mercredi 22 avril 2020

A travers le débutant et l'urgence : l'art de mettre en confiance.




Ne pas avoir la confiance de son partenaire est terrible. Ne pas la construire l'est encore plus.
Baron de Sigognac, rares moments de sobriété.


Bonjour à tous, ici le Baron de Sigognac. Toujours là pour vous desservir !


Je dessers ! Oh oui, je dessers !

Aujourd'hui je vous propose de parler de confiance.

Mais aussi de débutants, de partages, lexique, langages, cibles et autres joyeusetés... bref s'égarer un peu dans notre univers.

La nostalgie et le temps long aidant, je me suis amusé à revenir sur les premières réactions à l'annonce des CFEA (Championnats de France d'Escrime Artistique.).
Comme vous vous en souvenez, avez appris ou êtes en train de prendre connaissance, des inquiétudes plus ou moins habiles avaient fleuries sur nos réseaux sociaux. Fort de l'une d'entre-elles, Escrime Artistique France s'était fendu d'une aimable, mais au combien ferme, riposte.

"pour le combat chaque club a au moins un duel de prêt voir plus ça laisse du temps pour le peaufiner sinon ça veut dire que soit le club est trop récent soit il ne s'y passe pas grand chose :- bon effectivement sur le point du règlement je vous rejoint j'espère qu'il va arriver rapidement et que l'on aura des réponses à nos questions."


Ce que d'expérience j'approuve, nonobstant la question du règlement qui ne nous intéressera pas.


Toutefois, l'idée de travailler avec un débutant pour un objectif aussi sérieux que la CFEA n'en demeure pas moins un challenge intéressant pour un formateur. Ne serait ce qu'à imaginer.

Si pour les débutants les avantages et inconvénients sont souvent traités : en vrac, avec mes propres mots et non exhaustif comme toujours.

Avantages :

  • Motivation par objectif. 
  • Apprentissage théorique et pratique accélérée. 
  • Se confronte davantage à la réalité du milieu. 
Inconvénients :

  • Risque de démotivation en cas d'échec. 
  • Demeure dans un rôle de simple technicien
    • Met en parenthèse sa prise de décision en tant qu'artiste et les aspects liés dans sa formation. 
    • Se remet de plus belle à l'avis des plus expérimentés. ( ce qui est bien dans un sens, mais gare à la dérive )
    • Risque de trop grande dépendance au choix des autres. 
Pour l'enseignant, des enjeux se devinent à travers ceux de l'élève, mais d'autres sont à noter  :

Quant aux confirmés non enseignant qui prendraient en charge un débutant ( sous la bénédiction et le contrôle du Maître d'armes ), ce serait un peu des deux pour aller vite, sans le gros des inconvénients.
De ce rapide point, la question de tester ses capacités méthodologiques et pédagogiques mérite de nous attarder :

Le débutant et l'exigence chorégraphique : un défi intéressant à relever. 

Le débutant  ne peut pas s'aborder comme un confirmé ou même un semi confirmé. Ses besoins ne sont pas les mêmes, tout comme nos attentes.
Si vous avez participé à certains stages d'escrime artistique, vous avez pu constater que parfois des groupes de niveaux s'imposaient. Une division qui n'était pas que cosmétique, ni même que de programme, mais bien d'approche, de pédagogie et de méthodologie.

Par conséquent, en fonction de nos caractères respectifs, nos expériences, nos rôles -- adhérents, formateurs, semi confirmé confirmé, experts... -- nous pouvons être plus ou moins efficaces avec tel public ou tel autre. Au point, de trouver inutile de s'intéresser à un public ( dommage ) voire refuser de travailler avec ( ouille ! ). Heureusement ce dernier comportement est rare.

Pourtant, ne pas s'exclure de toute réflexion sur une catégorie dont nous aurions peu l'habitude, constitue une force : ne pas risquer de nous retrouver démuni si d'aventure ; disposer de quelques billes pour éviter de constater le départ en vrille de notre chorégraphie. Voire son échec alors que l'échéance se rapproche, se rapproche...



Bon, il ne s'agirait pas de dramatiser non plus. Même si vous ne vous sentez pas le mieux placé pour créer avec un débutant, ou ne vous étiez jamais retrouvé dans cette situation, assez de solutions sont disponibles et devinables pour s'en sortir avec les honneurs. 
Nous manquons de temps ? Citons la possibilité de prendre le gros de l'effort technique et scénique  à notre compte ménageons notre partenaire débutant.
Nous avons du temps ? Même idée, à la différence que nous pouvons envisager de lui demander plus.
Dans les deux cas, si la chorégraphie est cohérente et correctement pensée,  le résultat sur scène répondra aux attentes. 
Cependant, nous aurions davantage contourné que surmonté le problème. En effet, au début de la création d'une chorégraphie nous pouvons attendre d'un débutant, les caractéristiques suivantes :
  • Un manque d'aisance. 
  • Un très faible bagage technique supposé, voire sportif tout court.
  • Peu capable de proposer et contrôler.
    • se reposera beaucoup sur l'avis du partenaire et de l'enseignant. 
  • Éprouve le besoin de comprendre et d'être rassuré, motivé sous peine d'avancer lentement. 
Les solutions présentées ci dessus les esquivent. Elles ne se focalisent pas sur la formation du partenaire ; son acquisition technique et scénique.
A la fin du projet il y aura fort à parier que le niveau de votre partenaire n'ait pas tant que ça progressé grâce à votre travail chorégraphique. Ce, même si le temps dont vous disposiez vous permettait d'être plus ambitieux, les cours se chargeant de soutenir la progression, vous n'auriez pas la charge de le former pendant et par le réglage du combat. (même si votre chorégraphie représente une excellente mise en situation.)
Autrement dit, dans ce cadre, nous n'attendons pas autre chose d'un débutant que d'être un débutant dans ce cadre. Nous ne faisons que nous y adapter. 

En revanche, si vous ne pouviez pas contourner. Tout prendre sur vous, user d'un talent chorégraphique certain pour mettre en lumière notre partenaire avec peu (une qualité à développer au demeurant). Que feriez-vous ? Que feriez vous si vous deviez affronter, dépasser et surmonter  avec lui,  son statut de débutant et non plus vous en contenter ? Que feriez vous si vous attendiez rapidement d'un débutant d'être plus qu'un débutant ? 

La réponse d'Escrime Artistique France m'avait inspiré en ça. Imaginer une troupe "trop récente", qui aurait acceptée plutôt que de décliner. Donc, sans chorégraphie, et sans binôme confirmé ou semi-confirmé a minima. Comment aurait-elle fait ? Comment aurions nous fait ?

Posons le décor.
La saison 2019-2020 commence et vous venez d'ouvrir votre section / troupe / club d'escrime artistique, ou en êtes juste membre. Cela fonctionne aussi si pour raison x vous repartez de zéro. Vous côtoyez et / ou ne formez que des débutants. Octobre arrive avec l'annonce des CFEA.

Remarque : j'ai pris les CFEA, car d'actualité et liés au commentaire d'Escrime artistique France, mais tout autre événement important et exigeant aurait pu convenir.

Quoiqu'il en soit, les chances d'arriver à fournir le niveau requis pour les épreuves techniques régionales, prévues dans un mois et demi en moyenne, vous paraissent faibles, rendant votre participation inenvisageable. 
Bref, vous vous fendez d'un "Sacrebleu" ou d'un "Pour la prochaine fois" et vous reprenez votre vie.  L'objectif étant de rendre la compétition bi annuel si possible, un projet pluriannuel se dessine, mais ce n'est clairement pas pour vous cette année. 
Sauf que des personnes viennent vous chercher. Votre région n'a pas assez de monde, vos collègues, camarades trouvent que ce serait dommage de ne pas faire profiter à vos élèves / partenaires cette événement formateur... Vous avez bien une personne qui se sent motivée, vous vous sentez moins enclin à refuser et finissez par accepter.

Ne nous mentons pas, à ce moment, vous êtes dedans jusqu'au cou : ça va être coton.

En effet, sur le papier vous allez devoir concilier des exigences que la réalité semble implacablement opposer. 

A savoir :
  • créer une chorégraphie de toute pièce ou recycler une ancienne sans votre partenaire de l'époque. 
  • respecter les exigences de la notation et du règlement, ses dits et non dits. 
    • dont une maîtrise technique exigée de l'ensemble des candidats.  
  • respecter le délai d'un mois et demi à cette fin avec un nombre de séance par semaine limité.
    • ce qui est peu, pour ceux qui n'auraient pas l'habitude :)

Ce qui vous aurait amené, dans une bonne adéquation entre les moyens et l'objectif, à "préférer" un élève ou un camarade confirmé.


D'autant que lors des CFEA, la question des chances des amateurs face aux professionnels s'est plus posée que celles des débutants.
( Crédit : Les photos de Vio.  Spartacus, Contre-Temps et Cie lors des CFEA 2020)

Soit :

  • capable d'apprendre une chorégraphie assez vite.
  • habitué à votre méthode pour aller encore plus vite.
  • disposant d'un bon bagage technique.
  • source de proposition et de contrôle pertinent.
    • Permet une meilleure implication de votre élève ( rejoint le dernier point. )
    • Vous offre un garde fou si dans l'urgence vous vous fourvoyez un moment.
  • préparé techniquement et physiquement. 
  • plus confiant en ses compétences 
    • moins besoin d'être rassuré ou motivé qu'un débutant ( en général )
Or ce ne sera pas le cas. Pire, l'exigence technique vous empêche de contourner en prenant sur vous le gros du travail technique. Et le temps est bien trop faible pour espérer à ce que des séances classiques fassent évoluer votre partenaire en semi-confirmé / confirmé. Dans le cas où vous projetez des séances non orientées sur votre chorégraphie. 

Ainsi, le défi s'impose de lui même vous allez devoir former votre camarade par cette création chorégraphique.

Petit avantage : l’épreuve régionale permet de mettre de côté l'aspect scénique. C'était d'ailleurs sujet à débat. Toutefois, la frontière en technique et scène s'avère vite flou, ce qui intime une certaine prudence et ne pas occulter totalement le domaine.

Il n'en reste pas moins que l'axe principal, serait, en première réflexion, autour de la technique. 
Or, demander à votre camarade de maîtriser une gestuelle qui dépasserait de trop loin ses compétences -- je ne parle pas donc d'actions simples sachant qu'elles peuvent déjà ne pas être évidentes, mais nous y reviendrons -- sans une bonne approche minera sa motivation, et sa confiance. Ce qui sonnerait la fin de partie. 


Ainsi, avant toute considérations techniques, il conviendra de s'assurer de la confiance de son camarade. 
Chose que je vous propose d'explorer à travers certaines de mes réflexions. 


Elles n'engagent que moi et si vous avez les vôtres sur le sujet, n'hésitez pas à les partager. 


La confiance en soi comme première clé du succès


En réalité il s'agirait de parler de confiances : celle envers son partenaire et la notre, en nous même. 

Les deux se construisent en partie par notre savoir être, que nous considérerons comme acquis pour nous concentrer davantage sur l'approche pratique. 

Sur la confiance du binôme, la certitude de la sécurité constitue un axe fort. Chacun est responsable de la sécurité du partenaire et de la sienne. Une mission que même un débutant doit prendre en charge. Si nous nous devons de nous mesurer dans notre vitesse,  notre rythme et notre technique pour s'adapter au partenaire, ce dernier n'est pas en reste : montrer qu'il fait attention, s'appliquer sur sa précision, ne pas se précipiter, être compréhensible dans ses gestes... 


Un ensemble d'éléments qui oscillent entre mise en situation, et travaux techniques sans que des priorités ne se dégagent avec clarté. Du moins, à ce stade de la réflexion.

En revanche, le défi de créer et entretenir la confiance en soi du partenaire m'amenait vers quelques pistes intéressantes.


"N'empêche, le masque pour la confiance, il fallait y penser !" Jean Napatou-Conpri
(Crédit : Véronique Riethmuller de Vsr'Art)

L'idée de trouver une manière d'entretenir et développer l'assurance du débutant envers ses capacités m’intéressa à l'influence du corps sur nos sentiments. L'inverse est plus connu, mais inciter son corps à certaines dispositions peut aider à atteindre le sentiment recherché. 
En ça, désirer la décontraction et mettre à l'aise le partenaire m’apparaissaient l'objectif physique à atteindre le tout dans une méthodologie qui permettrait de travailler la chorégraphie et former l'élève in fine. 

Donc, dans la mesure du possible trouver au minimum, à la fin de l'échauffement, des situations pédagogiques capable de détendre et d'évoluer assez vite vers un travail technico-scénique. Travail technico-scénique tourné vers l'objectif chorégraphique des épreuves régionales. 

Par détendre, j'entends par souci de précisions, que c'est l'exercice lui même dans sa construction qui provoque cette état du corps et non un rappel verbal : utile parfois, mais si vous devez souvent le rappeler c'est que vous devez remédier à la situation.
La raison principale vient qu'une gestuelle fluide, détendue, où nous nous sentons à l'aise aide à notre assurance et donc à notre motivation. Ce qui permettra d'avancer plus vite dans notre acquisition technique qu'en étant contracté, en proie au doute, dans l'échec. Attention à l'excès de hardiesse ceci dit. 

Tout le défi, désormais, était de choisir ces dites situations. Comme la réflexion s'aide de partir de l'existant, étudier des utilisations courantes semblait un bon point de départ. Principalement deux : les exercices  didactiques et les gammes, plus hybrides. 


Le didactique, un candidat efficace, mais dont la pertinence se discute.



Le didactique, l'art d'aborder méthodiquement étape par étape une notion, constitue un outil pédagogique fort de notre discipline. Dans notre cas, son utilisation pourrait s'entendre sur le fondement suivant : la décontraction vient avec la pratique et la répétition. 

"De la répétition née la notion."
Comme nous savons que notre camarade ne peut aborder de suite des techniques avancées, le choix se porterait sur des actions simples avec au besoin un travail de pied ferme pour dissocier l'action du bras des jambes avant un travail de coordination. 

Afin d'avancer, le pragmatisme nous éloignerait d'une approche thématique pour étudier avec notre partenaire, uniquement ce dont il aurait besoin sur le moment. Si des cibles et des déplacements ne seront pas présent ou vu plus tard, nous ferions l'impasse. 
De même, le travail sur la chorégraphie se porterait sur des instants abordables techniquement : une phrases d'armes d'actions simple. Dans l'impossibilité, il suffirait de "simplifier" l’enchaînement : une attaque composée d'une feinte pourrait devenir deux offensives simples à décomposer et entraîner en didactique. Une fois le résultat satisfaisant nous pourrions aborder des enchaînements et des techniques plus compliquées. 

Bien sûr, ce travail ne constituerait pas toutes les séances ou l'intégralité d'une séance. Une part importante reviendrait à la mise en situation qui profiterait de la prise de confiance estimée du camarade et de ses progrès techniques. 

Cependant, nous pourrions opposer qu'en acquisition technique, le didactique n'a plus grand chose à prouver, mais pour la motivation et, par extension, la confiance, l'affaire se discute.


"De la répétition née la notion. De la répétition née la... Foutu semi circulaire ! Tu vas rentrer oui !"
(Crédit : Véronique Riethmuller de Vsr'Art.)

Focaliser, le débutant sur un geste encadré est source de raideur. En effet, notre camarade se concentrerait sur la bonne réalisation du geste, et ne pas faire d'erreur. Au risque d'avoir peur d'en faire d'où des crispations supplémentaires... Bref, un cercle vicieux. 

De plus il y aurait à redire sur le caractère "simple" des actions simples qui, rappelons le, parlent d'actions ne prenant qu'un temps d'escrime. Elles n'ont rien de faciles, ne serait-ce que par leur coordination bras-jambes. Le risque de contre productivité à court terme, donc d'une perte de temps , n'est ainsi pas à ignorer. Ce qui est l'inverse de notre volonté. Surtout que nous ne disposons pas d'un délai suffisant pour espérer des gains à long terme au vu de notre scénario. 

Dès lors, Il serait peut être plus pertinent de laisser s'exprimer notre partenaire de manière plus spontanée. Mettre en œuvre des situations plus ouvertes, plus proches de la réalité : plonger dans le jeu chorégraphique et, à partir de ce qui s'exprime, corriger par touche. L'escrime de scène peut s’accommoder assez bien de cette approche par sa grande diversité de gestuelles possibles pour une même action. Elle n'est pas tenue par l'efficacité martiale et / ou sportive. Nos lexiques dédiés, issues d'un consensus, y trouvent une part de leurs justifications. 

Dans ce domaine, la gamme mérite d'être étudiée. 


La gamme, une approche se heurtant elle aussi à la gestuelle non naturelle des actions-simples. 



Malheureusement, ces enchaînements pédagogiques d'actions offensives et défensives, affrontent tôt ou tard la même problématique. 
Son intérêt manifeste est de permettre aussi bien un travail didactique qu'une mise en jeu directe. Ce qui par dérive entraîne parfois  son utilisation inappropriée sur scène (voir mon article  Sus aux gammes !). Quoiqu'il en soit, ces exercices nous permettent de proposer, sous une forme simplifiée, un enchaînement prévu au combat ; voir avec notre camarade comment il s'en sort. Un côté ludique source de motivation en principe. 

Néanmoins, la difficulté de coordination des actions simples contraint à de possibles retours didactiques. En cause le caractère non naturel de ces actions. Une pensée qui m'avait amené à envisager une autre solution, concentrée, à l'inverse, sur une recherche de naturel dans la gestuelle. 


"Louche ! Moi ! Moi qui ne suis que calme et naturel... " Naturel-Jean Suspé. 
(Crédit : Véronique Riethmuller de Vsr'Art.)

Rechercher le naturel dans l'échange scénique ; une piste intéressante. 




A ce jour, les résultats auprès de mes élèves (dans un cadre différent que les CFEA, je préfère préciser) me semblent prometteurs : confiance et vitesse d'assimilation. Ce qui m'amène à considérer l'approche qui suit comme envisageable dans notre cas pratique (sans garantie de succès, mais avec de bonnes chances, malgré tout.) 
Cependant, notez qu'il ne s'agit pas d'une vérité, que je suis peux être dans le tort. Surtout,  je n'invente rien. 

Ceci étant annoncé, abordons cette proposition. 

Elle repose sur le fait que les actions simples en escrime sont à un stade encore trop complexe pour commencer à les utiliser d'entrée de jeu. D'où le travail de décomposer en didactique et/ou investir du temps. Temps qui nous fait défaut.
Le travail du bras est complexe, les déplacements d'escrime aussi, quant à la coordination, n'en parlons pas.
Certes notre camarade finira par s'en sortir, mais non sans passer par une phase désagréable d'apprentissage faite de contractions, d'hésitations, voire de doutes ; voire du sentiment de ne pas être à la hauteur. Or, nous désirons l'inverse : démystifier la discipline ; développer l'assurance ; rendre l'escrime accessible. 

Pourtant, en ayant bien conscience tout ceci, ce sont ces même actions simples qui nous sont apparues en premier.
Nous recherchions à faciliter le travail du partenaire et nous nous sommes dirigés vers ce qui se présentait, selon le lexique, comme le plus simple.
Cela n'était pas faux. La démarche, en soi, ne manquait pas de logique, nous l'avons vu.
Pourtant, cela s'est avéré trompeur. 

Un constat qui pourrait soulever des limites à nos lexiques pour aborder la globalité de l'escrime de scène. L'objet d'un article peut être. 

Toutefois, je vous propose de sortir un temps de notre vocabulaire habituel et envisager notre chorégraphie de la façon suivante : un échange entre plusieurs personnes. Echange qui peut s'apparenter à un langage corporel fait de questions et de réponses racontant et soutenant une histoire. 

Sur cette base, chaque question et réponse constitue un message. Message, lui même, composé d'un fond et d'une forme. 

En pratique, cela peut se représenter ainsi :




Dans cette conception, la cible devient le fond : la finalité de l'action. Celle d'une question, si elle est recherchée ( offensives ; contre offensives ), d'une réponse si elle est protégée ( défensives). 
Quant à la forme, elle incarne l'expression corporelle de son auteur. Expression qui rendra le message sérieux ou comique, crédible ou ridicule... Le terme expression scénique devrait, d'ailleurs, sans doute le remplacer, mais je préférerais, aujourd'hui, rester dans le geste. Or, ce dernier, non borné au cadre du lexique présentent, avec davantage de clarté, de nombreuses simplifications pour atteindre notre objectif. 

Pour s'en convaincre, le schéma suivant rentrera, sur les même principes, des caractéristiques d'une attaque simple à la tête.





La complexité de l'action saute au yeux ce qui nous permet d'en envisager la simplification, rendre la forme, l'expression corporelle plus naturelle pour notre partenaire.




Pour le mouvement du bras : plutôt que d'attaquer la cible, avec la notion d'armé, l'accélération potentielle du geste, position de la main etc... nous pouvons demander à ce qu'il montre la cible. Une forme réduite à sa plus simple expression et sans aucune agressivité simulée. (Que nous pourrions appeler "signe")

Pour les jambes : la fente, tout comme la marche d'escrime ou le changement de garde semble à exclure pour l'instant. La question peut se poser pour les passes avant et arrière proches de la marche, mais puisqu'il s'agit d'un de nos si ce n'est le déplacement le plus naturel autant utiliser ce dernier directement. 

Vous avez peut être vécu comme moi cet exercice en stage ou l'enseignant nous demandait de le suivre dans ses mouvements. Charge à nous de maintenir la distance. Certains commençaient en nous demandant de marcher afin d'être calmes, détendus, avant de revenir à des déplacements plus académiques. Nous sommes dans cet esprit.

Enfin, la coordination : l'une des difficultés techniques est ce rapport strict entre les mouvements de jambes et de bras. Nous laisserons libre le le nombre de mouvements de jambes à celui qui questionne l'autre. 

Un point de départ intéressant, qui aurait l'avantage de résoudre les difficultés que nous avions remarquées avec les solutions précédentes. Reste à le mettre en œuvre. 

Proposition de mise en œuvre. 

Nous éviterons pour ce faire, les situations didactiques pour mettre de suite le partenaire dans l'échange et le jeu. 
Les remédiations  et évolutions suivront ce qui sera constaté au cours de la pratique. Cependant, j'en noterais quelques une à des moments que j'estime propice, mais c'est variable. 

Remarque : si par prudence je pars de pied ferme avec arme, vous êtes libre de commencer sans arme, et directement en mouvement. 
  • 1.De pied ferme, à distance de taille, demandez à votre partenaire de choisir une cible et de vous la montrer avec son arme. Variante plus dirigiste : demandez lui de travailler sur la première de la chorégraphie, ou, par défaut, sur une de votre choix. (la tête bien qu'intuitive n'est pas forcément la plus simple)
    • Vous veillez tout deux à la sécurité. (l'évidence à toujours rappeler.)
      • La distance peut ne pas être respectée au début.
      • La lame doit toujours être sur la cible sans la toucher. 
    • Il ne s'agit pas d'une offensive.
      • La cible n'est que signalée, montrée
      • Pas d'accélération, d'armé ou de simulation d'agressivité.
    • Échangez lentement et calmement. 
      • La décontraction est recherchée. 
    • Laissez le répéter quelque fois puis montrez cette cible à votre tour et recommencez. 
      • Un échange 1-1, une question pour l'un, puis pour l'autre, fonctionne bien à ce stade. Conservez-la pour la suite.
    • Calez des détails sur les positions de mains, de bras. 
    • Rajoutez des signes défensifs ( réponses ). 
      • avec sans contact puis contact des lames ou directement contact. 
      • Si vous ne l'aviez pas encore fait : abordez la notion de distance grâce à la notion de faible sur fort. Par l'exemple notamment.


Remarque : si l'élève se trompe sans que la sécurité soit compromise, évitez de le corriger de suite. Attendez que l'erreur se répète. Le but est de pratiquer sans craindre de se tromper. Sanctionner chaque erreur peut nuire à cet fin et la recherche de décontraction. 


A partir de là, deux évolutions possibles, augmenter le nombre de cibles ou commencer à se déplacer. Comme ce dernier est plus proche de ma volonté, de ce que je recherche, il aura ma préférence. Toutefois, si un blocage survient, revenez en arrière.


  • 2. continuez sur 1, mais en marchant.
    • Le nombre de mouvements de jambes pour le mouvement de bras est libre
      • La décontraction est primordiale.
        • Conseil : pensez à vous regardez pour amplifier cette décontraction. 
      • Si pour cela vous  ou votre partenaire devez faire quinze pas, Banco. 
    • Celui qui pose la question (l'offensive) est maître des déplacements et du moment.
      • Responsabilise le partenaire.
      • La prise de décision bien accompagnée développe l'assurance. 
    • Continuez à travailler la distance et les éléments de contrôle dont l'allongement du bras... 
      • N'hésitez pas à être patient, si nécessaire.
      • Au contraire augmentez l'exigence pour vous et votre partenaire si tout va bien.
    • Une baisse du nombre de déplacements entre chaque question devrait s'observer progressivement.
      • Signe d'une prise d'aisance.

  • 3. Sur la base de 2. rajouter des cibles ( tête, flanc, ventre... ). 
    • Privilégiez la décision de l'élève.
      • Travail de semi improvisation. 
    • Si vous n'aviez pas commencé le travail des armés, vous pouvez. 

  • 4. On insiste sur la flexion des jambes et se prépare à rentrer dans des déplacements plus typés escrime.
    • Continuez à travailler des détails techniques avec le mouvement du bras. 

A ce stade vous devriez, sous peu, basculer dans une phase plus classique de vos séances.
Je rappelle qu'il ne s'agit en temps normal que d'une part de votre séance. Part idéalement placée après l'échauffement et les fondamentaux. 10 minutes peuvent suffire. 
Toutefois, cette manière de construire peut s'étendre au delà et devenir une méthode créative à part entière. Nous en reparlerons un jour, tout comme la capacité de l'utiliser directement en échauffement avec quelques adaptations. 

Enfin, si vous disposez d'une chorégraphie et travaillez avec un partenaire plus confirmé, rien ne vous empêche de reprendre l'idée à votre compte. Identifiez les cibles que chacun "questionne", les cinq premières par exemple, et lancez vous quelques minutes. Cela peut constituer un bon complément à votre échauffement. Inutile toutefois d'aller aussi loin dans la recherche de naturel ceci dit si vous vous sentez bien sur des mouvements d'escrimeurs. Cependant, gardez ça dans un coin de votre tête pour vos remédiations. 


Voilà qui conclura l'article que j'espère agréable. 

Je me répète, mais n'hésitez pas à partager vos propres réflexions sur le sujet si vous y avez déjà été confronté. 

C'était le Baron de Sigognac pour vous desservir et je vous dis à la prochaine fois. 

mardi 14 avril 2020

L'escrime artistique, une escrime "hors sol" ?

Il y a deux ans déjà j'ai écrit un article qui évoquait l'historicité de l'escrime artistique, cet article (comme d'autres), ébauchait une réflexion sur notre pratique. Je veux ici approfondir un peu plus cette réflexion sur la façon dont est majoritairement enseignée et pratiquée l'escrime artistique. J'emploie ici volontairement le terme "escrime artistique" qui fait un peu mieux référence à une pratique un peu normée, du moins en France. Vous aurez probablement remarqué que je lui préfère le plus souvent "escrime de spectacle", au caractère moins "sportif" (le terme "escrime artistique" évoque le "patinage artistique" et les Jeux Olympiques), d'autant qu'on ne cherche pas toujours à faire de l'Art mais qu'en revanche on est presque toujours dans un spectacle.

Mon impression est que l'escrime artistique, telle qu'elle est majoritairement enseignée et pratiquées dans les clubs et les salles d'armes est un peu devenue "hors-sol". Je vous livre immédiatement une description de cette expression :
Hors-sol :
[...] (uniquement adjectif invariable) Se dit de quelqu'un, d'un groupe qui semblent être complètement déconnectés des réalités et des contraintes (financières, particulièrement) de la vie quotidienne : Des technocrates hors-sol. 
(Définition du Larousse en ligne)
Notre pratique serait donc détachée de plusieurs réalités : de la réalité historique, des réalités physiques et même des réalités de notre époque, les années 2020. Je vous propose d'examiner chacun de ces constats à la suite.

Je n'avais pas d'idée pour illustrer le titre de cet article. Du coup j'ai cette image de Brad Pitt dans Troie de Wolfang Petersen (2004) qui nous présente une escrime littéralement "hors sol". En fait elle n'a rien à voir avec celle pratiquée dans nos salles d'armes et les combats du film ont une base plutôt réaliste avec des moments d'héroïsme exagéré comme ici. Mais littéralement Achille est "hors-sol", mais littéralement seulement.

Une escrime hors de la réalité historique

Le premier constat que l'on fait lorsqu'on voit la majorité des combats d'escrime artistique c'est qu'ils sont en général très éloignés de la réalité historique ou du moins de ce que l'on en connait. Évidemment, la connaissance du passé est une science en perpétuelle évolution et qui requiert rigueur et humilité. L'historien passe son temps à remettre en question ce qui a été posé par ses prédécesseurs, ou, le plus souvent il nuance des affirmations ou casse des idées reçues. Néanmoins la connaissance progresse et certaines choses font consensus quand elles ont été établies sérieusement.

Avec l'explosion des Arts Martiaux Historiques Européens (AMHE) depuis un peu plus de dix ans et grâce à internet, les travaux se sont multipliés et, surtout, l'accès aux sources historiques et aux études de celles-ci s'est démocratisé. Ainsi n'importe qui disposant d'un ordinateur connecté peut lire des traités traduits au moins en anglais, et consulter les interprétations de spécialistes, textuellement ou en vidéo. Évidemment, une bonne partie du travail reste à faire, les sources historiques sont incomplètes et nous présentent le plus souvent une escrime de duel ou de jeux proto-sportifs. Malgré tous ces bémols on commence à avoir, à grands traits, une bonne idée de ce à quoi pouvait ressembler l'escrime du XVe siècle, du XVIe siècle et de tous les siècles jusqu'au nôtre.

Et force est de constater que ce qu'on apprend le plus souvent à faire en escrime artistique est très loin de cette réalité. L'escrime médiévale présentée manque généralement de subtilité et se résume souvent à de grands coups très armés... quand on n'y ajoute pas des voltes ! L'escrime "Grand Siècle" à la rapière utilise une arme très éloignée de la réalité et une escrime de taille quand les traités d'escrime nous montrent essentiellement des coups d'estoc (avec, parfois, quelques rares coups de taille). De plus ou ignore la nécessité de contrôler le fer adverse le plus souvent possible (essentielle en Destreza mais présente presque partout sauf peut-être chez Swetnam qui n'aime pas trop donner son fer). De plus, on distingue rarement rapière et épée de cour alors qu'il s'agit d'armes différentes appelant des techniques différentes.

Alors évidemment, la réalité historique n'est pas toujours spectaculaire, une escrime comme la Verderada Destreza a peu d'impact scénique puisqu'il s'agit d'un jeu de tromperie impliquant les lames et les corps mais avec des mouvements assez modérés. D'autres coups sont dangereux ou difficiles à exécuter car impliquant des contre-attaques en opposition qui demandent une grande maîtrise de la discipline. Enfin beaucoup de coups sont là pour vaincre tout de suite et il faut qu'un combat dure un peu pour le public. Néanmoins il est possible de trouver des astuces à cette dernière remarque. De plus il reste aussi de très nombreux coups spectaculaires dans les traités d'escrime et qui pourront surprendre votre public. J'en ai d'ailleurs présenté quelques-un à l'épée de cour, à la dague ou en self-défense du XIXe siècle.

Vous me direz également que l'escrime artistique n'a pas besoin d'être historique, elle a surtout besoin d'être spectaculaire ou expressive. Je répondrai que c'est peut-être vrai mais que l'un n'empêche pas l'autre. De plus nous présentons le plus souvent des scènettes ou des spectacles entiers basés sur une époque ou même des personnages historiques ayant existé. Nous nous produisons parfois dans des fêtes à caractère historique. Alors pourquoi ne pas présenter une escrime historique ? Comme le sont nos costumes (enfin on espère) ou les décors (on espère aussi). Pourquoi tromper le public en lui présentant des chevaliers ou des mousquetaires ? Pourquoi même, parfois, carrément leur mentir en leur disant que c'est ainsi qu'ils se battaient ? On doit au public une certaine vérité, au moins de leur expliquer que notre escrime n'a rien d'historique.

Ces gardes historiques issues de la version française du traité d'André Paurenfeindt - La noble science des joueurs despee (1516 & 1538) sont très visuelles, historiques, donnent de jolis mouvements tournoyants et auraient toute leur place dans un spectacle d'escrime artistique.

Une escrime hors de la réalité physique

Le deuxième constat que l'on peut faire est que l'escrime artistique qui est majoritairement enseignée et représentée fait également souvent fi des réalités physiques. On ne parle pas ici d'utilisation de fils pour faire des sauts improbables façon cinéma asiatique ni de blessures multiples et improbables mais juste de la façon dont on occulte la réalité des armes que nos répliques sont censées simulées. En dehors même de la réalité historique, on bafoue régulièrement la logique des armes et la logique de l'escrime.

Mon premier article portait sur le respect de la logique de l'arme. Je n'ai pas changé d'avis et on utilise souvent les armes sans réfléchir à comment elle doivent l'être. Alors évidemment, certaines armes peuvent être utilisées d'une seule façon même si elles permettent d'autres utilisation et on en a des exemples historiques. Une épée longue peut estoquer mais un escrimeur allemand du XVIe siècle, formé à l'escrime de jeu, n'estoquera probablement pas car il a été formé à une escrime de taille (tout comme dans un combat de rue, un combattant formé à la boxe anglaise ne donnera probablement pas de coups de pieds).

Néanmoins il reste quelques réalités sur les armes comme le fait que les armes en bois contondantes (canne, bâton, gourdin) ont besoin d'une bonne inertie pour faire mal et que c'est moins le cas pour les armes tranchantes et encore moins pour celles qui ont une pointe acérée. Ainsi les premières devront être très armées pour être efficaces alors que cela n'est pas nécessaire pour les suivantes. Et si on arme comme une brute un coup d'épée tranchante ça sera d'abord pour que la parade soit compliquée à prendre... ou pour tromper l'adversaire en préparant une feinte ! De même, on fera des coups d'entaille avec certaines armes plutôt que d'autres. Enfin, certaines lames étroites, et encore plus lorsqu'elles sont à section triangulaire, se prêtent très mal à des coups de taille efficaces.

N'oublions pas les distances et les allonges qui sont rarement prises en compte, on voit rarement un combattant armé d'un bâton utiliser cet avantage face à son adversaire armée d'une épée plus courte. De même, les jambes sont souvent ciblées en première intention, sans préparation pour rendre l'attaque crédible.

Là encore, tout cela n'est pas indispensable à un bon spectacle et on fait de belles choses en donnant des coups de taille à la lame triangulaire. À force de le voir le public a développé une certaine suspension de l'incrédulité qui fait qu'il accepte que cette attaque puisse être dangereuse. De même, un public non escrimeur ou non familier des réalités du combat ne percevra pas les problèmes de différence d'allonge ou d'attaques aux jambes. Cependant pourquoi s'acharner à autant d'irréalité ? Pourquoi ne pas faire comprendre au public, dans la chorégraphie, l'intérêt d'avoir une allonge supérieure, le danger d'attaquer aux jambes, le besoin de feinter ? Pourquoi systématiquement partir d'une escrime éloignée de la réalité et non de partir de la réalité pour choisir ce qu'on ignore dans celle-ci pour les besoins du spectacle ?

La réalité physique c'est qu'une dague a moins d'allonge qu'une épée !
Hans Talhoffer Fechtbuch - 1459

Une escrime qui a peu évolué depuis plus d'un demi siècle

Enfin, un troisième constat est le peu dévolution de l'escrime artistique que nous pratiquons. Nous restons sur des bases et des mouvements qui ont été posés dans les années 1950-60 par ces deux grands noms de l'escrime artistique que sont Claude Carliez et Bob Heddle Roboth ainsi que l'a très bien expliqué Michaël Müller Hewer dans cet article. On doit beaucoup à ces deux hommes qui ont popularisé l'escrime de spectacle et ont fait entrer dans les salles d'armes une discipline auparavant surtout pratiquée par des comédiens ou des cascadeurs. Mais on doit aussi se dire qu'il s'agit d'une escrime répondant à des critères des années 1960 !

La Guerre Mondiale n'était pas si loin, elle était finie depuis une quinzaine d'années et beaucoup de spectateurs avaient connus ses malheurs ce qui est une des raisons pour lesquelles la violence restait modérée au cinéma. C'était de plus une époque optimiste et prospère. Bref il y avait un esprit de l'époque et l'escrime de spectacle de l'époque y répondait : joyeuse et enlevée avec des grands coups d'épée et des éclats de rire ! Nous abordons les années 2020, plus d'un demi-siècle après et nous sommes toujours sur les bases posées à cette époque avec peu d'évolutions, du moins dans ce qu'on enseigne car bien de groupes s'éloignent peu à peu de ces bases pour correspondre un peu plus à l'esprit de l'époque.

Et c'est normal. Si l'on regarde du côté de la bagarre chorégraphiée on voit une évolution entre cette époque et la nôtre. Et même plusieurs en fait avec l'arrivée des arts martiaux dans les années 70 (Bruce Lee et Jackie Chan) et des réalisateurs de Hong Kong dans les années 2000. Je vous mets à titre d'exemple deux vidéos : un combat de James Bond - Opération Tonnerre en 1965 et un combat tiré du film Atomic Blonde de 2017. Constatez par vous-même la différence de style et de ton :

La bagarre dans les années 1960 : Opération Tonnerre (1965) de Terrence Young

***

La bagarre dans les années 2010 : Atomic Blonde (2017) de David Leicht


La bagarre de cinéma s'est réinventée de très nombreuses fois, partant même de nouvelles bases comme les arts martiaux et diversifiant ses styles. On va parfois trouver des styles très irréalistes avec des doubles vrilles, des projections, l'utilisation de fils, ou des styles au contraires très réalistes, se basant sur la bagarre de rue et tout un éventail entre les deux et aussi en fonction des besoins du film, du ton de celui-ci. D'ailleurs selon le film et les personnages le régleur de combats choisira de partir de telle ou telle base d'arts martiaux, de bagarre de rue, de boxe etc. pour sa chorégraphie. Nous nous avons tendance à tous partir de la même base à peine renouvelée.

On pourrait dire qu'il y a une sorte de fossé entre l'escrime artistique et notre époque : celle-ci nous propose de revivre les films de cape et d'épée à la mode dans les années 50 ou 60, mais bien des pratiquants jeunes n'ont pas connu ces films, ni même l'époque où ils étaient régulièrement diffusés à la télévision. Les flamboyances d'Eroll Flynn ou de Jean Marais appartiennent au passé et paraissent assez désuètes à beaucoup. Notre époque aime le rude, le sanglant, le spectaculaire. Si l'on sacrifie du réalisme c'est plus pour rajouter du mouvement, de la cascade et surtout de l'impact, pas pour édulcorer le combat.

La Contretemps Cie nous présente des spectacles plus en phase avec notre époque avec force cascades (qui demandent une excellente condition physique).


***

Il faut évidemment nuancer ce côté hors-sol, beaucoup de chorégraphies actuelles intègrent des mouvements originaux, parfois issus de traités, parfois juste inventés et créatifs. On n'a pas rien fait depuis les années 1960, mais par contre ce sont toujours les mêmes coups de bases irréalistes que l'on enseigne, à l'heure des AMHE et d'un mouvement vers plus de crédibilité dans la bagarre de cinéma et même dans le catch (pourtant de base très irréaliste et spectaculaire). Le catch subit l'influence des Arts Martiaux Mixtes avec, d'ailleurs, l'arrivée de quelques athlètes issus de l'UFC, tout comme l'escrime de spectacle devrait normalement subir l'influence des AMHE. Il me semble donc légitime d'interroger un vrai besoin d'évolution.

On pourrait évidemment revendiquer une autonomie totale de l'escrime artistique et donc assumer ce côté "hors-sol", ce que certains font d'ailleurs. Néanmoins une pratique peut-elle être aussi déconnectée de tout ? Nous sommes censés simuler des combats, souvent dans des situations historiques, avec des armes qui ont le plus souvent existé et à une époque où l'on redécouvre le combat historique. Devons-nous à ce point être coupé du reste de notre époque ? Ou devrions-nous repartir de bases fondées sur la réalité du combat et des armes ?

Si vous lisez ce blog depuis quelque temps vous savez que j'estime qu'il est plus intéressant de se baser sur le réel, quitte à s'en éloigner sur certains points en assumant cet éloignement sur ces points précis. Partir d'armes et de techniques réalistes et historiquement sourcées permet de s'ancrer dans une référence commune avec tous : la réalité. Cela n'empêche pas forcément les sauts, les voltes ou même les fils, on sait qu'ils ne sont pas réalistes mais on sait aussi qu'ils feront leur effet. Cela évitera le côté "hors-sol".

On finira avec cette vidéo du groupe Warlegend qui nous présente un combat réaliste, basé sur des coups historiques avec de la tension, du sang , de la rage et du spectacle. Un modèle à suivre pour moi.