mercredi 27 février 2019

Du bon usage du corps à corps en combat de spectacle

Un combat ça se fait avec des armes, mais pas seulement. Les poings, les pieds, tout le corps peuvent aussi y participer. Lorsqu'on défend sa vie, lorsqu'il n'y a pas de règles on se bat comme on peut, avec tout ce qu'on a ! L'objet de cet article est donc de discuter de l'intérêt d'ajouter des techniques de corps à corps dans vos combats de spectacle... et de la bonne manière de le faire.

Cette technique devra être bien travaillée pour être correctement exécutée mais elle promet d'être spectaculaire
Das Ander Theil Des Newen Kůnstreichen Fechtbůches - anonyme - 1591

Le corps à corps c'est historique

C'est un fait historique, la majorité des traités et manuels d'escrime, au moins jusqu'à la fin du XVIème siècle, comptent une partie sur la lutte. Certains, tel le Fior de Battaglia de Fiore dei Libeiri, commencent même par là. Les traités britanniques ont parfois encore des parties sur la lutte au XVIIIème siècle ou même sur la boxe comme le traité du capitaine John Godfrey. En outre, dans les parties consacrées à l'épée longue, au messer, aux bâtons et armes d'hast, à l'épée-bocle et à d'autres armes encore, on trouve des techniques de corps à corps impliquant des mises au sol, des clefs sans oublier les coups de pommeau et de quillons ! On distingue souvent le jeu long et le jeu court, ce dernier décrivant des techniques de lutte avec arme.

Les techniques présentées sont le plus souvent de techniques de lutte. Lorsqu'il y a des coups il s'agit le plus souvent de coups de pommeau (Fiore dei Liberi promet ainsi de briser les quatre dents de devant) ou de coups de pieds, jamais de coups de poing. Les techniques combinant lutte et armes peuvent finir par une projection au sol (qui permet de frapper ensuite l'adversaire), un désarmement, une clef de bras ou un égorgement. Il s'agit d'un choix de vouloir finir le combat autrement. Les auteurs des traités conseillent de ne pas entrer en lutte trop tôt et il est clair que lorsqu'on le fait il faut y aller promptement, décidé, en contrôlant l'arme adverse. Le jeu court est pour les gens décidés et intrépides (cela vous donne une idée du personnage qui l'emploiera).

Une page du traité d'escrime d'Antonius Rast  (1553) décrivant une technique de mise au sol au bâton.
Pour ce qui est des coups. On trouve des coups de pieds dans la plupart des traités du Moyen-âge et de la Renaissance. Ils visent en général le genou, le ventre ou les parties masculines. Les coups de poing existaient dans l'Antiquité mais ils ne semblent réapparaître qu'avec la boxe anglaise à la toute fin du XVIIème siècle et au début du XVIIIème. Cependant on en trouve, parfois associé à une empoignade, dans le traité du hollandais Nikolaes Petter de 1674 (traduit en français en 1680), cela pourrait nous dire qu'ils avaient survécu dans le combat de rue mais cela reste aussi à vérifier historiquement. Beaucoup de maîtres anglais de broadsword sont également des boxeurs. Pour la France à partir du milieu du XIXème siècle beaucoup de maîtres d'armes français sont aussi des maîtres de boxe française, de canne et de bâton.

En revanche, à ma connaissance, les techniques de corps à corps sont totalement absentes de tout ce qui concerne l'épée de côté, la rapière et l'épée de cour [Edit : on m'en signale chez Heredia, Lovino et Godinho cependant cela reste très marginal par rapport à l'épée longue ou au messer-dussack]. Tout semble porter à croire qu'à partir du XVIIème siècle le corps à corps, de technique normale au Moyen-Âge et à la Renaissance est devenu inconvenant pour un escrimeur bien élevé. Il est vrai que la rapière puis l'épée de cour, qui sont des armes d'estoc, favorisent un jeu long où l'on utilise la pointe de l'arme, mais il y a clairement une rupture vers cette époque.

Coup de poing dans le traité de lutte et de défense personnelle de Nikolas Petter (1674). Un très rare exemple de coup de poing avant le XVIIIème siècle !

Le corps à corps ce n'est pas forcément difficile à faire

La lutte c'est technique, c'est un placement du corps le meilleur possible, de la technique et la connaissance de multiples coups. Comme de nombreux arts martiaux et sports de combat ce sont des années d'apprentissage pour bien placer les techniques, réagir au bon moment, quelles deviennent instinctives... Mais là ce n'est pas ce que nous ferons. D'abord nous travaillerons une ou deux techniques de notre chorégraphie, le partenaire se laissera faire et cela ne sera pas l'essentiel de notre combat. Ce blog traite d'escrime de spectacle et le combat non-armé n'y entre qu'en invité. 

Un certain nombre de techniques de jeu court s'apprennent assez facilement et ne demandent pas des années d'étude du combat au corps à corps pour les comprendre et les réussir dans un contexte de collaboration. Un coup de pommeau c'est somme toute assez facile à donner, le plus dur est finalement de ne pas le donner vraiment (surtout au visage). Les coups de pied se placent souvent facilement eux aussi et peuvent permettre de se dégager d'une situation où l'on veut remettre à distance les personnages. Ils peuvent également donner un côté très dynamique au combat. Quant aux coups de poing ils ajoutent un côté voyou au personnage. Il faut un peu d'apprentissage pour les donner en spectacle. Ils sont ensuite assez faciles à placer avec des armes courtes comme des sabres d'abordage (je reviens là encore sur les pirates).

Une autre remarque : au corps à corps il faut mettre beaucoup d'intention pour y croire. Dans la réalité vous n'avez pas besoin de beaucoup d'énergie pour enfoncer la pointe d'une rapière, en revanche il faut en mettre dans un coup de poing pour qu'il fasse mal ou pour qu'un coup de pied vous repousse. Il faut qu'on y croie, il faut de l'implication, la violence du truc doit transparaître ! Je vois trop de combat où l'on se repousse négligemment, sans énergie, il faut que le public y croie (sauf en cas de combat comique où vous pouvez aussi exagérer le coup). C'est finalement peut-être le plus difficile pour le corps à corps. Enfin essayez tant que possible de placer des coups à peu près compatibles avec l'époque. Vous pourrez placer un coup de pied de boxe française à la tête dans le cadre d'un combat de la Belle Époque, si vous êtes au Moyen-Âge évitez et tapez plus bas, cela jurera un peu...

Le célèbre coup de pied dans le traité d'escrime de Hans Talhoffer n'est pas très difficile à placer.

Le corps à corps c'est spectaculaire

Dans un combat du Moyen-Âge ou de la Renaissance, le corps à corps rajoute un plus technique, de la variation dans les positions des corps et également de l'engagement physique. On l'a dit, il fallait du courage pour aller vers les techniques du jeu court et cela rajoute à l'aspect violent du combat, cela le rend plus vrai. On a du combat, pas une démonstration d'escrime, on utilise toutes les parties de l'épée et du corps pour tuer et ne pas être tué !

Dans un combat d'une époque plus tardive cet aspect est encore renforcé. Si l'on commence à l'épée de cour et que l'on termine en s'empoignant c'est que le vernis de civilisation s'est effacé et que la sauvagerie primale a pris le dessus. Le corps à corps rajoute un côté voyou au personnage, assez logique quand il s'agit d'un soldat ou d'un marin mais pour un noble c'est une sorte de transgression des règles. On a alors à faire à un personnage qui, soit n'a pas de sens de l'honneur et est prêt à "tricher" pour gagner, soit il s'agit d'un personnage désespéré qui tente tout.
Concernant les techniques à mettre en œuvre n'oubliez pas la distance du spectateur. Un combat de lutte subtil avec des tentatives de clefs et leur contre ne sera pas vu par le public sauf si il est filmé de très près. En revanche usez sans problème des projections, ou immobilisations, des clefs avec grand déplacements du bras et autres désarmements. Pour les coups de pieds n'hésitez pas à projeter l'adversaire, et si il a deux ou trois notions de cascade cela peut être encore mieux.


En épée longue on trouve toujours de nombreuses techniques de corps à corps très visuelle.
Paulus Hector Mair (années 1540)

Le corps à corps il ne faut pas en abuser

Je vais ici tempérer mon propos. Tout d'abord certains combats ne devraient JAMAIS avoir de corps à corps au sein de leur chorégraphie. Si vous faites un combat de hauts nobles espagnols rivalisant de finesse, de dextérité et de technique en s'affrontant selon les principes de la Verderada Destreza vous pouvez oublier tout de suite ces manières de roturiers. Dans un duel d'honneur du XVIIème au XIXème siècle en Europe de l'ouest c'est même carrément s'exposer au déshonneur ! Il en va de même pour tous les combats que vous voulez élégants et raffinés, du corps à corps les dénaturerait, les rendrait moins beaux. D'une manière générale il faut être prudent pour tous les combats concernant l'épée de côté, la rapière ou l'épée de cour, si l'on y ajouter du corps à corps c'est parce que cela va bien avec le caractère de l'un des personnage (ou des deux) ou parce qu'on finit par se battre comme des sauvages.

Duel extrait de la série Sharpe's Honour qui joue de l'utilisation du corps à corps dans un duel d'honneur

Mais même sur les combats où le corps à corps est plus logique et légitime il ne faut pas en abuser. Les gens viennent voir un spectacle d'escrime, ils veulent voir des gens se battre avec des armes, pas à mains nues. C'est une tendance actuelle de beaucoup de films ou séries : les deux protagonistes se font face, chacun tenant son arme, ils échangent deux ou trois coups et tout le reste du combat se déroule au corps à corps. C'est probablement dû à un manque de formation en escrime des acteurs ou des cascadeurs disponibles mais je suis toujours extrêmement frustré. on me promet un combat à l'épée/la hache/le bouclier et je me retrouve avec du pugilat comme dans des centaines d'autres films ! Ne versez donc pas dans ce travers, sachez doser vos phases de corps à corps pour qu'elles apportent au combat armé mais ne le remplacent pas. Au final tout est toujours une question de mesure...
 

Bien dosés, bien pensez, les techniques de corps à corps peuvent être un véritable atout pour un combat, pas trop compliquées à mettre en place et qui rajoutent du spectacle. Pour finir je vous laisse avec ce combat comique mais engagé de Mishael Lopes Cardozo :


dimanche 17 février 2019

Combat à armes inégales

La plupart des traités d'escrime nous montrent des oppositions entre deux adversaires armés de la même façon. C'est aussi très souvent le cas pour les combats d'escrime de spectacle. Pourtant, que ce soit le choix de nos personnages ou juste une envie des escrimeurs on peut être amené à opposer des armes différentes et donc, souvent inégales. Mais encore faut-il ne pas faire cela n'importe comment, on ne doit pas se contenter de faire exactement comme on fait quand les deux escrimeurs sont armés de la même façon, on ne peut pas retranscrire le même combat, il faut en construire un spécifique. D'ailleurs c'est aussi tout l'intérêt d'utiliser des armes différentes. Je vais donc essayer ici de dégager une méthode pour bien le faire.

Précision : je vais parler d'armes par facilité, mais je devrais parler de systèmes d'armes comme on dit dans le domaine militaire. Ainsi considérez qu'une épée avec un bouclier ou une rapière avec une dague sont des armes différentes que ces mêmes armes employées de façon isolée.


Épée de cour contre espadon (sabre) dans l'École des armes de Domenico Angelo - 1763

Se renseigner sur les armes employées

La première chose à faire est d'essayer de connaître les armes employées, leurs forces et faiblesses, comment les employer et, si possible, l'une contre l'autre. Il faut donc commencer par se renseigner.

Les traités d'époque qui décrivent le maniement de ces armes devraient être la source primaire, la première à regarder. Quelques traités, recèlent des passages qui traitent de l'opposition entre armes différentes. Le plus riche est, assez logiquement, celui de Paulus Hector Mair (années 1540), qui propose pas moins de 17 jeux opposant diverses armes avec attaque-riposte-contre-riposte. De façon non exhaustive on citera également les traités de Hans Talhoffer, de Antonius Rast, d'Andre Paurñfeindt, les planches d'Albrecht Dürer, les traités de Pierre Jacques Girard et de Domenico Angelo ainsi que les manuels de self-défense d'Émile André et Georges Dubois. Cependant, à chaque fois il s'agit d'une toute petite partie du traité. Il faudra donc aussi regarder les parties opposant des armes semblables. Elles permettent de comprendre comment l'arme fonctionne, quels coups on fait avec, et lesquels on ne fait jamais (la raison peut être culturelle mais le plus souvent il y a une raison pratique).

On pourra également faire une part à l'expérimentation. Celle des autres d'abord, celles d'époque où les sources font parfois des discours intéressants sur les armes et leurs avantages et inconvénients, mais également sur l'expérience des pratiquants d'AMHE qui les manient de nos jours. On peut également expérimenter soi-même, en opposition si l'on dispose des protections et du matériel adapté, mais aussi en essayant des coups comme quand on construit une chorégraphie, avec une logique martiale pour comprendre là où l'on serait dangereux et là où l'on serait en danger. Dans tous les cas il faut essayer d'être logique, de comprendre les armes et comment on les emploie.


Quelques techniques de messer contre épée longue dessinées par Albrecht Dürer en 1512. Nous n'avons pas de texte les accompagnant mais la première est décrite par Antonius Rast en 1523




Comprendre la logique des armes


Tout d'abord il faut déterminer le type de coups qu'est capable de donner l'arme (pour les termes que j'emploie je vous invite à vous référer à ma typologie des coups d'épée). L'arme peut-elle frapper d'estoc, de taille ou d'entaille ? Pour quel type d'attaque est-elle d'abord faite ? Si elle donne des coups de taille, ceux-ci ont-ils besoin d'être très armés pour être dangereux (quarterblow selon la terminologie de Swetnam) ou au contraire, vaut-il mieux privilégier les coups légers du poignet (wrist blow) ? Ainsi on a vu que la rapière est d'abord une arme d'estoc utilisant de petits coups de taille et d'entaille, tandis que le sabre est d'abord une arme de taille mais où l'on ne négligera ni l'estoc ni l'entaille. La hache, de part son tranchant et son poids, n'a pas besoin d'immense coups pour être dangereuse mais elle ne frappe pas d'estoc (ou de manière peu efficace). Les cannes, gourdin et autre bâtons ont besoin de beaucoup d'élan pour faire mal et les wrist blows sont inefficaces avec ces armes. On a vu qu'un bouclier ou une arme de main gauche prête à se protéger permet d'envoyer des coups plus violents ou même d'attaquer aux jambes (ce qu'on ne fait jamais à l'arme simple).

À partir de là je propose de dégager quatre caractéristiques qui déterminent les forces et les faiblesses de chaque arme.  Chaque combattant doit ainsi s'efforcer de profiter des faiblesses de l'arme adverse et gérer les faiblesses de la sienne. Plus les différences sont flagrantes, plus elles auront un effet sur le combat.


Les distances d'attaque

Il est essentiel de déterminer les distances auxquelles l'arme est efficace. J'attire votre attention que de nombreuses armes frappent à plusieurs distances en fonction du coup porté. Ainsi la distance d'estoc est toujours plus longue que celle de taille et l'entaille est très souvent possible même proche. Dans le cadre d'une opposition entre armes différentes c'est quelque-chose d'essentiel et de souvent mal maîtrisé dans les chorégraphies. Les lances, les bâtons longs et les armes d'hast frappent à longue distance tandis que les dagues ou les poings frappent de près. L'épée longue, arme d'estoc et de taille maniable en demi-épée est dangereuse à la plupart des distances.

C'est la première chose qui intervient puisqu'elle va déterminer qui a l'avantage avant le premier échange si les distances sont différentes (et il est rare qu'elles ne le soient pas). Celui qui a la distance la plus courte devra se tenir hors de la distance de son adversaire et n'y pénétrer que pour attaquer. Il devra d'ailleurs le plus souvent subir une attaque qu'il devra gérer pour pouvoir attaquer, il peut d'ailleurs la provoquer. Il voudra toujours avancer sur l'autre pour arriver à sa propre distance. À l'inverse, celui qui a l'avantage de l'allonge voudra rester à distance, reculera souvent pour conserver son avantage ou, si il veut avancer, usera de feintes et fausses attaques pour intimider son ennemi.



On profite de l'allonge supérieure de la canne face au couteau pour neutraliser l'adversaire
Georges Dubois Comment se défendre - 1913


La maniabilité des armes

Du type de coups provient aussi en grande partie la maniabilité de l'arme. Celle-ci est ainsi déterminée par la légèreté et l'équilibre de celle-ci ainsi que de l'importance ou non d'armer ses coups. Une arme maniable laisse moins d'ouvertures car on revient rapidement en défense après une attaque et on riposte facilement après une parade. Une arme maniable peut plus facilement changer de direction et ainsi permettre des feintes plus rapides. L'épée de cour est, on l'a vu, une arme extrêmement agile, capable d'esquiver des lames ou de revenir très rapidement après une parade. La canne qui est une arme légère est moins rapide car elle a besoin de beaucoup d'élan pour frapper, l'épée longue n'est pas si légère mais son équilibre et la diversité de ses coups en fait une arme maniable dans les mains d'un escrimeur averti (un buffle frappera de grands coups comme la brute qu'il est). Le grand gourdin à deux est en revanche une arme lourde et qui a en plus besoin de coups armés pour être dangereux, sa maniabilité est donc très faible.

La maniabilité est très importante, elle détermine la facilité ou non à rentrer dans la garde d'un adversaire pour le frapper après qu'il ait donné un coup. Elle détermine la rapidité d'une riposte et peut justifier qu'on enchaîne plusieurs attaques avec une arme rapide contre une arme lente qui peine à défendre. Un adversaire équipé d'une arme plus lente devra éviter de se faire surprendre et beaucoup anticiper, être souvent sur la défensive... Sauf si votre combat doit être court (dans le cadre d'un combat de groupe par exemple) ce qui lui permettra de charger comme un idiot et de se faire éliminer rapidement !


Les possibilités de parade

Découlant des coups, les possibilités de parade, sont une chose à ne pas négliger. Certaines armes sont tellement puissantes que d'autres peuvent difficilement parer leurs coups de taille. Ainsi les rapières et plus encore les épées de cour sont incapables de parer les armes puissantes et lourdes lorsqu'elles frappent de taille (elles parent plus facilement les estocs), la parade en s'aidant de la deuxième main sur un coup puissant est utile au messer ou au dussack...

Certaines armes nécessitent d'être parées en parade du tac et non en opposition. Nous avons vu récemment le cas de la faux, mais c'est aussi le cas si l'on pare une arme tranchante avec une canne ou un bâton, sous peine de voir son arme détruite.

Ainsi les possesseurs des armes les plus fragiles useront-il d'esquives et éviteront de donner leur fer. Ou alors, comme c'est le cas des combattants à la dague, ils devront rentrer dans l'attaque adverse pour arrêter directement le bras qui frappe et non l'arme. Contre une lance, un bâton ou une arme d'hast on aura facilement tendance à vouloir saisir l'arme adverse de sa main libre pour la neutraliser.

 
Saisie de la hallebarde après parade d'un coup d'estoc au dussack chez Paulus Hector Mair (années 1540)

Les techniques spécifiques

Enfin, n'oublions pas les techniques spécifiques propres à certaines armes. Les haches peuvent crocheter les boucliers ou les autres armes, les messers ont un clou qui aide aux contrôle de l'arme adverse, les épées longues et certaines rapières ou mains-gauches ont des quillons qui peuvent enserrer la lame adverse, les combattants armés de boucliers vikings peuvent passer des turn-shield et ainsi attaquer du côté du bouclier... cette liste n'est pas exhaustive. N'oublions pas non plus que de nombreuses techniques d'escrime médiévale traitent du jeu court qui comprend des techniques de désarmement, de clefs, d'immobilisation ou de mise au sol. Il faut les connaître pour voir si on pourra les employer dans le combat.

Ainsi beaucoup de techniques de jeu court se font à partir de lames croisées, elles sont assez facilement employables que ces lames soient à une ou deux mains voire qu'on croise une hache avec une épée... En revanche c'est souvent plus compliqué après un coup d'estoc. Il en va de même de toutes les techniques utilisant des quillons ou le clou du messer.


Cette technique de dussack dans le traité d'Andre Paurenfeindt peut être facilement reproduite avec d'autres armes
(illustration issue de l'édition d'Eigenhoff  - 1531)


Pour conclure

Opposer des armes différentes est beaucoup plus compliqué que d'opposer des armes semblables. Cela demande une réflexion préalable qu'on ne devra pas négliger. Si on ne le fait pas les armes différentes seront seulement des décorations et l'intérêt est alors faible. Au contraire, si on prend en compte la différence entre les armes cela devient intéressant, cela fait de la variété pour le public et cela a de fortes chances d'amener des situations qu'on voit rarement. Soyons ambitieux et ambitieuses, ne nous laissons pas tenter par une volonté uniquement cosmétique !

Je vous laisse avec ce combat d'Adorea opposant la longue rapière au court dussack :




dimanche 10 février 2019

Armes insolites : la faux et la faucille

[article originellement publié le 4 février 2019 et réécrit suite à une fausse manipulation]

Comme vous le savez j'aime les armes insolites ou originales. J'inaugure ici une nouvelle série discontinue d'articles qui présenteront ces armes. On commence ici par ces redoutables outils de paysans que sont la faux et la faucille.

Technique de combat à la faix dans le traité de Paulus Hector Mair (années 1540)

De l'outil efficace...

La faucille existait déjà un peu avant le Néolithique (9000 av-J.C), elle était en bois avec des dents de pierre. Avec l'âge des métaux elle a acquis une lame de métal. On connait de nombreuses variantes de faucilles mais la plupart sont assez proches. Sur un manche de bois est enchâssée une lame courbe le plus souvent pourvue de dents à l'intérieur. Seul l'intérieur de la lame est tranchant (et souvent c'est plus l'action de sciage des dents qui compte), la bout de la lame est généralement pointu. La faucille sert, depuis son invention, à récolter les foins et les céréales puis, à partir du Moyen-âge peut-être, seulement les céréales panifiables (blé, seigle). La technique de récolte consiste à rassembler les blés grâce à al forme courbe et à les scier grâce aux dents ou au tranchant. Cette technique permet de perdre peu de grains mais nécessite énormément de personnes pour la moisson. Tout le monde paysan était généralement mobilisé, d'autant que la faucille est un outil qui nécessite peu de force et peut être utilisé aussi bien par des adolescents que des vieillards.

Récolte de céréales à la faucille au Népal

La faux est une invention plus récente. Elle se serait répandu à partir de l'âge du fer (700 av.-J.C.), on connait des faux gauloises notamment. Son usage pour faucher les foins et l'avoine est attesté au XIIIème siècle en France. Cependant, pendant longtemps elle n'était pas utilisée pour les céréales panifiables que l'on récoltait encore à la faucille. La faux n'a commencé à être utilisée pour les blés qu'à partir du XVIIIème siècle avec une généralisation au milieu du XIXème siècle. Elle est 2 à 5 fois plus efficace en temps pour faucher un champ mais fait perdre plus de grains, d'où ce paradoxe probable. C'est un outil lourd et fatiguant qui nécessite d'être manié par des gens robustes et en bonne santé, typiquement des hommes adultes. Physiquement il s'agit d'une lame courbe montée perpendiculairement sur un manche pourvu de deux poignées. Contrairement à la faucille la lame doit être extrêmement affûtée pour couper les tiges.

Cette vidéo vous permettra de voir en action la technique de fauchage et son efficacité face à un débroussailleur moderne

Pour plus de précisions je vous invite à lire l'article de George Graham : "La faucille et la faux, un exemple de dépendance temporelle" - Études rurales - 1999

À l'arme vicieuse

Un seul traité d'escrime, celui de Paulus Hector Mair (vers 1540), nous présente des techniques de combat avec la faux et la faucille ainsi que d'autres techniques aux armes paysannes. Il est difficile de savoir d'où viennent ces techniques. Elles peuvent résulter d'une tradition non écrite dont nous avons ici la seule trace, cela ne serait pas étonnant pour une escrime de petites gens qui ne savent pas lire. Mais il n'est pas à exclure qu'elles aient été inventées par Paulus Hector Mair et ses escrimeurs. Un indice toutefois, dans sa présentation des différentes armes Mair indique pour la faux :

Es haben · die allten ain kunst des Fechtens mit der Segens gehallten ·
Il se trouve que les anciens détenaient un art de l'escrime avec la faux

(traduction approximative : Capitaine Fracasse, proposez-moi mieux !)
Cela ferait pencher la balance vers une tradition ancienne (on peut comparer ça avec la tradition d'Okinawa au Japon où l'on a aussi des techniques de combat avec des outils, notamment le kama, la faucille japonaise). Mais il n'est pas à exclure que cela puisse être juste une invention pour mieux valoriser ces techniques. Dans son traité Mair nous présente ces techniques en opposition contre la même arme même si il s'agirait plutôt de techniques de défense. Précisons que nous ne savons pas si il existait d'autres traditions du maniement de ces armes, à quelle époque ces techniques sont apparues ni jusque quand elles ont perduré. Faute de mieux on les utilisera pour des combats du Moyen-âge au XIXème siècle, mais sans savoir vraiment si l'on est juste historiquement.

La faucille est une arme courte qui utilise beaucoup de techniques de corps à corps qu'elle partage avec la dague. Si elle en est très proche, elle en diffère par ses attaques qui se font par des coups de taille à la tête ou au flanc avec pour but d'enfoncer la pointe de la faucille dans le corps de l'adversaire. On la pare soit comme une dague en saisissant le poignet adverse, soit comme une lame avec la lame de la faucille. La lame peut également crocheter très facilement un membre ou le cou de l'adversaire. Une fois crocheté les dents de la lame ne sont peut-être pas assez acérées pour blesser toujours, sauf si on arrive à scier sur une grande longueur et infliger ainsi un cruel coup d'entaille. Mais il est probable que les dents accrochent le vêtement et accroissent la prise, permettant des techniques de corps à corps grâce à cette arme.

Vous trouverez ici une transcription et une traduction des techniques de combat à la faucille par Pierre-Henry Bas et Lutz Horvath

Présentation des techniques de faucille du traité de P.H.M. par le groupe Artes Belli

La faux est une arme encore plus particulière. Les attaques sont assez similaires à celles de la faucille, de grands coups de taille pour planter avec la pointe de la lame... ou passer derrière le cou, le ventre, ou un membre ! La faux n'a pas d'attaque d'estoc et malgré son long manche elle a ainsi une portée relativement courte. En revanche il suffit de la manier un peu pour comprendre ce qui en fait une arme extrêmement vicieuse : si l'adversaire fait une parade en opposition il a de fortes chances de se retrouver avec la lame de la faux derrière lui ! Le combattant à la faux n'a alors plus qu'à ramener vers lui son arme pour saisir une jambe ou un cou lui donnant la possibilité d'une profonde entaille (n'oublions pas que, contrairement à faucille, la faux est très affûtée). Toutes les parades doivent donc être des parades du tac qui rejettent très loin l'arme adverse !

Vous trouverez ici un article sur le combat à la faux par le Chapitre des Armes et  une transcription et une traduction par Pierre-Henry Bas et Thomas Rivière.

Présentation des techniques de faux du traité de P.H.M. par le groupe néerlandais Bataille

Les paysans au combat

Monter un combat avec des faux et des faucilles implique presque systématiquement de mettre en scène ceux qui les manient : les paysans. On peut trouver quelques scénarios opposant des paysans entre eux justifiant des combats à armes égales. Il faudra donner dans les vieilles querelles entre familles dont les paysans ne sont pas exclus, les vieilles haines à base d'héritage, de droits sur la terre ou de la vertu d'une jeune fille... Cela peut même donner lieu à des combats de groupe impliquant des familles armées de faux et de faucille mais aussi d'autres armes paysannes comme les bâtons, les hachettes, les grands couteaux ou encore les grands gourdins à deux mains.

En sortant du monde paysan strictement deux scénarios sont évidents : la révolte paysanne et la défense de la ferme face à des pillards. Au vu de la place que requiert le maniement de la faux (de grandes attaques circulaires) il ne s'agira que de petits engagements, une bataille en formation plus serrée se fera avec des faux retournées, les transformant en armes d'hast (ancêtre du fauchard). On peut imaginer des paysans révoltés contre leur seigneur, le collecteur de taxe, ou en pleine jacquerie. L'avantage de ces armes est d'être presque intemporelles et de permettre des combats à toutes époques ou presque.

Parade d'une attaque à la faux avec une faux. Dans le traité de Mair les deux escrimeurs manient la même arme


Une remarque également : a priori la faux sera plutôt maniée par des hommes en forme tandis que la faucille peut l'être par n'importe quel habitant des campagnes. Il est logique de supposer que, si entraînement il y avait, celui-ci se faisait avec les outils que les gens maniaient habituellement. Ensuite il est peu probable que les paysans soient des experts des armes, même si ils connaissent quelques techniques leur expérience martiale sera probablement assez limitée. Ils seront donc vraisemblablement intimidés devant un combattant plus professionnel, du moins au début du combat. Après libre à vous de créer un maître de la faux (ou de la faucille), une sorte de héros rural défendant les petites gens face à l'oppression et aux pillards !

Les faux et les faucilles peuvent facilement s'opposer à d'autres armes. De part les zones qu'elles visent elles évitent facilement les zones protégées par des armures partielles (casque et cuirasse ou haubergeon de mailles par exemple) ce qui est un avantage face aux soldats du seigneur ou aux pillards. La difficulté à parer les faux en fait une arme valable face à une épée longue ou toute autre arme. Contrairement aux dagues les faucilles peuvent être utilisées pour parer des lames, on retrouve des parades de ce genre dans le traité de Paulus Hector Mair face à des coups de faucille, la technique fonctionnera tout aussi bien face à une épée ou un sabre.

Parade d'un coup vertical avec la lame de la faucille, une technique transposable contre d'autres armes


Pour conclure ces armes ont un bon potentiel de spectacle. Elles permettent de varier les scénarios en mettant en scène des paysans que l'on voit rarement dans les spectacles de combat scénique. Leurs particularités martiales sont également l'occasion de coups surprenant et originaux dont le public raffolera. Enfin, une dernière chose : l'association de la faux avec la Mort dont on pourra aussi jouer si l'on veut un combat symbolique.

Brigitte Lahaie en jeune fille vampirique fauchant ses victimes dans le films Fascination de Jean Rollin (1979)

Un an déjà !


Cela fait désormais un an que je publiai le premier véritable article sur ce blog. En une année j'ai finalement publié, plus ou moins régulièrement, une trentaine d'articles soit une honorable moyenne de deux ou trois par mois. Ajoutons près de cinquante vidéos citées dans mes articles et des dizaines de traités ou manuels d'escrime mentionnés. Du coup, l'envie de faire un petit bilan d'étape s'est imposée...

Promis, ce n'est pas la mégalomanie qui me conduit à mettre ce portrait de Guillaume d'Orange par Godfried Schalcken (1692-1697) dans les collections du Rijksmuseum . C'est juste que je voulais un gars en armure avec une bougie !

Genèse

Il y avait d'abord eu la prise de conscience, celle que ce que l'on apprenait souvent en escrime artistique ne nous faisait pas pratiquer l'escrime "des mousquetaires" mais un avatar d'escrime uniquement dédié à la scène et hors de toute réalité. C'était en fait pire lorsque ça concernait l'escrime médiévale, en spectacle vivant ou au cinéma, on ne voyait que des buffles s'affrontant à renfort de coups aussi dévastateurs qu'inefficaces. J'étais néanmoins admiratif de quelques groupes tchèques comme Adorea et de leurs combats furieux, réalistes et beaucoup plus historiques que la plupart de ce que je voyais. Pourtant, en pratiquant les Arts Martiaux Historiques Européens (AMHE), en lisant les traités d'escrime, je voyais bien qu'il existait une escrime historique intéressante, fine et riche dont beaucoup de coups spectaculaires méritaient d'être représentés en spectacle. En dehors de Michaël Müller-Hewer, peu de gens s'exprimaient là-dessus et l'envie me travaillait de le faire. J'ai franchi le pas il y a un an de cela avec ce blog.

En cherchant un nom j'ai finalement trouvé celui-ci, "Le fracas des lames" qui évoquait à la fois l'escrime et le côté un peu remise en cause que je recherchais, le nom de Capitaine Fracasse en a découlé naturellement. L'anonymat s'est ensuite très vite imposé comme une évidence. D'abord parce que le petit monde de l'escrime est un panier de crabes et que l'escrime artistique n'échappe pas forcément à cette règle. Mais surtout parce que je voulais qu'on me juge uniquement sur ce que j'écris, sur les idées pures et non sur qui je suis ou ce que je fais. Je tâche autant que possible de mettre en applications mes idées mais je suis aussi tributaire de mes partenaires, de mon niveau ou de tout autre contexte. Personne ou presque, pas même les membres de mon propre groupe d'escrimeurs artistiques ne sait qui se cache derrière le Capitaine Fracasse et ce n'est pas plus mal. Vous me lisez pour les réflexions que j'avance, mes résumés historiques, mes idées de scénarios et rien d'autre.

Le capitaine fracasse avance masqué comme dans le film d'Abel Gance (1943)

Depuis le blog a fait son petit chemin. Je suis heureux de voir que beaucoup de gens que j'estime dans le monde de l'escrime artistique partagent régulièrement certains de mes articles et que ceux-ci semblent connaître un relatif succès. À ce propos je dois remercier les gestionnaires de la page Escrime artistique France qui ont tout de suite été séduits par mon blog et m'ont même proposé de me donner les clefs pour poster directement  sur leur page !

Évolutions

Très vite j'ai eu envie de ne pas faire que des articles critiques ou bousculant les idées reçues mais de faire également des articles utiles pouvant servir éventuellement de référence ou d'aide pour les escrimeurs qui me lisaient. Ayant une formation d'historien j'ai également eu envie d'utiliser mes connaissances et mes compétences à ce propos. Je suis notamment assez satisfait de ma suite d'articles sur les rôles féminins qui m'a demandé des dizaines d'heures de recherche (et de plaisir). Ces articles m'ont beaucoup appris même si demeure a frustration d'avoir l'impression de survoler malgré tout un sujet passionnant. Tout cela, mélangé à des articles critiques, des suggestions de contextes ou de scénarios fait le Fracas des Lames, un ensemble un peu hétéroclite mais qui au moins ne tourne pas tout le temps en rond. Après tout c'est un format blog, pas une thèse en feuilletons !

En une année j'ai eu l'impression que le monde de l'escrime artistique est en évolution lente vers quelque-chose de meilleur, de plus crédible ou alors à l'irréalité mieux assumée. Le phénomène ne s'est pas amorcé cette année mais peut-être y suis-je plus attentif. Je vois ainsi des stages clairement axé sur des traités ou des styles historiques d'escrime, des stages où l'on recherche le réalisme, des spectacles où l'on utilise des techniques historiques, des rapières à lame plate, où l'on ne fait pas des coups qui n'ont pas de sens. J'ai l'impression que quelque-chose est en marche et j'espère y apporter ma modeste contribution. Il y a malgré tout tout un lot de vieilles habitudes à questionner et cela sera long.


Duel d'escrime médiévale par l'OCE Escrime artistique au gala d'escrime KOREO le 7 juillet 2018. Un combat avec recherche de réalisme et utilisation de plusieurs gardes et techniques historiques. Preuve qu'on évolue aussi en France !

Perspectives

Concernant ce blog il continuera tant que je trouve le plaisir et le temps de l'écrire et je ne compte pas pour l'instant changer la formule ou le style. Il est cependant probable qu'il s'enrichisse d'autres contributeurs. Vous aurez peut-être remarqué dans la liste des contributeurs un certain Baron de Sigognac, il s'agit d'un ami et professionnel de l'escrime qui devrait m'écrire quelques articles à caractère plus technique... quand il en trouvera le temps 😏. Peut-être y en aura-t-il d'autres, à voir, rien n'est encore décidé.

En attentant nous voilà repartis pour une nouvelle année de blog, en espérant vous écrire des articles toujours plus intéressants.