mercredi 19 juillet 2023

Profils et archétypes, l'art d'associer vite à ses personnages une escrime adaptée à leur personnalité.

Bonjour à tous, ici le Baron de Sigognac pour vous desservir. 


Je souhaitais aujourd'hui revenir une nouvelle fois sur les archétypes de notre bon Capitaine : Les neuf types de combattants : ma typologie révisée et rationalisée.

Ha ! Au passage, je n'ai rien contre le fait de répondre à vos interrogations, ni même d'écouter vos objections. Au contraire, apprenons ensemble et progressons. Cependant, si le Capitaine et moi mettons parfois des liens dans nos publications c'est pour que vous sachiez de quoi nous parlons. 

Si vous faites l'impasse, ce n'est pas grave, nous y arriverons, mais admettez que ce sera plus long. Bref précision faite, passons.


Cyrano de Bergerac avec l'acteur Gérard Depardieu, 1990

Introduction.


Je désirais donc revenir sur cette notion. Non pas pour la développer mais l'associer, cette fois, à une autre classification que j'aime utiliser. 

En effet, les archétypes ont pour eux l'efficacité, lorsque nous sommes appelés à créer, de visualiser assez vite les mentalités et niveaux de ceux que nous pouvons être amenés à jouer. Il y a ce côté RPG, plaisant à mes yeux, qui nous aide à imaginer et décider. 

En revanche, cela peut devenir assez flou quand il s'agit de déterminer si notre personnage va plutôt attaquer, défendre, contrer etc... 

A) Les archétypes, un outil idéal pour établir une mentalité, mais peu adapté pour définir une escrime adaptée à leur personnalité.

Par exemple : est-ce que l'athlète est un expert destiné à contre-attaquer ?

Par athlète, je reprécise que je parle de celui de la classification du Capitaine, dont le lien est juste au-dessus, et non d'un athlète réel. Vous pouvez appliquer ce même raisonnement pour le vieux briscard qui n'est pas vieux, mais bien un personnage  expérimenté qui a appris à combattre sur le tas sans être forcément âgé. Nous pouvons être un vieux briscard avant trente ans, m'voyez. Bon, si c'est déjà trop âgé pour vous, là je ne peux plus aider. 

Bref, le doit-il ? Est ce cohérent avec sa personnalité ? Doit-il au contraire attaquer, défendre…  

Les archétypes nous laissent quelques pistes, mais avouons que cet aspect n'est pas leur tasse de thé. Je dirais même que c'est plus notre expérience qui va nous aider à trouver les techniques et tactiques appropriées. Ce qui peut ne pas fonctionner et nous amener à nous questionner sur des outils et notions supplémentaires pour mieux  comprendre ce que nous pouvons créer. Sans y passer la matinée. 

Alors, ce sera étrange pour certains, mais ces interrogations peuvent trouver des réponses dans l'escrime olympique. Et plus précisément l'épée. 
Je conviens que des éléments peuvent surement se dénicher ailleurs, mais en effet, ceux que je vais citer proviennent tous du même livre : L'Esprit de l'Épée, de son titre complet L'Esprit de l'Épée, une approche tactique et mentale


C'est lui. Est-ce que je vous conseille de vous le procurer ? OUI !


B) L'Esprit de l'Épée et les profils élémentaires, une catégorisation des escrimeurs en quatre profils pouvant être vus comme des déclinaisons de leurs personnalités. 

Que contient-il ?

1) L'Esprit de l'Épée et ses profils élémentaires.


Écrit par les Maîtres Rémy Delhomme, Jean-François Di Martino et Frédéric Carre, édité en 2016 par les éditions Amphora, approuvé par la FFE, l'ouvrage se destine aux épéistes à l'aide d'une approche, je cite son quatrième de couverture, "complètement novatrice qui va bouleverser les codes et les écrits de référence où l'enseignement est centré uniquement sur la technique."

Dans sa préface, le Maître Michel Sicard va un peu plus loin : "Donner du sens à la pratique de l'épée est la force de ce livre. Les auteurs ont pris le parti de problématiser des situations de combat plutôt que de s'adosser aux apprentissages techniques qui donnent des réponses à des problèmes non encore posés."

Voilà pour les intentions, en ce qui concerne le programme, selon une nouvelle fois le quatrième de couverture : "À travers les notions de distances, de préparations, de pièges et d'une définition révolutionnaire des "profils de jeu", ils vous livrent une conception résolument moderne de l'épée."

Je vous laisse juges des qualités exprimées, mais ces notions sont effectivement traitées, notamment celle des profils de jeu qui va particulièrement nous intéresser. 

Renommés profils élémentaires (de l'épéiste) par les auteurs, ils sont définis au nombre de quatre : conquérant, blindeur, presseur, contreur.

À la base de ce raisonnement, l'ouvrage part du principe qu'initialement les épéistes peuvent se diviser en deux catégories : attaquants et défenseurs, mais aussi comme ouvreurs et fermeurs.

Dans le détail, les attaquants sont ceux qui prennent les décisions d'attaques tandis que les défenseurs s'occupent de leur défense. Dans le même style, les ouvreurs seront les escrimeurs qui "prennent l'initiative de rentrer dans la distance" alors que les fermeurs décident, au contraire d'inciter "l'adversaire à rentrer dans la distance en refusant de faire le premier pas". 

Ainsi, chacun se voit attribuer deux critères en fonction de son style : attaquant ou défenseur puis, ouvreur ou fermeur. C'est cette association qui constitue, selon les auteurs, ces quatre profils élémentaires nous donnant : 

Le blindeur : défenseur fermeur. 

Le conquérant : attaquant ouvreur.

Le presseur : défenseur ouvreur.

Le contreur : attaquant fermeur. 

Bon, c'est peut-être encore un peu abscons. Donc, je vais essayer de vulgariser pour que nous puissions continuer. 

Lui, par exemple, il n'avait pas tout compris. Cyrano de Bergerac toujours avec Gérard Depardieu,1990

2) Quelques remarques pour la compréhension. 


Déjà, vous avez pu remarquer que les notions d'attaquant et défenseur s'avèrent plus précises que la nôtre. L'attaquant pour l'ouvrage c'est celui qui décide de son attaque et non celui qui exécute une offensive en avançant. Tout comme le défenseur est celui qui décide de sa défense.
En réalité, ce que nous appelons par habitude attaquant et défenseur, correspondrait plus à ce que L'Esprit de l'Épée nomme conquérant et blindeur. 
En effet, notre attaquant rentre dans la distance et décide de l'attaque. Je vous passe les actions de pieds fermes. Vous avouerez qu'en escrime de scène nous visualisons en priorité nos offensives et défensives en déplacements. De fait, c'est un ouvreur qui décide d'attaquer. Un conquérant par conséquent. 

Pour le défenseur c'est son opposé. Il refuse de rentrer dans la distance, prépare sa défense : un blindeur à ne pas en douter.

Ainsi, quand vous voyez un escrimeur aller de l'avant et enchaîner des offensives, c'est un conquérant, simple. S'il recule et passe d'une parade à l'autre, c'est un blindeur, basique. Bon, peut-être un blindeur un peu mauvais parce qu'il oublie de riposter.

Le presseur comme le conquérant avance, rentre en premier dans la distance. Toutefois, à la différence du conquérant, il va attendre que ce soit l'autre qui décide d'attaquer. Pour ne pas dire qu'il va chercher à l'y pousser. Son objectif sera d'en profiter pour contre-attaquer, riposter ou faire tomber dans le vide pour ensuite attaquer. Il ouvre, semble avancer pour attaquer, mais cherche à défendre en vérité. 

Au contraire, le contreur décide de l'attaque, mais laisse son adversaire venir. Son objectif est normalement de sanctionner une erreur de préparation de main et / ou de jambe. Les contre-offensives, contre-attaque au fer, prises de fer… sont ses armes privilégiées. 

Enfin, vu que nous sommes habitués par notre pratique à voir un escrime de scène qui avance et un autre qui recule. Nous pouvons schématiser ainsi : celui qui recule plus facilement un contreur et / ou un blindeur, alors que celui qui avance sera plus dans le presseur et le conquérant. 

C'est plus complexe que ça, vous vous en doutez, mais c'est bien pour commencer. 

3) Un profil principal propre à chaque escrimeur et pouvant être vu comme découlant de leur personnalité. 

Pour les auteurs, chaque escrimeur disposerait d'un profil principal et, dès un certain niveau, d'un secondaire. Au moins. 

Cependant, ce qui va le plus nous intéresser c'est que le livre souligne que ces profils principaux peuvent être vu comme une déclinaison de la personnalité du tireur. 

Alors certes, dans une note de bas de page les auteurs reconnaissent qu'ils n'apporteront pas la démonstration de cette affirmation, ni une analogie étayée autour de profils psychologiques. Analogie qu'ils trouveraient de toutes façons imparfaites en l'absence d'études complémentaires. Cependant, ils la trouvent suffisamment juste pour l'utiliser, sûrement en lien avec ce qu'ils ont pu observer pendant des années. Prenez le donc, comme une vision empirique avec tous les défauts que cela peut comporter. 

Pour ma part, je partirai du postulat qu'ils ne se sont pas trompés. 

Et vous l'aurez deviné, de ce fait, nous avons la clé qui nous manquait. 


Et voilà, c'est plié ! On peut y aller ? Cyrano de Bergerac, Depardieu, vous savez.


C) Archétypes et profils, une combinaison pouvant associer des personnages à une escrime adaptée à leurs personnalités. 

Revenons à nos archétypes. Chacun possède sa mentalité. Terme que nous pouvons facilement remplacer par personnalité. De son côté, L'Esprit de l'Épée souligne qu'un escrimeur dispose d'un profil principal qui peut se voir comme découlant de sa personnalité. 

Dès lors, l'association de ces deux notions semble parfaite pour associer rapidement nos  archétypes, dont leurs personnages, avec une escrime conforme à leur personnalité.  Ce que les archétypes, seul, n'arrivait pas à déterminer nous forçant à investir un certain temps. Quelque soit notre expérience. 

Certes, j'en vois déjà hurler que L'Esprit de l'Épée ne parle que d'épée et que nous ne pouvons donc pas l'exploiter. Imaginez un peu ! Utiliser des profils élémentaires d'épéistes olympique alors que nous mettons sur pied de l'escrime médiévale chorégraphiée. Pourquoi pas nous demander de pratiquer de l'escrime olympique pendant qu'on y est. 

Alors d'une part, je préciserai que les derniers à m'avoir fait réellement évoluer sur ma pratique de l'escrime de scène étaient des Maîtres d'Armes sportifs qui ne parlaient que d'escrime sportive. Faites en ce que vous voulez. D'autres part, la notion de profil élémentaire est d'une utilité qui dépasse largement, à mes yeux, le simple cadre de l'épée olympique. Nous pouvons parfaitement l'exploiter pour d'autres activités. C'est mon idée. Vous pouvez ne pas y adhérer, mais soyez conscient que tout ce que je vais développer derrière partira de cette idée : les profils élémentaires peuvent s'utiliser en escrime chorégraphiée.

Donc nous avons nos archétypes. Par simplicité nous allons les cantonner à nos trois experts : l'artiste, le vieux briscard et l'athlète. Nous avons aussi nos profils : blindeur, conquérant, presseur et contreur. Il convient maintenant de les combiner et de voir les couples archétypes-profils que nous pouvons valider. L'objectif étant pour chaque personnage de déterminer quelles catégories d'escrimeurs lui conviennent.

Et puisqu'il nous faut un premier, commençons par l'athlète, ce conquérant né. 


KAWAII DESU NE ! Hum ! Je m'égare... navré.


I L'athlète, un conquérant né, doué pour oppresser. 


Selon sa définition, "si le bagage technique de l'athlète est relativement basique, il compense cela par un engagement hors normes. Notons qu'enchaîner des attaques ou riposter rapidement suppose néanmoins une certaine maîtrise de son armes et de ses déplacements, on n'a donc pas affaire là à un personnage totalement ignorant de toutes techniques, mais il met d'abord l'accent sur le physique. L'athlète est donc plutôt jeune pour être capable de soutenir une telle intensité physique. Il peut donc s'agir d'une jeune héros ou d'une jeune héroïne, d'un compagnon. Si c'est un ennemi il est peu probable que cela soit le méchant principal mais cela sera plutôt son âme damnée (Dark Maul dans Star Wars par exemple).

Il fait assez peu d'attaques compliquées mais il pose problème par sa mobilité, la rapidité de ses gestes et la puissance de ses attaques. Néanmoins ses parades et ses attaques sont moins amples que celles de la Brute et il est plus à même d'enchaîner rapidement les attaques ou de riposter très vite après une parade ou une esquive. C'est d'ailleurs le personnage idéal pour placer des esquives, même un peu irréalistes."


Une description assez large, mais qui va nous permettre de focaliser notre personnage autour d'un profil type : le conquérant.

A) profil attendu : conquérant.


L'athlète en est-il un ?
Sa volonté d'imposer et de jouer de son physique le place d'emblée comme un ouvreur. Et attendu que la technique, bien qu'acceptable, n'est pas son point fort, nous pouvons considérer qu'il décidera en plus d'attaquer. Un conquérant né. 

Cependant, c'est plus par sa vitesse, son explosivité et la qualité de ses jambes qu'il montrera ses capacités. 
Je vous conseille de ce fait, d'user d'actions aux fers, de corps à corps et de toutes autres possibilités mettront en valeur sa supériorité physique lorsque vous le construisez. Certes, cela reste un expert, capable de s'escrimer, mais prenez garde de ne pas lui attribuer des actions trop complexes à réaliser. Genre une attaque composée intégrant plusieurs feintes. 

Enfin, ça, c'est si le partenaire ne joue pas un adversaire forçant l'athlète à s'adapter. 

Illustration d'une technique tirée du Livre d'escrime de Talhoffer, 1467 qu'un athlète pourrait utiliser.

B) profil secondaire, le presseur, mise en difficulté, contreur et blindeur.


Après tout nous serions vite tenté de mettre en face son opposé, un blindeur déterminé.  Pour de l'escrime de scène c'est assez téléphoné : un qui avance, un qui recule, un qui attaque comment veux tu que je ...

Cependant, rien n'y oblige. Surtout que cela devient vite un peu chiant.: Faites plus que défendre lorsque vous rompez !

En revanche, proposer des adversaires capables eux aussi d'aller l'avant ou de prendre l'initiative est tout à fait possible ; souhaitable. Après tout, nous simulons un combat, il est donc normal que les profils tactiques puissent, tout comme les archétypes et les techniques, rentrer en conflit.


Trois adaptations s'en dégagent : 

1. Les deux veulent conquérir soit une attaque simultanée. C'est très intéressant pour rentrer en jeu court, montrer que l'un des deux doit céder et se retrouve en difficulté. Par contre, c'est complexe à réaliser sur scène et je ne vous invite pas à le tenter sans être correctement formés. 

2. L'athlète agit comme un presseur. Il ouvre toujours, mais prend le parti de décider de sa défense. Ou, surpris, transforme sa décision offensive en action défensive. 

3. L'athlète agit comme un contreur. Il veut toujours rentrer dans la distance, mais malheureusement c'est son adversaire qui est le plus rapide. Cependant, il reste celui qui décide d'attaquer à l'aide cette fois de contre offensive, contre attaque au fer ... nous en avions déjà parlé. 
Toutefois, comme nous voyons l'athlète davantage comme un ouvreur, un oppresseur, prêt à tout pour grappiller du terrain, cette situation lui est plus inconfortable. Ce qui peut nous servir à montrer que le personnage est en difficulté. 

C'est encore pire si vous le faites blinder. Là c'est clair, notre athlète est complètement dépassé. Donc, mis à part pour le dévaloriser, ne le faites pas blinder ! JAMAIS ! KEIN BLINDER ! 

Pour résumer : vous pouvez faire osciller l'athlète entre conquérant et presseur. Pour plus d'effet, je vous conseillerai de privilégier celui de conquérant, son principal. Toutefois, dès que vous voulez le mettre en difficulté, le faire jouer contreur ou pire blindeur sera parfait. Surtout blindeur.


Une autre technique du Livre d'escrime de Talhoffer, 1467.

 
Passons désormais à mon préféré, le vieux briscard et ses fourberies préférées. 

II Le vieux briscard, contreur-presseur.

En premier, rappelons que c'est "un combattant expérimenté. Il a connu de nombreux combats et a su y survivre. Il a pu avoir ou non une formation académique mais, si c'est le cas, il a dépassé celle-ci pour y inclure tous les moyens de vaincre. Les vieux briscards sont rarement jeunes et leur expérience doit pouvoir se voir (avec éventuellement des cicatrices ou des vêtements ayant connus de meilleurs jours). Ils font de bons méchants mais également de bons compagnons du héros voire des héros plus sombres.

Ce personnage ne se refuse aucune ruse ou aucune technique, qu'elle soit ou non orthodoxe. Il peut mélanger plusieurs styles d'escrime et/ou les agrémenter de touches personnelles. Il n'aura aucun scrupule à attaquer en groupe voire à laisser ses sbires faire le sale travail. Néanmoins, se sachant très bon combattant, il peut aussi être arrogant et accepter un combat déséquilibré car il est sûr de sa valeur et sait comment gérer ce genre de situation. Malgré cela, si il tombe sur vraiment plus fort que lui, il peut tout à fait fuir (par exemple si ses sbires se sont fait tuer)."


Pour le coup, le choix est moins évident. Le fait que ce personnage soit capable de mélanger les styles et les techniques peut lui donner, à priori, un air de couteau suisse sans profil principal évident. Pourtant, ce serait rater son côté fourbe, approprié à deux profils particuliers : le presseur et le contreur. 


Le Capitaine s'en était déjà servie pour illustrer le vieux briscard, alors je la reprends. Photo du film Capitaine Alatriste de Agustin Diaz Yanes, 2006



A) profils principaux : presseur et / ou contreur


Très bon en tout, expert en rien, le vieux briscard ne peut espérer rivaliser en technique avec un artiste, fait juste un peu mieux que l'athlète sans disposer de son physique. Bref, sur le papier c'est pas gagné.

Cependant, il a une arme, une arme si effroyable qu'il a pu, comme son nom l'indique, survivre et gagner en expérience jusqu'à mériter son rang. Cette arme, c'est la ruse. 
Chaque expert en est doté plus ou moins, mais le vieux briscard a élevé la sienne au rang de maître et sait pertinemment que sa force n'est de ne jamais suivre les règles. 

En escrime, elle peuvent s'affilier aux profils des conquérants, purs attaquants et des blindeurs, purs défenseurs. Ces profils sont d'ailleurs ceux qu'on encourage dans les armes dites conventionnelles : sabre et fleuret.

Je sais, L'esprit de l'épée parle d'épée, une arme non conventionnelle et notre pratique d'escrime de scène simule quasi systématiquement des combats, eux aussi, non conventionnels, mais quand même.

Dans notre histoire, le vieux briscard est certain d'une chose : il ne peut gagner contre un autre expert en conquérant ou blindant. Du moins, volontairement.  Au contraire, il doit pousser son adversaire à la "faute", la précipitation. Des situations qui collent mieux à sa philosophie et nous orientent tranquillement vers le profil de presseur qui bien qu'ouvreur va laisser l'adversaire décider d'attaquer, ou celui de contreur refusant d'entrer dans la distance, mais qui attaquera le premier. 

Comme ces deux profils sont possibles, il nous est libre d'en choisir un comme principal, l'autre comme secondaire ou carrément décider que notre vieux briscard jouera équitablement des deux. 

Quoiqu'il en soit, riposte et contre offensive de haut niveau, cela reste un expert, constituent l'essentiel de son arsenal. Un arsenal que le vieux briscard complétera volontiers de corps à corps, lutte et diverses tromperies. 


Exemple d'une situation qu'un vieux bricard affectionnerait particulièrement, tirée du traité de Paulus Hector Mair.  


B) Conquérant et blindeur, deux profils pouvant le mettre en difficulté.


Maintenant, que se passerait-il si l'adversaire n'était pas coopératif. De manière concertée quand même. N'allez pas improviser.  

1. Notre vieux briscard joue le contre. Cependant, son ennemi rentre dans la distance et attaque. De fait, il ne peut plus décider d'attaquer et se retrouve forcé à blinder. Sauf que nous avons bien précisé qu'il sait qu'il n'est pas fait pour ce profil. De quoi se retrouver en difficulté si la situation devait durer. 
Après, s'il s'agit de faire une parade de quarte au lieu d'un battement du même nom, ce n'est pas ça qui va le tuer. Ce n'est pas comme si la gestuelle en était drastiquement changée. 

2. Le vieux briscard désire presser, mais se rend compte que l'adversaire ne se décide pas à l'attaquer. Au contraire, celui ci va maintenir un solide jeu de blindeur. Contraint et forcé, notre expert se décide à attaquer et se retrouve conquérant à ses dépends. Ce qui va aussi le mettre en difficulté si cela dure trop longtemps. 

Pour résumer : le vieux briscard s'avère un excellent contreur et presseur. Il peut jouer blindeur et conquérant si cela s'avère nécessaire, mais de manière temporaire : une adaptation sur le moment qui ne doit pas s'éterniser sous peine de se retrouver réellement dominé. 


Une autre avec une arme plus "élégante". Position après avoir désarmé sur le coup de tierce (fig 37) de  l'École des Armes d'Angelo, 1763.
 

Ceci déclaré, il est temps de parler de l'artiste, notre petit dernier. 

III L'artiste, un maître à tout faire au profil principal déterminé par son interprète. 

L'artiste peut se voir comme "l'idéal du héros et du combattant. Il s'agit d'un escrimeur maîtrisant son art à la perfection et capable d'en exprimer toute la pureté. Cela regroupe essentiellement deux types de personnages : les maîtres d'armes et les héros chevaleresques. C'est d'Artagnan, Cyrano, Ivanhoé, Aragorn ou John Snow. Il s'agit souvent du type de personnage choisi lors des compétitions d'escrime artistique car il se prête idéalement à montrer de la belle escrime.

En effet, celle-ci doit respirer la grâce et la perfection du geste. On attend d'eux un parfait équilibre, une excellente maîtrise de l'arme et des déplacements. Si l'expert peut être vif, si il peut faire des feintes ou des provocations, c'est d'abord parce qu'il excelle en technique qu'il ou elle se bat bien. On l'imagine loyal, le genre à ne pas profiter d'être en supériorité numérique et à demander à un compagnon de ne pas intervenir, ou encore le seul type de personnage (ou presque), capable de rendre son épée à son ennemi après l'avoir désarmé."


Bref, il semble surtout pouvoir tout faire et c'est ce point qui va nous emmerder. 

A) Profils principaux possibles : tous ou la difficulté de choisir. 


Son statut de technicien suprême lui permet normalement de choisir le profil le plus adapté aux situations qui lui sont présentées. L'ennui ? Il n'existe pas un seul profil adapté. La manière de s'escrimer des adversaires qu'il affronte peut nous orienter. Toutefois, cela ne devrait pas nous laisser, là encore, une seule possibilité.  Pas quand on est un artiste. Nos choix sont multiples. Un conquérant nous agace. Réduisons le au silence en tant que contreur, blindeur ou mieux conquérant nous même. Une liberté qui, bien que génial, nous dérange pour trouver le profil principal. Un profil que nous devrons manifestement, contrairement aux deux autres archétypes, établir au cas pas cas. 

Ce n'est pas pour rien que nous considérons l'artiste comme le personnage le plus dur à interpréter. 

Heureusement, des éléments vont nous aiguiller. 


Que vous soyez un conquérant… Position de la garde de tierce et du coup de seconde (fig 7) de l'École des Armes d'Angelo, 1763.



B) Arme, supériorité, personnalité, autant d'éléments à déterminer pour choisir le profil adapté. 

Nous pouvons résumer, les motivations d'un artiste en deux catégories : confirmer qu'il est bien un maître de la belle escrime et montrer au public dont ses opposants sa supériorité morale et sociale. 

1) profils et belle escrime, un résultat dépendant de la logique de son arme. 

Lors de mon dernier article, France et escrime artistique : un monde d'artistes ?, j'avais écrit la phrase suivante :  "Et un combattant expert qui associerait aussi bien, escrime et corps à corps bah... c'est pas un artiste. Surtout quand il trouve ça normal, plus efficace... le vieux briscard. L'athlète parfois."

Or, ce n'était vrai qu'en considérant l'artiste comme un personnage formé par l'école française, le fleuret toussa toussa. Ici, en effet, la belle escrime représentée ne reconnaît pas le corps à corps ou la lutte. Cependant, si nous changions d'époque, disons le moyen âge, et que nous prenions de nouveau un artiste, il n'éprouverait pas ces problèmes : corps à corps et lutte faisant ici partie intégrante des escrimes proposées. 

Ainsi, notre artiste représente une belle escrime, mais en fonction de son époque ce ne sera pas la même. Et c'est là que c'est intéressant. Puisque les armes et philosophies changent, les logiques aussi dont des profils à privilégier : l'école française, pour l'exemple, met en avant la parade riposte en deux temps favorisant un profil de blindeur pour un personnage fermeur. Au contraire, l'épée longue valorise plus le fait de défendre et toucher en même temps, soit, toujours pour un fermeur, un jeu davantage de contreur : toucher de manière à se protéger, intercepter l'arme adverse si jamais ce dernier, pourtant en retard, décide d'attaquer. 

Donc, la logique de l'arme nous aide à identifier des profils pour notre artiste. Quand on vous dit de la connaître. Après, si cela ne suffit pas, abordons le rapport de ce personnage vis à vis de sa prétendue supériorité.

Un contreur... Demi volte sur les coups forcés en dehors des armes (fig 32) de l'École des Armes d'Angelo, 1763.


2) Complexe de supériorité de l'artiste et profils, la tentation du risque, du contreur et du presseur.


En effet, le complexe de supériorité de l'artiste peut l'amener à prendre des risques inconsidérés. Quitte à sortir de ce que la belle escrime aurait préconisé : jouer le contreur au lieu du blindeur, le presseur au lieu du conquérant, ainsi de suite. 

D'ailleurs je ne prends pas ces deux profils par hasard. D'expérience, c'est souvent eux qui ressortent lorsque nous souhaitons faire frimer ce personnage. 
Vous allez me dire que cela ressemble étrangement au vieux briscard. C'est pas faux. À la différence que le vieux briscard va aller au bout de son idée et chercher à terrasser son adversaire. L'artiste, sous le coup de son hubris, aura plus tendance à vouloir prouver à son opposant sa supériorité technique, soit morale et sociale, en le menaçant, l'humiliant, voire le blessant, mais en aucun cas en l'achevant. Du moins, pas avant un moment. 

Pour synthétiser, si votre artiste est arrogant, attribuez lui le profil de contreur ou de presseur. 

3) La personnalité de l'artiste, dernière possibilité pour déterminer son profil. 


Enfin, si cela ne suffit toujours pas, revenons à la base posée par l'Esprit de l'Épée : "On peut voir ces profils de jeu comme une déclinaison de la personnalité du tireur". 


Un presseur ou un blindeur. De la parade de prime sur coup de seconde (fig 21) l'École des Armes d'Angelo, 1763.



Quelle est donc cette personnalité ? Plutôt colérique ? Partons sur un conquérant. Parfois presseur. Prudent ? blindeur, ainsi de suite.

Pour la trouver, notons qu'elle peut être renseignée par une fiche de personnage, des consignes imposées comme rester à déterminer. 

Dans ce dernier cas, libre à vous de le fixer. Au besoin, miser sur votre propre personnalité. Attention, toutefois, à ne pas oublier ce que l'arme pratiquée et la supériorité de votre personnage auraient pu déjà baliser. 
Néanmoins, mis bout à bout ces trois éléments : arme, rapport à la supériorité et personnalité devraient vous permettre de déterminer le profil principal d'un artiste, son secondaire, mais aussi ses points faibles. 

Pour résumer : si la difficulté de l'artiste demeure sa capacité à jouer chaque profil sur le papier, il nous revient de l'identifier dans, au moins, un de ces profils. Les pistes que nous venons d'exposer sont là pour soutenir nos raisonnements à ce sujet. 

Conclusion


Par cet article, je souhaitais aborder avec vous, l'idée qu'en combinant les archétypes et les profils, proposés par L'esprit de l'Epée, nous pouvions disposer d'un cadre plus précis pour commencer à créer.

Si vous êtes du genre à fourmiller de projets, ces deux outils ne vous seront peut-être pas d'une grande utilité. Vous devez être assez rodés sur le sujet pour disposer de vos propres procédés.
Cependant, si ce n'était pas le cas ou que vous faites face au syndrome de la page blanche, souvenez-vous que tous les moyens sont bons pour vous lancer. 
Les archétypes ou les profils, seuls, peuvent déjà nous être d'une grande utilité. Toutefois, je ne peux que vous conseiller la combinaison des deux, formidable socle de départ : celui de rapidement nous guider dans nos personnages, mais aussi l'escrime à leur attribuer. 

Un gain de temps que nous pourrons mettre à profit pour répéter. Ce qui devrait en plus nous aider à trouver de meilleures idées. Rappelez-vous que nous pouvons toujours revenir en arrière et changer.

Une précision pour terminer : 

J'ai pris le parti de vous parler d'un outil, les profils élémentaires de l'Esprit de l'Épée que je sais particulier pour les raisons que je vous ai exposées. 
Je l'ai fait parce que je les utilise et que j'y crois. Cependant, il serait tout à fait normal que vous en préféreriez d'autres.

Tant que vous vous régalez et n'avez pas l'impression de vous rater, vous êtes bien libre de faire ce que vous voulez. Mais si un jour vous éprouvez une difficulté ou désirez simplement changer, archétypes et profils seront toujours là pour vous aider. Bien sûr, si vous le souhaitez.

Prenez le temps de le considérer. 

C'était le Baron de Sigognac. 

Je vous souhaite de nouveau un bon été.

dimanche 9 juillet 2023

France et escrime artistique : un monde d'artistes ?

Bonjour à tous ici le Baron de Sigognac pour vous desservir, 


Suite à nos discussions avec le Capitaine, seigneur et âme de ce blog, le sujet des personnages en escrime de scène était revenu s'inviter. Par le passé, mon confrère l'avait abordé à travers deux articles, parmi ses meilleurs : les neuf types de combattants.
Il s’agit même de l'un de mes outils au quotidien. Parce que oui, c'est amusant, mais nous utilisons vraiment les principes que nous mettons en avant. 



Où Menent les Chimères ? CFEA 2023, Bretagne OCE Rennes, crédit photo : Pauline Deysson



Bref, nous discutions des derniers championnats de France d'escrime artistique quand soudain nous nous dîmes que quand même, dîmes dong, je sors, la France était un sacré repaire d'artistes, au sens de l'archétype. Allez voir le lien.

Je vous passe les heures de débat qui en résultèrent, mais au final, nous nous sommes dit que ça méritait réflexion. Précisons, au préalable, que j'utiliserai le terme d'escrime artistique à dessein et la renvoie à nos pratiques fédérales dont la compétition. Surtout la compétition. Et si vous me dites que cela ne vous concerne pas parce que vous ne faites pas de la compet, mais que vous respectez, quand même, le cadre fédéral dans votre salle, je suis navré de vous l’apprendre, mais vous exercez bien une escrime qui se destine de plus en plus à la compétition. Et si vous me dites encore, que vous ne respectez pas, en fait, ce cadre, mais que vous participez malgré tout à des stages avec des Maîtres d'Armes. Idem. Enfin, dans le cas où vous ne feriez ni l'un, ni l'autre, mes confrères et consœurs proposent d'excellents stages. En plus c’est l’été. Qu'attendez vous pour foncer !

Maintenant, à quoi bon se poser la question vous me direz. Parce que oui, pour la plupart d’entre nous, cette question peut sembler bizarre voire complètement inutile. Et si, c’est bien ce que vous pensez, ce n’est pas grave. Vous pouvez arrêter de lire là et retourner à vos activités. Ou sinon vous pouvez me laisser vous expliquer. Expliquer les bons côtés de s’interroger sur ce sujet.

Premièrement, réfléchir à sa pratique est nécessaire pour progresser. Je sais, ce n'est pas la première fois, mais j'aime bien radoter. Ainsi, si au bout de plusieurs années, nous ne comprenons toujours pas pourquoi une gamme est à éviter, ne rigolez pas j'en connais, ou que frapper comme un sourd ne fera pas de nous un meilleur uber-warrior que celui qui sait se maîtriser, navré ! C'est raté. Nos progrès vont immanquablement finir par s'enrayer

Ce qui se voit, le niveau monte m'voyez.

Et si vous vous dites, une nouvelle fois, que je suis mignon derrière mon clavier à vous conseiller, mais que je pourrais avant tout me regarder, je ne peux qu'approuver.

Deuxièmement, si nous sommes bien dans un monde dédié aux artistes, le savoir, l’accepter permet de gagner du temps quand nous sommes amenés à créer : les attendus sont plus clairs, mais aussi les contre-pieds. Ainsi jouer les artistes correspondrait à une vision classique, admise et respectée et ne pas le faire reviendrait à se priver de cette légitimité, mais aussi plus facilement se distinguer. Ce que vous vous imaginez bien est plus risqué. et quel que soit notre choix, le plus important reste de l’assumer, le justifier et de correctement l'amener. Donc, connaître la méta, ce que n'importe quel joueur de eSports vous conseillerait et même si nous ne sommes sommes pas en eSport cela ne change rien sur le fait que vous devriez quand même les écouter sur le sujet… Bref, tout ça pour dire que connaitre la méta ce n'est pas un gadget en plus qu'on agiterait pour s'amuser. Non, la maitriser est bel et bien une étape à ne pas rater. L'un des premiers grand pas vers le progrès une fois les bases assimilées. Bref, connaissez votre méta.

Enfin, si notre hypothèse s'avérait exacte et que les artistes dominent le monde de l’escrime artistique, les utiliser aurait quelque chose de forcément rassurant pour les pratiquants. Leurs usages seraient bien connus, avec son lot d’exemples et de documentations capables de nous guider quel que soit notre niveau. En revanche, les autres archétypes disposeraient de ce parfum d’aventure, de terre vierge à explorer. Et si certains jours on aime rester en sécurité, des fois on souhaite aussi explorer. Sans compter que je ne sais pas vous, mais artiste contre artiste c'est un peu comme gentil contre gentil ou méchant contre méchant. Cela devient vite un peu chiant.

Alors ! France et escrime artistique ! Un monde d'artistes ? Hé bien oui ! Et non et... C'est compliqué.



Là aussi, Tous les cœurs saigneront, CFEA 2023, Île de France Les Lames sur Seine, crédit photo : Marine Acoiris



I) L'artiste, un archétype calibré pour les attendus de la pratique, presque exclusif au risque de l'appauvrir.

Comme de nombreuses pratiques avant elle ou après elle, l'escrime artistique est et sera régie par des institutions. 

Comme dans toutes institutions, ces dernières discutent, proposent des évolutions, déterminent des règles, une bonne conduite, forment, se disputent, s'influencent, constituent un groupe d'adepte, voire une corporation entière, tout ce qu'il faut pour qu'en théorie, cette discipline que nous aimons et chérissons vive sa meilleure vie.

Lorsque nous cherchions à déterminer, le Capitaine et moi, si nous serions dans un monde d'artiste, c'est assez naturellement que nous nous sommes penchés en premier sur ces organisations qui, oui, favoriseraient l'archétype. Pourquoi vous me direz ? C'est justement ce que nous avons recherché et fini par regrouper autour de l'influence de la belle escrime et de la compétition.


A) L'artiste, des caractéristiques propres aux attendus influents de la belle escrime et de la compétition

Qu'est ce qu'un artiste ?  

1) L'artiste, un personnage technique et désireux de l'étaler. 

Le Capitaine l'ayant déjà fait, je me permettrai de vilement le citer :

"L'artiste représente l'idéal du héros et du combattant. Il s'agit d'un escrimeur maîtrisant son art à la perfection et capable d'en exprimer toute la pureté. Cela regroupe essentiellement deux types de personnages : les maîtres d'armes et les héros chevaleresques. C'est D'Artagnan, Cyrano, Ivanhoé, Aragorn ou John Snow. Il s'agit souvent du type de personnage choisi lors des compétitions d'escrime artistique car il se prête idéalement à montrer de la belle escrime.

En effet, celle-ci doit respirer la grâce et la perfection du geste. On attend d'eux un parfait équilibre, une excellente maîtrise de l'armes et des déplacements. Si l'expert peut être vif, si il peut faire des feintes ou des provocations, c'est d'abord parce qu'il excelle en technique qu'il ou elle se bat bien. On l'imagine loyal, le genre à ne pas profiter d'être en supériorité numérique et à demander à un compagnon de ne pas intervenir, ou encore le seul type de personnage (ou presque), capable de rendre son épée à son ennemi après l'avoir désarmé.

Évidemment c'est un personnage difficile à bien interpréter puisqu'il demande forcément une superbe technique de la part de l'escrimeur qui l'incarne. Par contre, par pitié, ne donnez pas ce rôle à quelqu'un qui n'aurait pas le niveau technique pour l'incarner ! " (voir lien ci dessus)

Chose intéressante, artiste et belle escrime semble bel et bien liés, regardons ça de plus près. 


Oui, regardons ! Quand Lupin visite, CFEA 2023, Nouvelle Aquitaine L'Âme des Armes, crédit photo : Marine Acoiris



2) Artiste et la belle escrime, le cocktail idéal et influent de l'acte compétitif.


a) Belle escrime et artiste, les deux faces d'une même pièce difficile à éviter. 


Dans notre discipline, il y a deux catégories, ce qui relève de la belle escrime et ce qui n'en relève pas. 

La belle escrime c'est cet idéal que chaque escrimeur est censé rechercher : l'alliance de l'efficacité et de la beauté. Un art.
Bien sûr, ni vous, ni moi n'avons la possibilité de nous en réclamer nous même. Non, ce sont nos pairs, nos frères et sœurs d'armes, pas des profanes, qui sont habilités à nous l'attribuer : vous êtes un bon escrimeur, je ne le suis pas. Nos avis n'importent pas.

Alors, cette notion précise n'apparaît pas avant des temps, somme toute, récents et si vous la cherchiez dans nombre de traités anciens, vous ne trouveriez probablement rien, alors postulons.  Postulons que lorsque je parlerai de "belle escrime" j'engloberai toutes tentatives, même minimes, de définir ce qui relève pour une arme, une époque particulière, de la bonne pratique et de ce qui n'en relève pas. C'est arbitraire, imprécis et grossier, oui, mais cela nous permet d'avancer. 

Vous l'aurez compris, une part importante est subjective, mais cela n'a jamais empêché plusieurs auteurs de proposer  leur vision de ce que la belle escrime serait. Quitte parfois à l'asséner comme des vérités. Nous pouvons penser aux vertus, la géométrie, les mathématiques, etc... 

Sur les vertus, ce magnifique article : Origine des vertus et sens des segni dans l'oeuvre de Fiore dei Liberi

Or, pour nous qui observons de loin, à l'abri dans notre siècle, cette longue quête de vérité, la nôtre serait peut-être de ne jamais oublier que l'escrime pratiquée à un instant T était le fruit d'une pratique, mais aussi des mœurs et cultures de ce temps.  Sa beauté n'y faisait pas exception. Une beauté dont l'efficacité n'était pas toujours la clé. Ce qui, en ce qui nous concerne, ne pourra pas s'adapter à tout les personnages proposés. 

Et en réalité, comme le Capitaine le disait, seul l'artiste sur le papier semble y être pleinement dédié. 


Deal avec Dieu, CFEA 2023, PACA La Tulipe Noire, crédit photo : Marine Acoiris


Un style difficile à éviter. 


Or, comme nous sommes escrimeurs, il serait vain de nier que cette escrime, bah ... elle nous plait. Nous n'en sommes tous pas des extrémistes, loin de là, mais c'est sympa de l'utiliser et de la présenter. 

Elle nous plait tellement que certains, par passion, la confonde avec d'autres beautés. Vous savez quand Jean Robert veut justifier sa chorégraphie à coup de "le public veut voir du beau". Alors certes la belle escrime peut l'apporter, si c'est beau c'est proche du vrai. Et c'est amusant de constater combien c'est facile de basculer de beau à vrai, alors que nous devons, au contraire, nous garder de les associer ou confondre. Du moins, de façon automatique. 

Après tout, un athlète, autre personnage expert, basé sur la force, n'est pas censé pratiquer la belle escrime, le vieux briscard, rusé, encore moins. Pourtant les jouer et proposer un beau spectacle c'est plus que possible dans les faits. 

D'ailleurs, je vous dit beau, mais est ce que le public veut justement du beau ?  Un public, au sens d'un groupe de personnes qui par hasard ou volonté consciente se sont réunis devant une prestation, peut vouloir beaucoup de choses. Être émerveillé, ok avec la beauté, diverti, on peut l'envisager, même si  c'est pas gagné, instruit, là on commence à vraiment s'en écarter. 

Ce qui nous pousse à cette deuxième question; en fait, est-ce le public qui désire la beauté, où nous qui décidons de leur proposer, arguant que c'est eux qui l'ont demandé ? Je vous laisse y répondre, mais rappelons qu'aussi volontaire soit-il, celui qui monte sur les planches ce n'est pas le public. 

Quoiqu'il en soit entre notre envie de proposer de la belle escrime couplée à cette confusion de prêter au public une envie presque systématique de l'observer et vous comprenez pourquoi, il est déjà difficile d'y échapper et de ne pas jouer souvent les artistes, ou tout niveau inférieur associé. 

Ce que la compétition ne va pas aider. 

Ça non plus, Tous les cœurs saigneront, CFEA 2023, Île de France Les Lames sur Seine, crédit photo : Marine Acoiris


b) La compétition, une usine à artistes.  

Comme toutes disciplines qui font des adeptes, une question finit toujours pas se poser : c'est qui le meilleur ?

Et comme dans toutes disciplines, on finit par  créer une scène compétitive, des règles, au besoin des catégories, des participants se présentent, un résultat tombe et nous savons qui sont les meilleurs. Certains de façons plus incontestable que d'autres, certains créant la surprise, d'autres moins. Mais à la fin, la discipline et ses pratiquants savent. Savent qui est au sommet et qui ne l'est pas. 

Sauf que voilà. Et si je vous disais, avec ce que nous avons déjà présenté, qu'un événement censé promouvoir l'escrime, obtenir la reconnaissance de ses pairs, et déterminer la personne ou le groupe le plus fort dans une série d'épreuves, finirait par pousser à la belle escrime, seriez vous surpris ?

Et si je vous disais encore que pour y répondre, les compétiteurs choisiraient majoritairement d'incarner des artistes, vous ne devriez plus faire mine d'être étonnés.  Une logique que nous pourrions étendre au gala et autres joyeusetés, dès lors qu'un jury est constitué. 

B) L'artiste, archétype majeur, hégémonique et problématique. 


Ça c'est déjà un premier point, mais dans 95% des cas personnes dans sa carrière d'escrimeur ne participera à une compétition. Et cela vaut aussi pour tout événement qui consisterait à jouer devant un jury. Donc, affirmer comme je viens de le faire que 5% des pratiquants suffirait à déclarer notre discipline comme un repaire d'artistes, fait par des artistes, pour des artistes, semble oser. 
Pourtant, c'est bien, par un mimétisme assumé ou intégré, ce que nous pouvons observer. 

Elle aussi, observe, Pas de retraite pour les Zombies, CFEA 2023 Bourgogne Cercle Ledonien, crédit photo :Pauline Deysson.


1) Le mimétisme, un gigantesque producteur d'artistes. 


Eux, ils sont bons ! 

Voilà, vous profitez de votre dimanche après-midi, le mois de février fleure bon l'été, on va tous brûler, et puisque vous pratiquez l'escrime artistique vous visionnez en direct votre compétition préférée, le criquet aquaponey. Je déconne. Vous n'avez pas l'âme d'un compétiteur, mais vous savez que certains sont doués, très doués même. Au point de vous exclamer : "Eux, ils sont bons !" Ce que les résultats vont vous confirmer. Vous avez peut-être déjà participé à l'un de leur stage, vu certains de leurs spectacles et même si ce n'était pas le cas, à la fin une part de vous même le désirera. 

Naturellement, cette réflexion orientera nos séances et prestations : nous voulons que nos combats marchent et devant notre ordinateur ou assis en direct sur lieu de la compet, nous avons pu observer ce qui marche. Ce n'est d'ailleurs pas le résultat d'une simple façon de faire, mais bien LA façon de faire. La preuve, ils ont gagné ! Lorsque l'élite s'escrime, ceux qui triomphent influencent ceux qui ne le font pas, au risque d'oublier qu'il existe d'autres voies.

C'est ainsi qu'au fleuret, nous pouvons assister au spectacle de Robert qui du haut de ses quatorze ans va désespérément tenter et lamentablement échouer à toucher ses adversaires en passant sa lame entre ses jambes parce qu'il a vu les J.O à la télé. C'est pour la même raison que Justine, seize ans, va systématiquement à l'épée essayer de flécher ses adversaires sans convenablement se préparer. Et c'est pour les mêmes raisons qu'à moins de disposer d'une identité forte, comprise et assumée  nous allons imiter les podiums, chercher les conseils de ceux qui les montent afin de leur ressembler: des artistes, dans un monde d'artistes pour des artistes. 

Et là vient le hic.


Ange ou Démon ? CFEA 2023, Île de France Masque de Fer, crédit photo : Pauline Deysson



2) La domination des artistes, un appauvrissement de la pratique



Le hic, c'est que d'autres archétypes existent, que le public peut finir par trouver que tous ces artistes, c'est bien joli, mais que ça suffit. Or, si vous voulez faire une roulade, du corps à corps ou toutes activités sortant de ce cadre, si cette domination continue de se renforcer et évoluer, vous finirez immanquablement par être raillé ou être, au mieux avec des gens incapables de vous suivre ou vous enseigner les compétences désirées. 

Et si vous trouvez que j'exagère, demandez à des Orléanais. 

Pire, au fur et à mesure que l'artiste deviendrait le seul archétype expert autorisé, nous pourrions passer de prestations joués pour un public et aussi ceux qui pratiquent à des prestations uniquement destinés à ceux qui pratiques, seuls à même d'apprécier ce qui se passerait avec nos épées de cours et nos fleurets. 

Et si vous trouvez, là encore que j'exagère pourquoi cette crainte de ne pas voir son escrime comprise par le public.

Bref, vous l'aurez compris, l'homogénéité peut appauvrir. Heureusement, nous vivons un moment propice à un meilleur équilibre. 

II) l'escrime artistique, une pratique mûre pour une plus grande diversité. 



Cet équilibre s'articulent au moins sur deux axes : l'essor d'autres époques comme le moyen-âge, en quantité et qualité, ainsi que les propositions de troupes et cinématographiques qui prennent de plus en plus le contre-pied d'une escrime idéalisée. 


Bon ça reste beau. Très beau. Bon Dieu ! Que c'était beau ! Pestifer, CFEA 2023, Pays de Loire Formation aux Armes, crédit photo : Marine Acoiris


A) La magie du médiéval, une escrime à la beauté singulière et appréciée du public.

 

Ce qui a du bien avec le médiéval c'est qu'elles ont beau être pratiquées depuis des décennies, ses escrimes arrivent toujours à créer la surprise. Dans ce monde dominé par les rapières, rien que le fait de sortir une épée longue crée l'excitation. Son statut, subi, de parent pauvre de l'escrime artistique y joue pour beaucoup, mais  force est de constater que le public sait l'apprécier. 

Or, ce qui pourrait s'apparenter le plus à une belle escrime pour le med ne repose pas sur les mêmes principes que ceux de notre bonne vielle école française. Elle fait même pour le coup, office de petite jeune. Il est courant d'entendre que devenir bon à l'épée longue passe par l'escrime, ça ok, jusque là on connait, mais aussi la lutte. Et là, c'est pas dans une salle d'armes classique, où les tatamis sont aussi rares que l'ancien lutteur Brock Lesnar et l'ex judokate Ronda Rousey, que vous allez l'étudier. 

Et un combattant expert qui associerait aussi bien, escrime et corps à corps bah... c'est pas un artiste. Surtout quand il trouve ça normal, plus efficace... le vieux briscard. L'athlète parfois. 

Ainsi, par sa simple présence, l'escrime médiévale permet de tempérer l'usage systématique d'user d'artistes. C'est déjà visible alors qu'elle n'est toujours pas considérée comme une époque aussi importante que le Grand Siècle. Imaginez si ça l'était. Je suis médiéviste ! Laissez moi rêver. 

En revanche, seules, des armes à la logique différente auraient du mal  à renverser une tendance qui semble bien ancrée : belle escrime, école française, fleuret. Au moins, un allié de poids serait donc à chercher et le cinéma apparait comme un candidat tout trouvé. Lui qui depuis quelques années a su jouer des cartes différentes de ce que la belle escrime aurait prônées.  


Bon là, c'est plus Robert chez les suicidaires. Ne faites pas ça ! Knightfall, série 2017-2019



B) Un cinéma toujours spectaculaire, mais en quête de réalisme.


En 2020, le Capitaine avait déterminé deux styles en vogue dans le cinéma : le spectaculaire et le réaliste. Je ne vais pas recopier son article donc je vous y renvois : ici

Si le premier semble donner la part belle aux artistes et c'est très bien, le second prône et c'est une sacré évolution un style réaliste, efficace, l'affaire d'athlète et de vieux briscards, voire de leurs versions moins expérimentées

C'est d'autant plus intéressant que le cinéma constitue un excellent contrepoids à la compétition. Par sa fréquence de sortie d'une part, mais aussi par le public visé, beaucoup plus large qu'un championnat. Championnat qui, même avec la plus large des diffusions, verra probablement son impact moindre que celui d'un long métrage. Nous sommes en 2023 et je ne crois pas que cette analyse ait tant changé : le dernier trois mousquetaires, par exemple, me conforte bien dans cette idée. Si par le spectaculaire, la belle escrime, la virtuosité, même fantasmées continuent de vivre leurs meilleures jours, je suis satisfait que d'autres styles nous soit proposés et que le travail de nombreux artistes, au sens cette fois ci de l'art, militant pour le réalisme, ait pu trouvé l'écho de cette splendide industrie. 

Et certes nous ne sommes plus dans l'escrime artistique, mais nous ne saurions nier l'influence de ce média dans notre activité. 

Le genre de situation où on défend l'efficacité avant la beauté, Le sang des Templier de Jonathan English, 2011



C) Varier ses personnages, trois règles pour y arriver


Si vous aimez jouer les artistes, les bons élèves ou les maladroits, je ne suis pas là pour vous empêcher de le faire. Déjà, derrière mon écran, ça m'est compliqué, mais surtout si c'est votre choix, je n'ai pas à m'y opposer. En revanche, si vous recherchez des moyens pour éviter de toujours les incarner, ou les singulariser, voici trois règles pour vous aider.

Règle une, les mêmes styles tu n'opposeras.


Je le sous-entendais tout à l'heure, mais dès que nous choisissons un archétype, il est préférable d'éviter de lui opposer un clone de lui-même.
Le catch, par exemple, l'a très bien compris et réserve ses types de combat miroir au service de scénarios très construits. Le face affrontera un heel et un heel, un face. Ça fonctionne, ne demande pas des efforts incommensurables pour raconter une histoire et permet même, lorsque la rivalité est jugée importante, d'ajouter de la profondeur.

Alors, lorsque nous jouons un artiste, un athlète ou un vieux briscard, lui opposer  un style opposé permet à chacun de se singulariser. 


Règle deux, le corps à corps même pour un artiste tu useras.


Autre aspect où j'incite vos personnages artistes à s'ouvrir c'est bien le corps à corps. Artiste ne signifie qu'une tendance. Nos choix majeurs si vous préférez. Vous avez toujours le droit d'épicer un peu vos protagonistes préférées.  

Alors ? Vous reprendrez bien cette salade de pommeaux parfumés de petites clés ?


Lutte à l'épée longue - Traité de Paulus Hector Mair


Règle trois, le style le plus adapté à tes gars tu choisiras. 


Enfin, nous avons tous un archétype privilégié. Ce n'est pas parce que la donne est à l'artiste que nous devons nous y plier surtout quand nous sommes en train de progresser. Et si c'est valable pour nous, ce sera valable pour ceux qui nous accompagnent, élèves ou camarades. Restons attentifs aux facilités et appétences de chacun et aidons les à choisir un style conforme à leur identité qui les fera briller. 

Notre camarade a du mal à reculer, ou aime tout simplement jouer court, lui proposer de jouer le rusé peut payer. Des voltes, des esquives ? Un archétype autour de la force peut se trouver. 

Quant au niveau : débutant, intermédiaire, experts, chacun est plus ou moins compliqué à incarner, mais de manière générale les intermédiaires sont propices à des débutants, débutants-confirmés. Les archétypes experts demanderont des escrimeurs plus qualifiés et les débutants dépendent davantage de l'attribut associée. L'article du Capitaine a une rubrique sur le sujet. 


Conclusion


Si l'escrime de scène ne peut se réduire à l'artiste, force est de constater que l'escrime artistique y tend dangereusement. Au-delà de correspondre à une vision fantasmée de l'escrime, celle qui serait belle, par essence, la compétition, bien que minoritaire, encourage davantage cette identité par sa grande influence. Une identité propice aux artistes. Je parle toujours de l'archétype.

L'essor du médiéval, son gain de qualité, ainsi que celui de troupes proposant des prestations où l'artiste est absent, ont offert un contrepied nécessaire, bien qu'encore fragile, en dehors et au sein de l'escrime artistique. Son développement arrive déjà à faire bouger certaines lignes. Il ne tient qu'à nous de l'accompagner et d'en tirer certains enseignements ; ne pas oublier que si nous aimons le message que nous portons, l'escrime que nous pratiquons, les spectateurs suivront. 

C'était le Baron de Sigognac pour vous desservir. Bon début d'été.