mardi 4 mai 2021

Les esquives c'est nul ! (bon d'accord, j'exagère un peu mais découvrez pourquoi)

Disons-le franchement je n'aime pas tellement les esquives en escrime de spectacle. Les mauvaises langues diront que je les fais mal, mais c'est probablement parce que je ne les aime pas que je rechigne à les travailler et à les inclure dans mes chorégraphies. C'est pourtant un grand classique de l'escrime artistique et on les voit souvent assez tôt dans le cycle d'apprentissage de la discipline. Mais à vrai dire plusieurs choses me gênent dans ces esquives. Tout d'abord, comme beaucoup de techniques ou de coups de l'escrime artistique "classique", elles ne sont pas très crédibles martialement, même si il faut distinguer entre les esquives. Mais ensuite j'ajouterai que je n'en aime pas tellement l'esthétique et le style de combat qu'elles impliquent, goût très personnel mais que je tiens tout de même à vous exposer (c'est mon blog après tout !).
 
Un classique, l'esquive d'Arya Stark face à Brienne de Torth dans la série Game of Thrones. Possible grâce à une façon très peu subtile de porter ses coups de Brienne.

Les esquives c'est pas (toujours) crédibles.

Tout d'abord examinons un peu les esquives "classiques" de l'escrime artistique. La première est sur une attaque horizontale et consiste à se baisser pour esquiver la lame (ou faire croire qu'on l'esquive pour ceux qui sont de l'école où on vise très au-dessus de la tête du partenaire). La variante plus acrobatique consiste à se pencher en arrière pour laisser passer l'arme juste au-dessus. Tout d'abord il faut une attaque bien téléphonée et bien large pour que ça fonctionne. Autrement l'adversaire pourrait assez facilement dévier son attaque pour vous toucher et pour peu que l'attaque soit plus diagonale qu'horizontale vous êtes bons pour la blessure ! De même, si l'attaque est un tant soit peu maîtrisée par l'adversaire il aura la possibilité de revenir assez vite en attaque verticale vers votre tête. Donc à part quelques circonstances bien particulière ça n'est pas forcément une bonne idée.
 
La même réflexion s'applique pour une attaque verticale visant la tête, un classique là aussi. Il est encore plus facile de faire dévier la lame et à moins d'un coup de hachoir digne d'un personnage de jeu vidéo vous risquez de vous faire découper un bout de hanche ou de cuisse ! Pensez à toutes ces fois où, à la répétition, vous avez dû faire bien attention de rester bien dans la trajectoire de votre coup initial pour que votre partenaire puisse faire correctement son esquive. Si vous devez faire ça c'est probablement qu'en fait ce genre d'esquive n'était pas le bon geste à faire... En revanche quand un tel coup vise un avant bras ou une main et qu'on esquive en retirant la cible c'est martialement beaucoup plus valable.
 
Le personnage de Siegfried et son épée démesurée dans le jeu vidéo Soul Calibur. En effet, là, la trajectoire devrait être prévisible ;-). Mais vous n'êtes pas de tels bourrins non ? Si ?
Fanart sur SoulCalibur wikifandom

Une autre esquive très utilisée, surtout en escrime médiévale, consiste à éviter une attaque diagonale en se penchant et en marchant du côté d'où elle vient pour ensuite riposter. Je ferais la même remarque que pour la précédente : les possibilités de dévier son coup pour vous frapper sont bien trop importantes pour que cette esquive soit vraiment sûre martialement.

Enfin une  esquive classique vient sur une attaque aux jambes et consiste à soit enlever la jambe, soit sauter pour esquiver la lame. Sauter est spectaculaire mais martialement pas très intéressant. En revanche, en soi esquiver en retirant la jambe est ce qu'on est censé faire dans une telle circonstance... tout en frappant l'adversaire à la tête dans le même temps ! Parce que, comme je l'ai expliqué dans un autre article, martialement c'est plutôt idiot d'attaquer comme ça les pieds sans préparation. Alors, oui, après une préparation et une surprise, pourquoi pas, mais disons que cette esquive risque d'être plutôt rare.
 
On vous le rappelle : attaquer les jambes c'est rarement bon !
Henry Angelo - 1798

Bon, d'accord, on peut quand même faire des esquives crédibles.

Ceci dit l'esquive n'est cependant pas une aberration martiale. Nous avons vu qu'elle peut avoir du sens en cas d'attaque aux avancées ou aux jambes mais l'esquive la plus crédible martialement reste tout simplement de reculer pour esquiver l'attaque, "faire tomber dans le vide" comme on dit en escrime sportive. Celle là est universelle et fonctionne avec toutes les armes et tous les types de coups, elle signe un personnage en général prudent ou peureux. En début de combat elle marque la méfiance et l'hésitation à s'engager face à un ennemi qu'on ne connaît pas. En milieu ou fin de combat elle marquera plutôt la domination de l'adversaire dont on se garde de plus en plus. Cette esquive a l'inconvénient de rendre la riposte difficile et cantonnera plutôt le personnage qui l'effectue dans la défense. En dehors de cela elle est très crédible.

Les esquives de coups d'estoc au tronc sont également assez crédibles à condition d'être faites au tout dernier moment, celui où l'adversaire ne peut plus dévier la trajectoire de son arme. Elle sont donc techniquement difficiles à exécuter de façon crédible et seuls des escrimeurs entraînés y parviendront et feront de jolies passata di sotto et autres. Les autres ajouteront une parade de lame au retrait du corps qui gardera leur personnage de tout changement de trajectoire que voudrait faire leur adversaire.

En fait dans l'escrime du Moyen-âge, de la Renaissance et même en grande partie du XVIIe siècle on mêle le plus souvent un retrait du corps de la ligne d'attaque à une parade. Seule l'escrime à l'épée de cour à partir surtout du XVIIe siècle et qui se fait en ligne change cette habitude. Il en résulte qu'on peut effectuer la plupart des esquives décrites plus haut de façon crédible en ajoutant une opposition ou une couverture de sa lame pour se garder de mauvais coups. Ainsi l'esquive d'un coup diagonale s'accompagnera-t-elle en se couvrant en "quinte" ou en "quinte inversée" qui permet d'ailleurs de délivrer très facilement un coup de taille voire un estoc une fois en position. Le geste est assez proche pour un coup vertical. quant au coup horizontal il convient de l'intercepter avec sa lame en cédant et en le faisant glisser dessus tant qu'on s'abaisse. Si l'on a un bouclier on peut éventuellement s'abaisser directement en se couvrant avec celui-ci. Il en résultera plus de contacts de lames mais aussi plus de crédibilité.
 
Et oui, reculer (en rajoutant une parade au cas où) c'est souvent payant en escrime
Photo : Lisa Granshaw (2014)

Les esquives c'est beaucoup de gesticulations

Ma dernière critique envers les esquives est une pure question d'esthétique personnelle et concerne l'effet visuel qu'elles produisent. Je trouve en effet qu'une trop grande utilisation des esquives dans un combat tend un peu vite à la gesticulation voire au burlesque. Outre l'effet souvent un peu magique de certaines esquives peu crédibles (même parfois pour le spectateur non initié) on a l'impression que le héros qui esquive sautille en tout sens, mais comme on ne sait pas, en général, agrémenter cela de sauts périlleux, de roulades ou d'autres cascades comme en va en trouver par exemple dans le cinéma asiatique cela reste peu spectaculaire et ne donne pas forcément une immense impression du personnage. En fait cela donne l'impression d'un personnage peu technique qui est obligé d'esquiver parce qu'il ne sait pas se servir correctement de son épée. C'est évidemment une possibilité de choix scénaristique mais elle est rarement assumée comme telle.

En revanche opposer la lame ou se couvrir avec celle-ci donnera une meilleur impression de maîtrise. Les lames tinteront ou glisseront probablement mais on s'apercevra que le personnage sait se servir de la sienne et qu'il tente alors une technique audacieuse qu'il connaît bien. On garde ainsi les mouvements des corps mais on réintègre l'arme dans le combat alors qu'elle a tendance à disparaître un instant dans le cadre des esquives "classiques". Pas d'acrobaties ou de gesticulations, du combat et encore du combat !

Notons que ces mouvements de corps ont tout de même un intérêt sur une scène assez large où les spectateurs sont éloignés des combattants. Les plus lointains verront en effet assez mal les armes et ils ont besoin de voir les corps bouger pour profiter tout de même d'un spectacle, d'où l'intérêt de mettre des esquives qui ont plus d'amplitude que de simples parades. Cependant les faire en y mêlant les lames conserve le même visuel que sans, l'aspect martial en plus, pourquoi donc s'en priver ?
 
***
 
Voilà donc mon avis sur les esquives. J'ai conscience qu'il est très personnel et pas forcément partagé au vu des nombreuses esquives que l'on peut voir un peu partout. Néanmoins j'espère qu'il vous fera réfléchir à vos pratiques et mieux savoir pourquoi vous choisissez de faire tel ou tel mouvement (ou de ne plus le faire, ou de moins le faire si je vous ai convaincu). Les esquives donnent une escrime qui semble moins technique, plus en mouvement et en capacités athlétiques. Gardez à l'esprit que cela influe sur ce que ça dit du personnage qui les effectue et que si vous voulez un personnage plus technicien vous privilégierez les contacts de fer. À vous de voir en fin de compte ! (Tant que vous savez ce que vous voulez. C'est après tout le plus important.)


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