lundi 24 février 2020

L'épreuve libre des Championnats de France d'escrime artistique 2020

Si vous ne le savez pas encore l'épreuve finale des championnats de France d'escrime artistique aura lieu samedi prochain (le 29 février). Votre serviteur aura l'insigne honneur de les commenter en compagnie de mon fidèle acolyte (il n'aime probablement pas être appelé comme ça), le baron de Sigognac et surtout de Messire le roi Stanislas, aux commandes de la célèbre page "Escrime artistique France".

Mais avant d'entendre nos voix chaleureuses et nos commentaires éclairés je vous propose de nous plonger un peu dans le déroulement et l'évaluation de cette épreuve libre nationale (c'est son nom)

De Italiaansche Straat, gravure attribuée à  Adolf van der Laan (1736-1738 et/ou 1760-1765) dans les collections du Rijksmuseum d'Amsterdam

Époques et sections

En escrime sportive on voit s'affronter trois armes, des épreuves individuelles ou par équipe et des catégories selon le sexe du tireur ou de la tireuse. L'escrime artistique a repris l'idée d'épreuves différenciées avec chacune son champion ou sa championne en l'adaptant à ses propres particularités.
Notons que les époques et catégories utilisées pour ces championnats de France sont directement dérivées de celles utilisées pour les championnats du monde puisque les championnats de France ont comme objectif secondaire de qualifier pour les championnats du monde. Elles ne procèdent donc pas du choix des organisateurs pour l'essentiel mais de celui effectué au niveau international.
Remarquons également qu'il n'y a pas de distinction entre hommes et femmes. Celle-ci n'est pas pertinente pour notre discipline. Si celle-ci demande un peu de forme physique la différence athlétique entre les sexes ne joue pas sur les qualités de l'escrimeur ou de l'escrimeuse puisqu'il s'agit d'une coopération et non d'une opposition. L'escrimeur artistique a besoin d'être en forme, il n'a pas besoin d'être un athlète et, même pour un jeu basé sur de nombreuses cascades, ce n'est pas la production de testostérone qui fera la qualité de celui-ci mais bien plus l'entraînement et la préparation.

On trouve ainsi trois époques déterminées par la date du combat simulé mais aussi par les armes utilisées à l'époque : médiéval/antiquité, Renaissance et temps modernes et l'époque intemporelle qui autorise tout. Les costumes et les armes doivent correspondre à peu près à l'époque même si ici on n'est clairement pas dans de la reconstitution historique. Et comme les escrimeurs et escrimeuses de spectacles ne sont pas des gens retors il ne chercheront pas à mettre un dilemme aux organisateurs en proposant un combat d'épée à deux mains proto-sportif du XVIIe siècle à la Fechtfeder inspirée du traité de Jacob Baden Von Suttor ! Oui je sais je suis un peu vicieux mais chercher les failles et faire étalage de ma culture de l'histoire de l'escrime sont des défauts que vous devez me connaître.

Technique d'épée longue dans le New Kůnstliches Fechtbuch de Jakob Sutor Von Baden (1612)
Chaque époque a deux sections : duo et troupe. Elles doivent être respectées sous peine de pénalité de 20 points (sur 100). Ainsi si, dans un duo, des figurants ou acteurs supplémentaires interviennent (trois maximum), ceux-ci ne doivent pas combattre et ne sont là que pour l'histoire ou le décor. De même, on vu venir les petits malins et un combat de troupe ne doit pas n'être qu'une succession ou une juxtaposition de duels . Ne dites rien, je sais que vous l'avez déjà fait (et moi aussi) ! Cela fonctionne pas trop mal devant un public mais pour des championnats de France on en attend un peu plus et les gens sont priés de combattre au moins une fois à trois (minimum) en même temps.

Enfin on ajoutera deux sections supplémentaires ne relevant pas d'une époque en particulier : le solo et le mouvement d'ensemble. Il s'agit toujours d'effectuer des mouvements d'escrime (il ne s'agit normalement pas de passer la serpillère ou de faire du cabaret avec des épées) contre des adversaires imaginaires avec une recherche affirmée d'esthétique ou de performance artistique.

Au final nous avons donc huit groupes de compétition différents (à comparer avec les douze en escrime sportive) et encore plus de champions (au maximum trente-neuf si toutes les troupes comportent huit personnes et au minimum dix-neuf si toutes les troupes ne comptent que trois personnes).

On attend au moins autant de classe lors de la remise des médailles !
Willem V vereert de helden van de zeeslag bij Doggersbank, - gravure de Reinier Vinkeles (1781) dans les collections du Rijksmuseum d'Amsterdam

Un championnat d'escrime

Une autre caractéristique apparaît clairement : il s'agit d'un championnat d'escrime et non un concours de numéros de spectacle. L'escrime est l'outil du spectacle d'escrime et ici c'est avant tout celle-ci qui est jugée.

Tout d'abord les possibilités scéniques sont limitées. Il s'agit tout autant de contraintes techniques que d'une volonté de se concentrer sur l'escrime. Les contraintes techniques impliquent de faire passer en une journée un très grand nombre de numéros avec un seul régisseur. Si vous êtes millionnaire et que vous voulez sponsoriser ces championnats pour louer une scène sur deux journées et une armée de régisseurs et de techniciens n'hésitez surtout pas. En attendant il faut faire avec les moyens disponibles et limiter les accessoires et les effets de lumières. Ainsi les décors lourds ne sont pas autorisés car trop longs à installés. De même la bande son est automatisée et seules deux ambiances de lumière (froide ou chaude) sont possibles, a priori sans changement entre les deux. Il n'y a pas de poursuites, de douches, d'augmentation ou de diminution de lumières ni de machine à fumée ou autre.

Les costumes en revanche ne sont pas limités (sauf costumes indécents parce qu'on n'est pas dans du théâtre d'avant-garde mais dans une épreuve sportive) ni le jeu d'acteur (sauf insultes et politique).

Cet exemple illustre le décompte du temps d'escrime lors des épreuves. 10 secondes sans action offensive ou préparation sont autorisées et comptabilisées dans le "temps d'opposition". On remarquera cependant que les préparations doivent avoir un lien direct avec l'action offensive pour être comptabilisées.
Ces limitations ont la conséquence vertueuse que c'est par l'escrime qu'il faudra d'abord briller. Celle-ci compte pour 60% de la note finale et l'opposition doit représenter au moins 50% du temps de la scène. Même dans les 40% restants la scénographie ou l'originalité du sujet entrent en jeu. Il s'agit de savoir composer un sujet original et intéressant d'abord avec les performances des escrimeurs de spectacle présents. Avoir un décor et des accessoires minimaux obligent à juger d'abord la performance des acteurs-escrimeurs, leur capacité à bien se placer, à bien jouer, avec leurs voix et leurs gestes mais d'abord avec leurs corps et leurs épées.

Notons d'ailleurs que la richesse et la diversité des coups est évaluée mais qu'il faut aussi respecter les personnages en action. Le jury devra ainsi distinguer un mouvement volontairement maladroit ou en retard, parce que le personnage est maladroit ou qu'il est dépassé par son adversaire d'un mouvement simplement un peu imprécis ou en retard. Au vu de la qualité du jury je n'ai pas d'inquiétudes mais on avouera que leur acuité sera mise à l'épreuve !

Une particularité également concernant le jury : chaque membre du jury notera individuellement chaque numéro. Ce système est en place en patinage artistique, en gymnastique et dans d'autres disciplines. Le jury ne se concerte pas à chaque fois pour décider d'une note globale mais chaque note est la moyenne de celle de tous les membres du jury. Certains accorderont peut-être des pénalités là où d'autres n'en mettront pas. Ainsi si, si la faute est évidente on peut parier que tous sanctionneront alors que si elle est plus discutable, tous ne sanctionneront peut-être pas et son impact sera moindre sur la note finale. De même pour des mouvements qui pourront séduire certains membres du jury et moins d'autres. Il s'agira donc d'une moyenne et il faudra donc être vraiment impressionnant pour gagner.

Si on analyse ce système on remarque que 30% voire 40% de la note porte sur l'escrime pure (réalisme/gestuelle, vitesse/dextérité, qualité et originalité de la chorégraphie et richesse des mouvements). On espère ainsi que l'on verra une escrime variée, réaliste (ou alors créative artistiquement) qui ne se contente pas de décliner la gamme classique de l'escrime artistique. Notons également 20% attribués aux spécificités de notre discipline (sécurité et gestion de l'espace et du rythme). Pour gagner il ne faudra pas être bon que dans un seul domaine mais dans tous. Mais on verra également comment les membres du jury interprètent tout cela !
Le système de notation avec des item chacun noté sur 10 points.


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J'espère donc vous retrouver aux Herbiers ou sur le flux vidéo internet où seront diffusées les épreuves pour vibrer ensemble au son des lames au milieu de duels furieux ou de d'affrontements poignants à la pointe de l'épée ou de toute les armes que les protagonistes auront bien voulu apporter.

Pour finir je vous laisse avec la vidéo de l'édition 2002 :