mardi 12 mai 2020

On vous a menti sur la hache à deux mains médiévale !

Dans les fantasmes guerriers issus de la bande dessinée, des jeux de rôles ou des jeux vidéos, la hache à deux mains figure en bonne place. Il s'agit souvent de l'arme infligeant le plus de dégâts et elle est l'arme par excellence des barbares. On l'imagine en général moins souvent dans les mains d'un chevalier. On y voit généralement une escrime primitive, basée sur de grands coups brutaux et difficiles à parer. Quant à l'arme elle est volontiers représentée avec un manche de longueur moyenne (entre 1m et 1m30) et à double tranchant.

Comme j'aime bien attaquer les clichés et les idées reçues et que ceux-ci sont innombrables concernant l'époque médiévale je vais donc vous parler des haches à deux mains du Moyen-Âge. Je me concentrerai sur cette période en partant de l'époque viking (IXe-XIe siècle) pour déborder un peu sur le XVIe siècle. J'ignorerai donc toutes les haches à deux mains antiques, quant aux périodes suivantes, si il reste des haches à deux mains, elles sont devenues des armes d'apparat ou ne sont que des outils.

Je m'appuierai principalement sur la thèse de Fabrice Cognot L’armement médiéval: les armes blanches dans les collections bourguignonnes. Xe - XVe siècles (Université Paris I Panthéon-Sorbonne - 2013) qui consacre près d'une centaine de pages aux haches. Mon travail est donc surtout ici un travail de vulgarisation, d'explicitation, de contextualisation pour des escrimeurs. Je serai donc parfois amené à simplifier certaines choses et je vous invite à lire son travail pour une meilleure information. Je ne me priverai pas d'ajouter quelques compléments ou remarques de mon cru mais il serait malhonnête intellectuellement de ne pas reconnaître qui a fait le gros du travail et d'où je tire majoritairement mes informations.

Voilà comment souvent on se représente une guerrière armée d'une hache à deux mais !
Illustration : Valeithel

La hache : une arme diversifiée

Un outil utilisable à la guerre

Avant d'être une arme la hache est d'abord un outil utilisé depuis la préhistoire jusqu'à nos jours pour tout ce qui a trait au travail du bois, de l'abattage des arbres au travail de la charpente, la tonnellerie ou même la fabrication de sabots. Toutes les haches ont un fer tranchant et un manche, on joue sur le poids du fer, le tranchant qui écarte les fibres et le manche qui permet d'utiliser la force centrifuge. Ce sont là les grands principes car on constate vite qu'il existe des formes très spécifiques en fonction de l'usage que l'on veut en faire. la variété des formes de fer et des longueurs de manches est donc immense et l'expérience a spécialisé les outils.

 Assortiment de haches à la Maison de la Vannerie (Fayl-Billot, Haute-Marne). Hache de charpentier, hachereau de tonnelier, doloire de tonnelier pour dégrossir les pièces de bois, hache à fossés, hache de sabotier, hache de couvreur.
Parmi ces outils certains ont cependant pu être utilisés à la guerre faute d'avoir une arme spécialisée dans le cas de paysans ou de guerriers, c'est à dire de personnes destinées à se battre par statut social comme les hommes libres des mondes germaniques ou scandinaves. De même, des sapeurs travaillant avec leurs outils dont des haches, ont régulièrement été amenés à se défendre avec ce qu'ils avaient sous la main. Et il faut reconnaître que la plupart des haches sont des armes tout à fait efficaces à la guerre, capables de fendre un crâne ou même de défoncer un casque par un coup bien asséné.

Il a existé, évidemment, des haches spécifiques à la guerre, mais nos sources iconographiques nous montrent aussi assez souvent des haches-outils utilisées au combat. Celles-ci sont plutôt des haches de charpentier (utilisées par les sapeurs) et se reconnaissent assez bien à leurs fers rectangulaires. On retiendra donc qu'il n'est pas du tout illégitime d'utiliser une hache-outil dans un combat de spectacle tant que c'est compatible avec le personnage censé la manier.

Hache charpentier dans le Psautier d’Or de Saint Gall (St. Gallen, Stiftsbibliothek, Cod. Sang. 22)

Les haches de bataille à deux mains jusqu'au XIVe siècle

On en vient donc aux haches spécifiquement destinées au combat. La plupart d'entre elles dérivent de la hache dite "danoise" du IXe siècle et de son grand fer. Le terme est ainsi employé par les contemporains pour une hache en fait utilisée dans toute l'Europe du Nord au moins. Le fer des ces haches est en forme de croissant, le plus souvent symétrique, avec des cornes et souvent un peu incliné vers le bas pour une meilleure frappe. On peut supposer que le côté arrondi permet de mieux entailler en glissant un peu à la manière d'une lame de sabre ce qui augmente le pouvoir vulnérant face aux adversaires sans armure. Néanmoins c'est d'abord le poids et la force centrifuge qui "feront le travail" dans la plupart des cas.

Hache danoise représentée sur la Tapisserie de Bayeux (2nde moitié du XIe S.)
Personal picture taken by user Urban, February 2005
On trouve de nombreuses représentations de ces haches dans les manuscrits. Les emmanchements sont très divers, allant d'emmanchements très simples à des douilles étendues. En revanche, à part quelques représentations antiquisantes évoquant peut-être des licteurs, toutes ces haches sont à un seul tranchant. Les haches à double tranchant sont donc plus un fantasme de BD avec une éventuelle inspiration antique qu'une réalité. Par ailleurs, on voit, ça et là, des haches auxquelles s'adjoignent une pointe au bout du manche ou encore une protubérance voire un bec au niveau de la nuque. Un certain nombre de fers sont pointus vers le haut et permettent d'estoquer facilement.

Enluminure tirée des Grandes chroniques de Saint-Denis - Toulouse BM 512 (fin XIVe-début XVe S.)
Pour ce qui est du manche on a des longueurs variables , y compris parfois dans le même manuscrit comme la Bible dite "de Maciejowski" où des haches de la même longueur que des épées côtoient des manches plus hautes qu'un humain. La Tapisserie de Bayeux nous présente des haches aux longs manches arrivant au menton dans les mains des Houscarls du roi Harold. On a d'ailleurs tendance à voir, dans les mains des guerriers à pied, beaucoup de ces haches aux longs manches qui sont en général totalement ignorées des représentations de la Pop Culture.

Deux types de haches à deux mains présentés dans les enluminures de la Bible de Maciejowski (Pierpont Morgan Library, New York, Ms M. 638) - milieu du XIIIe siècle

La "hache à faire des armes", la reine des combats (XIV-XVIe siècles)

Au milieu du XIVe siècle, les haches ont connu un grand succès dés les débuts de la Guerre de Cent ans, probablement dû au renforcement des armures et à l'habitude des chevaliers de combattre démontés (à pied donc). On arrive vers le tournant du XVe siècle à l'élaboration d'une arme redoutable que nous nommerons "hache à faire des armes". Les termes "hache noble" et "hache de pas" sont les plus couramment utilisés en français au XXIe siècle ("pollaxe" ou "poleaxe" en anglais) avec notre besoin de dénominations précises qui n'existait pas à l'époque. Nos sources parlent le plus souvent simplement de "haches"...

Hache de pas (1450-1500) dans les collesctions du musée de Leeds

Hache de pas (XVe S.) au Metropolitan Museum of Arts
On remarquera d'ailleurs que beaucoup de ces haches sont ce que nous appellerions plutôt des marteaux puisqu'en fait, beaucoup de celles qui nous sont représentées n'ont pas de fer de hache ! Néanmoins nos sources parlent invariablement de "haches" et non d'autres termes. La hache de pas a des formes diverses mais on retrouve en général les mêmes invariants :
  • - un manche plutôt long, allant jusqu'à la taille d'un homme,
  • - une "dague" de queue au bout de ce manche
  • - une "dague" de tête
  • - une tête avec, outre la dague, deux des trois éléments suivants : fer de hache, bec de corbin ou tête de marteau. On peut aussi trouver trois pointes acérées disposées en étoile à la place.
  • - parfois une rondelle vient protéger la main.
Haches de pas dans le livre de combat de Paulus Kal (1470)
Il s'agit donc d'une arme complexe capable d'estoquer des deux côtés, de crocheter, de transpercer, d'enfoncer les plates ou de choquer par la simple force de l'impact. Elle entre à l'époque dans les armes chevaleresques mais n'est pas réservée aux chevaliers. Cette arme est utilisée pendant tout le XVe siècle et l'on s'y entraîne encore au XVIe siècle, notamment pour les tournois et pas d'armes. Néanmoins, avec la fin de la chevalerie à pied au XVIe siècle, la disparition progressive des tournois durant le XVIe siècle, elle ne devient plus qu'une arme honorifique que l'on retrouve encore parfois sur certaines peintures du XVIIe siècle ou dans les collections d'armes.

Hache de pas dans le Opus Amplissimum de Arte Athletica (manuscrit de Dresde) de Paulus Hector Mair (années 1540), l'un des dernières représentations de l'arme en action.

La hache : une arme des élites

Une arme puissante et destructrice..

Si une chose ressort de l'évocation de la hache par les sources contemporaine c'est bien sa puissance. Maniée à deux mains on la tient d'abord les bras écartés et on imprime un mouvement de levier en faisant coulisser la main la plus élevée (en principe la droite pour les droitiers) vers l'autre main augmentant la puissance de la rotation. C'est ainsi une masse d'acier qui est décuplée par la force centrifuge [edit : l'effet de levier], concentrée sur un tranchant étroit (ou un marteau ou un bec) qui vient s'abattre sur l'adversaire.

                    « Et Hervis fiert dan Berengier le griz
                    De la grant hache del vert acier bruni ;
                    Entre le col et l’espaule l’ovri »
Garin le Lorrain - livre VI, vers 1994-1996 (XII e siècle)
Les boucliers ou les hampes de lances ne semblent pas non plus résister à l'arme si l'on en croit les sagas scandinaves (rédigées entre le XIe et le XIIIe S. mais reprenant une tradition orale plus ancienne) :

« Hroald fils d'Össur, courut à Skarphjedin et pointa sa lance sur lui. Skarphjedin, d'un coup de sa hache, sépara le fer de la hampe. Puis il leva sa hache une seconde fois. Elle entra dans le bouclier et le brisa en morceaux, pendant que le coin frappait Hroald au visage. Il tomba à la renverse, et mourut sur le coup. »
Brennu-Njáls saga - Chapitre 128

Cette vidéo de la chaîne Skallagrim nous montre des essais de frappe à la grande hache danoise. Cela donne au moins une idée des dégâts que de telles armes pouvaient faire !

Les armures (de mailles) de l'époque ne semblent pas beaucoup plus résister à la hache, ce qui explique probablement son succès aux débuts de la guerre de Cent Ans. Ajoutons que si le coup n'est pas toujours assez fort pour percer l'armure les dégâts contondants peuvent sonner suffisamment l'adversaire ou le déséquilibrer ce qui peut être suffisant pour prendre un avantage significatif sur lui. Le fer étant en acier il n'y a pas forcément besoin d'un très grand élan pour entailler un adversaire sans armure et même un adversaire armuré devrait sentir les effets de ces coups. Avant la hache de pas les illustrations nous montrent surtout la hache en action à pleine puissance mais cela ne veut pas dire que c'en était la seule utilisation.

Concernant l'utilisation de cette dernière hache de pas il ne faut pas non plus négliger la puissance des coups d'estoc si l'on en croit le maître d'armes italien, Fiore dei Liberi au tournant du XVe siècle :

Posta breve serpentina
Io son posta breve la Serpentina che megliore d'le altre me tegno. A chi darò mia punta ben gli parerà lo segno. Questa punta si è forte per passare coraze e panceroni, deffendeti che voglio far la prova.

Posture courte serpentine

Je suis la posture courte serpentine qui me tient mieux que les autres. A qui je donnerai un estoc, la marque lui paraîtra bien. Cette pointe est forte pour passer les cuirasses et les plastrons. Défends toi, car je veux le prouver.

Fiore Dei Liberi Fior di Battaglia MS Ludwig.XV.13, J.Paul Getty Museum, Los Angeles
Transcription : Charlélie Berthaut
Traduction : Benjamin Conan

Malgré tout, bien que la hache soit une arme redoutable il ne faudrait pas pour autant en conclure que son escrime était primitive et se résumait à de grands coups puissants.

Posta breve serpentina représentée dans le même manuscrit de Fiore dei Liberi (vers 1400)

... mais une escrime élaborée

Concernant le maniement de la hache nous n'avons de sources martiales (des traités d'escrime) que pour la hache de pas. Dés les années 1400 nous trouvons chez l'italien Fiore dei Liberi et dans le traité français anonyme Le noble jeu de la hache des techniques de combat élaborées et complexes concernant cette arme. On notera que Le noble jeu de la hache est le seul traité d'escrime français connu datant de l'époque médiévale et qu'il est le plus ancien traité d'escrime en langue française (il faut ensuite attendre La Noble Science des joueurs d'épées en 1538, traduction du traité d'Andre Paurenfeindt, pour retrouver un traité dans notre langue et le traité d'Henri de Saint-Didier en 1573 pour un auteur français). Les traités issus de l'espace germanique ne sont pas en reste sur la hache. Notons également que la hache est une arme ambidextre : selon les besoins on passe d'un maniement en droitier (main droite vers la tête) à un maniement en gaucher.

Ces deux traités traitent de la hache en armure, ce qui semble être son utilisation normale. Fiore de'i Liberi nous présente jusqu'à six gardes ainsi qu'un certain nombre de techniques dont certaines sont de vulgaires ruses (comme d'aveugler son adversaire en mettant sa main sur sa visière et de le faire trébucher sur la hampe de son arme). Il ne nous montre que des techniques utilisant la tête de la hache mais il montre ailleurs des techniques utilisant la queue d'une lance ou des techniques de demi-épée qui sont tout à fait transférables à la hache. Et l'on sait que cet auteur n'aime pas se répéter et ne redonne pas ailleurs des techniques qu'il a déjà présentées pour une arme.

Quatre gardes à la hache de pas chez Fiore deu Liberi :
Posture courte serpentine, posture de la vraie croix, posture de la dame, dent du sanglier.
Fiore Dei Liberi Fior di Battaglia  Pisani-Dossi MS, Fac similé de Francesco Novati, 1902 - Folio 27a
 
Le Jeu de la hache est peut-être le manuscrit le plus complet et celui qui nous en apprend le plus sur le maniement de la hache de pas. Il est malheureusement incomplet car il semble que les grands espaces vides qui y figurent aient été laissés pour des illustrations techniques qui n'ont jamais été réalisées. Si il ne donne jamais explicitement des actions mortelles il mentionne sobrement : « Et se le pouez faire vous pouez deschergier sur luy telz coups que vous samblera ». Il s'agit le plus souvent de se mettre en position favorable pour asséner le coup qui conclura le combat, mortel ou non en fonction de son objectif (combat à outrance en duel judiciaire, tournois, guerre avec la volonté ou non de rançonner son adversaire).

Le manuscrit nous présente un jeu complet avec des tours de bras permettant d'asséner des coups à pleine puissance, des estocs de la dague de tête ou de la dague de queue, des coups coulés et même des crochetages. Les défenses sont suivies de contres et parfois de contre du contre utilisant d'autres parties de l'arme : "Ainsi, après une parade d’un tour de bras grâce à la demy hache et un pas en avant du pied gauche simultané l’amenant fermement posé derrière le talon adverse, la queue est placée sous le menton adverse, et il est renversé (paragraphe 9) : mais on peut contrer cette bascule en retirant sa hache à soi et poussant de la dague (ou de la demy hache, si on échoue à aligner la dague) à l’aisselle gauche de l’ennemi." (F. Cognot op. cité).
Dans cette vidéo Fabrice Cognot nous présente plusieurs techniques du Jeu de la Hache
(la haute qualité du contenu vaudra bien de supporter la piètre qualité de l'image)

Les manuscrits d'escrime germaniques nous présentent également l'arme et notamment Hans Talhoffer et Paulus Kal. On notera qu'Hans Talhoffer est l'un des rares auteurs à nous présenter un maniement en armure ET sans armure. On retrouve des principes assez proches avec utilisation de la queue de l'arme ainsi que des crochetages utilisant le bec de corbin. on note également une plus forte présence de la lutte. Paulus Hector Mair est le dernier à présenter l'arme spécifiquement, même si on retrouve ensuite certaines techniques de crochetage notamment à la hallebarde dans des traités postérieurs : chez J. Meyer par exemple, la hallebarde est distincte du bâton alors qu'un demi-siècle auparavant, chez A. Paurenfeindt les techniques de bâton (appelée demi-lance) sont "loccasion ou source de jouer a tout les lances ou spises, hallebardes, guysarmes, et aultres semblables". Il faudrait analyser les techniques pour voir ce qui peut en venir (ou non) des techniques de hache noble, mais on sort là de l'objet de notre article...


Présentation de techniques de hache noble selon divers auteurs, essentiellement allemands, par le MEMAG

Mais qu'en est-il du maniement des haches antérieures à la hache de pas ? N'étaient-elles que des armes de brutes aimant frapper fort ? A priori non, sauf lorsqu'un sapeur devait soudainement défendre sa vie avec un outil. Il semble déjà logique que les techniques de hache noble ne sont pas nées spontanément mais ont été développées au fil des siècles avec l'expérience. On a également améliorer les haches pour aboutir à la hache de pas, pouvant faire mal avec toutes les parties probablement utilisées moins efficacement avant.

Ainsi on sait que la corne des haches danoises pouvait déjà estoquer ainsi qu'on le lit ici :
« Puis Thord, frère lait d’Einar, se précipita sur Kolbein et voulait le tuer, mais Kolbein se retourna contre lui et le poignarda de la corne de la hache à la gorge, et déjà il était mort. »
Grænlendinga þáttur, chapitre 5
De même, dans La romance d'Alexandre terminée en 1338 on voit un combattant armé d'une hache à long manche tenter de parer un coup d'épée dans ce qu'on appellerait demy-hache. On notera également la pointe qui termine son arme.

D'autres occurrences nous montrent que la hache n'était pas que l'arme aux dégâts monstrueux que l'on veut bien décrire mais également une arme complexe, utile à la guerre et lors des situations désespérées. On notera également qu'on la trouve plus souvent présente dans les images représentant des sièges que dans les batailles.

On peut donc supposer avec une certaine légitimité une antériorité et un développement progressif des techniques présentées dans les traités d'armes du XVe siècle. Ainsi, si je devais reproduire l'escrime à la hache avant cette époque je m'équiperais probablement d'une hache à long manche et je piocherai dans les techniques de hache de pas celles qui s'adaptent à mon arme. Je ne serais probablement ainsi pas trop loin de la vérité historique, du moins mes techniques auraient une base solide.

Miniature issue de La romance d'Alexandre MS. Bodl. 264 folio 168 (1338)

L'arme des combattants d'élite et des chevaliers

Cette escrime complexe fait des haches à deux mains destinées au combat des armes de spécialistes, maniées par des combattants entraînées, une sorte d'élite quoi. Cela correspond d'ailleurs assez bien à ce que nos sources historiques nous en disent.

Ainsi elle est déjà l'arme emblématiques des houscarls du roi Harold, le malheureux adversaire de Guillaume le Conquérant à Hastings en 1066. Dans le monde germanique (Harold était Saxon), les houscarls sont des guerriers domestiques, des guerriers privés qui accompagnent un prince. Théoriquement tous les hommes libres sont redevables d'un service militaire, c'est d'ailleurs le droit de porter des armes qui les distingue des non-libres. Mais ils sont aussi pour la plupart des fermiers, des artisans, plus ou moins riches et, si leur éducation les a formés aux armes, celles-ci ne sont pas leur principal métier. Les houscarls, en tant que guerriers domestiques sont ce qui peut se rapprocher le plus d'une embryon de troupes professionnelles. Ils n'ont pas d'autre occupation que de porter les armes et étaient donc probablement mieux entraînés que les autres ainsi que largement pourvus d'armes par celui auquel ils avaient prêté allégeance. Et quand il s'agit du roi d'Angleterre ils sont assez nombreux pour former une unité à part entière. Tous ne maniaient probablement pas la grande hache (ne serait-ce que pour des raisons tactiques) mais c'est l'arme que la tapisserie de Bayeux leur donne, qui les symbolise le plus. Cela colle ainsi à notre idée d'arme pour les guerriers d'élite.

Houscarls contre chevaliers normands à la bataille d'Hastings sur la Tapisserie de Bayeux (XIe S.)
 
À partir du XIe siècle la chevalerie se développe en Europe de l'Ouest et les guerriers d'élite à pied disparaissent. Mais c'est au cours du XIVe siècle que les Anglais inventent la chevalerie démontée : les chevaliers se déplacent à cheval mais combattent pied, de préférence sur un talus, une colline, un terrain avantageux qui gêne les charges de cavalerie. C'est cette tactique, combinée aux masses d'archers armés d'arcs longs qui leur a d'abord permis de vaincre les Écossais et leurs formations de piquiers (le Schiltron). C'est évidemment celle-là aussi qui a eu raison des charges de cavalerie de Crécy et d'Azincourt. Évidemment, les Français l'adoptent aussi même si ils gardent un goût pour les charges de cavalerie. On voit ainsi des formations de chevaliers (et sergents) à pied s'affronter.

Cette tactique a favorisé le développement des armures (pour mieux résister aux flèches), de l'épée longue (cette épée à deux mains de 1m10 à 1m30, reine de traités d'escrime) et... des haches à deux mains ! De par sa puissance la hache était tout indiquée comme arme pour attaquer des adversaires fortement armurés. Les dagues de la hache de pas peuvent passer au défaut de l'armure tout comme les épées longues tenues en demi-épée, mais le fer ou le marteau, envoyé par un bon tour de bras vertical, peuvent mettre à mal un adversaire bien protégé.

Néanmoins il ne faut surtout pas croire que les haches n'équipaient que les chevaliers, on en achète aussi pour des corps d'archers ou d'autres corps de soldats professionnels. Là encore on en revient à une arme pour les troupes d'élite.

Miniature représentant Alexandre le Grand et ses guerriers accédant à un palais de montagne grâce à une chaîne en or. Une bonne représentation d'une troupe d'élite à pied au XVe siècle ?
Le Livre et le vraye hystoire du bon roy Alixandre Royal 20 B XX (1420)
 
C'est ainsi que la hache est entrée dans le chevalerie et dans les armes chevaleresques. Elle est donc aussi logiquement rentrée dans l'une des occupations principales des chevaliers en dehors de la guerre : les tournois. Olivier de la Marche (1425-1502), chroniqueur bourguignon semblent particulièrement friand des description de combats de haches lors des tournois et pas d'armes du milieu du XVe siècle. Il parle ainsi des exploits du chevalier Jacques de Lalain contre un certain Jehan Boniface :
« Messire Jehan de Bonniface feroit de la teste de sa hache, et feroit haut après le visage dont il voyoit le plus-nud et découvert ; et messire Jaques (qui fut beaucoup plus haut) rabatoit froidement, de la queue de sa hache, les coups de son compaignon : et, en rabatant, par deux fois luy fit perdre sa hache de la main dextre : et messire Jaques getta le bout d'embas de son batton, par deux ou trois fois, après la visière du bacinet de son adversaire, et si souvent le continua qu'il l'enferra en la visière. »

Olivier de La Marche, Les Mémoires de Messire Olivier de La Marche (vers 1500)
On voit d'ailleurs ici des mouvements correspondant à ce qui est décrit dans Le jeu de la hache. Ces techniques étaient enseignées par des maîtres d'armes, plutôt des gens de l'ombre issus de la bourgeoisie urbaine ou de la petite noblesse. Certains enseignaient également l'épéee (on pense à Fiore dei Liberi) tandis que d'autres étaient spécialisés dans la hache.

En revanche il faut préciser que la hache est clairement une arme destinée à la guerre ou au champ clos. Ce n'était en aucune manière une arme civile que l'on pouvait porter normalement dans la rue. Les seuls à éventuellement en porter dans la rue peuvent être des corps d'archers chargés du guet urbain, mais c'est vraiment une exception. Cette arme a donc d'abord un contexte militaire ou de jeu, c'est une arme qui symbolisait un engagement total dans la guerre ou le combat, pas un ornement de tous les jours !

Présentée par Claude Gaier- Armes et combats dans l'univers médiéval II - De boeck - Bruxelles - 2004

 ***

Les haches à deux mains médiévales sont donc assez loin du cliché de la pop culture de l'arme sans subtilité, toute en brutalité. Brutale, elle l'est certes, mais les haches conçues pour la guerre qui équipaient les troupes d'élites du IXe au XVIe siècle étaient bien plus que cela. Surtout lorsqu'on en arrive à la hache de pas, outil de mort élaboré, fruit de plusieurs siècles d'évolution.

Et puisque ce blog est consacré avant tout à l'escrime de spectacle, il faut dire un mot de l'usage de cette arme en spectacle. Elle a un potentiel spectaculaire indéniable et une variété de coups très importante qui en font une arme extrêmement intéressante. Elle fait peur et le public sera probablement surpris de la subtilité de son escrime. Reste le problème de la sécurité : on peut dévier l'arme mais difficilement l'arrêter et cela reste un problème. De plus je ne suis pas certain de vouloir me prendre un crochetage de nuque au bec de corbin sans une petite protection dissimulée ou un colletin gamboisé... Mais je pense que l'essentiel du danger peut être écarté si l'on présente cette arme dans le cadre d'un combat en armure. L'armure protégera des coups et des crochetages douloureux et puis, après tout, si il y a une arme qui est faite pour les combats en armure c'est bien celle là !

J'espère donc avoir (une fois de plus ?) lever quelques idées reçues et balayé quelques clichés. Je gage que vous verrez désormais cette arme autrement.

Une version plus historiquement crédible d'une chevaleresse maniant une grande hache.
Illustration : Valeithel

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