samedi 28 décembre 2019

Le duel en France au XIXe siècle


En tant qu'escrimeurs de spectacle le duel est au cœur de notre pratique, non en tant que tel mais en tant que sujet de représentation. Il est dans les films de cape et d'épée et une grande majorité de films d'action se déroulent par un duel final entre le héros et son principal antagoniste. Le duel, seul à seul, à armes égales nous fascine encore comme il fascinait les hommes du XIXe siècle (qui sont d'ailleurs les auteurs de nombre de romans à l'origine de nos films de Cape et d'épée). Si on voit d'abord le duel comme une spécificité de l'Ancien Régime on oublie trop souvent qu'il lui a survécu plus d'un siècle et que le XIXe siècle fut un siècle très abondant en terme de duels.

C'est de cette période moins bien connue que j'ai envie de traiter aujourd'hui. Non pas qu'il ne soit pas intéressant également de faire le point sur les duels de l'Ancien Régime ou sur les duels judiciaires du Moyen-Âge (qui n'ont d'ailleurs, selon l'historien François Billacois, pas de lien de paternité avec ceux qui les suivent). Mais comme il s'agit de mon blog je l'écris un peu selon mes humeurs et mon humeur du moment est d'étudier les duels au XIXe siècle. Par XIXe siècle j'entends celui des historiens, qui s'achève donc avec le début de la première guerre mondiale en 1914. C'est également la date à laquelle les duels disparaissent si l'on excepte deux ou trois duels anecdotiques par la suite. Par ailleurs je me limiterai à la France qui a la particularité (avec l'Italie) d'être un pays où les duels ne disparaissent pas en milieu de période.

Pour cette étude je m'appuie essentiellement sur les deux spécialistes français du sujet qui sont Jean-Noël Jeanneret et François Guillet (voyez la bibliographie). On commencera donc par voir les enjeux du duel à l'époque avant d'entrer plus dans le détail du point d'honneur et enfin regarder concrètement ce qui se passait "sur le pré".

L'affaire Dreyfus a été l'occasion de nombreux duels comme celui entre le Lieutenant-Colonel Hubert Henry, accusateur de Dreyfus et celui qui a démasqué son imposture, le Lieutenant-Colonel Marie-George Picquart le 5 mars 1898

La survivance du duel en France au XIXe siècle

Une coutume qui se restreint à certaines classes sociales

Sous l'Ancien régime le duel était l'apanage de la noblesse ou des bourgeois qui voulaient imiter les nobles. Après la Révolution française le duel a connu une période de démocratisation et, au début du XIXe siècle on a vu des boutiquiers, des bouchers et d'autres professions relativement modeste se battre en duel. De même, dans l'armée le duel était presque devenu une institution, une sorte de "bizutage" pour tout nouveau et pas seulement les officiers. Le règlement militaire le mentionnait même et des règle strictes l'encadraient.

Néanmoins, à partir du milieu du siècle le duel se restreint à certaines couches de la société : la noblesse bien sûr, les militaires (pour les hommes du rang jusqu'à l'arrivée en masse de conscrits à partir de 1872) mais aussi les hommes politiques, le monde des Arts et de la littérature en particulier ainsi que les journalistes. Dans la seconde moitié du siècle les hommes d'affaire, les capitaines d'industrie ou les ingénieurs ne règlent plus leurs différents par le duel. De même, on observe tout de même une baisse de la létalité des duels qui se terminent de plus en plus au premier sang ou, pour les duels au pistolets, au premier échange de coups de feu.

Le duel est donc le symbole d'un certain statut social et est pratiqué par la droite et l'extrême droite (Léon Daudet et Charles Maurras se sont battus à de nombreuses reprises) mais également par des gens de gauche, pourtant détracteurs de l'Ancien régime et de ses privilèges, de la prétendue supériorité nobiliaire. Si certains comme Pierre Larousse ont toujours refusé de se battre en duel nombreux sont ceux qui s'en sont senti l'obligation. Ainsi Armand Carrel en est mort, Jean Jaurès, Léon Blum (alors jeune critique littéraire) sont allés sur le pré sans parler de Georges Clémenceau, l'homme aux douze duels !


Duel de la presse de droite entre le Bonapartiste Paul de Cassagnac et le nationaliste-royaliste Charles Maurras en 1912

Prouver son courage et son statut

On vient de voir que le duel est vite redevenu l'apanage de certaines classes sociales. Il est une sorte de rituel où l'on doit prouver son courage et sa maîtrise de soi qui sont le signe d'une certaine élite. C'est ainsi qu'à l'épée ou au sabre on doit rester à distance, les corps ne doivent pas se toucher pas plus que l'on ne doit attraper l'arme de son adversaire. Au pistolet la posture droite et digne sous le feu est le signe d'une certaine discipline mentale. Notons au passage que le résultat du duel n'est pas le plus important. L'essentiel c'est d'y avoir été, d'avoir accepté de risquer sa vie sur le pré et il n'y a aucun déshonneur à avoir perdu le duel si l'on s'est comporté honorablement.

On prouve ainsi son courage d'où le caractère un peu initiatique du duel pour les militaires destinés à affronter le feu ennemi à la guerre. Pour certains c'est une façon de monter dans la société, ainsi le héros de Bel ami de Maupassant, un journaliste avide de monter les échelons de la société, valide-t-il son entrée dans la bourgeoisie en acceptant un duel. Pour les mêmes raisons il était parfois très difficile de refuser un duel, la pression sociale dans ces couches sociales était très forte et l'accusation de couardise toujours en suspend.

Le duel était également un signe de virilité. Seuls les hommes se battent en duel normalement. On a bien trace de duels féminins mais ils ont été rares, parfois le fait de féministes revendiquant une coutume qui leur était normalement interdite comme Marie-Rose Astié de Valsayre (duel en 1886 contre Miss Shelby). La coutume voulait plutôt qu'une femme soit représentée par un homme de sa famille si elle était offensée et les femmes étaient régulièrement accusées par les détracteurs du duel d'en être à l'origine.

Pour toutes ces raisons le duel fait souvent l'objet d'une certaine publicité. Il est fréquemment relaté dans les journaux de l'époque et parfois des spectateurs viennent s'ajouter aux témoins. À la Belle époque, avec l'invention du cinéma, la caméra vient même s'ajouter à ceux-ci et nous disposons ainsi d'une certain nombre de duels filmés. Quel serait en effet l'intérêt de risquer sa vie si personne ne sait que vous l'avez fait? Une exception existe cependant lorsqu'il s'agit d'une affaire privée (un mari trompé, une fille "déshonorée"...) où l'on évite alors la publicité (ces duels sont aussi plus meurtriers).


Duel au pistolet dans le film Bel ami de Philippe Triboit (2005), tiré du roman du même nom de G. de Maupassant

Résoudre des conflits ou "civiliser" la société

Le duel a d'autres utilités comme celle de résoudre rapidement des conflits qui échappent à la Justice. En France il est intimement lié aux affrontements politiques. Le XIXe siècle est en effet riche en révolutions et en rebondissements politiques. La Révolution de 1789 et 1793 n'a jamais acceptée par la droite royaliste. La chute de Napoléon Bonaparte en 1815 voit le retour au pouvoir des royalistes. Les officiers en demi-solde vétérans des armées de l'Empereur qui n'ont pas accepté le nouveau pouvoir défient alors en masse les nobles et officiers royalistes. La Révolution de 1830 voit Charles X déposé et Louis-Philippe Ier, roi des Français, monter sur le trône. Celui-ci est déposé par la Révolution de 1848 qui instaure la République laquelle disparaît en 1851 lors du coup-d'État de Louis-Napoléon Bonaparte qui réinstaure l'Empire. La débâcle de 1870 face à la Prusse met fin à ce régime et instaure la IIIe République qui peine à exister à ses débuts avec des Royalistes et des Bonapartistes très puissants.Entre 1885 et 1189 les succès électoraux du général Boulanger ébranlent la République. Enfin de 1894 à 1906 l'affaire Dreyfus déchaîne les passions. À la suite de chaque changement de régime les duels redoublent en intensité entre partisans et opposant du nouveau régime.

L'autre utilité du duel, du moins pour les gens du XIXe siècle est de civiliser la société en rendant l'insulte dangereuse. Nous sommes en effet à une époque où la presse devient de plus en plus libre mais où, également, aucune loi n'existe qui vient réprimer l'insulte ou la diffamation. Or celles-ci sont assez courantes dans les journaux de l'époque (notamment en matière de critique littéraire et de théâtre) et la seule façon de dissuader un éventuel insulteur ou diffamateur est de faire planer la menace d'un duel. C'est l'un des principaux arguments qu'avancent les défenseurs du duel. Insulter Clémenceau, duelliste réputé tant à l'épée qu'au pistolet, c'était s'exposer à un duel et à une probable blessure. De plus, pour ses partisans le duel est une manière plus civilisée et maîtrisée de régler un conflit qu'un flot d'insulte de bas étage ou une bagarre aux poings digne des basses classes de la société. Ajoutons également qu'en matière d'adultère ou de conservation de la vertu des jeunes filles de bonne famille le duel jouait aussi son rôle de dissuasion.

Le 13 juillet 1888, suite à un vif échange à la Chambre des députés le Président du Conseil, Charles Floquet et Georges Boulanger, alors député, s'affrontent en duel à l'épée. À la surprise générale Boulanger est gravement blessé au cou.

Le point d'honneur, un système de règles parallèle

Une illégalité relative

Sous l'Ancien Régime le duel était illégal et a régulièrement fait l'objet d'interdictions et même de condamnation à mort. Dans les fait les autorités étaient très souvent conciliantes puisque dirigées par des gens de la même classe sociale et soumises au même code d'honneur.  Le Code pénal de 1791 fait disparaître le duel de la liste des crimes qu'il établit et celui-ci ne réapparaît ni dans le Code des délits et des peines de l’an IV ni dans le Code pénal de 1810.

À cela, deux interprétations différentes se sont affrontées : la première défendue par Merlin de Douai est que la convention passée entre les combattants exclue le meurtre. Elle est incarnée par un arrêt célèbre de la Cour de Cassation du 8 avril 1819 qui précise "que, dans le duel il y a toujours convention antérieure, intention commune, réciprocité et simultanéité d'attaque et de défense ; et qu'un tel combat, quand il a lieu avec des chances égales de part et d'autre, sans déloyauté ni perfidie, ne rentre dans aucun des cas prévus par la loi". 

La seconde a notamment été exposée par Monseignat, juriste et membre du corps législatif chargé de la rédaction du Code pénal de 1810. Celui-ci indiquait que le silence de la loi sur le duel signifiat simplement que l'on ne voulait pas lui donner de statut particulier. Il indiquait que "En vain voudrait-on invoquer une convention entre les duellistes, et la réciprocité des chances qu’ils ont voulu courir dans une action, qui le plus souvent n’offre de la volonté que les apparences ? Et comment d’ailleurs chercher un usage légitime de la liberté dans l’horrible alternative de se faire égorger ou de donner la mort ?". Cette position fut finalement suivie par la Cour de cassation dans un arrêt de 1837 sous l'impulsion du procureur général Charles Dupin (également président de la Chambre des députés et connu pour s'être dérobé à un duel).

Dés lors la jurisprudence ne revint pas sur cette position mais elle fut, dans les faits très peu appliquée. Dés lors qu'il y avait mort l'affaire relevait de la cour d'appel qui acquittait systématiquement si les conditions du duel avaient été loyales. Les tribunaux faisaient me^me intervenir des spécialistes du point d'honneur comme experts auprès des tribunaux ! Personne ne portait plainte et la police avait toujours la politesse d'arriver en retard.

On a donc à faire à une sorte de législation parallèle acceptée de tous et qu'aucun législateur n'a réussi à faire disparaître. Toutes les tentatives pour réglementer ou prohiber le duel ont échoué et il y en eut de très nombreuses : 1819, 1829, 1848, 1851, 1877, 1883, 1892 et 1895, toutes refusées au Parlement.

Charles Dupin, procueur général auprès de la Cour Cassation et Président de la chambre des députés

Des règles précises pour le respect de l'honneur

Pour être plus ou moins illégal, le duel n'en est pas moins très codifié. L'ensemble de ces règles ont été exposées dans l'ouvrage du Comte de Chatauvillard, Essai sur le duel paru en 1836 avec la recommandation de très nombreuses personnalités. Cet ouvrage expose en détail les règles d'honneur à observer et a été l'ouvrage de référence des duellistes durant toute la période. Néanmoins ses règles n'étaient pas toujours appliquées scrupuleusement et pouvaient s'adapter selon les circonstances. Il s'agit ainsi plus d'un guide que d'un code de lois strict.

Dans le cas d'un duel deux choses sont finalement importantes : l'égalité de chances et la civilité des mœurs. Il incombe aux gens civilisés qui ont un différent de le régler en se comportant dignement dans un combat où les chances sont égales.

Au départ du duel il y a une offense. L'essai du Comte de Chatauvillard nous aide à déterminer l'offensé. En cas d'injure l'offensé est celui qui reçoit l'injure, mais si il y répond par un coup (ou un soufflet) l'offensé devient celui qui reçoit le coup (dans l'esprit des gens de l'époque un soufflet ou un coup rend le duel presque inéluctable). Sans injure ni coups on peut s'en remettre au tirage au sort pour savoir qui est l'offensé.

L'offensé a le choix des armes (épée, pistolet ou sabre, uniquement entre militaires ou si accord mutuel), l'offenseur choisit alors les conditions du duel (à l'épée ou au sabre l'arrêt au premier sang ou non, au pistolet le type de duel). Les duels dit "exceptionnels" ne peuvent être choisis qu'avec l'accord des deux parties. De plus un fils peut suppléer son père si celui-ci a plus de soixante ans. En cas d'invalidité ou d'âge on peut imposer le duel au pistolet voir assis sur une chaise.

En ce qui concerne les militaires, les duels ont lieu à la salle d'armes du régiment, à l'épée ou au sabre (si ce sont des cavaliers ou des artilleurs montés) en présence du maître d'armes du régiment. Celui-ci a la charge de parer les coups trop dangereux et les duels s'arrêtent au premier sang.

Enfin une règle tacite veut également qu'on ne fasse jamais un autre duel avec quelqu'un avec qui l'ont s'est déjà battu et dont le différent est considéré comme réglé. Dans un esprit similaire, pour une affaire particulière plusieurs personnes ne peuvent provoquer en duel le même individu à la suite. Un seul duel doit régler l'affaire (avec donc une sorte de champion d'une cause).

 
 La force du destin - court-métrage de Didier Rodier figurant un duel d'honneur pour une affaire privée.
Chorégraphie & combat par Les bretteurs de Saint-Jean

L'importance des témoins

Dans ce système les témoins sont des acteurs essentiels du duel. Une fois le cartel demandé après l'insulte les protagonistes du duel ne doivent plus se voir avant celui-ci. Ce sont leurs témoins qui doivent régler toutes les conditions du duel. En principe chacun a deux témoins même si un seul est accepté à l'épée. Ceux-ci ne peuvent être des parents au premier degré (père, frère ou fils) du duelliste mais ce sont des gens de confiance qui ont la charge de défendre ses intérêts et de veiller à l'égalité du duel. Les témoins se rencontrent donc entre eux pour voir si l'on peut arrêter le duel (par la présentation d'excuses officielles et leur acceptation) ou décider des armes, des conditions, distances et du lieu du duel. Le Comte de Chateauvillard précise qu'ils doivent être polis entre eux.

Le jour du duel les témoins distribuent les armes, les vérifient, préparent le lieu du combat, chargent les pistolets. Ce sont eux également qui arrêtent le combat et décident de sa poursuite ou non. Vers la fin de la période on fait de plus en plus appel à un arbitre du combat, une personnalité neutre forcément choisie conjointement par les témoins. Avec le temps les duellistes prennent également l'habitude de venir avec leurs chirurgiens personnels en charge d'examiner les blessures ou de sauver la vie à leur champion.
Une fois le duel terminé les témoins rédigent ensemble un procès verbal du duel qu'il signent. Celui-ci atteste du respect des règles de l'honneur et peut servir dans le cas d'un éventuel procès pénal.

Dans son ouvrage Les trucs du duel (paru en 1900) Émile André dresse une liste amusante des différents types de témoins. On y trouve ainsi le témoin bon enfant qui voudrait que le duel n'ait pas lieu, le témoin "fumiste" qui ne cesse de plaisanter ou le témoin vaudevilesque, trop fier d'être témoin. Il y ajoute le témoin amateur d'escrime qui commente l'échange pendant que l'un des duellistes se fait soigner, le témoin formaliste, d'abord attaché au respect des règles, le témoin nerveux qui ne cesse de gesticuler ou s'agiter, le témoin "gaffeur" qui effraie inutilement son ami et enfin le témoin autoritaire qui est plutôt un maître qu'un témoin et veut imposer sa volonté à tous. Autant de rôles secondaires à faire jouer dans un spectacle !
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Procès-verbal d'un duel reproduit dans l’œuvre d'Émile André Les trucs du duel - 1900

Sur le pré : le déroulement des duels

Un lieu, deux hommes, la violence...

Il revient donc aux témoins de choisir le lieu du combat. Il convient de choisir un lieu isolé, à l'écart de la foule puisque le duel implique une certaine discrétion, hors des passages de la police qui pourrait l'arrêter par exemple. Il s'agit le plus souvent d'une périphérie de ville, un pré, un bois un peu à l'écart, parfois une propriété privée avec la complicité de son possesseur. À Paris, certains lieux reviennent fréquemment : Sous l'Empire les bois de Boulogne et de Vincennes (surtout le premier) évidemment, mais également les Élysées encore relativement en marge à l'époque. Plus tard l'île de la grande Jatte à Neuilly où se trouve un restaurant où les duellistes viennent ensuite reprendre des forces, mais aussi les champs de courses de Boulogne, Saint-Ouen ou Levallois. Lorsque l'un des duellistes est interdit de territoire le duel peut avoir lieu à l'étranger comme le duel entre Jean Jaurès et Paul Déroulède à la frontière espagnole en 1904.

Une fois le duel terminé il est de coutume que l'offensé pardonne à son offenseur, y compris mourant. Il n'est pas rare d'ailleurs que l'affaire se termine au cabaret dans la célébration d'une réconciliation rendue salutaire après le moment de barbarie et de tension que constitue un affrontement à l'épée ou au pistolet. À ce sujet il est intéressant de lire le récit du duel d'Aldo Nadi (en anglais) qui fut l'un des plus grands escrimeurs sportif de tous les temps (3 médailles d'or par équipe dans les trois armes aux Jeux Olympiques de 1920).

[...] I saw him get up from his guard in an entirely unexpected, nonconformist and most dramatic manner, disarm his right hand quickly, and proceed briskly toward me, hand outstretched, just as fencers do at the end of a bout. "Oh! I have had enough! Thank You!"

This was not at all the expression of a vanquished, dejected man. Rather, that of a man who had regained his civilized sobriety miraculously fast--a human being already far more virile than in his fighting position. naturally, I was thoroughly astounded; but when he reached me, his hand found another that shook it warmly.

The duel had lasted less than six minutes. "Enough," my adversary had said. Quite! the sun had melted the morning mist, and was now shining brilliantly.

My one wound was beginning to make itself felt. My valiant adversary appeared to be bleeding from everywhere. There were three wounds in his arm, two in almost the same spot, and three in his chest. how I reached his body without hurting him seriously is a mystery, or a miracle, which I have never been able to explain. That evening, he and I drank champagne together. [...]


[...] Je le vis abandonner sa garde de la manière la plus inattendue, anticonformiste et spectaculaire, désarmant sa main et s'avançant vers moi, la main tendue comme le font les escrimeurs à la fin d'un match. "Oh, j'en ai assez ! Merci !"

Il n'avait pas l'expression d'un homme vaincu ou abattu. Au lieu de cela c'était un homme ayant regagné sa sobriété civilisée remarquablement rapidement -- un être humain autrement plus viril qu'en position de combat. Naturellement j'étais complètement stupéfait ; mais quand il me rejoignit, sa main en trouva une autre qui la serra chaleureusement.

Le duel avait duré moins de six minutes. "Assez" avait dit mon adversaire. En effet ! Le soleil avait percé la brume matinale et brillait alors de tous ses rayons.

Mon unique blessure commençait à se faire sentir. Mon vaillant adversaire semblait saigner de partout. Il avait trois blessures au bras, deux près du même point et trois à la poitrine. Comment j'avais pu le toucher au corps sans le blesser gravement est un mystère, ou un miracle que je n'ai jamais été en mesure de m'expliquer. Ce soir-là, lui et moi bûmes le champagne ensemble [...]

Aldo Nadi - On fencing (1943)
Traduction : Capitaine Fracasse

Une prairie isolée à la campagne, le lieu idéal du duel
dans le film Les duellistes de Ridley Scott (1977)

Les duels à l'épée

Le duel à l'épée est l'un des plus fréquent en France à l'époque. Au tout début de la période les épées sont encore des épées de cour assez proches de celles du siècle précédent. On passe ensuite à l'épée à coquille à la lame triangulaire. En 1836, le Comte de Chateauvillard précise que les lames des épées ne doivent pas être aiguisées. En revanche on s'assure que la pointe est bien aiguisée et il est fréquent d'arrêter le combat pour réaffûter la pointe lorsque celle-ci a été trop en contact avec la coquille adverse. Notons qu'il n'est pas toujours facile de se procurer des armes et que l'on improvise parfois. Ainsi l'usage de fleurets démouchetés, faciles à trouver dans une salle d'armes est très fréquent. Ajoutons qu'à partir du milieu de la période on prend également l'habitude de désinfecter systématiquement les pointes des épées (et les lames des sabres), notamment lorsqu'elles entre en contact avec le sol.

Au début de la période le duel à l'épée est très létal car l'on tire encore au corps. Peu à peu, à  partir des années 1860 (mais très progressivement), on prend l'habitude de tirer aux avancées. Les tireurs sont ainsi beaucoup plus éloignés, plus en sécurité et les blessures sont largement moins létales que lorsque l'on tirait au corps comme au fleuret. Cette pratique modifie profondément l'escrime avec l'apparition de l'épée d'escrime, comme nouvelle discipline qui prépare au duel face au fleuret où l'on continue de tirer au corps et de faire de belles armes alors que l'épée recherche l'efficacité. Logiquement durant le début du XXe siècle les matchs à l'épée se déroulaient en une touche gagnante, comme un duel au premier sang ; c'est d'ailleurs encore le cas en pentathlon moderne.

Les témoins (et l'éventuel arbitre) portent tous des épées ou des cannes qu'ils peuvent lever pour stopper le combat en cas de blessure de l'un ou l'autre duelliste ou d'en d'autres cas comme le non-respect d'une règle, une pointe pas assez acérée ou tout autre problème. L'une des astuces du témoins malhonnête est de lever sa canne lorsque son tireur est en difficulté et de redemander d'affûter la pointe, le sauvant ainsi d'une mauvaise posture ! À chaque blessure le combat s'arrête et l'on juge alors si il faut poursuivre ou non le combat.

Le duel à l'épée est vu par beaucoup comme la quintessence du duel, l'arme d'honneur par excellence, héritière des chevaliers. Ses partisans (au premier rang desquels, évidemment, les maîtres d'armes) louent sa noblesse et l'éducation martiale qu'elle suppose, la maîtrise du corps et de soi. Ils fustigent le pistolet où la technique est beaucoup plus rudimentaire et le hasard plus présent.


Duel entre Pierre Mortier (du journal Gil Blas) et Gustave Téry (du journal l'Oeuvre), l'un des trois duels à propos de la publication de la correspondance privée entre Marie Curie et Paul langevin.
On observe clairement la volonté des tireurs de se tenir à la plus grande distance possible et le tir aux extrémités.

Les duels au sabre

Si ils étaient fréquent à l'étranger, les duels au sabre entre civils étaient très rares en France. Le sabre ne pouvait âtre proposé qu'à un militaire ou à quelqu'un y ayant été exercé. Il se pratique le plus souvent avec les sabres d'ordonnance de la cavalerie ou des officiers d'infanterie. Il s'agit donc d'un sabre droit ("latte") pour la cavalerie lourde et d'un sabre courbe ("bancal") pour la cavalerie légère, les officiers d'infanterie ou les artilleurs montés. Pour les civils on tâche de trouver deux sabres similaires où l'on peut.

Deux formes de duel au sabre existent : avec ou sans coups d'estoc. Le duel sans estoc est évidemment moins létal et plus facile à pratiquer avec des sabres courbes (car les droits sont très adaptés à l'estoc, surtout dans la forme d'escrime pratiquée dans l'armée française). Les duels entre sabreurs sont toujours perçus comme sanglants, même lorsque l'on prend, comme à l'épée, l'habitude de tirer aux avancées. Au tournant du XXe siècle on adopte parfois le sabre léger italien (d'où dérive notre sabre d'escrime) qui réduit considérablement les risques de blessure grave.

Comme à l'épée les témoins portent bâtons ou sabres et l'on s'arrête entre chaque blessure pour l'examiner et voir si le combat peut reprendre. Même avecd es armes sanglantes le duel se veut quelquechose de civilisé !

L'un des rares duels civil au sabre entre les deux peintres polonais Leon Chwistek (à g.) et Władysław Dunin-Borkowski au Champ de Mars à Paris le 6 avril 1914

Les duels au pistolet

Enfin, même si il s'agit d'un blog sur l'escrime, mon propos ne serait pas complet sans évoquer les duels au pistolet. Très vite, alors que les armes à feu se perfectionnent tout au long du XIXe siècle on limite volontairement la technologie dont on se sert en duel. On utilise ainsi presque toujours de vieux pistolets d'arçon à silex à canon lisse (non rayé) et proscrit très clairement le revolver. Ces armes sont imprécises et réduisent ainsi la létalité.

Celle-ci dépend aussi énormément de la distance choisie et du nombre de coups tirés (décidé à l'avance entre les témoins). Ainsi, un seul échange à vingt pas, voire trente comme c'était courant à la fin de la période rend le duel beaucoup moins dangereux que six coups à dix pas ! Le plus souvent il est convenu que les tireurs se fassent face et tirent en même temps ou presque mais l'on peut aussi décider qu'ils se retournent et tirent au signal ou s'avancent l'un vers l'autre.

D'autres formes de duel au pistolet, plus exotiques et plus dangereuses existent comme le duel avec un seul pistolet chargé, choisi au hasard par un combattant.

À l'inverse Émile André nous donne quelques astuces pour éviter les blessures ou les morts dans un duel au pistolet. On peut ainsi mettre des balles trop petites qui peuvent tomber ou ne pas avoir assez de puissance pour percer la peau ou sous-charger les armes pour que les balles n'aient pas assez de puissance. On peut également durcir la détente des pistolets pour rendre le tir plus difficile ou fausser les instruments de visée... Tous ces trucages sont fait par les témoins, probablement le plus souvent d'un commun accord entre les deux parties.

Le tir au pistolet ne demande pas la même technicité que l'escrime et, vu les armes employées et les conditions de tir, le hasard y a une plus grande part. Ce fait est évidemment fustigé par les Maîtres d'armes mais certains comme Maupassant défendent justement cet état de fait. Quitte à risquer sa vie et s'en remettre à une certaine destinée autant prendre une arme où le hasard est roi et qui égalise vraiment les chances entre les combattants !

Duel au pistolet - Bauce et Rouget - 1857

Pour conclure...

On le voit, le XIXe siècle fut une époque riche en duels et où les protagonistes avaient l'honneur aussi chevillé au corps que leurs prédécesseurs de l'Ancien régime. Le duel était le signe d’appartenance à une élite qui avait le courage d'affronter le mort sur le pré. Ceci dit la létalité des duels s'est fortement réduite tout au long de la période et ils sont apparus de moins en moins sérieux. La boucherie de la guerre industrialisée de 1914-1918 eut raison de la coutume du duel. Face à la mort aveugle et mécanique le duel apparaissait comme un rituel vain et dépassé. Si l'on dénombre encore quelques duels après cela ceux-ci furent anecdotiques, derniers feux d'une époque révolue où l'héroïsme avait encore un sens.

Nous ne nous sommes ici occupés que du duel en France qui est le seul pays, avec l'Italie, où il a survécu aussi longtemps. La plupart des autres contrées occidentales ont pris des mesures législatives et policières drastiques qui l'ont fait disparaître vers le milieu du XIXe siècle. Cela ne fut pas le cas en France. On invoque un certain esprit français mais il est possible aussi que la politique nationale, bien plus agitée qu'ailleurs, ait joué un rôle dans l'affaire.

En tout cas j'espère vous avoir donné de la matière pour vos scénarios de combat. Présenté sérieusement un duel doit être crispant, tendu, on doit sentir le danger et la solennité de l'instant. Mais on peut également traiter la chose sur le plan comique en se moquant du sérieux des duellistes et en utilisant tous les modèles de témoins plus désespérants les uns que les autres présentés par Émile André. En tout cas c'est encore une fois à vous de jouer !

Bibliographie :

Monographies :

Guillet François, La mort en face - Histoire du duel de la Révolution à nos jours Flammarion, Paris 2008
Jeannerey Jean-Noël, Le duel - Une passion française 1789-1914 Perrin, Paris, 2004, 2011 (rééd.)

Articles en ligne :

Guillet François, « L’honneur en partage. Le duel et les classes bourgeoises en France au XIXe siècle », Revue d'histoire du XIXe siècle, 34 | 2007, 55-70.
Guillet, François. « La tyrannie de l'honneur. Les usages du duel dans la France du premier XIXe siècle », Revue historique, vol. 640, no. 4, 2006, pp. 879-899.
Jeanneney Jean-Noël(conférence) Le duel au XIXème siècle

Sources historiques :

Comte de Chateauvillard - Essai sur le duel - 1836

mercredi 18 décembre 2019

La rapidité, c'est important pour le spectacle !

On demande très souvent, en stage ou ailleurs, d'aller moins vite dans l'exécution des actions pour y privilégier la maîtrise des gestes et la sécurité de ceux-ci. Parfois même, le jour de la prestation, il est reproché aux escrimeurs une trop grande vitesse d'exécution..

Autant je suis d'accord avec le fait qu'il est indispensable de travailler d'abord lentement pour poser les gestes, autant je pense que, le jour où une prestation est montrée à un public (ou un jury), il faut que la rapidité d'exécution soit là. Ce n'est d'ailleurs pas pour rien que les escrimeurs mettent naturellement de la vitesse, c'est parce qu'ils savent instinctivement que ce n'est que comme ça qu'on a une impression de combat ! Ils veulent sauter les étapes et c'est à l'enseignant de leur apprendre à se modérer et à se discipliner. Mais à la base cet instinct est bon.

Cet article va donc traiter de la rapidité d'exécution et du rythme en escrime de spectacle et vous avez déjà compris mon point de vue. Je me place ici évidemment dans un contexte de combat où l'on recherche un certain degré de réalisme (même dans un combat humoristique ça reste souhaitable), j'exclue évidemment les combats totalement esthétisants.

Ambush, fanart de Dark Soul par Menas LG
(voir sur Deviant art)

Sans vitesse, on s'ennuie

C'est d'abord la rapidité d'exécution qui rend crédible un combat d'escrime de spectacle. Si les gestes sont trop lents on ne pourra pas y croire, on ne pourra pas sentir le danger, la farce sera immédiatement visible ! Si les gestes sont parfaitement exécutés on aura une impression de beau, de perfection. Mais on verra ça comme un ballet, pas comme un combat, si c'est le but recherché c'est très bien, si ça ne l'est pas c'est dommage.

À l'inverse, une prestation rapide, nerveuse, rythmée, même avec des gestes brouillons, donnera une impression d'affrontement, de danger, de rage. La vitesse, associée à une rythmique adéquate, donne également du dynamisme à un combat de spectacle. On est dans l'action quand ça bouge et le cinéma d'arts martiaux asiatique l'a, par exemple, très bien compris. La seule condition est d'être en sécurité mais je fais le pari que le public préférera toujours un combat un peu brouillon mais rapide et rythmé à un combat lent aux gestes millimétrés. L'aspect brouillon peut même augmenter l'intensité du combat qui devient ainsi une lutte désespérée pour la survie. Il faut évidemment que la rythmique (la régularité des actions) parvienne à suivre la vitesse déterminée (le tempo qu'on s'impose) sous peine de dissonances et de ratage.

Un argument courant voudrait qu'une vitesse plus lente permette au public de mieux voir et comprendre les actions. Précisons déjà que c'est surtout vrai pour l'arme extrêmement rapide qu'est l'épée de cour et sa dérivée, la rapière de spectacle à lame triangulaire. Prenez une rapière plus historique (et donc plus lourde), une épée longue ou un sabre, votre vitesse sera déjà plus lente naturellement, juste du fait du poids de l'arme. Une exception existe cependant lorsqu'on a une arme de main gauche ou un bouclier qui permettent des ripostes rapides avec la main d'armes. Cependant, même avec des armes rapides je pense qu'il n'est pas utile de ralentir les mouvements. Pour moi, le plus important dans un combat de spectacle est ce que je nommerai "l'effet Waouh". Si après un coup, une passe d'armes, le public fait "Waouh ! " c'est que c'est gagné. Quand bien même il n'a pas compris la technique, il sait que ce bretteur est "trop fort". On aura cet effet avec de la vitesse et du rythme, on ne l'aura pas avec de la lenteur.

Cette vidéo de démonstration d'Adorea va à toute allure. Imaginez maintenant qu'ils aillent moins vite, on s'ennuierait non ?

Les limites de la vitesse

Néanmoins, convenons-en, il existe des limites à la vitesse et un combat ne doit pas forcément être expédié à toute allure. Tout d'abord un combat a besoin de pauses, justement pour laisser le temps aux spectateurs de faire "Waouh !" ou, simplement, de souffler un peu. Cela peut se faire de façon réaliste lorsque l'un des adversaires rompt la mesure en échappant de justesse à un coup impressionnant ou grâce à une technique intelligente de sa part. Mais cela peut également se faire de façon un peu moins réaliste par une micro-pause dans le combat qu'on appelle souvent "instant photo". Il s'agit de prendre la pose après une jolie technique pendant un instant extrêmement court (moins d'une seconde) pour permettre au public de savourer l'effet.

Une autre chose, il n'est pas réaliste d'enchaîner à toute allure des techniques complexes. Dans un vrai combat on a tendance à les préparer avant son assaut pour pouvoir les placer, et si elles n'ont pas fonctionné on gère dans l'urgence avec des choses souvent plus simples. Certains coups peuvent être entraînées comme des réflexes (la riposte avec dégagement au lieu d'un coup droit après une parade en fleuret par exemple) mais c'est plutôt rare. Un long échange ne peut donc être constitué uniquement de techniques savantes et complexes à mettre en œuvre. Enchaîner trop de ces techniques à la suite et à toute vitesse donne une impression mécanique et, là, l'aspect chorégraphié transparaît, la farce devient visible et l'effet s'atténue. C'est peut-être la principale limite de la rapidité d'exécution.

On évoquera également la technique du ralenti qui est un effet scénique spécifique. Il demande beaucoup de maîtrise mais permet au public de mieux voir les actions, de les apprécier, tout en sachant qu'il s'agit là d'un effet destiné à augmenter ses sensations. Mais on est alors dans un contexte particulier de connivence entre les acteurs et le public. De plus, il ne s'agit le plus souvent que d'un court passage au sein d'une prestation plus longue.

Ajoutons enfin, qu'il est tout de même possible de tricher (un peu) avec la vitesse. Il faut alors ajouter du dynamisme aux actions, accélérer ses coups pour qu'ils partent nerveusement même si on les pose plus tranquillement [Edit : je ne suis pas clair, l'idée est de quand même les maîtriser, après si on voit la parade du partenaire ou peut y aller franco pour faire choquer les lames) et qu'ils s'enchaînent à un rythme un peu lent. Si l'on y met beaucoup d'intention et de jeu on peut malgré tout arriver à quelque-chose de sympathique, donc pourquoi pas. Mais j'aurais tendance à penser que ça reste la ruse de ceux qui n'ont pas eu le temps de travailler pour aller à la bonne vitesse.

 
 Voici donc un combat qui va vite (possiblement un peu accéléré mais pas certain), qui est rythmé et qui en met plein la vue avec même les instants photo nécessaires pour que le spectateur savoure.
Tigre et Dragon réalisé par Ang Lee (2000)

***

Pour conclure je pense donc qu'il est nécessaire d'exécuter les actions de nos combats à la vitesse à laquelle elles le seraient dans un combat réel. Il en va du dynamisme et de la sensation de combat même. Seuls des impératifs de sécurité pourraient gêner cela (mais j'aurais tendance à dire que si l'on n'est pas prêts on ne devrait pas présenter la prestation). La Lenteur est nécessaire pour travailler ses coups mais l'on doit s'assurer de pouvoir aller vite et en rythme le jour J. Et comme je l'ai dit, au risque d'en choquer certains, un combat rapide et brouillon sera bien plus impressionnant qu'un combat maîtrisé en lent. Après vous avez également le droit de ne pas être d'accord avec moi...

samedi 14 décembre 2019

Non, non et non, on n'attaque pas les jambes en première intention !

Chez beaucoup d'escrimeurs artistiques la jambe semble être une zone d'attaque normale, tout aussi légitime que le tronc ou la tête (on ne voit d'ailleurs pas assez d'attaques de taille au visage alors que c'est une cible logique et bien plus mortelle que le tronc où l'attaque a toutes les chances de toucher seulement le bras mais bon, c'est un autre débat). Or cela pose clairement  un problème de réalisme que nous allons exposer ici. En effet, avec une seule arme, attaquer la jambe c'est s'exposer à une mort rapide et humiliante. Nous verrons cependant que, dans certains cas, il est possible d’attaquer les jambes, mais avant cela il faut en revenir à la géométrie...

Le problème quand on attaque à la jambe
Giganti - 1606

La géométrie, Pythagore et les épées

Allez, faisons souffrir les allergiques aux mathématiques et remémorons-nous un vieux théorème appris à l'école primaire. Il est attribué à Pythagore, philosophe grec du VIe siècle originaire de Samos et connu pour ce théorème et une doctrine mystique quasi sectaire autour des mathématiques diffusée en Grande-Grèce (le Sud de l'Italie, alors colonie grecque). Rappelons-nous donc ce magnifique théorème :

"Dans un triangle rectangle, le carré de l’hypoténuse est égal à la somme des carrés des deux autres côtés"

soit

"a2 + b2 = c2."

L'hypoténuse, le côté qui n'est pas à angle droit, est donc toujours le plus long des trois.

L'hypoténuse est toujours plus longue que le plus grand des côtés
Traduit en termes d'escrime cela signifie que si vous et votre adversaire vous tenez droits, la distance à parcourir pour toucher la jambe est plus longue que celle pour toucher le corps. Vous devrez donc être plus près pour toucher la jambe. Du coup, si votre lame et votre bras sont à peu près de la même taille que ceux de votre adversaire, celui-ci vous touchera au tronc quand vous ne serez pas encore à portée de jambe.
Concrètement, la meilleure technique contre un coup à la jambe est donc de reculer le pied et d'envoyer un coup au visage de l'adversaire. C'est encore plus efficace si celui-ci penche le corps en avant pour essayer d'atteindre vos jambes et expose ainsi sa tête (sauf en GN parce que le plus souvent on n'a pas le droit de toucher la tête, ce qui est très frustrant !). On voit cette situation dans quelques traités, pour les autres elle est probablement trop évidente pour mériter d'être décrite.

Au pire, si l'adversaire s'engage énormément il aura peut-il un peu votre jambe mais vous lui aurez ouvert le crâne ou enfoncé votre lame dans l’œil. On peut donc résumer la situation par la formule mathématique suivante :

"Attaque à la jambe en première intention = suicide"
C'est biomécanique comme diraient certains, implacable, une erreur de novice qui n'aura jamais l'occasion de s'améliorer (sauf si vous faites de l'épée sur une piste d'escrime). Ne faites pas ça chez vous quoi !

Le blog An elegant weapon for a more civilized age a d'ailleurs consacré un article sur ce sujet que je vous invite à lire.

La parade face à une attaque à la jambe est simplement de retirer la jambe et d'attaquer la tête...
Henry Angelo - 1798

Attaquer aux jambes avec deux armes

Bon, allez, en fait il est quand même possible d'attaquer aux jambes dans certaines circonstances. Le plus simple est de disposer d'une seconde arme qui peut vous couvrir idéalement un bouclier, le plus grand possible. Le bouclier permet de vous protéger du coup précédemment évoqué et d'avancer plus sereinement vers l'ennemi. Thomas Page nous l'explique ainsi avec la targe que les Clansmen des Highlands portaient encore à son époque :

"With the target the cuts at the Leg are differently made than without it, for under Cover of that it is safe to go down to either Outside or Inside, without recienving a Trown first"

"Avec la targe, les coups aux jambes sont effectués différemment, sous sa couverture, il est plus sécurisé de descendre autant vers l’extérieur que vers l’intérieur sans recevoir
de frappe auparavant."

 Thomas Page - The Use of the Broadsword - 1746
Trad. Eric Lebeau, Sébastien Vendroux & De Taille et D'Estoc
En combat viking la jambe est même une cible privilégiée, il faut dire que les boucliers de grande taille utilisés ne laissent visibles que les jambes et la tête, les autres parties du corps devant faire l'objet d'une action particulière pour les découvrir. Mais seul le bouclier permet de s'approcher assez facilement de l'ennemi. Il en va de même pour la plupart des combats au bouclier même si nous possédons peu de sources concernant ceux-ci.

La chose est également vraie dans une moindre mesure avec des armes moins couvrantes comme des bocles ou des dagues de main gauche. Avec ce type d'armes, l'idéal pour attaquer aux jambes reste de le faire suite à une parade où vous prendrez le contrôle de l'arme adverse et avancerez sur lui ainsi protégés. En étant près de l'adversaire les jambes vous permettent de porter un coup avec ampleur et de ne pas être trop court. Prendre le contrôle est important car ces armes ne sont pas aussi couvrantes qu'un vrai bouclier et laisserait trop de cibles vulnérables.

Attaque à la jambe après une parade de coup à la tête dans le livre de combat de Paulus Kal (années 1470)
@ Bayerische Staatsbibliothek

Attaquer aux jambes avec une seule arme

Ainsi, il est possible d'attaquer aux jambes quand on a un bouclier pour se couvrir ou une arme dans l'autre main pour contrôler l'arme adverse. Mais c'est également possible si l'on ne dispose que d'une seule arme à certaines conditions et certainement pas en première intention !

Là encore laissons de nouveau parler Thomas Page :


"Une frappe à la jambe est uniquement utilisée en combat singulier, et est, si vous touchez, une frappe incapacitante.

Dans la première méthode, sa pratique est de recevoir une frappe intérieure et au lieu de frapper une extérieure, avancez-vous un peu, plongez votre corps et au même moment transférez le poids de la jambe gauche vers la droite, emmenez votre pointe sous l'épée de votre adversaire, et frappez promptement le mollet de sa jambe, bondissez en arrière comme depuis une fente, sous la couverture d'une garde de Saint George.


Ce coup, bien qu'extrêmement sécurisé en soit, ne doit jamais être utilisé face à un maître du minutage car si il glisse sa jambe droite en arrière et croise de coté sa jambe gauche, et vous minute que ce soit vers l'intérieur ou l'extérieur, au choix, il vous touchera soit à la tête soit au bras. La seconde manière de descendre vers ses jambes est de loin la plus sûre des deux, et est effectuée en plongeant son corps très bas à mi-épée sous une garde de Saint George, en faisant une feinte aux jambes, en se recouvrant sous une Saint George, en donnant une ouverture à la tête et au même moment, en feintant à nouveau vers les jambes, mais en stoppant complètement avec une garde de Saint George, frappez avec célérité en bas vers l'extérieur de la jambe, puis bondissez en arrière comme précédemment"


 Thomas Page - The Use of the Broadsword - 1746
Trad. Eric Lebeau, Sébastien Vendroux & De Taille et D'Estoc

N.B. : La garde de Saint-George correspondrait plus ou moins à une quinte pour nous.

On voit ainsi toutes les précautions que prend l'auteur pour attaquer les jambes. Il y faut énormément de préparation pour la seconde technique et la sécurité d'une prompte esquive et parade après avoir pourtant pris le contrôle de l'arme adverse pour la première.

De même, en escrime sportive à l'épée, l'attaque au pied se fait en général après une préparation, souvent une feinte au bras pour plonger ensuite au pied.

L'attaque main-pied par Michel Sicard

Enfin, face à quelqu'un équipé d'une arme plus courte qui se serait rapproché l'attaque à la jambe laissera plus de liberté ensuite pour, par exemple, passer à une parade en suspension. Elle est pertinente ainsi à l'épée longue contre un messer ainsi que nous le montre Albrecht Dürer ou encore Paulus Hector Mair.

Projet de livre de combat d'Albrecht Dürer (1512)
 
***

Encore une fois j'espère vous avoir convaincus de ne pas lancer ce genre d'attaque inconsidérément. Certes, ces attaques permettent de faire les classiques esquives par retrait ou par saut que nous apprenons tous ou presque, mais elles ne doivent pas être lancées n'importe comment. Une attaque au pied se prépare et il n'y a pas de raison que cela ne soit pas le cas dans la simulation de combat qu'est censé être un combat d'escrime artistique. Bref, pensez-y et rendez vos attaques crédibles !

dimanche 1 décembre 2019

Fracas musical ! The Cold Song par Klaus Nomi



Bonjour à tous ! Ici le Baron de Sigognac.

Je sirotais le troisième porto de mon petit déjeuner, celui de treize heures du matin, quand soudain ce minable de capitaine — la meilleure part de moi même selon la plèbe sans dents et trébuchante —  déboula à travers la porte de ma demeure.
Et par au travers, j'entends au sens littéral. La faute à tout ce made in china.
Que voulez-vous quand on est de noble extraction l'apparence est supérieure à l’efficacité, la solidité, la viabilité et tant de rimes en é. Au point de me rappeler cette épisode de mon enfance ou mon père, fin raide qu'il était, se prit le chandelier qui se brisa, aussi bien que je m'éparse, sur le choc.

Bref, voici donc que d'aventure, le capitaine, de sueur et sciure, dégueulassait mes parterres et ma devanture.
Ce pour débattre. Ha ! Débattre !
Pourquoi pas me direz vous. Après tout, nos rapports se limitent bien à ça. Parler, se gausser, s'insulter, se maudire, esgourder l'autre dans ses délires sur l'escrime ; sa chorégraphie ; l'Art. Hé oui ! L'Art avec un grand A. Sérieux ! Initié ! Majeur ! Et en aucun cas facile, mineur comme le dénonçaient Gainsbourg et son théorème. Théorème dont je vous laisse imaginer la  catégorie, mineur ou majeur, qui vous "convint" le plus de vivre d'amour et d'eau fraîche. Voire que d'eau fraîche dans mon cas.  D'où mon goût pour le made in China. D'où ma porte ! D'où le capitaine passant à travers elle ! D'où se paragraphe bien trop long ! D'où la preuve que je suis C... Hallelujah , mes amis ! La boucle est bouclée ! Le chat sur ses pattes ! Le sens de ma vie m'est donné !

En l’occurrence, il s'agissait surtout d'argumenter auprès de deux faquins, à sa course, qui tels les tire-laines cherchaient querelles. Une histoire de mots mal choisis par son sérénissime baron en plein championnat des plus belles chorégraphies françoises.
Le ridicule ne tue pas certes, mais l'arme à la main, le malandrin le feint.

Les talents d'orateurs de mon fer ayant tôt fait de régler l'affaire, je me pris à admirer la nouvelle teinture de mon parquet. Occasion laissée à mon jumeau maléfique de me défier.
Sa façon à lui de me remercier. Une bizarrerie de plus à mettre sur le compte de ses coutumes.

— Serais-tu capable de proposer une chorégraphie à partir d'une musique ?

Mon rictus égala un temps celui du feu âne bâté que je décidais de traîner dans mon jardin pour mieux l'y abandonner.
Une musique ? Parbleu ! Pour sûr que je le pouvais ! Même le dépasser si je m'appliquais.

Le deal et ses modalités conclus, le choix des musiques vint assez vite.
"Voodoo mon Amour" de Diablo Swing Orchestra pour le capitaine. ( Pour voir l'article c'est ici. )

"The Cold Song" de Klaus Nomi pour moi et que vous pouvez écouter juste en dessous.



Réflexions préliminaires et inspirations. 


Vous vous attendez sans doute à de longue digression sur l'origine de la chanson, son contexte etc.

Alors puisqu'il le  faut :

Reprise de Cold Genius blablabla Opéra King Arthur blablabla Purcell.

Navré, mais pour les détails historiques voyez avec le capitaine. D'autant que cela me fut peu utile pour mon étude.

En effet dès ses premières notes, l’œuvre m'évoqua un aspect dramatique et épique propice à un combat déséquilibré en nombre. Un beau numéro de troupe.

Sur cette idée, aidée de quelques visions, je regardais les paroles qui par métaphore amenait le thème de la mort, mais aussi de la résurrection indésirée ( les phrases en gras principalement ) :


What power art thou
Who from below
Hast made me rise

Unwillingly and slow
From beds of everlasting snow
See'st thou not how stiff
And wondrous old
Far unfit to bear the bitter cold
I can scarcely move
Or draw my breath
I can scarcely move
Or draw my breath
Let me, let me,
Let me freeze again

Let me, let me
Freeze again to death
Let me, let me, let me
Freeze again to death...

Une interprétation personnelle, dirais-je, mais qui m'éclaira sur la teneur de ma chorégraphie.

D'une part, le côté métaphorique me tirait vers des références fantastiques qui m'inclinait vers l'intemporel : plus permissive par son ouverture aux mondes de l'imaginaire.

D'autre part, la supplique de fin, ce désir de retour vers la mort, rappelait le Mort joyeux de Baudelaire ; la dimension gothique propre aux Fleurs du Mal. De quoi rendre l'usage de la rapière symbolique tant elle s'associe avec la noblesse. Une noblesse déchue, qui même animé par la nostalgie de son âge d'or, aurait du mal à la revivre.


C'est ici la réunion des Fans de Anne Rice refoulés ?
On est d'accord que je n'affirme ici aucune réalité historique ou sociologique. Juste une idée que la musique me plait à développer.


Nous aurions donc un numéro de troupe intemporel avec pour arme des rapières. Lame plate, restons sérieux.

Je suuuuiiisss sérieuuuuuusssse ! 



Reste à préciser le scénario :

Le Synopsis. 


Le thème de la résurrection invite à envisager celle d'un personnage. Disons le héros. Mort au début de la saynète ou très vite après. Ce serait lui qui serait le narrateur des paroles de The Cold Song. L'acteur ne chanterait pas, mais le texte de la chanson serait l'expression de sa pensée vis à vis de cette vie retrouvée.  De fait, son désir de mourir pourrait être l'ultime demande de ce dernier envers la cause de son retour. Comme une mission inachevée : protéger un proche, par exemple. Sa femme, une personne importante : roi reine... Mission qui serait achevée au cours de la chorégraphie.

Je pris ce parti et sacrifiais sans doute de meilleures possibilités, mais je suis mauvais qu'est ce que vous voulez.

Le décor prenait forme : un homme noble, ferait face à une bande qui détiendrait celle qu'il avait juré de protéger. D'un rang supérieur au sien et que nous nommerons princesse par abus de langage.
Au début, avant que la musique commence, le spectateur assisterait à la mort du héros, traîné des coulisses par ses adversaires victorieux devant la princesse détenue.

Un échange dramatique entre les deux aurait lieu, puis l’exécution serait rendue. Désespérée la princesse supplierait son serviteur de se relever, son ami, son amant ? L'hilarité des ennemis pourrait rajouter un effet intéressant, bien que dispensable.

La musique débuterait alors et le héros renaîtrait de ses sens. Surpris, ses adversaires, le verraient déambuler de façon maladroite comme si la mort conservait son emprise.

A ce moment l'un d'entre eux tenteraient de l'abattre à nouveau et se ferait tuer sur la riposte d'un geste rapide et efficace. Celle d'un expert. ( revoir : Une tentative de typologie des combattants. ). Un contraste d'autant plus saisissant pour le public que la démarche du héros resterait proche de celle d'un zombie hors combat. Combat qui s'engagerait à un contre trois amenant la bande à quatre personnages, dont au moins un noble avec sa garde d'élite.

Genre pas ça !


J'insisterais sur le fait que les antagonistes soient eux aussi de bons combattants. Ne serait-ce que pour expliquer pourquoi de son vivant, le héros n'a pu les vaincre. D'ailleurs, ce dernier se ferait de nombreuses fois blesser, mais n'en serait qu'à peine déstabilisé. Ce jusqu'à en profiter pour tuer un deuxième qui croyait l'avoir occis  de nouveau. J'envisagerais de rendre ses blessures de plus en plus graves ; de l'estafilade à l'arme clairement plantée que le héros extirperait avec indifférence.


Mieux. 

La peur gagnerait ainsi la bande qui périrait un par un. Leur chef tenterait même de menacer de tuer la princesse, mais devant l'absence de réaction du héros qui se contenterait d'approcher, il abandonnerait le projet pour défendre sa peau et la perdre.

Le héros tomberait dans les bras de la princesse qui, sur sa demande, le tuerait d'un coup de dague. Coup qui réussirait son œuvre cette fois puisque le héros aurait enfin accompli son devoir. La musique et la saynète s'arrêteraient sur ces entrefaites.

Pour le rythme des morts je jouerais avec les début et fin de couplet. The Cold Song offre beaucoup de temps entre chaque pour poser son ambiance. Autant en profiter.
Cependant, pour la mort du chef de la bande, le Noble comme on l'appellera, je placerais l'instant à la fin du premier "let me freeze again". Le Héros recevrait aussi le coup final juste avant le dernier "to death" de la musique.

Bien. je pense avoir fait un bon tour d'horizon.

Passons à la fiche récapitulative de tout ce délire.


Fiche récapitulative : 


Nous aurions donc

Personnages :
Le héros
La Princesse
Garde d'élite un
Garde d'élite deux
Garde d'élite trois
Le Noble

Armes :
Rapière lame plate pour tout le monde sauf la princesse.
Dague pour la princesse.

Costumes :

Nobles XVIe XVIIe ou ( ma préférence ) Noble-gothique.


En gooooothiiiiquue !
Mon sirop de grenadine est tellement plus classe en gothiiiquuue !

Déroulé : 

Avant la musique : mise à mort du héros devant la princesse qui le supplie de se relever.

0:00  Le héros commence à se relever.

0:52  Le garde d'élite attaque reçoit un coup fatal sur la riposte.

0:56  Le héros menace ses adversaires et le combat à un contre trois commence. Le héros est plusieurs fois blessé sans que cela l'arrête ou semble le déranger.

1:45  Le deuxième garde d'élite meurt sur la fin du premier couplet.

2:42  Mort du dernier garde sur le début du troisième couplet.

3:21 Mort du Noble. Le héros tombe dans les bras de la princesse.

3:46 La princesse plante la dague dans le corps du Héros qui meurt.

Fin.

Voilà. J'espère que ce petit amusement entre nous vous aura plu et on vous dit à très vite pour des articles plus sérieux.

Escrimement

Le Baron.


jeudi 28 novembre 2019

Fracas musical ! Voodoo Mon Amour par Diablo Swing Orchestra

Alors voilà, avec le Baron de Sigognac on discute, on discute, on déconne, on imagine et voilà qu'on se lance des défis stupides comme de se donner une musique et d'imaginer un combat dessus.

Le défi qu'il m'a donc lancé est de concevoir un scénario de combat sur la chanson Voodoo Mon Amour du groupe de métal suédois Diablo Swing Orchestra. J'ai commencé par le maudire mais ne pouvais évidemment pas refuser la tâche et je me suis donc mis au travail. En attendant je vous laisse écouter la musique ici :

Analyse du morceau de musique

Avouons-le, aucune inspiration géniale ne m'est venue immédiatement à l'écoute du morceau. Il a donc fallu l'analyser, le réécouter plusieurs fois. De ces écoutes j'ai dégagé trois éléments qui le caractérisent : le côté loufoque, le swing et le vaudou.

Tout d'abord, le côté loufoque : à l'image du groupe, le morceau est assez déjanté et le mélange jazz-métal très improbable et pourtant réussi. C'est original, barré, enlevé, joyeux. On ne peut clairement pas faire un combat dramatique dessus. De même, le mélange des genres invite lui aussi à un certain mélange, à une certaine bizarrerie.

Le swing vient tout de suite à l'esprit, le morceau est très dansant, bien trop même à la base pour de l'escrime de spectacle. Il faut cependant bien faire avec et il semble presque indispensable que les escrimeurs, si ils ne font pas le combat en dansant exécutent au moins, à différents moments, quelques pas de swing, seuls ou en couple. Des danses swing (les plus connues sont le Charleston et le Lindy-hop) existent en effet en version solo ou en couple et il nous semble très difficile d'en faire l'impasse sur une telle musique

 Vidéo de présentation du swing avec de nombreuses vidéos d'époque (en anglais)

Le swing, aussi bien comme musique que comme danse, est apparu vers la fin des années 1920, a connu ses heures de gloire dans les années 30-40 où il a été importé en Europe par les soldats américains et s'est progressivement effacé ou transformé en rock n'roll dans les années 50. C'était la grande époque des Big Bands, ces orchestres de jazz avec de nombreux musiciens et des cuivres puissants. Enfin il est d'abord très étroitement lié à la communauté afro-américaine dans laquelle il est né avant de progressivement se diffuser dans le reste de la société.

Et une vidéo pour les novices !

Le vaudou est l'autre élément du morceau. On n'est pas forcément obligé de mettre le combat en cohérence avec les paroles lorsqu'on utilise de la musique mais là on entend souvent et très distinctement le refrain "voodoo mon amour". Ne pas en tenir compte dans le combat pourrait provoquer une sorte de dissonance, or nous voulons accorder le combat à la musique. Il faut donc utiliser ces paroles.

Parlons donc des paroles qui semblent évoquer un amour charnel à travers la métaphore de la poupée vaudou. Les amants sont épuisés, hors de la réalité et liés et piqués comme si ils étaient tous deux victimes d'un ensorcellement vaudou. Il s'agit ici de la vision la plus popularisée et la plus répandue du vaudou : l'ensorcellement par une poupée contenant un élément de la victime (cheveu le plus souvent) et dans lequel on plante des aiguilles pour faire souffrir cette dernière.

La vaudou est une religion née en Afrique de l'Ouest dans le royaume du Dahomey et qui s'est répandue dans le monde avec la traite négrière. Elle s'est évidemment énormément transformée et la version la plus connue est la version venue des Caraïbes et d'Amérique du Nord, métissée avec des éléments occidentaux et chrétiens. Très grossièrement on y retrouve de la possession par des esprits appelés "loas" dont certains sont entrés dans la culture populaire : le Baron Samedi, Maman Brigitte, Marinette... Le vaudou a conservé de l'Afrique tout une tradition de fétiches, d'envoûtements, de malédiction dont la fameuse poupée.

Cérémonie vaudou en Haïti
Photo by Ludo Kuipers, Mon May 26, 1980

Le synopsis

Ces éléments me donnaient ainsi plusieurs pistes d'inspiration et quelques obligations. Mais la créativité est bien souvent mieux stimulée par la contrainte.

J'ai donc choisi de faire un combat allégorique qui répond à la musique hybride et aux paroles qui rendent difficile de situer l'action dans un contexte réaliste. Et au final ce sont les paroles qui m'ont fournit la meilleure idée et que j'envisage donc de suivre. On aura donc une histoire d'amour intense et passionnel évoqué par le vaudou. Les héros sont donc un couple hétérosexuel (on a deux chanteurs : un homme et une femme) qui se fait mal successivement par l'intermédiaire de deux poupées vaudou. Je propose d'utiliser une allégorie entre l'aiguille de la poupée et les lames plantées dans le corps. Ce n'est pas forcément bien subtil mais je pense que cela peut fonctionner.

Danseurs de swing


Chaque membre du couple plante alternativement une aiguille dans l'une des deux poupées situées à droite et à gauche de la scène. S'ensuit un court combat à un contre plusieurs avec des loas dont l'un finit toujours par réussir à planter sa lame dans le corps du pauvre amant. Celui-ci se relève alors et va planter une aiguille à son tour et l'on inverse les rôles, celui qui revient au milieu en profite toujours pour effectuer quelques pas de danse solo. Finalement les deux amants plantent simultanément une aiguille dans leur poupée, affrontent ensemble les loas, les vainquent puis dansent ensemble pour finir par s'embrocher mutuellement avec les armes récupérées et s'embrasser dans une extase amoureuse finale.

Poupée vaudou de Louisiane

Les protagonistes

Les deux héros seraient des afro-américains de Harlem des années trente. Les années trente offrent de jolis costumes rayés, l'évocation d'Al Capone et une époque où l'on porte plus facilement des accessoires style canne. L'homme est vêtu d'un costume blanc ou rayé avec chapeau et armé d'une belle canne à crosse. La femme est également vêtue de couleurs claires à moins de porter le rose flashy hollywoodien et porte une jupe à mi-mollet assez ample pour pouvoir danser (et escrimer) ; gantée et chapeauté, elle se défend avec un parapluie. Il n'est pas forcément absolument nécessaire qu'ils soient noirs ou métis mais cela serait un meilleur hommage rendu au swing et à ses origines. De plus cela rend plus logique l'utilisation du vaudou. Tous deux sont d'excellents combattants qui n'hésiteront pas à employer toutes les ruses de la self-défense et de la canne de combat.

Ce couple des années 30 serait presque parfait !


Les loas sont les plus identifiables par les néophystes : le Baron Samedi et deux Guédés, la famille du Baron Samedi. Ce sont les esprits de la mort, ils sont vêtus de costumes du XIXe siècle très hétéroclites et dont les couleurs dominantes sont le noir et le violet (mais on ne s'interdit pas les autres, notamment le blanc). Le Baron Samedi porte une redingote avec un haut-de-forme et est armé d'une canne-épée (il l'utilise d'abord comme canne puis comme épée). Le second Guédé est le capitaine zombie. Il a le visage à demi décomposé est vêtu d'un uniforme moisi inspiré de la révolution haïtienne et armé d'un sabre courbe d'officier. La troisième est une esclave révoltée en tenue de brousse, coiffée d'un chapeau de paille et armée d'une courte pique. Là aussi il est fortement préférable que les escrimeurs soient noirs ou métis, dans le cas contraire on évitera absolument les blackfaces !

Le Baron Samedi incarné par Geoffrey Holder dans Vivre et laisser mourir, un James Bond de 1973

Soldats de l'armée de Toussain Louverture pendant la Révolution Haitienne
Esclaves plantant des patates douces aux États-Unis en 1862

Les combats

On a donc une succession de mini-combats à un contre trois puis un combat final à deux contre trois.
Les combats doivent être très courts et dynamiques. Si il y a des phases d'attente elles doivent être brèves. Il n'y a pas de raison de ne pas faire de combat réaliste même si les deux héros de l'histoire doivent faire preuve d'héroïsme. Ils doivent éliminer ou repousser au moins un adversaire sur les trois, ne ployant que sous le poids du nombre. Dans les derniers combat ils en éliminent deux même. Au deuxième combat le Baron Samedi, victime d'un désarmement sort son épée de sa canne. On ne sera pas avare de coups d'estocs de la part des Guédés qui symbolisent les aiguilles plantées. Dans le même esprit, la plupart des blessures doivent être faites après un coup d'estoc (que l'on peut habilement poser).

Le désarmement à la canne-épée pourrait ressembler à ça
Extrait de Royal Flash - Richard Lester (1975)

Sans être exhaustif sur les combats on peut évoquer quelques techniques comme le fait que le sabre ne devra pas être paré en opposition par une canne et encore moins un parapluie. On peut abuser des désarmements, notamment pour récupérer une arme permettant plus de choses qu'une canne ou un parapluie. On pensera à l'avantage d'allonge considérable qu'apporte la demi-pique mais on n'hésitera pas à saisir celle-ci à la main une fois parée pour casser cette distance. Le parapluie peut être utilisé d'estoc comme un fleuret ou tenu à deux mains, frappant à courte portée d'estoc avec la pointe et de taille avec la crosse, on n'hésitera pas à l'ouvrir au moins une fois. De même, il ne faut pas se priver de crocheter des chevilles, des bras, des cous ou des armes avec la crosse de la canne ou du parapluie. On pourra voir quelques passes pure de canne de combat au début entre le baron samedi et l'homme, ensuite, une fois l'épée en main on ne se privera pas de coupés et/ou de dégagés ni de moulinets au sabre. Bref on utilisera la spécificité des armes quoi !

Concernant les combats à plusieurs si on veut faire réaliste le héros ou l'héroïne évitera de se retrouver encerclé et bougera au maximum pour éviter cette situation qui pourra cependant arriver et finir pas une blessure. Ne pas hésiter pour marquer le débordement à ce qu'il enchaîne des parades jusqu'à ne plus pouvoir. Ils peut aussi tout à fait se faire embrocher juste après avoir éliminé un adversaire. De toutes façons il faut que cela bouge, il faut que les combats soient aussi vivants et dynamiques que la musique !

Le Baron Samedi a déjà affronté James Bond !
Vivre et laisser mourir -1973

Déroulé chronologique

On peut donc proposer la "timeline" suivante en fonction de la musique :

0:00 à 1:23 - Introduction des personnages principaux qui dansent ensemble, se disputent et l'un d'eux va vers la poupée vaudou.
1:24 à 2:44 - Première aiguille plantée, les loas sortent de l'ombre et attaquent. Chaque héros fait un combat à un contre trois.
2:45 à 3:50 (environ) - Les deux amants reviennent devant leur poupée, plantent une aiguille simultanément puis se place au centre, les loas les entourent et un combat à deux contre trois commence. Ils est gagné par les héros qui récupèrent le sabre et la canne-épée.
3:50 à la fin - Les deux amants font quelques pas de danse en couple puis se plantent mutuellement et finissent en extase. La lumière s'éteint.

***

J'espère avoir répondu au défi du Baron de Sigognac avec succès. Ce genre d'exercice est intéressant pour stimuler l'imagination et la créativité et sortir des routines habituelles. J'espère qu'il vous aura peut-être donné des idées et qu'il vous inspirera dans vos créations. Et si vous êtes vraiment motivés vous pouvez monter ce combat et m'envoyer la vidéo (ou m'inviter à la représentation). Qui sait ?

Quelques liens utiles

Diablo Swing Orchestra sur Wikipedia
Le site web de Diablo Swing Orchestra
Les paroles de la chanson Voodoo Mon Amour
Le swing (la musique) sur wikipedia
Le swing (les danses) sur wikipedia
L'histoire du swing sur le site Studio 88 swing
Le vaudou sur wikipedia
Le vaudou - mythes et réalités sur le site de Vrak TV
What is Voodoo ? Understanding a Misunderstood Religion sur le site de Huffington Post