Aujourd’hui nous allons parler d’une arme que quasiment tous les escrimeurs artistiques ont manipulé, une des armes les plus pratiquée dans les AMHE internationaux. Il y a quelque temps, le capitaine m’a demandé d’écrire un article sur la rapière, l’objet et ses évolutions. Je vous propose une synthèse de plusieurs travaux sur ce sujet afin de découvrir et d’effleurer les différentes subtilités à propos de cette arme. Comme je l’explique par la suite, le but de cet article est avant tout de prendre du recul sur ces objets.
On pourrait penser que la rapière, un type d’épée emblématique et symbolique du genre Cape et Épée, fait objet d’une documentation riche et maîtrisée. Ce n’est pas vraiment le cas.
Pour écrire cet article, je me suis confronté à deux problèmes majeurs dans mes recherches :
1. Premièrement, les travaux et articles correctement documentés sur ce sujet sont peu nombreux. Cela a laissé la part belle à des contenus approximatifs et peu fiables, voir erronés.
2. Deuxièmement, le sujet est tellement vaste qu’il est compliqué à synthétiser. Pour donner l’ampleur de ce sujet, l’un des ouvrages le plus complet sur les épées des XVIe et XVIIe siècles, écrit par A.V.B. NORMAN (on en reparlera), fait environ 450 pages (et il pourrait encore être étoffé).
Je vous invite donc à lire les ouvrages et pages internet que je vais citer dans cet article.
Une définition moderne ?
Aujourd’hui, que ça soit dans l’escrime artistique, les AMHE ou autres, il est assez commun d’utiliser le mot rapière afin de désigner l’épée du XVIIe siècle. Il n’est pas rare de lire ou d’entendre des présentations simplistes du type « la rapière est l’arme des mousquetaires », « c’est une épée de duel » etc.
En général, quand l’on cherche à caractériser ce qu’est une rapière, le résultat est un peu vague (voir peu qualitatif) car derrière ce terme, nous qualifions des objets très différents et aux caractéristiques très diverses. La rapière montre clairement les limites de nos classifications modernes. Poser une définition qui tient compte de ces nuances est donc compliqué.
Voici une définition que je trouve intéressante. Elle émane d’un article consacré à la Rapière, publié sur le site Lit&res et rédigé par Laetitia Sansonetti de l’université Paris Ouest. J’apporterais quelques éléments (ici entre parenthèses ou
« Longue épée
J’ajouterai, que comme pour beaucoup d’autres types d’épées, il y a plusieurs usages à la rapière :
- Combat civil : duel et self défense.
- Combat Militaire. Bien que secondaire, l’arme était bien présente sur les champs de bataille.
- Les pratiques ludiques : avec des lames émoussées.
https://www.youtube.com/watch?v=9MloYsf7XII
Voici l’effet
d’une frappe de taille avec une rapière sur des tatamis. Cela donne une idée de
l’effet d’une simple entaille au visage.
Rapière, Raspiere, Rapier, Rappyer, Râpe, …
Que ça soit concernant l’origine de la
« rapière », ou sur ce qu’induisait l’usage de ce mot à l’époque, se
pencher sur l’étymologie du mot peut nous donner des pistes de réflexion.
Premièrement, il est important de
constater que les contemporains (et notamment les auteurs d’ouvrages sur
l’escrime) du XVIe siècle et du XVIIe siècle utilisent peu le mot rapière. Dans
les livres d’armes, et plus globalement dans les sources (primaires comme
secondaires), les auteurs se contentant d’utiliser le mot épée (espada, swords
ou spada selon la langue). Contrairement à nous, ils n’avaient pas besoin de différencier leurs épées.
- Un besoin de différencier la rapière du type d’épée qu’ils considèrent comme standard.
- Donner une connotation, parfois péjorative.

Ainsi, Joachim
Meyer utilise le terme Rapier
pour désigner une épée à une main assez simple (avec seul anneau). Pour l’auteur strasbourgeois, la rapière est une arme venue de l’étranger. Toujours dans les
contrées du Saint Empire Germanique, Paulus Hector Mair utilise également le
terme Rapier, et le traduitsait en latin
par « épée espagnole pratiquée à la
manière des Italiens ».
Les maîtres anglais George Silver et Joseph
Swetnam font partie des quelques auteurs du XVIIe siècle à différencier nettement
rapière et épée. La longueur est le principal aspect qui différencie les deux
objets : la lame de la rapière est plus longue que celle de l’épée (ou l’épée
est plus courte que la rapière ?!), et l’épée semble avoir également une
lame plus large. Silver n’apprécie pas la rapière qu’il trouvait trop longue
pour le combat, que ça soit en duel ou sur le champ de bataille.
Nota : la rapière est bien présente sur les champs de bataille. Ce témoignage
de Silver peut être complété par des sources iconographiques.
Comme dit ci-dessus, l’usage du mot rapière peut également servir à induire certaines
choses. Dans ses mémoires, Brantôme explicite clairement la dimension « ancienne »
attribuée à la rapière en disant qu’il usera de « ce mot du temps passé ». Plus tardivement, il est possible de citer
deux définitions induisant clairement des aspects négatifs à ce mot :
- Dictionnaire universel de Furetière (1690) : « espée longue, vieille & de peu de prix, telle que celles dont l’on arme d’ordinaire les soldats. […] Ce mot est bas. »
- Dictionnaire de l’Académie Française (1694) : « RAPIERE. s. f. Vieille & meschante espée. Il traisnoit une longue rapiere aprés luy. Il y avoit deux ou trois rapieres penduës au ratelier. On s’en sert aussi en dérision pour signifier une espée en general. C’est un traisneur de rapiere. Il a quitté le Palais, & a pris la rapiere. Il a mis la rapiere à son costé. »
Des auteurs associent la rapière aux
maîtres d’armes étrangers, et ce n’est pas forcément pour en dire du bien. George
Silvers (encore lui) abonde dans ce sens, critiquant l’usage de la rapière, et les
formes d’escrime qui y sont associées : elles sont pratiquées par les Italiens,
les Français et les Espagnols. Ils préfèrent à la rapière, une épée « courte »,
qu’il dit traditionnelle en Angleterre.
D’ailleurs, l’une des premières
occurrences écrites du terme rapière est anglaise : dans un texte datant
de 1503-1504, écrit sous la forme Rappyer. Cela nous conduit aux nombreuses
pistes étymologiques sur ce mot aux origines incertaines. Voici quelques-unes
des hypothèses récurrentes (il y en a peut-être d’autres) :
-
Hypothèses sur une origine espagnole :
o
Soit dérivé d’espada ropera, ce qui peut se
traduire par épée de robe ou d’habits. Ce serait donc l’épée que l’on portait
avec une tenue civile. La première occurrence de ce terme date du XVe siècle, dans
un texte de 1468, et la seconde de 1503.
o
Soit dérivé du mot raspar, signifiant racler,
rayer ou encore gratter.
-
Hypothèses sur une origine française :
o
Le mot serait dérivé de la râpe, car la
poignée de cette épée ressemblerait à une râpe.
o
Le terme pourrait être dérivé du grec rapizein ,
qui signifie frapper.
o
En France le mot apparaît la première fois en
1474 sous la forme « espee rapiere », (donc très proche de la forme espada
ropera citée précédemment).
-
Hypothèse sur une origine purement
germanique :
o
Dérivé plus précisément d‘un mot d’argot ayant
pour sens l’action de râper ou de frapper.
Il est compliqué d’avoir une certitude
absolue quant à l’origine de ce mot. Néanmoins, dans The Rapier and Small
sword, A.V.B. Norman mets en avant la première hypothèse en s’appuyant sur un
ouvrage de 1532 (ou 1533), écrit par Giles Duwes, « An introductorie for to
lerne, to rede, to pronounce, and to speake Frenche trewly » définissant « la
rapiere » comme étant « the sapnish sword ». Cette définition fait
résonance à ladite « épée espagnole pratiquée à la manière des
italiens » de PH MAIR.
Un autre terme, utilisé par l’italien
Giacomo di Grassi est Striscia, qui renverrait
à l’aspect effilé de l’arme, ou au terme général Spada (épée en italien).
Un autre nom (si ce n’est une autre
arme) qu’il faut évoquer, est l’épée de côté (sapda de lato pour les Italiens,
sidesword en anglais). Le mot est utilisé de nos jours pour identifier des
épées de la fin du XVIe siècle, alors qu’il y a peu d’occurrences anciennes du
terme. Angelo Viggiani l’utilise pour désigner le type d’épée que l’on porte au
côté, avec un sens générique. Finalement, c’est surtout une expression usuelle
moderne, la différence entre une épée de côté et une rapière étant relativement
subjective.
La rapière dans les sources martiales
Les livres d’armes des XVIe et XVIIe
siècles sont nombreux, et la majorité traite uniquement de l’épée / rapière
(je vous invite à lire l’article du capitaine sur la diversité des armes du
XVIIe siècle). La tendance actuelle est de classifier par « traditions »
et/ou « origines » : escrimes italiennes, escrime commune
ibérique, Verdadera Destreza, traités Français, traités Germaniques, traités Anglais,
etc.
La majorité de ces ouvrages sont des
imprimés, et une plus faible quantité sont des manuscrits. L’imprimerie, ainsi
que l’amélioration des méthodes de rédaction des ouvrages didactiques, rendent leurs
lectures relativement abordables (si on compare à des ouvrages plus anciens). Néanmoins certains ouvrages comme le MS No.376 - Brief Instructions upon my
Paradoxes of Defence- restent opaques pour nous, lecteurs modernes. L’absence d’iconographies
détaillées, parfois associée à des textes lacunaires, peut générer des
incertitudes sur la nature de l’épée à utiliser. Par exemple, c’est le cas du MS
PBA 58 : son auteur, Domingo Luis Godinho, ne décrit pas les épées qu’il
faut utiliser.
Dans la pratique AMHEsque de la rapière, deux styles d’escrimes se distinguent particulièrement en raison du grand nombre de manuels disponibles :
- L’escrime italienne du début XVIIe, et les formes qui en découlent. En grande partie, les techniques reposent sur le jeu long, mettant l’accent sur les feintes et les cavations. Cette escrime nécessite une lame plutôt longue, et une bonne répartition de la masse.
- La Verdadera Destreza, un système d’escrime défensif, dont l’un des principaux ressorts est le contrôle de l’espace et de l’arme adverse. Le jeu est plus court qu’en escrime italienne, et laisse une part importante aux techniques de liages (travail au fer) ainsi qu’aux coups de taille. Pas besoin d’une lame excessivement longue et une répartition de la masse sur l’avant permet d’avoir un liage fort.
Ce sont deux descriptions à l’emporte-pièce, mais cela montre des approches différentes de l’escrime, nécessitant chacune des armes aux caractéristiques spécifiques.
D’un texte à l’autre, il y a différents
degrés de précision. Il n’est pas rare que les auteurs s’appuient sur des
raisonnements pseudo-scientifiques de leur époque. L’un des raisonnements le plus commun est de proportionner l’arme par rapport à des parties du corps
humain.
Capo Ferro, maître d’armes du début XVIIe siècle ayant écrit un ouvrage appartenant à la tradition italienne, donne trois
indications :
- l’épée doit être deux fois plus longue que le bras.
- l’épée fait la longueur d’un pas double (pour faire simple : une fente).
- l’épée arrive à hauteur de l’aisselle de l’escrimeur.
Sa rapière est donc relativement
longue, 130cm environ pour un homme d’1m75. Il semble qu’Alfieri, une
cinquantaine d’années plus tard, ai des considérations similaires.
D’autres auteurs donnent des cotes
précises, comme Swetnam, qui indique qu’une lame de rapière doit faire 4 pieds
de long (envions 1m20).
Girard Thibault d’Anvers, dans on Académie de l’épée, donne une proportion plus petite que celle de Capo Ferro. Il fait partie des auteurs les plus précis dans sa façon de dimensionner l’épée. La lame doit avoir une longueur pointe–quillons qui correspondent au rayon du cercle qu’il utilise pour enseigner son système (le cercle est lui-même proportionné à l’escrimeur), ou une longueur équivalente à la hauteur pied-nombril de l’escrimeur. Les quillons sont dimensionnés selon la ligne pédale, ce qui équivaut à la longueur du pied sans les orteils, et ainsi de suite.
Les auteurs de la Verdadera Destreza (l’escrime géométrique espagnole), donnent également des proportions. Ainsi des auteurs tel que Don Luis Pacheco de Narvaez ou encore Rada se conforme à l’ordonnance royale de Philip II, datant de 1564 et réglementant la longueur des lames à 5/4 de Vara, soit un peu moins de 1m05. Ils s’appuient aussi sur ce qu’ils considéraient comme la proportion « naturelle » d’un humain (hauteur de 1m67). Les quillons doivent faire 1/6éme du corps (28cm). Pour la longueur de la poignée, il est indiqué que le pommeau doit arriver un peu après la pulpe de la main (ce qui permet de ne pas encombrer les mouvements de poignée), ce qui donne une poignée assez courte. Pour eux, la logique visant à proportionner l’épée au corps humain « naturelle » s’applique également à la dague, cette dernières devant mesurer la moitié de la longueur de l’épée (56cm). A noter que les boucliers (boucles / rodela) font la même proportion que la dague.
Représentation de rapières dans le livre Metodo de ensenanza de maestros en la ciencia filosofica de la verdadera destreza matematica de la armas, Diaz de Viedma, 1639.
Pacheco à une opinion tranchée sur
l’importance de ces proportions (ainsi que sur ceux qui ne les respecteraient
pas). Il explique que les personnes utilisant des épées plus longues sont des
couards, méprisables, diminuant la valeur de leur nom sur 5 générations, que
cela rend la personne détestable et efféminée, etc ( et là je vous ai
donné la version synthétique de son texte). L’épée destinée à la Destreza se
distingue également par la dimension et la forme des quillons : ils sont
droits et longs, afin de se protéger et de verrouiller la lame adverse.
Comme dit ci-dessus, le roi Philippe II
d’Espagne a légiféré sur la longueur des épées. Le but était de limiter la
violence des combats entre civile, que ça soit des duels ou des rixes. Les
conséquences mortelles de ces pratiques impactent la démographie de la
noblesse, et vont à l’encontre de la morale religieuse de l’époque. La
réglementation de la longueur des rapières se retrouve également dans d’autres
pays comme le Portugal, où plusieurs édits ont été promulgués. L’un des
premiers imposait une longueur de 5 palmes de vara, soit environ 110 cm, le second
augmente la longueur (110 cm à partir de la croix) afin de ne pas désavantager
les escrimeurs portugais face aux étranges. Un autre aspect intéressant des
textes portugais, est la présence d’une interdiction de vente et de production
de lames plus longues.
George Silver apporte un autre
argument en faveur d’épée plus courte : l’épée est moins encombrante, donc
mieux adaptée aux champs de batailles (contrairement à la rapière plus
encombrante et pourtant présente sur les théâtres militaires).
Ces textes législatifs sur les
dimensions des rapières montrent que la tendance était à l’allongement des
lames et le besoin de limiter les effets des duels. L’efficacité de ces règles s’est
avérée limitée, car elles n’ont pas empêché les escrimeurs de s’équiper d’armes
de plus en plus longues, influencée notamment pas les modes des autres nations.
De plus, l’impact sur la violence des combats n’est pas mesurable : la plupart
des duels non organisés (ou rixe) se sont soldés, au mieux par des blessures
légères, au pire par plusieurs morts.
La représentation des armes nécessite du savoir-faire. Les techniques de tracés ainsi que de reproduction d’images ne permettent pas d’obtenir des représentations toujours fidèles. Dans son ouvrage sur l’escrime, Viedma (auteurs de la Verdadera Destreza) écrit sur la difficulté de trouver des graveurs ayant les compétences suffisantes, et à des tarifs accessibles. Ainsi, dans les livres d’armes, il n’est pas rare d’avoir des représentations simplifiées des épées, voir des représentations schématiques ou fantasmées.
En revanche, à partir du XVIe siècle, certains
tableaux et portraits ont un véritable intérêt pour nous :
- Les tableaux sont parfois plus détaillés que les gravures.
- On arrive facilement à trouver leurs années de production.
- Ils peuvent représenter des armes existantes et disponibles dans les musées ou collections.
Tous ces points sont intéressants pour
la classification des épées à travers les âges, mais également pour nous donner
des pistes de réflexion la symbolique des armes ainsi que leurs places dans
la société de l’époque.
Voici deux exemples :
Ci-dessus : ce tableau est l’une
des premières représentations d’une rapière à tazza, et pas ente les mains du
premier venu. En recoupant avec d’autres tableaux, on se rend compte que les
gardes à tazza se sont utilisées principalement durant la seconde moitié du
XVIIe siècle. Ce type de garde, très répandu dans l'escrime de spectacle et des
AMHE, est sujet à quelques erreurs : l’hypothèse d’une origine espagnole
reste à valider, le terme tazza /taza, (que je n’ai vu dans aucun documents
historiques) peut aussi bien venir de l’italien que l’espagnol. Sa forte
présence en Espagne peut s’expliquer par le fait que les espagnole ont
conservé la rapière comme armes traditionnelles jusqu’au XVIIIe siècle,
contrairement aux escrimeurs d’autres pays. Les premières gardes de ce type
apparaissent vers le milieu du XVIIe.
Ci-dessous : cet extrait offre un
détail d’une garde utilisée dans les années 1620, en Hollande, par un officier
d’ascendance noble. On peut également voir le fourreau, et notamment la
bouterolle (possiblement en laiton) à sa pointe.
Une autre façon de caractériser les
rapières de façon factuelle est de mesurer les originaux qui nous sont
parvenus. Comparer les mesures obtenues avec celles des reproductions nous
permet également de prendre du recul sur nos pratiques de l’escrime.
Pour cela, je me basse sur deux
articles. Le premier le travail, de Guillaume VAUTHIER, intitulé Étude De
Rapières Historiques De La Fin Du XVIe Et Du Début XVIIe siècles, contient une
analyse de données et des mesures provenant d’un échantillon de 111 épées du
fin XVIe au début XVIIe siècle. Le second est un article écrit par Florian FORTNER,
A comparison of late 16th to early 17th century rapiers with modern
reproductions, dans lequel est comparé des reproductions et des originaux (plutôt
adaptés aux escrimes italiennes). Pour la suite de l'article, l’étude de
G.VAUTHIER est nommée Etude 1 et celle de F. FORTNER est nommée Etude 2.
Nota : il faut prendre du recul
vis-à-vis de certaines hypothèses avancées sur la première étude (par exemple sur
les armes et l’escrime espagnole).
Plusieurs points ressortent de ces
analyses, et nous aident à mieux caractériser les rapières de cette période :
-
Longueurs :
o
Etude 1 : La longueur totale varie de
95 à 130 cm. Des artefacts plus longs (140cm environ) sont identifiés, mais ils
font figure d’exception dans cette étude.
o
Deux fourchettes de longueurs de lame ressortent
: 100 à 105 cm et 110 à 115cm. La fourchette 105 à 110cm est également importante,
mais à moindre niveau que les deux autres.
o
Etude 2 : La comparaison de la longueur
totale des épées montre que les rapières d'origines peuvent être plus longues, jusqu’à
une longueur de 1400mm. Les répliques ne dépassent pas 1300 mm de longueur.
-
Masse :
o
Etude 1 : La masse varie de 900g à 1,7kg.
La majorité des échantillons (65% à 70%°) font entre 1,1kg et 1,4kg.
o
Etude 2 : Les originaux ont un poids de
1130g à 1630g. Les répliques sont plus légères avec 990g à 1330g.
o
Il n’y pas de relation masse / longueur. Des
épées de 1m25 peuvent aussi bien peser 900g que 1,5kg.
-
Largeur de lame :
o
Etude 1 : L’épaisseur des lames à la base
est importante (environ 8 mm) et s’affine brutalement sur les 10 / 15 premiers
centimètre, puis s’affine progressivement jusqu’à atteindre environ 2mm sur les
derniers centimètres de la lame.
o
Etude 2 : les rapières historiques ont
une épaisseur au ricasso d'au moins 8,3 mm et la rapière moderne la plus
épaisse est de 6,2mm.
-
Autres mesures :
o
Etude 1 : Le centre de gravité se situe dans
un intervalle allant de 9 à 17cm (de la poignée).
o
Etude 2 : Le POB (point de balance) des pièces
historiques se situe entre 95mm et 140mm des quillons. Le POB de la A1318 est à
155mm, mais la forme de sa lame est très différente d'autres rapières historiques. Certaines répliques sont similaires, d’autres plus proche
de la garde.
-
Longueurs des poignées :
o Etude 1 : La longueur de la poignée (plus
le pommeau) est généralement d’une quinzaine de centimètres.
o Les longueurs des poignées sont de 77mm à
84mm. En comparaison, les longueurs des répliques sont plus importantes, avec
une longueur pouvant atteindre 93mm.
Voici une comparaison entre les standards des deux études et quelques simulateurs destinés à des pratiques modernes :
Comparaison des dimensions entre les données des études et les mesures faites sur des reproductions m’appartenant. Pour les 2 études, les côtes données ici sont des moyennes, et entre parenthèses se trouvent les fourchettes côtes mini / maxi. *Rapière Destreza de Ferrum Armory ; *Rapière Italienne de Danelli.
Les caractéristiques des simulateurs
modernes sont peu comparables aux « standards » de l’époque (en tous
cas sur la période de transition XVIe / XVIIe siècle), les usages ainsi que les
savoir-faire ne sont plus les mêmes depuis 4 siècles. La rapière d’EA a des
écarts importants. En escrime de spectacles, il n’est pas rare
d’utiliser des rapières fines, légères, avec des lames triangulaires et
courtes. Ces simulateurs répondent à des besoins spécifiques et n’ont pas
grand-chose à voir avec les artefacts présents dans les musées.
Au-delà de ces deux articles, si on
regarde les caractéristiques sur une période plus large, les masses varient, et
tendent à diminuer sur la seconde moitié du XVIIe siècle. Globalement, depuis le
XVIe siècle la longueur des lames augmente (d’où les limitations réglementaires
dans certains pays), puis vers le milieu du siècle, la longueur se stabilise (voire même commence à diminuer). Dans beaucoup de pays européens, des épées de transitions
(à mi-chemin entre rapière et épée de cour) apparaissent, alors que dans d’autres,
comme l’Espagne, les rapières perdurent au moins jusqu’au début du XVIIIe
siècle.
Pour conclure sur les caractéristiques
des rapières, je vous invite à lire les excellents articles d’Ensis Sub Caleo,
qui propose entre autres des contenus sur la dynamique physique des armes ou
encore sur la représentation graphique de la distribution de masse dans une
épée.
Classification des modèles historiques
Afin d’identifier et de caractériser
des types d’armes, il est commun de faire appel à des outils de classifications,
tels que la classification de E.OAKESHOTT. Ces classifications sont utiles,
mais il ne faut pas oublier qu’elles répondent à des besoins modernes qui ne font pas sens à l’époque.
Comme évoqué au début de cet article,
l’ouvrage Rapier and Small-Sword,
1460-1820 de l’historien A.V.B. Norman est sûrement l’une des
classifications les plus complète en ce qui concerne la classification des épées
du XVIe au XVIIe siècles. L’auteur propose un catalogue riche (plus d’une
centaine de types de pièces) et détaillé.
C’est sur cette base que je vais vous
présenter et essayer de caractériser quelques pièces de musée, mais avant : comment
fonctionne cette classification ?
Il est compliqué de caractériser l’ensemble
d’une épée / rapière (du pommeau à la pointe), car les assemblages sont
cosmopolites. Il n’est pas rare que les lames viennent d’une région de l’Europe
et les gardes d’une autre. Les fourbisseurs peuvent ainsi produire des épées
ayant des caractéristiques très diverses, en bénéficiant des savoir-faire et
avantages qu’offrent différentes manufactures.
Cependant, il est possible de classifier
les différentes parties d’une l’épée, puis d’identifier les assemblages les
plus communs. Par exemple, Norman observe que le pommeau type 33 (il donne des
numéros à chacun des modèles identifiés) est généralement assemblés avec des gardes
de types 100 à 103. C’est cela qui rend la classification A.V.B. Norman
particulièrement intéressante.
Un aspect qui n’entre pas dans la classification,
mais que A.V.B. Norman prend le temps de développer et de décrire, ce sont les
décorations : l’épée, de plus en plus présente sur les tenues civiles, est
une composante importante de l'habillement masculin. A partir du XVIe siècle, les épées
s’embellissent par différents procédés. Certaines gardes sont de véritables
œuvres d’arts, et des démonstrations des savoir-faire de l’époque :
émaillage, sertissage, gravure, dorure, damasquinage, etc.
Regardons les différentes pièces qui composent une rapière
Les lames :
Il en existe de toutes les formes
(lenticulaire, hexagonale, triangle, etc), de toutes les longueurs, avec
parfois une ou des saignés destinées à alléger l’arme et/ou à renforcer sa
structure. Les lames à section triangulaire, que l’on trouve sur des rapières
tardives (généralement de la seconde moitié du XVIIe siècle), étaient plus
longues et plus larges que celles utilisées en escrime artistique.
Pour l’entraînement et les pratiques
ludiques, les lames avaient des tranchants rabotés et des pointes boutonnées.
Dans les livres d’armes ibériques, l’épée sécurisée est généralement qualifiée
de noire, par opposition à l’épée affûtée, dite blanche.
Les poignées :
Beaucoup de rapières qui nous sont
parvenues ont des poignées dégradées. Généralement la fusée en bois (travaillé
ou non) est recouverte d’un filigrane métallique, ou d’un matériau souple tel
que du cuir ou du tissu. Sur certaines armes, il y a des barrettes décoratives
en métal ou matériaux précieux (de l’ivoire par exemple). Les poignées avec
filigranes métalliques étaient probablement très rependues pour des raisons esthétiques
et pratiques. Certes un grip en filigrane métallique « arrache » la
main (ou le gant), mais offre une meilleure tenue, ce qui est appréciable quand
l’on combat pour sa vie.
Le pommeau :
Il en existe de toutes les formes et
de toutes les masses, selon les besoins. Ils peuvent être en deux parties : le
pommeau, et le bouton (partie qui vient bloquer l’assemblage). Ils sont
assemblés par martelage / rivetage, ou par vissage (il semblerait que cette méthode
existait déjà à l’époque). Norman a identifié 93 formes différentes, et ne
prend pas en compte certaines variantes (par exemple, les types 32 peuvent être
circulaires, ou au contraire avoir plusieurs faces planes).
Il en existe un grand nombre de formes
différentes, auquel on a attribué, parfois à tort, une origine géographique. A.V.B
Norman s’est contenté de les identifier par des numéros et de caractériser de
façon globale chacun de ces types en se basant sur différentes collections ainsi
que des sources iconographiques.
Beaucoup de types de garde se sont
côtoyés. Au début du XVIe, il y a peu de fioritures : une croix (un écusson avec
des quillons de part et d’autre) et parfois quelques bouts d’anneaux ou un pas
d’âne. Dans la seconde moitié du XVIe les entrelacs et les anneaux de métal se
font de plus en plus nombreux, puis des petites coquilles sont parfois
ajoutées. C’est après le 1er quart du XVIIe siècle que les gardes
avec des coquilles intégrales apparaissent, et notamment en Espagne avec les
épées dites à conchas (coquille / coquillage), puis vers le milieu du XVIIe siècle
les gardes à coquilles hémisphériques (Tazza). Les
avantages de ces gardes à coquilles sont multiples : la structure est
résistante tout en conférant une bonne protection (la coquille crée un cône de
protection à la manière d’un bocle) sans pour autant augmenter la masse de
l’arme.
La garde intérieure :
Souvent, les gardes ne sont pas
symétriques de part et d’autre des quillons, c’est pourquoi A.V.B Norman sépare
la classification en deux : une classification globale et une
classification des parties intérieures des gardes. Il a identifié environ 39
types de gardes intérieures.
Comme vous l’avez compris, il est
compliqué de définir ce qu’est une rapière. Ces armes ont existé pendant deux
siècles, utilisées à travers l’Europe aussi bien pour des pratiques récréatives
que pour les affaires sérieuses, ainsi qu’à la guerre. Ses caractéristiques ont
changé aux grès des besoins ainsi que des savoir-faire techniques.
De nos jours, le mot est utilisé par
convention, et avec un sens quelque peu différent de ceux des XVIe et XVIIe
siècles. Nous utilisons des simulateurs d’armes souvent bien éloignés des
armes utilisées historiquement. Dans nos interprétations des escrimes
historiques, cet aspect matériel est fondamental. Nos simulateurs sont adaptés
à nos pratiques modernes, comme les escrimeurs de ces époques adaptaient leurs
armes à leurs besoins.
L’étude des livres d’armes, des
pratiques martiales ainsi des matériels d’époque, nous permet d’affiner nos connaissances
sur les subtilités qui caractérisent ces armes. À cette fin, il est de plus en
plus commun d’utiliser une multitude termes afin de mieux différencier les
épées cette vaste période : proto rapière, rapière de transition,
sidesword / épée de côté, etc. Que ça soit en EA ou dans les AHME, dès que nous
abordons les caractéristiques historiques de ces armes, il faut être conscient
des subtilités qui se cachent derrière. Les classifications, bien qu’utiles,
restent des outils avec des limites.
Enfin, si vous avez des éléments
complémentaires, je suis preneur. N’hésitez pas à laisser un commentaire sous l’article, en citant
la source ou l’article de référence.
Quelques liens :
- Rapier and Small-Sword, 1460-1820 de A.V.B. Norman.
- La loi du duel, Claude CHAUCHADIS.
- https://www.wiktenauer.com/wiki/Verzeichnis_etlicher_St%c3%bccke_des_Fechtens_im_Rapier_(MS_Germ.Fol.1476).
- Egerton Castle, Schools and master of fence, London, 1893.
- Relacion de los inventarios que se ficieron en los bienes muebles que tenia el duque don Alvaro de Zuniga, 1468.
- MS PBA 58 - Domingo Luis Godinho, 1599.
- https://literes.hypotheses.org/index-des-objets/la-rapiere
- https://lecarousseldesamhe.wordpress.com/2014/09/12/index-des-nombreuses-pieces-descrime-avec-la-rapiere-que-le-carrousel-apprit-a-francfort-sur-loder-dans-un-bouquin-une-transcription-de-bouquin/
- https://www.ffamhe.fr/wiki/Luis_Pacheco_de_Narv%C3%A1ez
- https://www.ffamhe.fr/wiki/Cat%C3%A9gorie:Trait%C3%A9
- http://www.detailleetdestoc.com/travaux/
- https://blog.subcaelo.net/ensis/
- https://collections.royalarmouries.org/
- https://lectureetcombat.home.blog/2019/08/17/lepee-seule-de-joachim-meyer-partie-1-introduction/?fbclid=IwAR3NqUJxs7qqYwIIJBysD1MithVjKACT1EJ5QfT8cWvXbkxh4du5LrScuEw
- https://www.metmuseum.org/art/collection/search/22366?fbclid=IwAR13gmRp7jRb77v6VH8hT6IfS-5h92zv6zumoi8XIU5s9WGz618Bu57ex7E
- Alguns nomes históricos em galego/português para as partes da espada - http://ageaeditora.com/en/nomes-partes-da-espada/
- https://www.academia.edu/42706916/16th_century_Portuguese_laws_concerning_the_lenght_of_swords
- http://www.rapier.at/2015/10/28/a-comparison-of-late-16th-to-early-17th-century-rapiers-with-modern-reproductions/
- https://www.academia.edu/42706916/16th_century_Portuguese_laws_concerning_the_lenght_of_swords
- https://www.littre.org/definition/rapi%C3%A8re
- http://www.rapier.at/2015/10/28/a-comparison-of-late-16th-to-early-17th-century-rapiers-with-modern-reproductions/
Bonjour ,
RépondreSupprimervous parlez de "cravations" dans l'escrime italienne, pouvez vous me dire d'où vient la traduction ? (J'ai toujours lu cavation et non cravation)
Merci,
Merci. C'est une faute de frappe.
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