blessé grave, et parfois aussi des règles d'engagement.

Dans ce scénario les protagonistes utilisent normalement des armes neutralisées. On voit, certes, des entraînements avec de vraies armes dans les films et les séries mais c'est juste stupide d'un point de vue de la crédibilité. Donc restons-en aux armes en bois, aux bâtons, aux fleurets et autres Fechtschwerten (ce qu'on appelle communément "Feder"). Notons que sans protection ça peut faire mal et que, selon le contexte de votre scénario, les protagonistes peuvent retenir leurs coups ou porter des protections voire, dans un scénario impliquant plus de tension, ne pas retenir leurs coups et infliger des blessures sérieuses mais en principe non mortelles à leur adversaire. Le combat de gladiateurs est une exception dans le sens où l'objectif est de blesser l'adversaire à l'aide d'une dague mais surtout pas de le tuer et que des protections spécifiuqes existent pour empêcher cela (je vois renvoie à tout le travail d'Acta Museo sur cela).

Il y a aussi des règles d'engagement. En principe un espace défini et dévolu au combat : une lice, une piste d'escrime etc. Cet espace peut être rigoureusement délimité ou non par un tracé, des barrières, une foule... Néanmoins si l'un des combattants en sort il sa soit perdu, soit perdu un point, soit il est au moins remis dans cet espace. Tout cela implique ainsi une pause dans le combat. 

De même si l'on compte les points il y a aura une pause et une remise en garde à chaque fois. Un principe d'équité joue et veut que la plupart du temps les adversaires soient armés de la même façon, débutent à une distance hors engagement ou alors les lames engagées, en garde etc. De même nulle personne ne doit en principe intervenir durant ce combat et la plupart du temps on trouve au moins un arbitre (et souvent des assesseurs) pour faire respecter les règles du combat, compter les points, organiser le combat etc.

Il en résulte un combat en principe courtois, souvent interrompu mais au final plutôt lisible pour le public puisqu'on explique à chaque fois qui a marqué le point, qui a fait une faute, qui domine, qui subit...

Cette catégorie va regrouper à travers les âges les combats de gladiateurs, les tournois médiévaux, les Fechtschulen (ces compétitions d'escrime organisées par les bourgeois dans les villes de l'espace germanique), les tournois d'escrime au fleuret de toutes époques jusqu'à pourquoi pas, un spectacle de combat d'escrime moderne chorégraphié !

Représentation de tournois en 1515 - atelier d'Albrech Dürer
Collections du Rijksmuseum d'Amsterdam

Le duel (judiciaire, d'honneur...)

Autre type de combat très encadré : le duel. Il s'agit d'un affrontement ritualisé entre deux adversaires en général pour une question d'honneur ou de justice. Sous peine d'être déshonorés voire condamnés les deux duellistes doivent ainsi se conformer à certaines règles qui tendent à instaurer une certaine égalité entre les combattants.

Ceux-ci sont en général deux et si ils sont plus nombreux ils sont forcément en nombre égal. Ils sont armés de la même façon (on pourrait éventuellement envisager des armes désignées par le sort)et toute tricherie est exclue. Dans les duels du XIXe siècle (voir mon article sur le sujet) les armes sont même le plus souvent apportées par les témoins.

De plus des témoins ou des juges sont le plus souvent là pour faire respecter ces règles et s'assurer de l'honorabilité du combat. Il en résulte également un combat fréquemment interrompu. On n'enchaîne pas forcément les phrases d'armes et il y a de fréquentes remises en garde entre celle-ci le temps de vérifier si les duellistes sont encore en état de combattre et si ils souhaitent poursuivre le combat. De même dans certains duels il n'est pas honorable d'attaquer un combattant à terre ou désarmé.

L'enjeu peut néanmoins être mortel, il est en général plus ou moins convenu entre les combattants via leurs témoins, ou fixé par la loi. La règle reste le plus souvent que l'un des duellistes peut à tout moment renoncer et reconnaître ses tors et que l'on ne poursuivra pas le duel si l'un des deux combattants n'est pas en état de le faire. On a donc le paradoxe d'un événement réglé, poli en apparence mais potentiellement mortel ! C'est probablement pour cela que les histoires de duel sont si populaires.

Dans cette catégorie on rangera évidemment les duels d'honneurs du XVI au XXe siècle entre gentilshommes mais également les duels plus populaires à la courte épée (ou au sabre d'abordage) et au pistolet (on les trouve chez les pirates mais aussi ailleurs semblerait-il). Il faut y ajouter les duels d'honneurs entre truands au couteau ou à mains nues. On classera aussi ici les duels judiciaires du Moyen-Âge, les ordalies germaniques ou les duels plus ou moins légendaires entre les champions d'armées de l'Antiquité (on pense au duel entre les Horaces et les Curiaces ou à celui d'Achille contre Hector).

Duel entre James, 4e Duc d' Hamilton et Charles, 4e Duc de Mohun en 1712
artiste inconnu - Wikimedia Commons

La rixe (bagarre de taverne, de rue...)

Lorsque les esprits s'échauffent on en vient parfois aux mains et l'on sort même les armes. C'est là une autre catégorie de combat. La rixe a la caractéristique d'être (en principe) imprévue. Le scénario est celui d'une montée en tension et en violence qui conduit finalement à un affrontement armé. Il faut donc un événement déclencheur : un vol, une tricherie, une attitude malpolie... ou la suspicion de l'une de ces choses qui va déclencher une altercation. L'altercation va monter en intensité et la violence va se déchaîner, soit d'abord à mains nues ou avec des jets de pierres (très fréquents dans nos sources) soit directement avec les armes. Notons qu'entre gentilshommes cela devrait normalement déboucher vers un duel mais certains n'ont pas cette patience (des récits très précis nous l'indiquent).

La rixe peut d'ailleurs parfois ressembler sur certains aspects au duel si les amis des participants s'accordent (tacitement ou non) pour ne pas intervenir. Mais ces mêmes amis peuvent tout à fait se mêler du combat sans souci d'égalité ou d'honorabilité. Dans ces circonstances on attaquera sans problèmes de dos ou par surprise. Les traîtrises ne sont pas exclues dans les rixes voire recommandées (voir l'article sur les trahisons de Godinho par Marc-Olivier Blattlin sur ce blog). D'une manière générale il y a peu de règles dans une rixe et les notions d'égalité et d'honorabilité dépendront énormément des personnages qui se battent (c'est donc un sujet de scénario). Dans le même ordre d'idée les armes seront celles que les protagonistes portent déjà sur eux ou peuvent trouver dans leur environnement. On est donc en principe en tenue civile, sans armure ni casques et sans armes de guerre du type hallebarde ou bouclier. Les armes à privilégier sont donc les épées que l'on peut porter au côté, les dagues, poignards et couteaux et toutes les armes improvisées : gourdins, tabourets, chaises, chopes etc. Notons que l'intervention de gardes peut cependant impliquer l'utilisation d'armures, de hallebardes ou de boucliers...

L'enjeu d'une rixe peut être très variable et selon les insultes qui auront pu être proférées ou la gravité de l'offense ce n'est pas forcément la mort que l'on recherchera. Et surtout on ne voudra pas forcément risquer de mourir si l'on se sent en infériorité ou en difficulté. L'un des combattant ou groupe de combattants pourra donc renoncer si l'envie de combattre n'est plus là et se rendre en reconnaissant sa défaite ou s'enfuir lâchement. Notons que l'un des deux peut même ne pas vouloir le combat.

Bagarre dans une auberge - Frans Greenwood 1733
Collections du Rijksmuseum d'Amsterdam

L'agression

Comme la rixe l'agression n'est pas un événement prévu, du moins par l'une des deux parties. L'un des combattants ou groupe de combattants attaque l'autre pour une raison ou autre (le dépouiller de ses biens précieux, le tuer pour une question de vengeance ou de jalousie). Il n'y a en principe pas de règles même si l'enjeu peut être de vouloir éviter d'avoir un meurtre sur la conscience dans le cadre d'un détrousseur.

Question armes l'agressé n'est en général armé que de ce qu'il porte ordinairement ou peut trouver à portée de main tandis que les agresseurs ont en général pris soin d'être bien armés, du moins suffisamment pour intimider. Les agresseurs sont donc en général plus nombreux et/ou mieux armés, peuvent avoir tendu une embuscade (et ainsi tuer d'emblée un ou plusieurs agressés).

Selon l'enjeu l'agression peut être immédiate ou précédée d'une tentative d'intimidation pour obtenir ce que l'on veut sans combattre. Dans le cas d'une vengeance le ou les agresseurs peuvent également expliquer les motifs de leur agression dans un exercice classique de monologue du méchant (ou du gentil). Les agresseurs vont en général vouloir continuer leur agression jusqu'à obtenir ce qu'ils souhaitaient ou à en être découragés, jugeant ainsi que le jeu n'en vaut pas la chandelle. Le ou les agressés vont plutôt vouloir échapper à l'agression et la fuite peut tout à fait être une option pour eux, ou simplement mettre en fuite les agresseurs sans forcément chercher à les capturer ou les tuer.

Vous l'aurez compris entrent dans cette catégorie les tentatives de vengeance mais surtout tous les scénario impliquant des détrousseurs. On pourrait y ajouter également les opérations de police visant à capturer ou tuer des criminels.

Deux brigands tentent une embuscade dans un bois...
par Les Bretteurs de St Jean & le Club d'Escrime Stéoruellan

La guerre

Plus violente que l'agression, la guerre suppose surtout un autre contexte. Les combattants sont forcément des ennemis désignés de par le camp auquel ils appartiennent et peu de règles s'appliquent à leur affrontement. Il peut y avoir à certaines époque des coutumes voire des conventions légales qui protègent les prisonniers; les blessés ou les civils mais même là leur respect est relatif.

Le combat a le plus souvent un objectif : prendre tel ou tel lieu, tuer/capturer un ennemi important, piller un village pour semer la terreur ou simplement se ravitailler etc. L'affrontement va en principe au moins jusqu'à la mise hors de combat de l'adversaire et souvent jusqu'à sa mort à moins de vouloir le mettre en fuite.

La notion d'égalité des armes est absente et même en principe bannie. Un bon tacticien n'attaquera que si il a un avantage sur son adversaire : en nombre, en armement ou en position (forteresse ou embuscade)... à moins que, désespéré, il ne tente un geste héroïque ! Notons néanmoins
que les combattants, sauf si ils sont surpris au camp, seront normalement armés pour la guerre et porteront leurs armures et armes de guerre. On n'aura donc rarement des combats avec de simples épées mais plutôt des armes d'hast, des boucliers ou des baïonnettes. Aux époques où les armes à feu sont courantes il faudra les gérer quitte à tuer un figurant au début du combat ou à simplement rater ses tirs en raison de la faible fiabilité/précision des armes de l'époque.

Enfin les scénarios de guerre se marient souvent mal (hors affaires d'espionnage) avec des combats individuels et ils se prêtent beaucoup plus aux combats de groupe. À tout le moins il est possible de "ruser" en mettant hors de combat quelques figurants au début de l'affrontement pour terminer sur un affrontement à un contre un.

Paysans se vengeant des soldats dans Les Malheurs de la guerre de Jacques Callot - 1632-1636
dans les collections du Rijksmuseum d'Amsterdam

L'allégorie

La dernière catégorie est celles des combats improbables et non réalistes. On range ici les combats symboliques (Bien contre Mal, Amour/Haine etc. Il s'agit d'ailleurs d'une catégorie assez représentée dans l'escrime artistique et peut-être encore plus lors des compétitions. Elle permet toutes les libertés, y compris de ressusciter les morts, de combattre sans se soucier du réalisme etc.

Pour cela je ne la développerai pas beaucoup plus, c'est en fait à vous de la créer finalement !


 La Dame de Pique, médaille d'or aux championnats du Monde 2016

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Cette typologie essaie d'être exhaustive et de permettre de ranger tous les types de combat. Elle n'est cependant pas parfaite, comme toute réduction de la réalité, et il arrivera probablement que certaines situations rentrent mal dans une catégorie, ou que deux d'entre elles se chevauchent voire se confondent. Ce n'est finalement pas bien grave car l'essentiel est surtout de penser au cadre dans lequel s'inscrit le ce scénario de combat que vous voulez présenter. Plusieurs questions sont à se poser :

- Quelle situation amène au combat et comment la mettre en scène ou la faire comprendre ?

- Quels sont les objectifs des différents combattants (ils peuvent d'ailleurs évoluer) ?

- Quelle forme doit prendre le combat ? Sera-t-il souvent interrompu ? Tous les coups sont-ils permis ?

- Quelles armes (offensives et défensives) sont possibles pour ce combat ?

- Quel rapport de force initial doit être envisagé ?

- Quel événement doit conclure le combat ? Quand doit-il s'arrêter (abandon, blessure, mort, fuite etc.) ?

Une fois ces éléments décidés vous pourrez ainsi créer un combat cohérent et crédible (n'oubliez pas les personnages !) qui ne fera pas se poser des questions au public sur pourquoi tel personnage fait ci ou ça ou pourquoi cela se termine de cette façon étrange...

À vous de jouer !