mercredi 29 mai 2019

Les armes d'hast à l'époque des Mousquetaires

Après les épées et les armures j'avais envie d'être complet sur l'armement du XVIIème siècle, l'époque de la Trilogie des Mousquetaires d'Alexandre Dumas. Je vais donc vous parler des armes d'hast de cette époque, finalement les plus utilisées sur les champs de bataille (à l'exception des armes à feu dont je ne parlerai pas car elles sortent de l'objet de ce blog et mes compétences en la matière sont très limitées).

Très simplement, j'entends ici par armes d'hast toute arme dotée d'un long manche de bois, de la pique au bâton en passant par la hallebarde, la pertuisane, la demi-pique et l'esponton. Il s'agit des armes maniées par les fantassins exclusivement (je ne parlerai pas ici des quelques réintroductions de la lance auprès des cavaliers), elles sont toutes les descendantes des armes inventées au milieu ou à la fin de Moyen-Âge voire bien avant mais nous verrons ici leur forme et leur maniement au XVIIème siècle.

Comme les précédents cet article sera abondamment illustré de photographies d'armes étant parvenues jusqu'à nous ou de gravures et dessins d'époque.

Encore une image tirée du Traité des Armes de Louis de Gaya, sieur de Tréville (1678) qui montre la plupart des armes d'hast en usage au XVIIème siècle

Des armes diversifiées...

La pique d'infanterie

Il s'agit clairement de l'arme blanche la plus utilisée dans toutes les armées des XVIème et XVIIème siècles. Les piquiers écossais du XIVème, mais surtout les Suisses du XVème siècle suivis par les Lansquenets germaniques puis les Tercios espagnols au XVIème siècle ont rendu ordinaires les carrés de piquiers sur les champs de bataille. La pique est une arme assez simple : un long manche mesurant au moins trois mètres de long et pourvu d'un fer à l'un des bouts et d'un talon pointu à l'autre bout. La pique prend surtout son sens lorsqu'elle est maniée en groupe, dans une formation dense sur plusieurs rangs, impénétrable pour la cavalerie et même l'infanterie ennemie.

Pique du XVIIème siècle dans les collections du Musée de l'Armée - Paris
Deux soldats portant des piques - Stefano della Bella (entre 1620 et 1660)
Collections du Rijksmuseum d'Amsterdam
Gravure de Hendrik Jacobsz Soeteboom représentant des piquiers à la bataille (1658)
Collections du Rijksmuseum

La hallebarde

La hallebarde a probablement été inventée en Suisse au XIVème siècle. Il s'agit à l'origine d'un fer de hache solidaire avec une pointe fixés au bout d'une hampe d'environ 2 mètres. On lui a rapidement ajouté un crochet. Au fil des siècles la hallebarde n'a cessé d'évoluer, de s'affiner et l'arme du XVIIème siècle elle est bien plus légère que celle des origines, le fer de hache ayant énormément diminué tandis que les crochets sont plus importants. Les hallebardes étaient maniés par des bas-officiers (sous-officiers) ou des sergents mais également par des soldats spécialisés dans certaines armées, surtout les Suisses qui en faisaient un grand usage. Elles servaient également d'armes de cérémonie pour la garde ou l'escorte d'une personne de prestige.

Hallebarde du XVIIème siècle au musée de Leeds

Hallebarde du XVIIème siècle au musée du Louvre

Hallebarde du XVIIème siècle au musée du Louvre

La pertuisane

La pertuisane trouve ses origines dans l'Italie de la fin du Moyen-Âge. C'est une arme bien plus courte que la pique, d'une longueur de 2 mètres environ voire un peu plus. Elle se termine par une langue affûtée assez longue flanquée de deux petites côtés en croissant de lune ou en pointe. Ce fer est plus lourd que celui des piques, il permet à la fois d'estoquer aussi efficacement qu'une pique mais aussi de mieux porter des coups d'entaille et même de taille. La pertuisane était surtout portée par les sergents voire les officiers mais c'était également, encore plus que la hallebarde, une arme cérémonielle donnée à des gardes ou l'escorte d'une personne prestigieuse. En conséquence, la plupart des pertuisanes qui sont parvenues jusqu'à nous sont des armes souvent très ornementées.


Pertuisane du XVIIème siècle au Musée de Leeds
Pertuisane des Gardes françaises (17ème siècle) au Musée de l'Armée - Paris
Pertuisane du corps des arquebusiers de la ville de Lyon (vers 1650)

L'esponton, la demi-pique et le bâton à deux bouts

La demi-pique est simplement une pique plus courte, à peu près de la même taille que la hallebarde ou la pertuisane. L'esponton est également une pique plus courte avec la particularité que son fer est doté d'une plus longue emmanchure pour renforcer la hampe. L'esponton était porté par les officiers et était un symbole de leur commandement, il est donc souvent extrêmement décoré. Le bâton à deux bouts est, selon certains auteur, un autre nom de la demi-pique. Notons que J. G. Paschen nous présente un bâton à deux bouts doté de deux fers de lance qui semblent identiques. Ces armes sont souvent confondues et appelées plus ou moins de la même façon à l'époque.


Fer d'esponton du régiment d'infanterie de Hautefort
Musée de l'Armée - Paris



Esponton 1600-1630 - musée de Leeds

Demi-pique ou bâton à deux bouts dans le traité de J. G. Paschen de 1673
[EDIT] Une petite remarque complémentaire :
Vers la fin du XVIIème siècle on commence à passer à abandonner les piques et les armes d'hast au profit de la baïonnette (régiment du Royal-Artillerie équipé en 1671 et ordonnance royale de 1703 en France qui remplace les piques par des baïonnettes). Il semble que les mots changent plus ou mons de sens et l'on appelle ainsi "pertuisane" ce qu'on appelait auparavant "hallebarde", réservant la hallebarde pour une arme plus petite.
De même on appelle parfois "pertuisane" ce qui serait plutôt un "esponton" ou l'inverse...
Rappelons-nous que le besoin de classification précise qui nous anime n'est pas aussi grand à l'époque et que les définitions étaient plus fluctuantes.


Extrait des Mémoires d'Artillerie de Pierre Surirey de Saint Remy (1696) où l'on voit qu'il appelle "pertuisane" ce que nous désignerions clairement comme une "hallebarde" (figure A).

... mais une escrime peu différenciée

Concernant le maniement des armes d'hast nous ne possédons pas autant de sources que pour la rapière, mais ces armes ont néanmoins fait l'objet de traités d'escrime et d'art militaire à l'époque. Nos sources sont de deux nature : des traités d'escrime qui étaient forcément destinés aux gens pratiquant régulièrement l'escrime et s'y formant et capables de les acheter (même imprimés, les livres restaient chers à l'époque) et, et c'est une nouveauté à l'époque, des traités d'arts militaire destinés à la formation en masse des troupes.

Quelques caractéristiques communes

Les armes d'hast ont toutes en commun d'être des armes redoutables et économiques. Elles peuvent toutes profiter d'une allonge que ne possèdent pas les autres armes. Et si l'on passe l'allonge il est toujours facile de faire glisser la hampe vers l'arrière pour raccourcir l'arme et rester à portée. Elles sont considérées comme facile à manier pour un débutant qui parviendra toujours à être dangereux. Elles sont également des armes très efficaces en combat de groupe et, à quelques exceptions notables (la légion romaine notamment), elles ont été l'arme principale des infanteries de toutes les époques.

Le Bũech von fechter Vnnd Ringstückhen zũ Ross vnnd Fuoß (1623) illustre comment raccourcir sa prise lorsque l'adversaire s'est rapproché
Matt Easton, fondateur du groupe Schola Gladiatoria pointe cependant quelques désavantages aux armes d'hast : le bois de la hampe bien qu'épais pourrait être endommagé assez vite par des tranchants, la main avancée est relativement exposée aux coups, que l'adversaire peut la saisir relativement facilement à la main (contrairement à une lamé aiguisée) et qu'elles sont encombrantes, empêchant de faire autre chose lorsqu'on les tient.

 Matt Easton nous parle des désavantages de armes d'hast (en anglais)

Dans les traités d'escrime

Les quelques traités d'escrime parlant des armes d'hast sont allemands (Joachim Meyer et Jakob Sutor Von Baden qui s'en inspire ainsi que l'anonyme du Bũech von fechter Vnnd Ringstückhen zũ Ross vnnd Fuoß) ou britanniques (G. Silver et J. Swetnam) et plutôt du début de la période voire très légèrement antérieurs (même si on retrouve des techniques de bâton dans les traités britanniques du XVIIIème siècle ce qui semble indiquer une continuité de la pratique). L'escrime aux armes d'hast est présentée à la fin des traités, pour les allemands on suppose que cela serait en raison de sa difficulté.

Page du traité de Jakob Sutor Von Baden New Kůnstliches Fechtbuch (1612)

L'arme d'entraînement pour toutes les armes d'hast est le bâton long, les allemands utilisent également à l'occasion des hallebardes de bois. Contrairement à beaucoup de techniques de bâtons plus tardives on trouve ici beaucoup de coups de bout exploitant l'estoc des armes d'hast. La plupart des gestes sont communs aux demi-piques, pertuisanes et hallebardes même si ces dernières favorisent le contrôle de l'arme adverse. Les techniques sont complexes avec des battements, dégagements, contre-dégagements etc. Il s'agit d'une escrime de jeu mais aussi destinée à des gens qui ont le temps de s'y former et d'en assimiler les subtilités.

Techniques de bâton selon J. Meyer par le MEMAG

Notons aussi que G. Silver nous parle des crochets d'une arme qui a presque disparue au XVIIème siècle : la guisarme dont sa variante préférée est le "forest bill" ou "welsh hook". Il préconise d'utiliser ce crochet pour saisir le cou ou la jambe de l'adversaire, voire de lui arracher brutalement son arme en tirant. Au vu des hallebardes du XVIIème siècle cette technique leur est tout à fait applicable. Une technique de crochetage similaire est proposée également chez Jakob Sutor Von Baden.

Crochetage de cheville à la hallebarde dans le traité de Jakob Sutor Von Baden


Concernant la prise de la hampe, les allemands nous en proposent deux. La première oppose les deux pouces, elle se retrouve beaucoup dans les traités plus anciens, elle est moins naturelle, donne plus de force pour écarter l'arme adverse mais moins de précision en estoc. Dans la seconde les pouces sont dans le même sens, prise plus naturelle. Les britanniques semblent n'utiliser que cette seconde prise.

Pour ce qui est de la garde, celle-ci varie, la pointe haute, basse, à la verticale... La jambe gauche est le plus souvent devant, mais pas toujours (notamment chez Swetnam) la main droite sur la queue de l'arme et la gauche plus haut (on inverse si on est en garde jambe droite devant).

Deux gardes du bâton différentes chez J. Swetnam The Schoole Of The Noble And Worthy Science of Defence (1617)


Gardes horizontales (qui semblent assez archaïques) dans le Bũech von fechter Vnnd Ringstückhen zũ Ross vnnd Fuoß (1623)

Dans les traités militaires

Contrairement aux traités d'escrime les traités militaires ont une vocation pratique, directe et ils sont destinés à un entraînement de masse, rapide de gens souvent sans expérience. Les techniques sont souvent réduites à l'essentiel et Jacques de Gheyn II l'explique ainsi :
Comme donc nostre intention ne passe point plus avant, que pour enseigner les Soldats inexperimentez, & renforçer, par inspection & leçon la memoire de ceulx qui sont desia expers, ainsi personne ne trouvera estrange, qu’en la representation des Piques, nous n’y avons mis aultre chose, que ce, que (pour l’usage dicelles) semble estre le plus necessaire à la guerre, paßant pardessus beaucoup de façons, qui si practiquent, par maniere de paßetemps, & ne servent de guerres, en l’exercice militaire.
 Jacques de Gheyn II - Maniement d’Armes d’Arquebuses, Mousquetz, et Piques. - 1609 (traduction française d'époque)

L'une des positions de piquier issue du traité de Jacques de Gheyn II (1609)
Dans ces traités pour la pique la jambe gauche est toujours devant, la main droite au bout de l'arme et la gauche en soutien, la prise se fait le plus souvent avec les pouces parallèles. Il faut bien comprendre ces traités dans leur contexte militaire, ils ne sont pas destinés à des affrontement à un contre un mais à des combats de carré de piquiers contre un autre carré ou un groupe de soldats. Chaque soldat doit donc être tourné dans le même sens, droitier ou gaucher et la coordination est aussi essentielle que la maitrise des mouvements de base. Ainsi les exercices présentés ne se pratiquent pas avec un adversaire en face (même si c'est l'objectif final), il s'agit essentiellement de répéter les gestes de maniement qu'on vous donnera l'ordre d'exécuter, du moins pour la pique qui vraiment l'arme de masse.

Un autre position de piques chez Francesco Fernando Alfieri - La picca (1641)

Le jeu est plus libre pour la pertuisane et la demi-pique, ce sont le plus souvent des armes de chefs et elles sont amenées à être utilisées de plus près, parfois au coeur de la mêlée, entouré d'ennemis, ou du moins dans des formations plus ou moins disloquées. N'oublions pas qu'étant des armes de gardes  de prestige on peut aussi être amené à s'en servir dans un autre contexte que la bataille. La position des jambes et des mains peuvent changer et l'on s'autorise même à faire tournoyer le bâton à deux bouts (chose impossible avec une pique ou une pertuisane. Avec les hallebardes ces armes servaient également lors des sièges pour attquer les murailles et les brèches où leur longueur relativement réduite était plus adaptée.
 
Quelques position à la pertuisane chez Johan Georg Pascha (édition de 1673)

Ces techniques où l'on fait tournoyer la demi-pique ne sont pas très éloignées des techniques de bâton français
Johan Georg Pasha (édition de 1673)

 Concernant les hallebardes Louis de Gaya nous parle lui aussi de l'intérêt de leurs crochets :



"La Hallebarde est encore une arme bien commode, principalement lors qu'on en vient aux mains. Sa Hampe n'est pas si grosse ny si haute que celle d'une Pertuifane, & son fer n'est pas si large ny si long ; mais il est garny de petits crochets qui fervent à arracher les facines les paniers & les gabions , & à s'attacher à ce qu'on trouve , lors qu'on monte à l'assaut ou à l'escalade."
Louis de Gaya, Sieur de Tréville - Traité des armes - 1678
Signalons également le Kriegsbuch de Wilhelm Dilich très intéressant malheureusement ni transcrit ni traduit à ce jour qui nous montre l'opposition entre hallebarde et pique et l'intérêt de contrôler l'arme adverse avec le fer de la hallebarde.

Kriegsbuch de Wilhelm Dilich (1689)
 

Contextes et scénarios possibles en escrime de spectacle

Comme pour les armures ces armes sont souvent très liées à un contexte militaire. C'est particulièrement vrai en ce qui concerne la pique qui est une arme destinée d'abord à être utilisée en groupe et beaucoup moins pratique individuellement. Donc, à moins que vous ne disposiez de dizaines de combattants, vous pratiquerez probablement peu cette arme dans des scénarios d'escrime de spectacle. Cependant une gravure de Jacques Callot faisant partie de sa série sur Les grandes misères et malheurs de la guerre nous montre des soldats en train de piller, dont des piquiers en armure. Dans ce contexte pourquoi pas mais bon...


Détail d'une eau-forte de Jacques Callot de la série Les grandes misères et malheurs de la guerre (1633)
 
Les pertuisanes, les hallebardes et les demi-piques sont beaucoup plus intéressantes puisqu'elle eprmettent des scénarios d'attaque d'escorte, de gardes d'un trésor ou encore des scénarios d'escarmouches entre soldats. Ces armes ne seront donc pas toujours opposées à des armes du même type et il ne faudra pas oublier de tenir compte de leur avantage d'allonge, surtout face à des épées ! Tout ce que j'ai dit sur leurs désavantages (relatifs) devra aussi être exploité. Je récidive également sur mes scénarios urbains faisant intervenir le guet ou la milice...

Oui j'adore les peintures des milices d'Amsterdam, ici la compagnie du 8ème district
Bartholomeus van der Helst - 1640-1643 - Rijksmueum d'Amsterdam

Enfin, pouvant être de simples bâtons elle seront maniées comme tels par des voyageurs ayant été formés à l'escrime ou ayant une expérience militaire. Cela multiplie les scénarios possibles.

Les armes d'hast sont relativement rares en escrime de spectacle et, quand on en trouve, elle sont rarement utilisées en mettant en valeur leurs avantages (notamment la différence d'allonge). Pourtant trois ou quatre soldats armés de hallebardes ou de pertuisanes ont tout de suite beaucoup d'allure et le défi de franchir l'allonge de leurs armes est une base très intéressante pour construire un combat.

1 commentaire:

  1. Bonjour
    j'ai trouvé votre blog passionnant.
    juste une question si vous pouvez me renseigner je recherche les différents saluts effectués en parade dans l'ancien régime effectué par les sous officiers, il existait un salut à la demi pique assez compliqué en marchant ou à l'arrêt en existe-t-il d'autres? existe-t-il un salut avec un maniement d'un drapeau?
    Merci
    vous pouvez me répondre à dcurti@sfr.fr
    merci
    Bien cordialement à vous

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