mercredi 19 juin 2019

Typologie des traités et manuels d'escrime

Tout personne étudiant les Arts Martiaux Historiques Européens (AMHE) vous le dira : "le contexte, le contexte, le contexte !". Le contexte c'est le cadre dans lequel évolue l'escrime qu'on étudie, mais aussi celui dans lequel elle a été mise par écrit dans un traité ou un manuel qui est parvenu jusqu'à nous. C'est en fait un réflexe de base en Histoire : qui écrit ? Pourquoi faire ? Dans quel contexte ? De là on peut repérer des biais, se méfier de certains passages, prendre de la distance vis à vis de sa source historique et ne pas la prendre pour une vérité absolue.

Les traités et manuels d'escrime sont la principale source sur la pratique du combat armé à certaines époques, la plus facilement exploitable également puisqu'ils décrivent directement des techniques et des principes d'escrime. C'est plus facile à utiliser pour reconstituer un geste que des statistiques de blessures, des chroniques, des sagas, des chansons de geste ou des sources judiciaires (procès, lettres de rémission). Néanmoins il est important d'avoir à l'esprit certaines choses et notamment le type d'escrime qui y est décrit et à quelles fins il y est décrit. D'où cette typologie des traités d'escrime pour mieux les comprendre.

L'étendue chronologique de cette étude s'étendra de la fin du XIIIème siècle, date du plus ancien traité connu jusqu'au début du XXème siècle. [Edit :] Vous comprendrez donc bien qu'avec 600 ans de traités étudiés ensemble il y aura des généralisations et des approximations.

Remarque : contrairement à mon habitude cet article est conçu aussi bien pour les pratiquants d'AMHE que pour les pratiquants d'escrime de spectacle.

Tournois sur la place du grand marché à Bruxelles en 1569 - gravure de Frans Hogenberg, 1569 - 1570
on remarque bien la barrière qui sépare les combattants, leur interdisant le jeu court et le contournement de l'adversaire
Collections du Rijksmuseum d'Amsterdam

Pourquoi, qui, pour qui et pour quoi faire, écrire un traité d'escrime ?

On écrit pour les riches

La première interrogation est "pour qui ?" ces traités et manuels ont-ils été écrits ? Or, jusqu'à la fin du XIXème siècle au moins, les livres ont toujours été des objets assez coûteux que les classes sociales les plus pauvres ne pouvaient pas se payer. Ajoutons à cela qu'avant l'école primaire obligatoire pour tous la proportion de gens sachant lire était relativement faible et concernait majoritairement les classes les plus élevées de la société.

Il convient d'apporter une nuance puisqu'au cours des siècles le prix des livres n'a cessé de baisser tandis qu'augmentait l'alphabétisation des peuples.

Avant l'invention et la diffusion de l'imprimerie (dans la seconde moitié du XVème siècle et plus sûrement au début du XVIème siècle) les manuscrits étaient des objets extrêmement coûteux, recopiés à la main sur du parchemin et que seule une poignée de gens riches ou de monastères pouvaient s'offrir. Les traités de cette époque étaient donc lus par de grands nobles ou des aristocrates urbains (avec le développement des villes aux XIVème et XVème siècles).

La diffusion bien plus large permise par l'imprimerie a permis peu à peu à des nobles moins fortunés ou à des bourgeois intéressés de s'offrir des livres d'escrime. Les techniques de gravure,de plus en plus précises ont permis également d'y adjoindre souvent des illustrations qui étaient autrefois dessinées à la main.

L'amélioration des techniques d'imprimerie ont permis de baisser le prix des livres et de permettre la naissance de la presse qui devient bien plus importante que le livre au XIXème siècle. Les journaux, et encore plus ceux du week-end étaient bien plus que de simples vecteurs d'information avec différentes rubriques. C'est donc logiquement qu'au début du XXème siècle on voit même des techniques d'escrime ou de self-défense publiées dans leurs colonnes.

Malgré tout, même à cette époque, la cible des auteurs de traités reste une frange relativement aisée de la population, celle qui pratiquait l'escrime qui n'a jamais été un sport de basses classes. En fait les pratiques martiales des basses classes n'étaient pas écrites, ou alors seulement au moment où elles commencent à intéresser les gens des plus hautes classes sociales (c'est l'exemple de la savate). De même les traités militaires étaient d'abord destinés aux instructeurs et les simples soldats ne les lisaient pas.

École d'escrime de l'Université de Leiden par Willem Isaacsz. van Swanenburg, d'après Jan Cornelisz. van 't Woudt, 1610
Collections du Riksmuseum d'Amsterdam

La glorification personnelle : le principal motif

L'autre interrogation est le "qui ?" et le "pourquoi ?". Pourquoi prendre le temps de coucher un savoir par écrit et qui le couche ?

Quand on connait les auteurs des traités il s'agit en grand partie de maîtres d'armes. Il peut également s'agir d'escrimeurs bien placés auprès du pouvoir ou de riches passionnés d'escrime.  L'auteur est rarement noble ou alors de petite noblesse. À partir du XVIIème siècle il peut aussi s'agir d'officiers de l'armée. Ces gens ont à se faire une meilleure place dans la société de l'époque, ou ils éprouvent un besoin de justifier celle qu'ils ont obtenue auprès d'un puissant (souvent en étant son maître d'armes).

On a vu que les livres étaient coûteux, mais ils étaient surtout coûteux à produire et il est peu probable que l'auteur ait tiré directement beaucoup d'argent de la vente de livres. Les droits d'auteurs n'ont longtemps pas existé. Dans les premiers siècles de l'imprimerie c'est l'imprimeur qui tirait les principaux revenus de la vente des livres et des rééditions voire des plagiats. Ainsi, lorsque Christian Egenolff, imprimeur de Francfort, réédite en 1531 le traité publié par Andre Paurenfeindt en 1516 à Vienne, il est fort probable que ce dernier n'ait pas touché la moindre pièce sur les profits de cette édition, ni des quatre autres qui ont suivi ; de même lorsque Guillaume Vorsterman d'Anvers le traduit en français en 1538. L'auteur était payé pour son texte, quand ce n'était pas lui qui payait l'imprimeur pour l'édition, et ensuite celui-ci appartenait à tout le monde, pouvait être modifié ou transformé sans qu'il puisse dire quoi que ce soit. Les villes d'Anvers puis d'Amsterdam étaient réputées du XVIème au XVIIIème siècle pour imprimer des contrefaçons mais aussi des livres illégaux.

Christian Egenolff (1502-1555), imprimeur de Francfort ayant édité quatre fois le traité d'Andre Paurenfeindt

Les raisons de la publication de ces traités est plus à rechercher dans la glorification personnelle et de sa famille. Les maîtres d'armes n'étaient pas nobles mais ils enseignaient une matière noble par essence : l'art de l'épée. Publier un traité était un signe de reconnaissance supplémentaire et, pour ceux qui cherchaient un poste, une manière de se faire connaître. C'est ainsi que, grâce à ses traités très clairs et de grandes valeurs, Joachim Meyer, artisan coutellier de Strasbourg a pu se faire embaucher en 1570-71 comme maître d'armes par le Duc Johann Albrecht de Mecklenburg (il est malheureusement décédé d'une pneumonie contractée durant le voyage).

Même plus tard les traités et manuels étaient d'abord là pour assoir, construire ou légitimer une carrière. Ils permettaient de faire connaître celui qui les avait écrites auprès de tous. Au fond le processus n'est pas fondamentalement différent de celui régissant les publications des universitaires.... ou des bloggers ? (non, je ne cherche pas à faire carrière mais je suis toujours flatté d'entendre mon blog cité par quelqu'un).

D'ailleurs publier un traité c'était déjà montrer qu'on avait suffisamment de légitimité pour le faire, pour obtenir un privilège du souverain pour le faire, souverain auquel était systématiquement dédié le traité. Au XIXème c'est qu'on avait acquis un statut dans la profession qui intéressait un éditeur qui n'aurait pas publié un obscur enseignant inconnu. On en profite d'ailleurs souvent pour mettre son portrait au début de l'ouvrage !

Enfin vous l'aurez compris, on écrit pour se glorifier, promouvoir sa carrière, justifier une vie réussie et pour la postérité.


Remarque : il reste la question des traités anonymes, qui, si ils sont anonymes n'ont pas pu être rédigé "pour la gloire personnelle". Tout d'abord précisons qu'il s'agit principalement de manuscrits, donc probablement recopiés d'autres manuscrits et donc pas forcément en entier et avec le nom de l'auteur. Si ils sont vraiment anonymes dans l'écrit, l'étaient-ils pour leur propriétaire ? On peut donc mettre un bémol sur l'anonymat même si une étude sur l'anonymat nécessiterait d'être conduite pour mieux comprendre ce phénomène de traités anonymes.

Philibert de la Touche, maître d'armes du Roi de France, anobli par celui-ci en profite pour mettre son portrait au début de son traité Les vrays principes de l'espée seule (1670)

Distinguer les traités par la destination de leur escrime

Puisque le "qui", le "pour qui" et le "pourquoi" sont très similaires dans la majorité des traités d'escrime, il sera possible de les distinguer par le "pour quoi faire ?". La question à se poser est donc : à quoi sont destinées à servir les techniques présentées dans ce traité ou ce manuel ? Dans quel contexte seront-elles employées ?

Cela dépend évidemment du public, de ce qu'il pratique et de ses préoccupations. Pour prendre une analogie contemporaine vous pouvez apprendre la boxe anglaise pour devenir champion sur un ring avec des règles d'affrontement bien bien codifiées ou vous pouvez apprendre la krav-maga pour vous défendre dans la rue. Ajoutons le le krav-maga que vous apprendrez en France n'est pas celui qu'apprennent les soldats israëliens. Eux apprennent à neutraliser un ennemi au plus vite sans souci de sa vie ou d'une éventuelle réponse disproportionnée et de conséquences pénales, ce n'est pas le cas de la défense personnelle dans la rue.

Les manuels et les traités ont donc une destination première pour l'application de l'escrime qu'ils présentent. Parfois elle est complètement évidente, parfois elle est plus floue ou les traités présentent des chapitres ou des paragraphes destinés à quoi faire "dans le cas d'une affaire sérieuse" (comprendre : un duel à mort) ou des techniques utilisables en campagne militaire. Pour certains traités il est plus pertinent de réfléchir par chapitre. N'oublions pas non plus que, même si l'escrime est apprise dans un cadre spécifique, elle peut être transposée dans un autre, beaucoup de techniques fonctionnant quand même. Pour reprendre l'analogie contemporaine, si vous avez appris la boxe anglaise, vous saurez toujours mieux vous battre dans la rue ou sur un ring que quelqu'un qui n'a fait aucun sport de combat ou art martial, mais vous pourrez vous faire surprendre facilement par certaines situations.

Je dégagerai ici quatre types de traités et de manuels d'escrime, ou du moins de destination de certains chapitres, cette division me semble pertinente mais il n'y a pas de raison d'en trouver d'autres. Prenez-la donc pour ce qu'elle est : une classification que j'espère utile. On trouvera donc les traités de défense personnelles, les traités de duel, les traités proto-sportifs ou sportifs et les traités militaires. Je vais donc vous les présenter en vous en citant des exemples.

Si la classification de certains traités est parfois compliquée, celle du traité d'Émile André Se défendre dans la rue avec arme (1911) ne fait en revanche pas l'ombre d'un doute !

Typologie des traités et manuels d'escrime

Les traités de défense personnelle

Les époques des traités d'escrime sont des époques violentes, émaillées de guerres mais également de meurtres liés à la colère ou la vengeance. Tout les hommes ou presque se promènent avec une arme au côté et celles-ci ont tendance à sortir assez facilement de leur fourreau. Le meurtre d'ailleurs n'est pas vu comme le crime horrible qu'on voit de nos jours mais comme un crime rachetable, une conséquence de la colère, bien loin d'être le pire de tous. Même au XIXème siècle où le port d'arme n'est plus courant (enfin, sans compter les cannes), les villes, frappées d'urbanisation rapide, sont considérées comme dangereuses, surtout la nuit, et il est important de savoir se défendre des agressions.

Dans ce contexte il est donc très utile de savoir manier l'arme que l'on porte au côté ou de savoir se défendre avec ce que l'on trouve. Les combats se déroulent sans règles et peuvent opposer des armes différentes et plus que deux adversaires. Il faut donc savoir réagir et se défendre de la plupart des attaques les plus courantes. Ainsi, avant Lecküchner, le messer était avant tout une arme de défense personnelle et on se défendait beaucoup de coups venant du haut, le plus classique porté par un adversaire ivre de colère et/ou de boisson !

Par ailleurs, pas besoin d'être propre dans ses coups, il suffit d'incapaciter l'adversaire pour qu'il en soit plus un danger, on sera donc assez opportuniste dans ses frappes, visant les mains, souvent des cibles faciles, ou donnant des coups de pieds ou des coups de pommeau. On ne cherche pas à faire beau, simplement à être efficace. Beaucoup de techniques de Fiore dei Liberi entre dans cette catégorie.

Cette technique issue de la Fleur de bataille de Fiore dei Liberi (vers 1400) est clairement une technique de défense personnelle

Les traités de duel

Le duel est un façon codifiée de régler un conflit. Jusqu'au milieu du XVIème siècle on trouve le duel judiciaire qui consiste à s'en remettre au jugement divin pour décider du coupable ou de l'innocent. Il est régulé par le droit et très certainement mortel. Il disparaît au milieu du XVIème siècle ; en France le dernier est celui opposant Jarnac et la Châtaigneraie le 10 juillet 1547. Devant l'humiliation de celui qui était son champion (mais combattait pour une autre raison), Henri II, qui assiste au duel, décide de mettre fin à cette pratique.

Mais la volonté chez les nobles de régler un conflit dans le sang était visiblement trop forte et le duel a perduré ensuite sous la forme illégale du duel d'honneur. C'est celui que l'on connait, idéalement au petit matin avec envoi des témoins, choix des armes pour l'offensé (l'offensé est celui qui a été offensé, donc celui qui provoque en duel). Il est illégal mais pratiqué par toutes les élites de l'époque et les multiples édits l'interdisant prouvent l'incapacité des autorités à l'empêcher. Il est tout aussi mortel que l'était le duel judiciaire et le refuser serait une preuve de couardise indigne d'un noble. Vers le milieu du XIXème siècle on commence à voir des duels au premier sang, mais la fonction reste la même : prouver son courage qui légitime l'appartenance à une certaine élite.

Les traités et manuels d'escrime servent donc très logiquement à apprendre à combattre selon les règles en vigueur aux différentes époques et avec les armes pratiquées en duel. Les caractéristiques des duels sont assez constantes : seulement deux personnes qui combattent (pas de deux contre trois même en cas de duels de groupe), armes égales et espace plus ou moins délimité. Le plus souvent ces combats se font sans armure et avec des vêtements allégés pour être plus à l'aise. Les traités présentant une escrime de duel sont donc écrit pour être efficaces, surprenants et sans pitié. Comme pour la défense personnelle, on ne cherche pas la belle escrime mais les coups qui blesseront ou tueront, la seule différence est qu'on est dans un mode de combat régit par des règles d'équité.

Les barrières et l'armement égal du Livre de combat de 1459 de Hans Talhoffer désignent bien un duel judiciaire
(même si sur certaines images les armes ne sont pas toujours égales ce qui peut désigner des règles complexes qu'il serait intéressant d'approfondir pour mieux les comprendre)

Les traités sportifs et proto-sportifs

Si le terme de sport peut difficilement être utilisé avant les dernières décennies du XIXème siècle on peut parler, dés l'Antiquité, de pratiques proto-sportives. Elles dérivent des entraînements à l'escrime à armes neutralisées (ne croyez pas les films, les anciens ne s'entraînaient pas avec des armes affûtées et pointues, ils n'étaient pas stupides !) ; elles sont la volonté des humains de se mesurer les uns aux autres sans (trop) se faire mal. Les pratiques proto-sportives incluent les tournois et autres pas d'armes, les Fechtschulen des villes germaniques du XVIème siècle (et même XVII et XVIIIème siècles), les rencontres d'escrime ou les combats de prestiges comme la rencontre du Chevalier de Saint-Georges et du chevalier d'Éon le 9 avril 1787 et, évidemment, les compétitions d'escrime des XIXème et XXème siècle.

On trouve des événements, des jeux, avec le plus souvent un public et des juges et arbitres. On y compte parfois les touches mais l'on juge aussi la qualité et la beauté de celles-ci pour désigner un vainqueur. Une des version les plus sanglante est la gladiature des îles britanniques de la fin du XVIIème et du début du XVIIIème avec des combats à la broadsword affûtée ou à poings nus dans les "beargarden" à l'arrière des tavernes (j'en ai parlé dans un de mes articles sur les femmes combattantes et si j'arrive à rassembler assez de renseignement dessus je vous en ferai un article). Notons aussi qu'on peut y adjoindre les versions prolétaires de ces affrontements avec les luttes paysannes, la savate/le chausson des bistrots parisiens ou des ports de Marseille ou encore les techniques traditionnelles de bâton (le jogo do pao portugais en est une des rares survivance qui n'a pas été recréée), le couteau sicilien etc. Nous avons malheureusement peu de traces de ces pratiques.

Le traité de L'art des armes de 1788 de Guillaume Danet nous présente les fleurets bien mouchetés d'une escrime de salles d'armes


Quand ces pratiques sportives deviennent très importantes, comme dans les villes allemandes du XVIème siècle ou dans l'Europe du XIXème siècle, on en fait des traités. Notons aussi que, le duel étant interdit aux XVIIème et XVIIIème siècle, les traités d'escrime de l'époque prétextent tous présenter une escrime de salles d'armes et non de duel. Ces escrimes proto-sportives présentent toutes des caractéristiques communes :

_ À l'exception des gladiateurs britanniques elles se pratiquent avec des armes d'entraînement. Ces armes sont dépourvues de tranchants et de pointe, peuvent parfois plier sur un estoc, sont souvent plus légères et parfois en bois au lieu de métal. On y adjoint parfois des protections mais le masque d'escrime n'a été utilisé couramment qu'à partir du XIXème siècle et l'acceptation des blessures n'était pas la même à ces époques qu'à la nôtre (on acceptait de pouvoir recevoir un coup fechtfeder ou de dussack en bois sur une tête non protégée par exemple).

_ Elles possèdent souvent des techniques très complexes et spectaculaires, parfois inutilement complexes et difficiles à passer. Elles permettent de faire montre de son savoir-faire et d'impressionner le public, elles sont plus dangereuses mais on les tente parce qu'on ne risque pas réellement de mourir. Ces traités sont également destinés à des escrimeurs qui s'entraînent régulièrement et ont un niveau technique parfois très élevé. Je ne résiste pas à l'envie de vous redonner la citation de Jacob de Gheyn II (que je vous ai déjà assénée ici) qui écrit un traité militaire et en explique pourquoi il n'a pas gardé toutes les techniques de piques connues :
Comme donc nostre intention ne passe point plus avant, que pour enseigner les Soldats inexperimentez, & renforçer, par inspection & leçon la memoire de ceulx qui sont desia expers, ainsi personne ne trouvera estrange, qu’en la representation des Piques, nous n’y avons mis aultre chose, que ce, que (pour l’usage dicelles) semble estre le plus necessaire à la guerre, paßant pardessus beaucoup de façons, qui si practiquent, par maniere de paßetemps, & ne servent de guerres, en l’exercice militaire.
 Jacques de Gheyn II - Maniement d’Armes d’Arquebuses, Mousquetz, et Piques. - 1609 (traduction française d'époque)

On voit ici son besoin de simplification des techniques et la qualification de certaines comme un simple amusement.

_ À l'inverse, les traités proto-sportifs interdisent certains coups car trop dangereux ou pas assez spectaculaires. Il s'agit très souvent des coups de taille comme dans l'escrime à l'épée longue de Joachim Meyer ou la gladiature britannique, il s'agit des clefs dans la lutte proto-sportive, des coups aux mains dans l'escrime germanique ou des attaques à la tête au fleuret, la liste est, évidemment, non exhaustive. Dans tous les cas on a une escrime adaptée pour limiter la dangerosité de l'affrontement et, éventuellement, permettre un meilleur spectacle.

Techniques de corps à corps dans le traité de 1570 de Joachim Meyer avec des saisissements d'épée

Les traités militaires 

Le dernier type de traité que je distinguerai est celui des traités d'escrime militaire. On n'en voit pas avant le XVIIème siècle et ils sont surtout répandus au XIXème siècle. Ils pourraient être proches des traités de défense personnelle de part le fait qu'on combat sans règles et pour incapaciter l'adversaire le plus rapidement, mais ils ont des caractéristiques spécifiques qui justifient qu'on en fasse une catégorie à part

Si ils sont écrits pour être lus par des officiers ou des sergents-instructeurs ils ont la particularité de s'adresser à des soldats, le plus souvent issus des classes paysannes ou urbaines pauvres et n'ayant pas été formés au combat. Il s'agit de former en masse des gens inexpérimentés et en un temps limité. Le temps consacré à l'apprentissage des armes est réduit car il faut qu'ils apprennent déjà la discipline, les formations de combat et tout ce qui fait le soldat. De même, on n'a pas les moyens de les faire passer chacun avec un maître d'armes en leçon individuelle comme s'est enseignée l'escrime pendant des siècles. De plus il convient de leur apprendre uniquement le maniement des armes qu'ils vont utiliser.

On a donc une escrime souvent très basique, voire réduite à l'essentiel et des proto leçons collectives sous la forme d'exercices d'enchaînement de techniques ("drill" en anglais). Ces exercices ne sont d'ailleurs pas fondamentalement différents de ceux que les soldats apprennent pour charger le mousquet, se positionner dans les rangs ou bien agiter un drapeau pour qu'il soit visible et qu'on trouve aussi dans les mêmes ouvrages. Néanmoins, la différence entre un soldat qui connaît les bases du combat et un autre qui ne les connait pas est considérable et donne un très gros avantage au premier, d'où l'intérêt d'une formation minimale. Ainsi la partie sur le sabre d'abordage (cutlass) du Instructions for the Exercice of Small Arms (manuel d'instruction de la marine anglaise de 1859) réduit les gardes/parades à quatre et les coups à quatre coups de taille et un estoc, il est difficile de faire plus minimaliste !

Néanmoins ces manuels ont l'intérêt de nous renseigner sur les situations qu'on peut rencontrer, sur des oppositions d'armes différentes (cavalier contre fantassin par exemple) et sur le maniement d'armes qui ne sont pas abordées par les traités d'escrime comme la baïonnette par exemple qui est spécifiquement et uniquement une escrime de guerre.
Fantassin contre lancier dans le traité sur la baïonnette d'Alexandre Müller (1822)

Que faire de cette typologie ?

Cette typologie est là pour vous rappeler qu'il ne faut pas oublier le contexte. Si vous utilisez un traité allemand du XVIème siècle et que vous croyez apprendre à vous battre comme à l'époque, alors oui, vous apprendrez à vous battre comme à l'époque... si vous participiez à une Fechtschule ! Il faudra donc appliquer des règles de touches adaptées (pas de coups aux mains, seuls les coups francs comptent, le coup le plus haut l'emporte par exemple). C'est ainsi qu'ont été conçues par exemple des règles comme celles de la Convention des joueurs d'épée. Vous ne pouvez pas y faire du Fiore qui est bâti dans un autre esprit et qu'il vous faudra sérieusement adapter à ces conventions.
De même, si vous pratiquez la baïonnette vous en ferez pas que des duels, vous pourrez faire des batailles rangées si c'est un traité conçu pour (Alexandre Müller) ou des escarmouches si c'est dans ce cadre qu'elle est censée être utilisée (Joseph Pinette).

Alors, bien sûr, les autres types d'escrime pratiquées dans les mêmes lieux et les mêmes temporalités avec les mêmes armes ou types d'arme n'étaient pas complètement différentes de celles des traités qui nous sont restées. De plus, un escrimeur entraîné d'une certaine manière aura tendance à reproduire son style, celui dans lequel il est le plus à l'aise, ainsi, si il est entraîné à une escrime proto-sportive sans estocs il est peu probable qu'il en fasse dans le cadre d'un duel ou d'un champ de bataille, car il ne sera pas à l'aise dans cet exercice et, sous le stress, ira au plus facile et au mieux connu. 

Si vous voulez vraiment reconstituer sérieusement un combat de rue au dussack à partir d'un ou de plusieurs traités proto-sportifs il vous faudra compléter votre documentation par d'autres sources et notamment les lettres de rémission, les récits et tout ce qui peut vous documenter sur les particularités de cet exercice. Cela supposera probablement de lire des manuscrits en allemand du XVIème siècle qui dorment au sein d'archives poussiéreuses ! Si vous êtes AMHiste, soit vous êtes prêt à cet exercice, soit vous vous contentez de l'escrime proto-sportive, j'exagère un peu mais dans l'esprit c'est plus ou moins ça.

Si vous êtes un escrimeur artistique, une plus grande marge de tolérance est admise, même en voulant faire de l'historique car sinon il faudrait se priver de trop de thématiques et cela serait dommage. Néanmoins réfléchissez aux coups que vous choisissez, ne faites pas n'importe quoi. Seul un personnage expert serait capable d'exécuter certains coups très techniques des traités proto-sportifs. Mais bon, l'escrime artistique est aussi faite pour montrer plus de jolis coups qu'il n'en sortirait normalement dans un vrai combat, c'est donc une concession acceptable dirons-nous.

Comme d'habitude c'est encore un appel à ne pas faire n'importe quoi n'importe comment, à réfléchir à ce que vous faites et comment vous abordez les techniques d'escrime anciennes.


 Le groupe Spatha a très bien adapté à une escarmouche des techniques plutôt destinées au duel



Post Sciptum : Non, ce blog ne vas pas être renommé "Le carrousel des lames", mais l'auteur du Blog mort-vivant "Le carrousel des AMHE" l'a peut-être en partie inspiré. Il y a des gens qui vous remettent dans la droiture et la modestie de la démarche historique et il en fait partie.

lundi 10 juin 2019

Armes insolites : le grand gourdin à deux mains

Hercule est à l'honneur pour ce nouvel article de ma série discontinue sur les armes insolites puisque nous allons parler de la massue, du grand gourdin, de la bûche, de l'assommoir... de tout ce qui est gros, lourd et brutal (non non non, pas de commentaires, je vous ai vus venir petits coquins).

Il s'agit probablement de l'une des plus anciennes armes de l'humanité car l'une des plus simples. Cependant elle n'est utile à la chasse que contre les petits animaux (et dans une version légère pour être plus rapide), la version lourde et à deux mains qui nous intéresse ici serait surtout utile contre les humains ou pour se défendre contre de grands animaux. Malgré tout une autre arme très ancienne, la lance (on a trouvé trois épieux en sapin sur le site de Schöningen - Allemagne - vieux de 300 000 à 400 000 ans), était plus efficace que le grand gourdin et très utile à la chasse. Le massacre de la grotte de Naturuk, daté d'il y a 10 000 ans a été effectué avec des armes contondantes, c'est la plus ancienne ou l'une des plus anciennes preuves d'utilisation de gourdins.

Malgré cela, dés l'Antiquité avec le héros et demi-dieu Heraklès/Hercule, ses ennemis les Centaures, elle a été associée à l'homme sauvage, non-civilisé. Cette thématique a été largement reprise à la Renaissance, quitte à représenter Hercule luttant contre l'hydre de Lerne avec un gourdin ! Dans une opposition ville/campagne civilisé/rural on la met également dans la main des paysans.

Étudions donc cette arme impressionnante dans toutes ses variantes.

Hercule terrassant l'hydre de Lerne - Cornelis Cort d'après Frans Floris - 1563
Collections du Rijksmuseum d'Amsterdam

Une arme rustique et ses variantes

Représenté dans les mains d'Hercule ou des paysans de la Renaissance, il s'agit d’un gros gourdin, plus ou moins droit, qu’on peut ramasser facilement en forêt, une grosse branche ou un petit tronc en bois suffisamment dur pour pouvoir faire mal. On imagine bien une arme improvisée avec une branche ramassée, grossièrement taillée, du bois de taillis coupé et entassé pour le feu, un élément de maçonnerie, en fait n’importe quoi capable d’assommer et d’assez lourd pour être tenu à deux mains… Le diamètre est plus épais qu’un bâton ou qu’une hampe d’arme d’hast, la longueur est variable et on peut l’estimer entre 1m et 1m50. Pour qu'une telle arme soit suffisamment dure il ne faut pas que le bois soit pourri et n'importe quelle branche ramassée à la hâte ne fera pas l'affaire car elle cassera au premier choc. Il faut donc avoir avoir choisi son gourdin auparavant, sauf à récupérer une grosse branche coupée pour le feu.

Cette arme peut être améliorée par l'ajout de métal, de pointes ou de clous comme on le voit dans la Bible de Maciejowski (1245). On peut également y rattacher le Goedendag des soldats flamands des XIIIème-XIVème siècles. Il s'agit d'un gros gourdin de 1m30-1m40 renforcé d'un cerclage de fer doté d'une pointe sur la partie la plus grosse. Cette arme fit des ravages à la bataille des éperons d'or en 1302 contre les chevaliers français.

Détail de la Bible de Maciejowki représentant un grand gourdin à deux mains renforcé de clous


Reconstitution de Goedendag par le groupe De Liebaart
 
Piéton armés de goedendags par le groupe de reconstituteurs Arbalétriers flamands
Bien plus tardivement Louis de Gaya nous parle de la massue en ces termes :
"On se sert encore de Faux, de Fourches & de Massuës, lors qu'on fait une sortie, lors qu'on veut défendre une brèche & empêcher une escalade.
[...]
Il y a deux sortes de Massuës. La première est comme l'on pourroit dire une Hampe de Pertuisane, au bout de laquelle il y a une boule de bois de la grosseur d'un boulet de huit livres, d'où sortent plusieurs pointes de fer longues d'un grand doigt. La seconde porte une boule semblable à la première, qui pend à la Hampe avec une chaisne de fer , longue de deux pieds & demy. L'on s'en sert comme d'un Fléau à battre les grains."
Louis de Gaya - Traité des armes (1678)

À gauche, des massues dans le Traité des armes de Louis de Gaya (1678)
On pourrait même ajouter à cette liste des armes modernes improvisées comme les battes de base-ball ou de cricket qui en ont la plupart des caractéristiques tout en étant relativement plus légères.

Un style de combat limité

Si ces armes sont impressionnantes elles ne sont pas si dangereuses. Ces armes ne sont pas tranchantes et n'ont que rarement de longues pointes capables d'empaler. Elle ont donc besoin que l'on frappe fort et brutalement avec elles pour briser des os ou assommer. Cet inconvénient est augmenté par le matériau, le bois, qui est moins dense que le métal et qui oblige à une arme plus grosse pour le même poids. De fait (en dehors du Goedendag et de sa pointe), la frappe de taille bien armée est à peu près la seule efficace. Comme en plus il s'agit d'armes lourdes, cela en fait des armes particulièrement lentes et peu maniables, laissant beaucoup de temps à l'adversaire pour placer une contre-attaque lors d'un armement.

Soldats flamands contre chevaliers français  à la bataille de Courtrais sur le coffre d'Oxford
Il reste cependant quelques avantages à cette arme comme une allonge assez bonne liée à la taille de l'arme et surtout la difficulté à la parer. Au vu de l'énergie contenue dans un coup il est illusoire de vouloir simplement y opposer une lame, surtout à une main. Il est donc nécessaire d'effectuer des parades dites "du tac" en frappant le grand gourdin pour le détourner, et de préférence en s'aidant de sa seconde main pour avoir plus de force. Enfin, si cette arme ne blesse pas facilement elle serait probablement plus efficace que d'autres contre des adversaires en armure de par la puissance qu'elle dégage. Contre une armure relativement souple comme les hauberts de mailles des chevaliers français de Courtrais en 1302 elle est probablement à même de briser des os ou du moins de mettre à terre l'adversaire par la seule puissance du coup. Contre une armure de plates on ne brisera pas d'os mais on a toujours des chances de bousculer, jeter à terre ou assommer l'adversaire.


Une page du traité Paulus Hector Mair Opus Amplissimum de Arte Athletica (années 1540)
Les seules techniques de combat qui nous sont parvenues se trouvent (encore une fois) dans le traité de Paulus Hector Mair qui nomme cette arme "Bauren stanngen" ou "fustis agrestis"/Bâton de paysan ou massue rustique. Comme pour la faux et la faucille on ne sait pas si ces techniques sont anciennes ou si elles ont été développées par l'auteur et ses escrimeurs. Il nous en parle ainsi :
Die Baurstang Ist ain gewhör Inn der not · nicht das ainer dardurch das leben verliere · aber zu ainer gögenwhor tröstlich
Fustis agrestis, nodis constans, qua non eripitur alicui lucis usura, sed ad defensionem maxime aptus
Le bâton de paysan est utilisé dans l'urgence. Il n'est pas celui par lequel on perd la vie, mais il est très apte à la défense.
Paulus Hector Mair Opus Amplissimum de Arte Athletica (années 1540)
Transcriptions : Julia Gräfand Ingo Petri et Michael Chidester
Traduction approximative : Capitaine Fracasse                        
 
L'équivalent d'une prise de fer au gourdin chez Paulus Hector Mair
Paulus Hector Mair reconnait lui aussi le fait qu'il ne s'agit pas d'une arme très dangereuse. Il nous présente une escrime qui serait assez proche du maniement d'une épée longue par un "buffle" comme on dit à l'époque. Le bâton se manie les deux mains soit au bout du bâton (ce qui permet d'avoir plus de puissance et d'allonge), soit la main gauche en bas et la droite vers le milieu du bâton (ce qui donne plus de maîtrise de l'arme et permet de frapper à des distances plus courtes). Les coups ne sont évidemment que des coups de taille et ils sont presque toujours descendant, soit en diagonale soit verticalement, probablement pour avoir le maximum de puissance. Ils partent de l'épaule ou du sol et ne visent que quelques cibles spécifiques : la tête, les avants-bras ou les cuisses c'est à dire les parties les plus vulnérables. La plupart des parades sont des parades du tac qui frappent l'arme adverse et l'on utilise au maximum l'inertie de ses coups pour parer ou riposter (riposter nécessite en effet de réarmer après sa parade). 
 
Les quelques subtilités de cette escrime (il y en a) résident dans l'enchaînement des pas, les attaques sur un côté inattendu ou le ciblage sur les avant-bras (ou la cuisse qui peut laisser penser qu'on attaque la tête en diagonale si l'adversaire n'est pas attentif). Malgré tout les possibilités tactiques sont assez faibles et l'on imagine que le manieur de gourdin devra surtout jouer sur le côté impressionnant et l'allonge face à des adversaires mieux armés. L'évocation de la défense par P.H. Mair laisserait à penser qu'il est surtout intéressant de tenir l'adversaire à distance en lui faisant bien croire qu'il prendra le gourdin sur le crâne si il ose avancer et attaquer !

Vous pourrez trouver et lire une traduction française de ces techniques par le Chapitre des Armes (traduction de Thomas Rivière d'après la transcription de Pierre Henry Bas)

Présentation des techniques de Paulus Hector Mair par le MEMAG

Un potentiel réel en spectacle

L'époque moderne regorge d'oppositions ville-campagnes fantasmées ou non. La ville est vue comme un endroit civilisé, c'est là que se mettent en action les idées de la Renaissance, le renouveau de la culture gréco-latine tandis que la campagne est vue comme plongée dans un obscurantisme crasse.
Pour l'historien Robert Muchembled la Contre-Réforme catholique a eu pour effet de détruire la culture campagnarde qui cachait un polythéisme sous un vernis chrétien de façade ; elle l'a fait en réprimant tout ce qui sortait de la norme. Dans le même temps, tout au long de l'époque moderne, l'État centralisateur n'a cessé d'imposer le monde paysan, quand les nobles, le clergé et beaucoup de villes échappaient à nombre de taxes. D'où des révoltes récurrentes du XVIème au XIXème siècle. Il semble en tout cas qu'un fossé de plus en plus important se creuse entre les villes et les campagnes à l'époque moderne et qu'il n'a été (en partie) rattrapé qu'au cours de la seconde moitié du XXème siècle.

Dans cette opposition on représente facilement les paysans avec les gourdins des hommes primitifs pour accentuer le contraste avec les citadins. Il n'est évidemment pas impossible que les paysans aient usé de grands gourdins dans leurs révoltes, l'arme n'est pas chère, elle est impressionnante et on a vu qu'elle pouvait avoir un certain impact face à un ennemi armuré. Mais l'on doit tout de même soupçonner beaucoup de symbolisme ou de fantasme dans ces représentations.


Paysan armé d'un gourdin opposé à un noble ou un citadin - Anonyme 1550
Dans les collections du Rijksmuseum d'Amsterdam
On n'hésitera donc pas à récupérer cette opposition et cette symbolique dans le cadre d'un scénario de spectacle. Cette symbolique fonctionne encore, opposant l'escrime et les vêtements raffinés à l'habit grossier et à la brutalité du paysan. Un scénario de révolte paysanne, ou simplement d'agression de bourgeois par des paysans passés au brigandage est une possibilité. Dans un cadre médiéval l'opposition entre le piéton maniant son grand gourdin ou son goedendag et le chevalier qui le subit fonctionne exactement de la même façon. On opposera ainsi le plus souvent le gourdin à une autre arme, plus civilisée en prenant en compte les caractéristiques propres de chaque arme (vous connaissez probablement mon article sur les combats à armes inégales mais je vous remets le lien au cas où). Opposer deux gourdins peut toujours se faire dans un cadre de combat de paysans ou de combat à l'arme improvisée, autour d'un tas de bois entreposé là pour le feu par exemple. On ne se privera pas là des techniques de ce bon vieux Paulus Hector Mair !

D'une manière générale le grand gourdin et ses variantes sont des armes extrêmement impressionnantes sur une scène ou dans un film. À leur longueur, leur taille, la force qu'on leur imagine, s'ajoute un maniement avec d'amples mouvements qui leur assure une formidable puissance scénique. On pourra évidemment les faire manier par des escrimeurs bien bâtis mais pas obligatoirement, l'effet fonctionne encore même avec quelqu'un de taille moyenne ou petite.

Détail d'une gravure de Jacques Callot où l'on voit plusieurs paysans armés de gourdins au milieu des fléaux à grain, des feux, des fourches et des mousquets se venger des soldats qui les ont pillés.
La revanche des paysans dans Les grandes misères de la guerre - 1633
En revanche une réalité est que le combattant de spectacle maniant le bâton devra posséder une force certaine pour manipuler cette arme mal équilibrée à l'inertie importante. N'oubliez pas qu'il ne s'agit pas là d'une arme bluntée mais de l'arme tout court, celle qu'on manierait pour blesser l'adversaire ! Le maniement en lui-même n'est pas très technique mais il est important que les deux combattants ne soient pas débutants car si l'on veut jouer à une vitesse crédible il est important de bien savoir se coordonner face à cette arme lourde. Si l'on veut que le manieur de massue gagne le combat on pourra prévoir des protections cachées pour la zone touchée car il n'est pas possible de faire une "mise à mort" autrement que par un coup de taille bien armé. Mais bon, si l'on suit la logique, le plus souvent il a peu de chances face à une arme rapide et maniable....

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Pour résumer il s'agit donc d'une arme peu coûteuse à obtenir, pas très compliquée à apprendre et qui peut faire bel effet sur scène à condition de bien savoir se coordonner. C'est, dans l'imaginaire de l'époque et dans le nôtre, l'arme du paysan, du gueux, de la brute mal dégrossie, l'arme de celui qui n'a rien et peut défaire, avec cet arme rustique et primitive, la fine fleur de la chevalerie ou de la bourgeoisie... à moins qu'il ne meure dramatiquement en essayant !