samedi 21 mars 2020

Ces chorégraphies où l'escrime et les gammes ne sont pas la solution.

Tu vois, les gammes c'est un peu comme frauder. Ça arrange pas mal, tu peux continuer à en jouer des années et puis un beau jour paf ! Te voilà tout juste bon à alimenter un meme.
Baron de Sigognac au Baron de Sigognac ; H moins deux minutes son énième coma éthylique.

Bonjour à tous, ici le baron de Sigognac pour vous desservir.

Suite à mon dernier article, j'avais évoqué que ma diatribe contre les gammes ne prenait pas en compte les situations où l'escrime n'était qu'un élément secondaire. Une part du décorum, tandis que le message scénique se transmettait pas d'autres médias.
L'exemple le plus parlant pourrait être pour vous les combats en arrière plan, des chorégraphies  souvent sujettes à bien des blagues, mais qui revêtent une dimension plus profonde que prévue. Ce dont nous parlerons peut être dans de prochain article.
Cependant, en dehors de ce cas, différentes formes justifiées où l'escrime est en retrait existent.  Tant et si bien que tout récemment, une prestation de ce genre c'est présentée à moi. Prestation que j'ai traitée et dont je trouvais intéressant de partager le retour d'expérience :

Messieurs et mesdames, permettez moi aujourd'hui de monologuer avec vous sur :
Le collège, la place du village et le metteur en scène.

Une place de village pour sûr. 

Remarque : en fait il s'agissait d'une ville, mais le capitaine trouvait l'élocution sympa. Donc, pour les insultes, voyez avec lui. 


Remarque deux : l'idée n'est pas de montrer ma sainte supériorité intellectuelle, d'une part parce qu'il n'est plus utile de la plaider — Quoi ! Comment ça on devrait ! —  et que je tiens plus à vous présenter ma réflexion à travers un cas concret. Histoire de changer un peu. 

Contexte

Quelques mots sur la genèse du projet.
Vers la fin de la dernière saison, mon emploi du temps glissait des cours aux écoles et autres joyeuses structures vers les réunions de fin de saison. Parmi elles, celle des services jeunesse de ma commune qui faisait et font appel hebdomadairement à diverses associations culturelles et sportives. Suite à celle ci, positive, le responsable d'une association de théâtre, placé à côté de moi me présenta dans les grandes lignes son projet avec un collège. Une pièce de théâtre construite comme une déambulation dans la cité pour promouvoir le patrimoine culturel de la commune, mais aussi associer la jeunesse dans un but éducatif. Aspect très présent dans les politiques locales ces dernières années.
Le thème tournait autour de la guerre de cent ans et le metteur en scène, que nous appellerons Bob ( les noms ont été changés ) désirait si possible créer une scène de bataille avec les collégiens. D'où son besoin de sous-traiter ce point à une personne qui connaissait mieux le sujet.

Naturellement je refusai.

Merci d'avoir suivi cet article et je vous dis à la prochaine !

Hum... désolé.

Donc, l'accord de principe étant acté, le rendez-vous fut pris à la rentrée pour discuter des aspects pratiques me concernant. Ce qui advint en octobre :


  •  une rencontre avec Bob sur le site prévu pour la bataille fin janvier
  •  deux séances de deux heures avec les collégiens et leurs professeurs impliqués dans le projet, la semaine suivante.
    • collégiens de 5e à 3e
  • deux séances de 2h conjointes avec Bob, avant et pendant les vacances d'hiver.
  • La prestation, deux semaines après la dernière séance. On y reviendra 
Vers décembre, une modification survint. La première séance devait être orientée vers le recrutement de volontaire et non l'entrainement. Des seize collégiens que désirait Bob, seul six étaient trouvés et le collège craignait d'arriver à peine à une dizaine. 
La donne changeait puisque de de deux séances de deux heures sans Bob nous tombions à une dédiée au recrutement, soit une séance de séduction et une d'entrainement.
L'idée de faire une séance d'initiation avant les vacances de Noël fut discutée. Malheureusement, les conflits d'emploi du temps entre les différentes matières obligèrent le collège a refuser. Les collégiens participeraient au projet, mais la priorité demeurait leur études. Ce qui se concevait sans peine. Dès lors, nous étions contraint de nous contenter des dispositions déjà existantes. Toutefois, nous verrons à la fin que les enseignants impliqués furet d'une grande aide sur la fin du projet. 

Par la suite, les échanges avec Bob, notre interlocuteur commun, le collège et moi, se bornèrent à confirmer les différents rendez-vous jusqu'au jour de notre rencontre sur le site prévu. Ce fin janvier 2020, début de la phase concrète du projet.


Le cahier des charges finalisé : entre liberté artistique et fortes contraintes techniques.



Garçon ! Une petite gamme sans trop vous commander. 

L'objectif était pour ma part de terminer de cerner l'ensemble du cahier des charges. En d'autres mots, établir dans le détail, les objectifs et les moyens disponibles, ce afin de calquer au mieux ma démarche scénique à la réalité et au besoin suggérer des modifications.
Même si sur ce dernier point, le metteur en scène aura toujours le dernier mot, il est important que vous puissiez soulever une inadéquation entre les dits objectifs et moyens. Exemple par l’extrême : demander à un complet débutant, en une heure, d'apprendre et réaliser 3 minutes de combats effectives avec un style d'escrime proche d'un expert. Hé bien, notre travail nous force à pointer l'impossibilité et donc demander à modifier un ou plusieurs des paramètres.

Remarque importante : 
En fonction de la réponse du metteur en scène ou du responsable, de façon générale, vous ne devez pas hésiter à aller jusqu'à votre retrait du projet. Ce qui ne veux pas dire de le menacer de claquer la porte. Soyez toujours force de proposition, rassurant, mais si vous sentez qu'au bout du bout la situation est intenable, annoncez, justifiez votre départ du projet et faite le ! Ne le voyez pas comme un outil de marchandage. C'est trop tard et à ce stade, extrême et très rare rappelons-le, au metteur en scène de revenir vous cherchez. Pas l'inverse.
Après si cela vous arrive régulièrement, posez vous les bonnes questions. 



Ceci étant dit, la visite du site avec Bob devait me servir à deux choses :

  • Terminer de noter et voir sur le terrain les caractéristiques de l'espace scénique.
    • Obstacles
    • Dispositions
    • Dimensions
    • Place du public
    • ...
  • Préciser les autres éléments techniques de la scène.
    • type de chorégraphie. 
    • genres ou styles demandés.
    • niveau et nombre des acteurs.
    • durée désirée. 
    • ressources disponibles diverses. 
Or, si vous m'avez bien lu, a aucun moment la question de la durée n'avait été préparée. Tout comme le matériel vous me direz. Certes, mais du matériel j'en avais. En revanche, la question de la durée aurait pu poser souci. Nous étions à un gros mois de la représentation et l'ajout de la bataille était de fait, bien engagé pour un temps d'entrainement que je savais déjà limité.
Un peu tard pour négocier en cas de durée extravagante. Et il faut avouer que lorsque Bob commença  à discourir sur une scène entre 10mn et 20mn, une alarme s'alluma. Toutefois, seul 2m30 de combat effectif pour 5mn en global semblaient nécessaire. Ce qui collait avec mes prévisions.
Il n'empêche que si vous vous retrouvez dans ma position, épargnez-vous une possible difficulté et demandez la durée voulue dès que possible. Rien ne me garantissait que Bob puisse me répondre bien avant la visite du site, mais comme je ne l'avait pas demandé... note pour la prochaine fois : pas d'excès de confiance pour éviter le "pas de chance". 

Ainsi nous partions :

Pour la chorégraphie et les moyens en eux même :
  • une bataille d'au moins 5mn pour une scène globale de 10mn. 
    • 2mn30 de combat effectif ( règle du 50% ) 
    • du mouvement demandé
    • bataille équilibrée en effectif entre français et anglais. 
    • élément d'une pièce teintée à la marge d'humour, parfois burlesque.
      • pour simplifier nous dirons mode son et lumière, mais en plein jour. 
    • pas de consigne quant au style du combat en tant que tel. 
  • seize collégiens débutants espérés, aussi bien en escrime qu'en théâtre. 
    • devant en outre pour les personnages anglais apprendre et jouer un texte dans cette langue.
  • seize fleuret
    • anachronisme accepté par le metteur en scène et prévu à la pièce.
    • La période médiévale de l'oeuvre est plus un prétexte ; une évocation.
  • 8 tabard anglais et 8 français dont un spécial pour chaque chef. 
  • 2h d'initiation 
  • une séance d'entrainement de 2h seul 
  • deux séances de 2h d'entrainement avec Bob, soit 1h d'escrime par séance. 
    • dernière séance deux semaines avant la première. 
Pour le site en lui même : 
  • un espace extérieur rectangulaire plat et pavé de 10m*11m délimité. 
  • une fontaine devant être coupée afin que les dalles sèchent. 
  • un public à 360 degrés. 
  • les Anglais et les Français positionnés sur les largeurs
C'est à partir de là que je constituai ma démarche.

Hein ! Une gamme ! Môssieur se fantasmerait-il en restauration rapide ?


Une bataille favorisant davantage les formations que l'escrime.

Fort de ces informations, je pouvais commencer à composer une démarche artistique. Pas de zéro toutefois : les bribes fournies pendant la phase préparatoire, m'avaient dégagé quelques pistes et j'attendais plus la visite du site pour les affiner que les créer.
En effet, la présence de nombreux débutants formés dans un délai contraint ( mais assez cohérent avec d'autres projets similaires que j'ai pu vivre ) me permettait d'envisager de mettre l'accent sur des mouvements de batailles et reléguer l'escrime au second plan.

Souvenez-vous de mon dernier article : Sus aux gammes ! Je faisais mention qu'à défaut nous partions du réel pour notre démarche et que les contraintes de temps et de niveau des acteurs rentraient dans le cadre d'un compromis.

Je tenais à préciser ce point. Par compromis, j'entendais réduire, ce le moins possible, mes exigences techniques et technico-scéniques afin que les escrimeurs puissent réussir. Les principes de la démarche eux seraient maintenus demandant, ce faisant, davantage de créativité : le champs des solutions étant amoindri, d'où l'idée parfois de se poser des contraintes pour créer lorsqu'on a carte blanche.
Notons que si nous ne trouvons pas de compromis alors nous tombons de nouveau dans l'inadéquation entre les objectifs et les moyens ( cf supra ). Cela peut être dû à une erreur dans la démarche, ce qui peut se corriger. Cependant, la question de notre propre compétence, donc une inadéquation liée à nos propres connaissances et expériences doit aussi se soulever. L'exemple, quelques paragraphes plus haut, était justement extrême pour éluder cette hypothèse. Peu sympathique pour notre ego certes, mais il vaut mieux s'en rendre compte avant qu'après l'échec : monde de résultat, souvenons-nous.
Bref, pour résumer d'une maxime : sans compromis possible, le projet devient horrible.

Pendant ce temps, autre part : "Nan, mais même moi je vois que vous êtes partis en vrille !"


Sur ce, reprenons notre étude. 

Conformément à nos choix scéniques de base, je partais du réel. Je n'avais aucune demande particulière en terme de style ou de genre et l'humour présent dans l’œuvre ne semblait pas devoir déborder dans la chorégraphie. Il s'agissait plus d'effets comiques à travers les dialogues et les réactions à contre pied de certains personnages. Ce que Bob maîtrisait bien. 

Deux axes, pas nécessairement opposés se dessinèrent : les duels et les formations militaires. Dans l'idéal je devais mettre en garde seize collégiens qui se répartiraient entre des soldats anglais et français avec respectivement un chef. 

Si je la jouais foire à la saucisse classique, j'aurais misé sur les duels. Niveau mouvement, on est, en effet, pas trop mal, on peut gérer un nombre impair assez bien, et puis le côté mano à mano attire. 
Sauf que les contraintes du cahier des charges auraient posés de sérieuses difficultés. 
D'une part le duel impliquait de mettre en valeur les combattants à travers leur compétences individuelles. Or, nous avons affaire à des soldats, non des débutants donc, au moins, formés aux armes : Une tentative de typologie des personnages combattants par niveau. 
D'autre part, il m'aurait fallu, pour conserver ma démarche, réussir à créer 2mn30 effectives de combat, ce qui fait pas mal d'actions à caler. Le tout avec des actions qui fassent plus technique que des phrases d'armes d'actions simple, un travail sur les pauses, sans compter les possibles changements de partenaires, si nous mettions des mises hors combats en place.
Ne serait-ce que pour soulager les participants les moins à l'aise.
Enfin, clouant le cercueil, pour chaque escrimeur en moins que les seize souhaités et non garantis, chacun aurait du s'arracher de plus belle pour maintenir le dynamisme de la scène.

Sincèrement, avec à peine 4h d'entraînement pur, nonobstant la séance d'initiation, je ne me voyais pas en capacité d'arriver à mes fins de cette façon. J'aurais dû baisser drastiquement les exigences pour que les collégiens présentent une action, donc user de gammes, surement en 4-0 ; 0-4 ( soit le même qui attaque 4 fois sur 4 cibles ). Pire ! Afin de m'assurer d'un minimum de niveau et surtout de leur sécurité, qui n'était pas la plus évidente en l'espèce ( raison majeure et absolue de l'abandonner ), faire en sorte pour chaque duel d'exécuter la même chorégraphie. 

Vous l'aurez compris qu'avec un tel nivellement par le bas, au point de retirer toute démarche artistique dans ma réflexion, je ne pouvais décemment choisir cette option.


Pardon, mais on est un établissement sérieux ici !



En revanche les formations...

Reprenons, avec les duels, j'estimais me retrouver devant une situation où j'aurais dû effectuer la même chorégraphie à tous. Ce, au détriment de la moindre recherche scénique vis à vis du réalisme ou de tout autre style. Toutefois, il était acté que mon temps de préparation serait court et que je devrais bien baisser mes exigences techniques en escrime. Comment concilier une démarche qui part en premier du réel avec les contraintes décrites plus haut ? 

Existerait-il des situations militaires où les compétences individuelles des soldats ne soient pas le point central et ce à juste titre ? 

Il se trouvait que les formations, davantage centrées sur la discipline des troupes que leur capacité à tenir un duel, chantonnaient à mes oreilles. Les soldats étant limités dans leurs gestuels, je pouvais former mes collégiens sur une escrime basique, et me concentrer sur les pauses et manœuvres. De même, je trouvais intéressant de m'inspirer de styles chorégraphiques plus orientaux et leur faire exécuter un même enchaînement rapide, simultanée. Ce, afin d'étendre la notion de discipline jusqu'aux armes ; reléguer l'escrime au second plan ; miser sur l'effet de troupe. 

Au sujet des cibles, le travail devenait plus aisé. D'un point de vue visuel, j'estimais que l'estoc ou la tête se distinguait des autres cibles. Goût personnel. D'ailleurs, j'ai pendant longtemps envisagé de proposer deux à trois enchaînements qui les mêlaient. Enchaînements que chaque camp exécuterait en respectant un parallélisme : si les Anglais font un enchaînement et les Français un autre, on inverse ensuite. Là encore, je misais sur cette notion de discipline et de coordination et cherchait à l'esthétiser au mieux.
Quant au nombre de participants, je pouvais adapter les tailles des équipes, changer les duos, voir les allégeances grâce au caractère quasi identique du travail demandé. Travail rendu tolérable par l'accent scénique mis sur la discipline et l'esthétique des formations. 

Par la suite, peu avant la visite du site, mes élèves du club et moi avions testé la formule, vite fait entre l'attaque composée et les prises de fers. J'en conclus de ne conserver que la cible tête et sa phrase d'armes : attaque , riposte, contre-riposte tête.  La plus visuel à mon sens. Le gain de variété avec l'estoc ne semblait pas apporter assez vis à vis de la complexité rajoutée pour les collégiens. De plus, cela me permettait de la garder pour le final. Final que je voyais autour de très court duels et trios. 

C'est ainsi que je présentais cette solution au metteur en scène ainsi que son expression concrète. Expression que j'avais vite affinée, grâce aux informations de terrain que je recueillis lors de la visite. 

Une proposition en plusieurs "tableaux".

En voici une copie retravaillée sans ses abréviations et schéma :

  • Tableau 1 (optionnel ) 
    • Duel entre les deux chefs tournant à l'avantage des Français.
  • Tableau 2 
    • sur ordre du chef anglais, encerclement du chef français.
    • mouvement de formation
    • échanges entre le chef français et les anglais qui cherchent à l'épuiser.
    • le chef français brise la formation et rejoint les siens.
  • Tableau 3 
    • les deux camps se font face en formation en double ligne et quinconce.
    • mouvement de formation avec les Français qui pousse les Anglais dans leur camp
    • enchaînement tête à l'initiative française pour la première ligne.
    • on répète les deux étapes  précédentes mais pour les anglais. 
    • retour au milieu et changement de ligne. 
    • on répète l'ensemble mais en partant avec les Anglais. 
    • enchaînement tête *2 
  • Tableau 4
    • percé des Anglais grâce à une brèche au milieu ( coup de pied )
    • répartition des combattants restants en duo et trio aux quatre angles.
  • Tableau 5
    • escarmouche générale avec mise hors combat des Français et Anglais en cascade 
      • une action ou deux par duo ou trio avant une "blessure".
    • un Anglais, son chef et le chef français restent debout.
  • Tableau 6 
    • deux contre un final
    • le chef anglais est blessé et le soldat appelle à la retraite. 
    • Victoire française. 

Oui... c'est que ...je ... je plaisantais, en fait ! Un... heu...pourboire ?

Le tableau 1 n'étant pas indispensable, je me le réservais si le temps nous le permettait. Ce ne fut pas le cas. De même, la présence de l'escarmouche et du trio final permettait de mettre l'accent sur l'importance de la formation et miser sur le caractère rapide des affrontements dans la réalité. Surtout en mêlée générale.
J'étais assez confiant sur ma capacité à amener rapidement les collégiens sur les formations pour espérer régler ce trio final. Trio qui sonnerait comme la revanche du chef français face à la perfidie anglaise lors du tableau 2 ; mettrait en valeur les compétences des deux chefs  et crédibiliserait les personnages.  Donc, mettre un peu plus de techniques d'escrimes comme les duels et trios incitent. Sous réserve de ne pas me planter, bien entendu d'où le besoin de se concentrer sur les séances et de ne pas en rater les rendez-vous. Bon, rien d'insurmontable non plus, si vous êtes formés à l'exercice.


Une mise en œuvre sans encombre. 

La plus grosse inconnue à ce stade, demeurait en réalité le nombre final de volontaires que j'aurais. 

La séance d'initiation qui intervint la semaine suivante avait en ce sens la fonction de démystifier la discipline ; éviter les refus par peur, mais aussi de l'enchanter ; amener l'adhésion. 

Le tableau 2 convenait plutôt bien à l'exercice. Je m'étais inspiré d'une de mes propres séances d'initiations. Celles que je réservent à un public en découverte. 
Je ne  vais pas vous en décrire les étapes ici, mais elle connu un franc succès puisque de 8-10 volontaires nous eûmes les 16 voulues. 
De plus, cela m'avait permis de les sensibiliser à travailler à plusieurs et non en duel. Un gain de temps pour la suite. 

Lors des séances d’entraînements qui suivirent, l'objectif était de mettre en place la base des tableaux en les travaillant un par un en fonction des besoins et niveaux de difficultés. Le tableau 2 par exemple, se cala assez vite, le trois moins. Cela aboutit naturellement à combiner les tableaux ensemble, puis à jouer l'intégralité de la scène. 
Bien sûr, de petits ajustements survinrent ça et là. On rajouta des phrases clés et des meneurs pour les dire afin que tous suivent les manœuvres. On saupoudra avec Bob des petites injonctions pendant les enchaînements  : "For the King !" ; "Montjoie Saint Denis !". Nous fixâmes et modifiâmes, parfois, les duos et trios, les positions, l'ordre des blessés. Lors de la dernière séance, Une demi-heure  supplémentaire — nous étions en vacances d'hiver à ce moment — se rajouta presque sous le manteau pour perfectionner davantage le trio final...Néanmoins les choses avançaient sans encombre.

Seul ombre au tableau, les deux semaines de trou entre la fin de l'entrainement et la représentation. Tant bien même les élèves me surprirent de leur implication et leur mémoire, le délai m'inquiétait. Mais c'est ici que les professeurs impliqués furent superbes  et réussirent à caler une dernière heure et demi trois jours avant la première. De quoi se rendre compte que le groupe n'en avait eu en fait que très peu besoin.

Vous vous en doutez la scène se passa bien, nous amenons sur notre conclusion

Conclusion et bilan 

Si d'autres solutions auraient pu être possible, je vous laisse juger, celle mis en oeuvre porta indéniablement ses fruits :
  • Le cahier des charges de la scène se trouva respecté à la satisfaction du collège et de Bob. 
    • les mouvements de formation étaient présents
    • le dynamisme aussi
      •  quelques lenteurs et manque d'expressions scéniques pardonnables au vu du temps de préparation. les élèves jouant la sécurité. 
    • Un résultat pour des débutants fort honorable. 
  • Reléguer l'escrime à un rôle secondaire permit de concilier une volonté de crédibilité dans l'approche et les contraintes techniques. 
    • du moins autant que faire ce peut avec des fleuret en pleine guerre de cent ans ( oui je sais... )
    • sans gammes 4-0 s'il vous plaît et les traditionnels duels de masse. 
  • Les entraînements ont abordé des notions plus poussés que prévu. 
    • Le travail préparatoire et de planification y contribua.
    • La qualité des élèves aussi, mais j'y viens. 
  • Des collégiens impliqués jusqu'au bout. Pour des adolescents ce n'est pas rien. 
  • Le plus gros critère de réussite à mes yeux : certains ont révéler de véritable qualité de scène, mais aussi logistique. On omet trop souvent le besoin d'une bonne logistique. 
Voilà, j'espère que ce petit retour d'expérience vous a aidé à mieux comprendre notre défiance vis à vis des gammes. Ce même dans ce cas de figure particulier ; l'escrime comme acteur secondaire de la chorégraphie. Qui sait, cela peut vous donner quelques pistes réflexions pour vos prochaines prestations et vous aider à mieux cerner votre démarche artistique.


Merci d'avoir suivi notre article, pour de bon cette fois, et à la prochaine.

Le Baron de Sigognac.

Sérieux, c'est vraiment fini, vous pouvez consulter un autre article, boire un café, vous détendre...
Vivez ! La mort c'est ennuyeux de toute façons. 

dimanche 15 mars 2020

Sus aux gammes !


Ce n'est pas que j'ai un souci avec les gammes, mais un moment j'aime entendre de la musique. Bah , en escrime, c'est pareil !
Baron de Sigognac, trois grammes de cognac dans le sang. 


Do, ré, mi...


Bonjour à tous, ici le Baron de Sigognac pour vous desservir.

Une nouvelle fois...

Seul...



Plutôt cool en fait.
Las de mon rôle de FIDELE ACOLYTE ( Capitaine, va juste mourir ! ) je prends la plume pour vous faire part de quelques unes de mes réflexions. Et au vu du titre putaclic, vous vous doutez que ce ne sera pas dans la finesse.

Je sais, je sais... je suis censé représenter la voix technique du forum ; un élan d'élégance et de raffinement ; de nuance et de justesse... LOL, je fais du med.
Plaisanterie mis à part — Seigneur ! Que cette association médiéval - brutal m'agace — nous touchons ici, un souci qui malheureusement se retrouve davantage dans cette époque, enfin, disons, dès que ces armes sont scéniquement utilisées. Rigolez pas trop les Renaissance-Grand Siècles, on vous voit aussi.

Lequel ? Les gammes pardi ! Et pas n'importe lesquels, celles que nous aimerions cantonner aux entraînements. Vous savez ces petits enchaînements de deux tailles hautes, une basses ou deux, ou l'inverse ou en croisé. Et s'il y avait encore besoin de développer :

Ce type de gamme. ( vite fait sur paint. Pardon pour la qualité. )


Remarquez que le Capitaine en avait parlé dans Ces actions que l'on voit trop souvent en escrime de spectacle. Pourquoi y revenir me rétorquerez-vous. Peut être mon expérience de commentateur, lors des derniers championnats de France qui m'a remis la problématique en pleine poire : l’îlot de chagrin dans cet océan de bonheur. ( le compte rendu du capitaine :Retour sur les Championnats de France d'Escrime Artistique )
Car oui, il y a eu des gammes ! Hé oui, je crois qu'il nous faut préciser et développer le propos.

Une dérive méthodologique.

Il est normal, en fonction des méthodologies de création et d'entrainement, de travailler des enchaînements. Ces enchaînements peuvent même être la marque d'une école, d'un club etc... L'ennui a toujours été le caractère "facile", "irréel" qu'ils peuvent engendrer. Heureusement, pas toujours et on reviendra plus tard sur comment s'en prévenir.

Prenons le cas d'une gamme trop courante, le joueur A attaque 4 fois le joueur B avec pour cibles figure non armée ( du côté opposé à la main tenant l'arme ), figure armée, jambe non armée, jambe armée.

Sur le plan de l'entrainement, son travail peut se justifier sur de multiples aspects :

  • Travailler la fluidité des enchaînements.
  • Rassurer les escrimeurs qui peuvent ainsi se cantonner à un rôle sur plusieurs actions.
    • Aborder les spécificités de l'attaquant, du défenseur en terme de sécurité, coordination des actions communes
    • Créer un climat de confiance par cette simplicité.
  • Développer une rigueur dans ses actions.
  • Le reste qui vous viendrait à l'esprit.  
D'expérience, je suis peu en phase avec son usage. Je trouve l'exercice plus difficile qu'il en a l'air. Peu naturel et source de mauvaises habitudes : au hasard, sacrifier la qualité des attaques données, notamment celles intermédiaires par un bras trop peu allongé ; passer au mouvement suivant à peine les lames en contact. Cependant, tant que cela reste un moyen de transmission, je n'ai pas de jugement.
D'ailleurs, il m'arrive au besoin de le faire. Il s'agit davantage, à mes yeux, d'un choix méthodologique ; les miens s'en passent juste le plus souvent. Affaire de personnes, de conceptions... l'efficacité d'une méthode ne peut se dissocier de la personnalité de l'enseignant et du groupe. D'où cette phrase que je trouve toujours magnifique : vous n'enseignez pas une matière, mais qui vous êtes.

Pardon. 


Vous l'aurez saisi, mon déplaisir ne vient pas de là. Plutôt de l'instant où la dite gamme déborde de la salle d'armes pour débarquer sur scène. Très souvent à mauvais escient.
Si je vous dis au hasard gamme 3-0 ou 4-0, donc le même qui attaque trois à quatre fois de suite, chassé / technique histo-discutable. Cela vous rappelle quelque chose ? Rajoutons à la structure une gamme 0-3 ou 0-4 suivi toujours d'un chassé / technique ... le tout répété jusqu'à la fin : blessure / mort / statu quo. Des souvenirs devraient vous hanter. En tant que spectateur, certes, mais aussi escrimeur ; acteur de ce genre de combat.

Je n'ai aucun souci à avouer d'y avoir pris part fut un temps. "Allez partons sur un huit !" On appelait une de ces gammes ainsi de par chez nous. "Puis partons sur un huit brisé et je te désarme." Une période heureuse, en réalité. Je m'amusais. Je m'amuse toujours, en fait. J'y ai rencontré des amis avec qui, pour certains, je participe encore à différents projets  ( salut Capitaine ! ). Et je suppose que pour vous c'est similaire ou le deviendra.
Cependant, avec le recul, ce type de structure, de construction chorégraphique m’apparaît aujourd'hui ni plus, ni moins, comme une dérive méthodologique. Une dérive liée à son irréalisme injustifiée, sa facilité  et son manque de profondeur.


Oui ! Vous là ! C'est à vous que je cause !


L’irréalisme injustifié des gammes.

Si vous nous suivez, vous savez que ce point nous est cher. Nous avons bien conscience que l'aspect visuel de l'escrime de scène lui permet d'interroger la réalité et de prendre des libertés avec elle. C'est , à ce propos, l'origine des différents styles plus où moins définis que nous connaissons. Cependant, nous sommes sensibles à la justification de ces dites prises de libertés. En effet, à partir du moment où nous pouvons nous appuyer sur une connaissance suffisante de la logique d'une arme, son contexte d'utilisation... il est appréciable que les escrimeurs soient capable d'expliquer leur démarche. en d'autres mots, les raisons qui les poussent à ne pas proposer une action la plus proche possible de la réalité.
L'aspect est assez récurent avec les arts visuels. Souvent, l'artiste ou ceux qui se chargent de présenter son oeuvre vont la comparer avec le réel et mettre en avant les différences centrales. Différences qui doivent, si réussies, porter leur message. Pensez à l’impressionnisme, au surréalisme...
L'escrime ne me semble pas y faire exception.

Alors, vous me direz, si les artistes modifient le réel dans leur oeuvre pour porter leur message, tenter d'être réaliste ne serait-il pas un néant artistique ? Ce qui serait une excellente remarque. Manquant de temps pour y répondre, je préciserai juste que cette question a déjà été traitée par d'autres arts visuels que l'escrime et que tout paradoxale puisse-t-elle être, le réalisme est tout autant un point de départ à la réflexion artistique qu'un style à part entière. Avec ses forces et ses faiblesses. La principale de ses forces étant, pour l'escrime, la crédibilité des gestes.

Vous l'avez peut être entendu dans une salle d'armes, en pleine séance sportive : "Si c'est beau, c'est proche du vrai". Je pense que cette tirade résume tout ce que le réalisme peut apporter. Une sensation de "vrai" de "vérité". Sensation d'autant plus importante que la chorégraphie n'est qu'une chorégraphie : un faux. Chercher le réalisme jusqu'aux limites techniques que notre art, comme la sécurité, est un plus indéniable pour rendre votre scène crédible.
Car sans crédibilité, votre scène ne peut pas investir un public et est le gage d'un mauvais travail. Cette crédibilité peut venir du réel, nous venons de le dire, mais aussi de l'univers, de l'ambiance, du genre... bref tout ce qui vous permettra d'obtenir la nécessaire suspension consentie de crédibilité de vos spectateurs.

Or, que faire quand les idées nous manquent pour passer notre message ( Déjà avons nous un message ? ) ? D'un point de vue méthodologique, il est agréable de pouvoir s'appuyer sur une procédure / recette quand l'inspiration n'y est pas. Le statut particulier du réalisme nous en offre une satisfaisante : sans justification, restons proche du réel. Au moins, la crédibilité de votre scène a des chances d'être respectée et qui sait, les idées pour vous en affranchir, vous viendront après ? Nous penchons vers cette voie  au Fracas des lames.
De plus, ce qui me semble très important, cela force à concentrer nos choix scéniques sur le message, même trivial, que la scène doit faire passer et non sur des éléments extérieurs comme la compréhension du public.
Nous y reviendrons, mais par pitié il faut cesser de prendre les spectateurs pour des cons ! Cela ne veut pas dire qu'aucune réflexion ne doit être entreprise envers la réception du public, au contraire, mais cela vient à mon sens assez loin dans le travail et demeure davantage un sujet technique qu'une démarche artistique. Démarche qui doit primer. 

Revenons à nos gammes. Que dire d'elles ? De ces 4-0 ; 0-4 en taille. Peuvent-elles se justifier ? Dans l'absolu, l'éther, oui, mais vous vous en doutez, beaucoup moins en situation. J'exclue volontairement les soucis techniques du temps et du niveau des escrimeurs qui peuvent forcer leur usage et qui sont du domaine du compromis et non de la démarche scénique.
Permettons nous cette règle, au delà de l'attaque remise simple ou attaque reprise simple, un bon escrimeur devrait être en mesure de riposter, sinon cela voudrait dire qu'il est battu. De fait, porter l'offensive quatre fois sans être dérangé me semble compliqué, à moins d'affronter un personnage débutant. Et encore ! Sans mettre en œuvre quelques artifices, cela demeure fort limite.
Au passage, si vous voulez approfondir la question des combattants, je renvois à notre article : Une tentative de typologie des personnages combattants par niveau

Admettons, vous affrontez un personnage débutant et vous même n'êtes pas un expert de combat. Nous l'avons notre justification. Certes, sauf que... ce type de personnage est assez peu représenté en prestation médiévale. Du moins, dans mes souvenirs dont certains fort récent. J'avoue n'en avoir pas fait l'étude, et je doute qu'il puisse en exister une. Néanmoins, de façon très empirique ce sont souvent des personnages à minimum aguerris qui s'affrontent, voire carrément des experts. Pourtant, en parallèle, les constructions gamme, technique, gamme, technique faisant passer le thrash metal pour du progressif, se retrouvent en masse. Alors aux championnats de France avec 60% de la note dédiée à la technique...Avec des rois, des reines, des chevaliers, des guerriers...Un relent de combat de paysan ne pouvait que me frapper de sa petite incohérence et par conséquent de son manque de crédibilité.

Un manque de réalisme injustifié, donc, car non crédible. Ce même dans des tentatives de le dissimuler avec des passages plus construits. Une béquille qui s'observe beaucoup et nous amène au souci de la facilité de ces gammes.

Remarque : Mon propos élude volontairement les situations où l'escrime n'est que secondaire, un simple élément de décorum. Le message scénique passant par d'autre médias. Dans un autre article peut être. 


Ils ont essayé.

Les gammes : une trop grande facilité chorégraphique. 

Par facilité, j'entends un manque de travail sur sa chorégraphie. Quand j'écris, romans, saynètes... (oui ça me détend et non rien de publié encore et surement jamais, non pas que j'ai l'impression que ça vous intéresse, mais je voulais que vous le sachiez quand même. Égocentrisme, toussa toussa), je garde à l'esprit la remarque d'une de mes sœurs de plume : "Je dois pouvoir prendre n'importe quelle page d'une œuvre et y trouver la même qualité d'écriture que ses meilleurs passages." La transposition est tout aussi vraie à mon sens pour l'escrime de scène. Tragiquement, les gammes ont tendance à faire remplissage et dénotent une facilité, coupable parfois. Le fait d'avoir placé une belle technique pendant deux secondes, ne vous sauvera pas de l'ennui qu'ont provoqué les cinquante secondes précédentes. Pire si vous avez essayé de bien faire, être crédible et que par manque de temps où envie d'en faire plus, une gamme pourrisse tout votre travail. Un peu comme rater à fond une action alors que le reste nous prenait aux tripes. Le risque que le public ne se souvienne que de ça à court-moyen terme est grand. Évitons voulez-vous. Vous valez mieux que ces vilaines gammes qui ont en plus la fâcheuse tendance de paralyser nos réflexions à la surface.

Les gammes ou comment rester à la surface.

Car oui, le  plus triste avec elles demeurent les positions et débats stériles engendrés. Une vraie plaie. Ceux que j'ai le plus vécu était "Oui, mais c'est ce que le public veut" ou encore el famoso " On ne veut pas que ce soit trop technique pour le public" . Je ne vais pas développer le non sens artistique que je ressens devant ces affirmations, quoique, pour la deuxième, j'y suis plus perméable. Il s'agit de débats complexes qui ne sont pas l'objet de l'article et dont les points d'équilibre sont en constante mouvance.  J'aborderai plutôt la question des conséquences sur la recherche artistique. D'un côté, des utilisateurs de ces gammes qui, par opposition, peuvent refuser de voir qu'ils mettent en scène une situation pédagogique et de l'autre, des opposants jusqu'au boutismes qui risquent de passer à côté du cahier des charges de leur scène. Par exemple oublier de faire de la scène et tomber dans la démonstration technique.

D'ailleurs, c'est que nous avons pu constater sur un ou deux passages, lors des championnats de France, où la recherche technique avait trop pris le pas sur l'art. Dommage, tout comme la pauvreté technique des gammes au nom d'un spectaculaire extérieur à la logique des armes.
Deux surfaces, deux faces de la même pièce qui peuvent nous bloquer dans notre démarche scénique et oublier d'explorer la profondeur, l'infinie des possibles qui s'offre à nous.
Heureusement, nous arrivons la plupart du temps à dépasser ces oppositions, mais avouez que ces débats n'aident pas. Même s'ils ont leur utilité.

Voilà. J'espère vous avoir convaincu de la dérive méthodologique que représente l'usage à tort de ces gammes.
Nous sommes des artistes. Amateurs pour la plupart, mais artistes quand même. Tentons d'agir comme tel. Tentons de dépasser les gammes et leur limites. Mieux apprenons à les exploiter, les utiliser à bon escient. Comment ? Comme un enchaînement brut qu'il convient d'affiner pour nos scènes.

Un outil brut à polir.

En effet, n'est ce pas juste là le problème. La gamme peut-elle être un bon exercice ? Oui, sans nul doute. Est-elle de bon usage sur scène ? Pour moi, non. Dans le même temps, un bon exercice doit pouvoir aider les escrimeurs à réaliser une chorégraphie. Non pas directement, mais en posant des éléments exploitables dans l'acte de création. Des outils en quelque sorte. Des outils dont les gammes feraient parties.
A partir de cet instant, pourraient on les voir ainsi ?  Des enchaînements bruts, pédagogiques, didactiques. Enchaînements qui permettraient une mise en place rapide de cibles donnant ainsi un premier visuel, composé d'attaques simples à sens unique. Je le crois.
Tout le secret serait ensuite d'en polir les contours, d'où les quelques pistes que je vous propose si vous deviez composer avec :

  • Répartir les cibles de façons plus crédible. 
    • Choisir une répartition qui ne dépasse pas deux cibles de suite pour le même escrimeur : 1-2-1 — soit première cible pour le joueur A, deuxième et troisième cibles pour le B, dernière pour A — 2-2 ; 1-1-2 etc...
    • Essayer de choisir en gardant à l'esprit la logique de l'arme et mettre en valeur des actions typiques.
Précisons ce point. Sur notre gamme figure non armée, figure armée, jambe non armée et jambe armée, nous pouvons noter que les deux premières peuvent constituer le point de départ d'un enchaînement en zwerch. Dès lors une répartition 2-1-1 ou 2-2 semblent les plus pertinentes : les deux cibles figure pour le joueur A au moins une jambe pour le joueur B. Vu que deux offensives de suite aux jambes m'ont toujours l'air peu crédible, je pencherai plus pour un 2-1-1 : soit redonner à A la dernière cible aux jambes. L'idée pour l’enchaînement est de mettre en valeur l'escrime médiévale à travers une action typique de celle ci, comme dirait Viollet-le-Duc ( en ayant bien conscience des limites de cette position. )

Le Zwerch, selon Joachim Meyer.

    • Si la répartition dépasse les deux cibles de suite, travailler sa justification. 

D'où notre prochaine piste.


  • Enrichir les actions. 
    • Contre-offensives.
    • Actions au fer, Attaques au fer, prises de fer... toujours dans la logique de l'arme et la recherche du typique. 
    • Esquives.
    • Attaques composées ; idéal pour justifier plus de deux cibles de suite pour le même joueur. L'une d'entre-elles devenant une feinte. 
    • A vous de jouer.
Pour aller encore plus loin dans les possibles :


  • Rajouter des cibles
    • pour placer une feinte. 
    • Permettre un enchaînement ou une action dont il nous manquait un élément. 

Par exemple, sur la question des cibles aux jambes, si vous recherchez la manière de les vendre aux mieux ( coucou : Non, non et non, on n'attaque pas les jambes en première intention ! ) une solution est de montrer le risque de les cibler sans préparation. Sur notre répartition 2-1-1 de tout à l'heure il suffirait de rajouter au joueur A une cible à la tête entre les deux jambes pour se faire : de 2-1-1 on passerait alors, à un 2-1-2 ou 2-1-1-1 avec une quatrième cibles à la tête et la jambe armée toujours en dernière, mais cinquième. Ainsi, suite aux Zwerch, le joueur B préparerait sa riposte à la jambe non armée et pourrait se voir sanctionner d'une contre offensive à la tête...
Idée comme ça...


  • Casser la gamme.
    • Par des temps morts, des césures hors mesures, des désarmements.
    • Par le rajout de corps à corps, actions de lutte, pieds-poings. Si vous le pouvez bien sûr. On s'adapte à nos capacitée avant tout et surtout au plus faible. Ne l'oublions jamais. 

D'ailleurs, j'en oublie, mais j'espère que ce petit tour d'horizon vous aidera à mieux exploiter ces gammes si d'aventure vous décidez d'en user. Comme je vous l'ai dit, je m'en passe de façon générale, mais cela n'engage que moi et mes pauvres élèves.

Quoiqu'il en soit j'espère vraiment vous avoir convaincu d'arrêter de les exploiter, sans les adapter, lors de vos prestations.

Sus aux gammes ! Et à la prochaine.

Bon pas tant que ça le "sus aux gammes"...hein...Bien que quand même...tu vois...oui, oui, je rends l'antenne... 

Le Baron de Sigognac.



samedi 7 mars 2020

Retour sur les Championnats de France d'Escrime Artistique

Si vous suivez ce blog vous avez peut-être assisté en totalité ou en partie aux Championnats de France d'Escrime Artistique aux Herbiers. Vous avez même probablement pu voir ma tête et lever, ce qui était pour beaucoup un mystère. J'ai personnellement été très heureux de commenter en direct ou presque cet événement et je vous laisse seuls juges de la pertinence de nos commentaires, moi et mes comparses, le Baron de Sigognac et le Duc Stanislas qui gère la page facebook Escrime artistique France.  Il est donc désormais temps, presque une semaine après l'événement d'en faire un retour et d'en dégager des caractéristiques et, tout d'abord, le fait qu'elle était réussie. Ensuite nous feront un tour sur l'état de l'escrime qui y a été présentée avant de chercher à percer les secrets des vainqueurs.


Une manifestation réussie

Quarante numéros et un théâtre plein

Le premier indice de réussite d'une manifestation est la participation à celle-ci. Suite aux sélections régionales, aux abandons et aux désistement il restait toute de même quarante numéros qui sont passés sur scène le 29 février, dés 7h30 du matin (c'était également rude pour nous, pauvres commentateurs). Cela montre à quel point cette manifestation pouvait être attendue après seize années sans championnat et très peu de galas en dehors de KOREO en 2018. Les équipes ont eu peu de temps pour finaliser ou monter leurs spectacles même si beaucoup d'entre eux étaient déjà prêts ou en cours. L'envie de participer à ce grand événement, de se confronter aux autres groupes était clairement là et deux personnes sont même venues de Nouvelle-Calédonie pour participer ! Littéralement l'autre bout du monde...

Le public était là. Le théâtre Pierre Barouh, le plus grand théâtre des Herbiers a une capacité de 460 places et il était rempli à ras bord ! Dans l'après-midi des personnes faisaient même la queue pour avoir une chance d'assister au spectacle. Sur internet on a vu jusqu'à plus de 200 personnes connectées en même temps et cela a été constant une bonne partie de la journée, on n'imagine que pour une bonne part ce n'était pas tout le temps les mêmes (sauf les plus mordus mais bon... Ok je l'avais fait pour les championnats du Monde 2016, j'avoue). Le public était donc présent, évidemment il s'agissait encore d'amis ou de famille des compétiteurs pour une bonne part mais pas seulement. Des passionnés étaient là et, probablement aussi, des gens des Herbiers curieux de toutes ces affiches qui parsemaient la ville !

On notera aussi la présence d'officiels, de la ville des Herbiers évidemment, mais, et surtout, de la FFE. Thierry Le Prisé, vice-président en charge du développement, était présent tout le long de la manifestation et la présidente de la FFE, Isabelle Spennato-Lamour, est venue l'après-midi et pour la remise des récompenses. Enfin le jury réunissait lui aussi la majorité des plus prestigieux maîtres d'armes de l'escrime artistique française ce qui donne un poids certain aux vainqueurs.

L'OCE Escrime artistique, vainqueur du prix Claude Carliez devant le jury, les officiels et le public
Photo : Sténo Sténo

 Une organisation efficace

L'organisation était elle aussi au rendez-vous avec une armée de bénévoles motivés présents bien avant le lever du soleil et encore là lorsqu'il était couché depuis longtemps. Tout semblait bien réglé même si, en coulisses, il a probablement fallu gérer une infinité de micro-problèmes (nous avons eu les nôtres avec la vidéo et les commentaires). Si il y a un fait qui résume tout c'est le retard accumulé à la fin, sur une manifestation se déroulant sur une journée entière : 2 minutes ! Et 17 minutes après remise des récompenses. C'est, en terme d'organisation un véritable exploit (non, personne ne vise les 3 heures de retard du concert de Madonna). Tout a, de plus, dû s’organiser très rapidement, en quelques mois à peine...

Évidemment cette date courte entre l'annonce et le championnat n'a pas facilité les choses et c'est probablement la principale critique qu'on peut faire à cette organisation. Les sélections régionales sont arrivées rapidement, probablement trop pour produire des numéros rapidement. À titre personnel, je trouve également dommage que ces épreuves sont seulement techniques, sans costumes ni jeu. On perd une bonne partie du sel et même une partie du sel de notre discipline. Cela empêche d'en faire un événement local sympathique qui pourrait attirer un peu de public.

Mais bon, ces championnats veulent devenir pérennes. Certains parlent d'un événement annuel, d'autre bisannuel. Si je peux encore donner mon avis sur ce point je pense que, pour les troupes d'amateurs qui ne montent pas de nouveaux spectacles très travaillés tout le temps et s'entraînent peu l'été une périodicité bisanuelle serait préférable. Une fois les championnats terminés en février-mars arrive la saison des prestations et l'on recyclera très probablement le spectacle monté pour les championnats dans les lieux culturels, festivals et autres "fêtes à la saucisse" de sa région. On ne commencera à créer un nouveau spectacle probablement qu'à partir de la rentrée, si on n'est pas réquisitionné pour aider les petits nouveaux... Bref, un peu tard pour travailler à fond une chorégraphie si on n'a pas de plages d'entraînement extensibles. En revanche, en s'y mettant un peu plus d'une année à l'avance on a vraiment le temps de créer et de travailler un numéro de la qualité attendue pour les championnats. Mais ce n'est que mon opinion.

Le jury prêtant serment d'impartialité
photo : Sténo Sténo

Le changement dans la continuité ?

La rapière domine encore mais elle a des concurrents

Vous avez probablement remarqué à quel point j'étais attaché à la diversité des armes dans l'escrime de spectacle. Or, pour beaucoup d'entre nous l'escrime artistique implique des rapières, le plus souvent à lame triangulaire. Sur les quarante numéros présentés, vingt-six utilisaient au moins une rapière et on remarquera qu'il y avait là-dedans treize numéros de la période "Antiquité & Moyen-Âge" qui ne pouvaient en utiliser. La période "Renaissance & Grand Siècle" était, assez logiquement dominée par les rapières, mais également les périodes contemporaines où l'on en voyait encore beaucoup et où l'arme reste une arme de base dans un combat, même allégorique, même quand elle n'a rien à faire là vraiment ou pourrait être remplacée par n'importe quelle autre arme.

C'est cependant assez logique puisque c'est avec cette arme que la plupart commencent dans une salle d'armes ou une troupe (en dehors des compagnies médiévales). La majorité des stages implique d'apporter une rapière et de travailler avec cette arme. Les championnats reflètent donc la pratique courante et, en fait, je devrais même faire remarquer que la proportion de rapière y est probablement inférieure à la moyenne. Notons cependant qu'on a  pu voir à deux [Edit : trois] reprises des lames plates de sorties. Ces lames sont plus réalistes et, dans un théâtre, elles prennent mieux la lumière.

En effet, il faut noter que ces vingt-six numéros ne comportaient pas que des rapières, et souvent pas toutes seules ! Nous avons ainsi pu voir de la classique rapière-dague mais aussi beaucoup de capes (quelqu'un me dit qu'un maître d'armes connu a donné récemment une série de stages sur cette combinaison et qu'il y a peut-être un rapport de cause à effet). Nous avons même vu illustré le manuel de Domenico Angelo avec épée-cape contre épée-lanterne !

À côté de cela nous avons vu les classiques dagues et épées longues mais aussi pas mal de boucliers et de lances et de bâtons. Des glaives antiques et des katzblagers (les uns et les autres peut-être pas assez utilisés en estoc et en entaille mais c'est moi qui aime le chipotage) qui ne sont finalement que des armes du même types avec plus de mille ans de différence. Enfin les sabres ont été de sortie plusieurs fois. En revanche, cette année, pas de cannes ou de parapluies ou d'armes de la Belle Époque.

Le corps à corps, surtout dans la version pieds-poings était assez présent et souvent utilisé. En revanche très peu de jeu court en escrime "médiévale" (mais cela existe également dans l'escrime au sabre court ou au bâton) et très peu de techniques de lutte avec prises ou projections (on préférait généralement les coups de pieds pour ça).

La domination de la rapière est donc encore là mais elle est loin d'être omnipotente et c'est plutôt une bonne évolution à mon sens !

L'ombre du Peter Pan a une rapière (qui sera utilisée par Wendy)

Une escrime esthétique ou athlétique

Il faut dire également quelques mots sur les styles d'escrime présentés. Le style encore dominant en France est un style que je qualifierait d'esthétisant. Il recherche la beauté des mouvements, des corps, des lames, et tant pis si les gestes ne sont pas réalistes ! Le terme "esthétique" n'est d'ailleurs probablement pas le meilleur pour décrire des escrimes qui recherchent aussi parfois l'émotion, la narration, la symbolique mais comme je manque d'inspiration pour qualifier tout ça on se contentera de ce terme (n'hésitez pas à me proposer mieux). En escrime de spectacle on est toujours dans un compromis, un mélange entre recherche "esthétique" et "réalisme" du combat et le curseur est placé plus ou moins vers un côté ou l'autre, on est dans le dosage, pas dans le "tout ou rien".

La plupart des numéros présentés s'inscrivaient plutôt dans la démarche esthétisante "classique" avec des voltes presque partout (la volte complète n'existe, à ma connaissance, qu'en canne de combat) dans un nombre variable, beaucoup de coups de taille même avec des armes peu adaptées à cela (les rapières triangulaires mais, en fait, même les glaives romains ne sont pas trop faits pour ça, les Romains utilisant plutôt la spatha, cette longue épée empruntée aux Gaulois, pour l'escrime de taille). Néanmoins cela n'empêche pas des numéros très diversifiés allant de la tragédie au burlesque avec des jeux très différents. On notera également une utilisation massive des ralentis, je n'ai pas compté mais je parierai bien qu'au moins un numéro sur deux comptait une séance de ralentie, plus ou moins bien faite et plus ou moins intéressante d'ailleurs. Pour certains le ralenti permettait une meilleure compréhension de la scène et notamment d'un moment important, pour d'autre c'était un pur exercice de virtuosité (mais bon, nous étions dans une compétition d'escrime où il fallait montrer sa virtuosité).

Cependant le curseur de tous les numéros n'était pas non plus toujours plus proche du côté esthétique que réaliste. Certains numéros mettaient l'accent sur la martialité de l'action et la violence du combat avec une volonté de crédibilité et de "réalisme". On notera cependant qu'en dehors des numéros présentés par le club de l'Isle Adam les équipes ne recherchaient pas tant la technique que le spectaculaire par l'engagement physique. Nous avions plusieurs groupes de cascadeurs qui nous on prouvé leurs capacités athlétiques et leurs capacités à sauter, esquiver, chuter de façon impressionnante ! On y retrouve bien, surtout en escrime médiévale, quelques techniques de traités mais peut-être encore trop peu à mon goût, mais vous connaissez mon amour des traités et des techniques qu'on y trouve.

On a vu quelques belles cascades comme dans Le seigneur des Anneaux par Contretemps Cie
Photo : Guillaume Blanchard, ville des Herbiers

Les secrets des vainqueurs ?

Faut-il être professionnel pour gagner ?

La question du mélange entre professionnels et amateurs est revenue avant et pendant ces championnat de France. Il est vrai que des amateurs et des professionnels s'y affrontent et que certains trouvent cela déloyal. D'abord rappelons ce qu'est un professionnel dans ces circonstances : c'est une personne dont le métier consiste à présenter des combats d'escrime de spectacle et donc à les monter. Donc, pas la plupart des maîtres d'armes qui passent surtout leur temps à entraîner des escrimeurs sportifs et pas des acteurs qui jouent occasionnellement des scènes de combat.

Les professionnels ont un intérêt supplémentaire à la médaille qui est qu'il s'agit d'une carte de visite pour leur employabilité. Ils peuvent éventuellement reprendre des numéros qu'ils présentent sur scène lors des championnats. Cependant je rappellerai que les exigences d'un championnat et de la scène sont parfois différentes et qu'ils peuvent être amenés à raccourcir le numéro ou à en changer certaines parties si ils veulent s'adapter aux contraintes d'une compétition. Les professionnels, quand ils sont cascadeurs, ont souvent une condition physique très élevée et la capacité d'ajouter des cascades spectaculaires à leurs numéros. Cependant ils ont plusieurs numéros, des exigences de calendrier et il serait faux de penser qu'ils ont tout le temps qu'ils veulent pour répéter. Le reste de leur métier doit continuer. Contrairement à l'escrime sportive, au patinage artistique ou au football le métier des professionnels n'est pas de remporter des compétitions mais de donner des spectacles. À titre d'exemple les champions de patinage artistique se consacrent d'abord, dans leur jeunesse, à la compétition avant d'être embauchés dans des spectacles comme Holiday on Ice.

Si l'on fait le bilan des six époques et catégories en compétition on remarque qu'en effet, seuls deux numéros (duel grand siècle et duel intemporel) n'ont pas été remportés par des équipes de professionnels. Si l'on élargit aux podiums, les professionnels remportent sept podiums sur dix-huit places possibles mais tous leurs numéros ont été primés. On doit donc constater une certaine domination qui n'est cependant pas incontestable. Malgré tout, on ne devient professionnel que parce que l'on est bon (même si il y a probablement une importante part de chance et de volonté personnelle) et ce n'est pas non plus étonnant que les professionnels se retrouvent dans le haut du classement. À vrai dire l'inverse serait inquiétant ! Néanmoins je pense qu'il n'est absolument pas impossible de les concurrencer et de gagner contre eux. Il n'y a d'ailleurs que peu de professionnels, ils ne sont pas assez nombreux pour "truster" toutes les places au podium. Lorsque cela sera le cas on pourra peut-être de nouveau s'interroger sur l'opportunité de séparer les compétitions mais on en est encore loin.

Spartacus de Contre-Temps Cie, des professionnels vainqueurs en catégorie Duel époque Antiquité/Moyen-Âge
Photo : Sténo Sténo

Duraluminum ou acier ? Un débat pas encore d'actualité

L'utilisation (prévue dans le réglement) d'armes en duraluminium a également été l'objet de débats. Ces lames sont forcément plus légères et permettent des mouvements plus rapides que leurs équivalents en acier. Leur utilisateurs sont donc logiquement avantagés, sauf que....

Sauf que cette remarque est pertinente essentiellement pour la période antique/médiévale où les concurrents utilisent les mêmes types d'armes en acier ou en aluminium. Pour les autres on note essentiellement des rapières légères à lame triangulaire (sauf encore une fois pour l'Isle-Adam) face à des rapières à lames plates ou des sabres en duraluminium. Nous avons donc des deux côtés des lames très légères capables d'aller plus vite que des armes historiques. Pour ce qui est des sabres une seule équipe (Levallois) a utilisé des sabres (courts) en acier. Notons que si l'on prend un sabre de cavalerie en acier avec son équilibre de base il reste une arme très difficile à arrêter et donc à sécuriser dans une pratique d'escrime artistique.

Quand à l'époque médiévale on notera que si l'on sait bien choisir son épée on en aura une avec un excellent équilibre (c'est le cas de la mienne pourtant achetée à un prix très correct chez un forgeron tchèque bien connu). Il y a également le risque d'être "trop rapide" avec une lame médiévale trop légère, une lame avec un poids plus historique permet de mieux reproduire les gestes d'escrime adaptés à cette arme, c'est donc également un risque avec l'aluminium. Sans compter un sentiment du fer différent. Enfin, pour des armes comme les haches, cette matière est intéressante car là encore on maîtrise mieux son arme.

Les sabreurs de la Formation aux armes et leurs sabres en duraluminium
Photo : Sténo Sténo

L'importance de la part "spectacle" dans la notation

Si l'on regarde les numéros des vainqueurs on s'aperçoit qu'ils sont tous bons sur le côté "spectacle" de l'exercice. Évidemment ils sont tous très bons également sur l'escrime mais, à partir d'un certain niveau, ce sont les 40% de note "spectacle" qui font la différence entre des équipes d'un niveau d'escrime proche ou équivalent. C'est finalement une bonne nouvelle : pour gagner il faut d'abord être un bon escrimeur mais également présenter un bon spectacle.

La note d'escrime empêche les numéros basés essentiellement sur le spectacle de gagner et il y en a eu. L'escrime doit être de très bonne facture et le spectacle est "la cerise sur le gâteau". Mais c'est la présence de cette cerise qui fait que le gâteau est beau en plus d'être bon (je me lance dans des métaphores parfois moi...). Au final je trouve que le compromis 60%-40% était très bon. Parce que j'aime d'abord voir de la belle escrime et qu'ensuite elle soit bien habillée.


La Cie d'armes du Périgor, médaille de bronze sur ce duel intemporel très esthétique et bien mis en scène
Photo : Guillaume Blanchard ville des Herbiers
***
Pour conclure je suis globalement satisfait de ces championnats et de ce qui y a été présenté. Évidemment j'ai forcément des regrets et des attentes mais je suis très heureux d'avoir pu en faire partie et d'y avoir apporté ma modeste contribution. J'espère bien être également des prochains, sur la scène ou en dehors de celle-ci !





jeudi 5 mars 2020

L'art de l'épée à deux mains



C’est la première fois que je produis un écrit pour ce blog, donc il me semble important de me présenter rapidement :
J’ai débuté dans la reconstitution historique et l’escrime il y a un peu plus de 20 ans. J’ai longtemps pratiqué l’escrime de spectacle avec une association qui ne s’appelait pas encore le CNEA. En 2011, j’ai le déclic pour l’étude des sources martiales historiques en découvrant les AMHE (Arts Martiaux Historiques Européens) et leurs démarches. Très rapidement, j’ai ouvert des sources de la fin du XVIe siècle et début XVIIe, notamment le livre de Girard Thibault d’Anvers (GTA pour les intimes). Depuis, j’ai approfondi mes recherches, notamment en apprenant à lire l’espagnol du XVIIe siècle afin de pouvoir traduire un maximum de sources directes et d’études sur ces sujets. En parallèle, et pour la mise en pratique de ces recherches, j’anime régulièrement des entraînements et des ateliers sur l’escrime espagnole.

(Important : Je ne suis pas un professionnel de l’histoire… historien, c’est un métier, nécessitant un cursus universitaire dans ce domaine, ainsi qu’un temps de travail considérable. Néanmoins, j’essaye d‘être le plus rigoureux possible dans ma démarche.)

Le capitaine m’a sollicité pour écrire sur ce sujet qui en fait fantasmer plus d’un : l’usage de l’épée à deux mains. Je vais donc essayer de vous faire une synthèse sur ce sujet vaste et complexe. Comme écrit ci-dessus, le sujet que j’étudie n’est pas l’épée à deux mains, mais l’escrime de la fin XVIe au début du XVIIe siècle, essentiellement dans les sphères ibériques. La pratique de la grande épée n’est qu’une composante parmi d’autres.

(nota : attention aux amalgames, je parle d'épées à 2 mains, et non des épées longues, les deux armes sont différentes) 

Une arme …. ou des traditions martiales


Selon leurs origines (et les périodes), une variété de noms a été donnée à ces grandes épées : épée à deux mains, Spadone, Claymore, Montante, Schlachtschwert, Zweihänders, Espadon, etc. Certaines de ces appellations, tel que Zweihänders, sont modernes, et d’autres ont des sens très différents selon le contexte historique (par exemple l’Espadon).

En Espagne et au Portugal, le mot Montante a été défini par Sebastián Covarrubias Orozco, dans son Tesoro de la lengua castellana o española, publié en 1611 : le nom Montante (c’est un masculin en espagnol) viendrait de l’italien « Montar» signifiant monter/aller vers le haut, soit parce que la Montante dépasse la taille d'un homme, soit parce qu'elle est jouée haute. L’expression « metre el montante » héritée de l’usage de la Montante au XVIe, est encore utilisée en Espagne afin de signifier que l’on sépare des combattants.

Dans les sphères de l’ouest de l’Europe, l’arme semble exister au moins depuis le XVe siècle, et elle y est encore présente jusqu’à la fin du XVIIe siècle. Trois « traditions » sont identifiables dans les sources:
  • Les traditions germaniques, avec un corpus de sources directes, sur le maniement de la Schlachtschwert / Zweihänders, plutôt pauvre, mais avec pas mal de sources indirectes (des témoignages ou des iconographies) essentiellement du XVIe siècle.
  • Les traditions ibériques (Espagne et Portugal) : le corpus de sources directes, entre le début du XVIe et la fin du XVIIe siècle, est relativement riche. Il nous donne pas mal d’informations sur la Montante.
  • Les traditions italiennes : un corpus de sources directes moins important que pour la péninsule ibérique, mais avec un riche corpus de sources secondaires.
  • Et le reste ? L’arme est présente dans pas mal de zone (France, Angleterre, …) mais le corpus de sources et d’études fiables (j’insiste sur le « fiables ») est pauvre, voire inexistant.
Les liens entre certaines traditions sont indéniables, notamment entre l’Italie, l’Espagne et le Portugal où l’on retrouve des similitudes entre les traités martiaux de la même période. On peut également citer Alfieri, qui dans son ouvrage de 1653 explique que des étrangers (italiens, polonais, français et allemands) pratiquent régulièrement la Spadone dans son école. Néanmoins, il faut rester vigilant à ne pas faire d’amalgames, car ces escrimes peuvent évoluer indépendamment les unes des autres, et ce qui est valable dans un cadre ne l’ai pas forcément dans un autre.

Nota : dans un précédent article, le capitaine avait posé l’hypothèse que ce type d’épée était né dans les contrés germaniques. Cela vient sûrement d’un raccourci à la peau dure : « épée à deux mains est égale à lansquenet allemand ». Il est plus probable que les différents types d’épées à deux mains se soient développés en parallèle.


L’objet


Maintenant que le cadre est posé, intéressons-nous à l’objet physique, ou plutôt AUX objets, car une Montante, une Spadone et une Zweilhander sont des armes différentes. De plus, une grande épée fabriquée au début du XVIe siècle n’a pas les mêmes caractéristiques qu’une produite au milieu du XVIIe : les savoir-faire ainsi que les pratiques ont largement le temps de changer en un siècle.


Reproduction de Schlachtschwert, lame flamberge - forgé par Dr Fabrice COGNOT

La première solution pour caractériser ces armes est de regarder l’aspect physique, notamment dans les collections qui nous sont parvenues. On peut s’apercevoir par exemple qu’une Zweihander est plus « trapue » que ses homologues méditerranéens, les gardes sont plus grandes et plus fournies. Au contraire, les Montantes et Spadone semblent plus étroites, avoir des gardes plus fines, des quillons plus droits et des anneaux plus ou moins grands. Du côté méditerranéen, certaines épées à deux mains sont plutôt courtes au début XVIe siècle, et semble s’allonger au fur et à mesure des décennies.

Différents types d’épées à deux mains (Zweihänders / Montante / Spadone).

A présent, nous avons une bonne idée de l’aspect globale de ces armes, mais l’idéal est d’avoir des caractéristiques physiques factuelles (chiffrables), et si possible d’armes fonctionnelles (qui ont été utilisé). Et là, ça devient compliqué, car les collections sont rarement accessibles. A cela s’ajoute, qu’une partie des pièces conservées ne sont pas des armes destinées à la pratique :
  • A certaines périodes, des armes « décoratives » ont été produites en grande quantité car ça fait class dans la salle manger de son château de campagne.
  • Il existe des arlequinages (l’assemblage de pièces de différentes périodes pour reconstituer une arme) et autres (re)montages étranges.


Épée conservée au Fries Museum de Leeuwarden (6,6kg pour 2m15 de long). Epée trouvée à la fin du XVIIIème siècle. Elle aurait appartenu à Gutter Piers, un guerrier légendaire Frison de la fin du XVe siècle , mais cette arme est probablement plus moderne.

Une solution autre solution est de regarder dans les textes de l’époque. Du côté ibérique, il y a un peu de matière. Pacheco de Narvaez, l’un des fondateurs de la Verdadera Destreza, et Maestro Mayor du roi d’Espagne au début du XVIIe siècle, donne les dimensions de la Montante dans son ouvrage Nueva Ciencas : la Montante doit faire la hauteur d’un homme, soit 2 Varas Castillants (1 Varas = 83,59cm, donc 167,18cm) et une proportion poignée/lame de 2 pour 6 (125,38cm de lame et 41.80 de poignée). Les pièces conservées ayant des caractéristiques similaires, et qui semblent destinées à la pratique ont des masses allant de 2kg à 3kg.

Nota : des auteurs italiens donnent également des informations sur les dimensions. 

Bien sûr il faudrait également prendre en compte beaucoup d’autres caractéristiques physiques (l’équilibrage, les points rotations, etc) mais je ne m’étendrai pas sur ces questions, car certains forgerons sont bien mieux avisés que moi sur le sujet.

Cela m’emmène sur une considération plus praticopratique. A l’époque, il semble peu probable que des grandes épées de plus de 3,5kg / 4kg aient été utilisées pour combattre, sachant que :

 La maniabilité et la célérité sont considérablement impactées par la masse.
  La population souffrait de malnutrition jusqu’au XXe, et n’avait pas une condition physique exceptionnelle.
 Prendre le risque d’un lumbago au moindre geste ne me semble pas une option viable en combat.


Exemple d'exercices tiré des 12 canons à la Montante de Pablo de Paredes de 1599, avec un simulateur ayant des caractéristiques proches de celles décrites par Narvaez.

La pratique de la Montante : L’escrime à la grande épée dans l’empire Espagnol


La Montante a été utilisée comme armes de guerre avant de passer dans le monde civil au XVIe siècle, c’est à partir cette période que des sources martiales sur la Montante apparaissent. Il y a des traces de sa présence dans la péninsule jusqu’à la fin du XVIIe siècle. La plus ancienne source actuellement disponible est datée entre 1525 et 1527.

Les sources martiales espagnoles et portugaises sont essentiellement destinées à l’escrime civile pratiquée dans un cadre de salle d’armes ou de défenses. L’usage pour la défense (personnel ou d’un tiers), et le maintien de l’ordre, sont les deux cas qui transparaissent le plus dans les traités.

L’épée à deux mains semble importante dans la culture martiale sud européenne, et notamment pour les maîtres d’armes portugais. Deux d’entre eux ont produit les traités les plus complets sur le maniement de cette épée : Luiz de Godinho et Dom Gomes de Figueyredo. Dom Gomes de Figueyredo, offre et dédicace son manuscrit au Prince Dom Theodozio du Portugal. Il écrit Memorial da Prattica do Montante alors que le pays réaffirme son autonomie suite à la guerre d’indépendance du Portugal.

Revenons à des aspects plus pratiques. La Montante permettait de dissuader de potentiels agresseurs et de se défendre contre des ennemis ayant l’avantage du nombre. L’efficacité de la Montante est autant due à sa dangerosité intrinsèque (vitesse et grand rayon d’action autour de l’épéiste) qu’à sa capacité à impressionner des adversaires par son aspect imposant. Dans son ouvrage, Perez de Mendoza, la considère comme supérieure à l’épée seule, alors que Diaz de Viedma la tient en peu d’estime mais la considère comme une arme capable de présenter une menace importante.

En ce qui concerne son efficacité, il est possible de citer l’exemple des révoltes de Séville à la fin du XVIe siècle : trois Montanteros (porteur de Montante) auraient tenu en respect une foule, le temps que la milice intervienne. L’un des épéistes aurait fait usage de son arme blessant gravement et/ou tuant trois personnes en une seule frappe.

Godinho, auteur portugais du MS PBA 58 (un des rares manuscrits sur l’escrime prè-destreza), et très porté sur les problématiques de self-défense, explique dans le premier chapitre sur la Montante comment bien porter l’épée sur le bras quand l’on sort le soir dans la rue, afin de se défendre rapidement en cas d’agression.

Une épée destinée à l’entraînement et aux loisirs


Jehan LHERMITE, auteur francophone originaire des Flandres et fréquentant la cour Royale Espagnole, témoigne dans son livre des échanges qu’il a eu avec son ami, Pablo de Paredes maestro Mayor du roi. Jehan Lhermitte explique que dans le cadre de son rétablissement physique suite à une maladie, Pablo de Paredes lui conseilla des exercices avec une Montante, car cela permet « d’agiliter » et de renforcer le corps.

Au XVIe siècle, Godinho décrit des flourish destinés uniquement aux maîtres d’armes, et qui ont pour intérêts l’exercice et la démonstration publics.

Enfin, il y a d’autres indices sur cet usage de la Montante et l’entraînement personnel. Des études universitaires ont mis en avant la présence, en Espagne, d’un système  structuré d’enseignement de l’escrime , et cela depuis au moins le XVe siècle, ainsi que l’existence d’une escrime de jeu intégrant la pratique de la Montante. L’étude de Miguel González Ancín et Otis Towns, sur le manuscrit de Luis Barbarán et son contexte, en est un parfait exemple.


Une épée comme symbole




San Pablo, El Greco, 1610

Les précédents exemples de drilles destinées aux maîtres mettent en avant un autre aspect de l’usage de la Montante : l’arme tient une place symbolique dans les traditions ibériques. C’est l’arme du maître ou l’escrimeur expérimenté. Un maître d’armes reconnu par un examen réalisé par le Maestro Mayor, peut porter une Montante brodée sur sa tenue.

Les maîtres utilisaient la Montante pour régir les combats et jeux martiaux de leurs élèves. Même certains auteurs du nouveau système d’escrime, la Verdadera Destreza (souvent très critique vis-à-vis de l’ancien système, et basant leur approche principalement sur la pratique de l’épée seule), ont intégré dans leurs ouvrages des passages sur la Montante.

Le symbole de l’épée à deux mains se retrouve également dans l’art pictural espagnol, où elle est régulièrement représentée entre les mains de figures religieuses ou de notables. Par exemple, sur plusieurs tableaux de Saint Paul, l’épée (symbole attribué à Saint Paul) est représentée par une arme ressemblant à une Montante.


“La recuperación de la Bahia de Todos os Santos", de Maíno (1634). Détaille de l’œuvre représentant le roi Philipe IV et son ministre, le compte d’Olivares, avec une Montante entre les mains.

Méthodes d’enseignement et de pratique de la Montante


A l’époque, il y avait deux façons d’enseigner la Montante. La première, expliquée par les auteurs de la Verdadera Destreza, qui consiste à appliquer les principes généraux de leur discipline face à un adversaire.

La seconde manière est l’apprentissage des règles. Les règles sont des drilles, un enchaînement de coups dans le vide (sûrement pour ne pas exposer les escrimeurs à une arme intrinsèquement dangereuse). Carranza, fondateur de la Verdadera Destreza, se montre critique sur cette pédagogie, qu’il considère comme une source de confusion pour l’escrimeur se retrouvant dans une situation de combat réelle. Pourtant, c’est cette méthode qui semble la plus rependue au XVIe siècle.

Les règles sont soient des exercices consistant  à faire des enchaînements de coups pour développer ses compétences avec l’arme, soit ce sont des enchaînements destinés à répondre à une situation spécifique. L’un des enseignements les plus importants à retenir de ces traités est qu’il faut savoir mixer les règles entre elles afin de s’adapter aux situations rencontrées.

De nos jours, certaines règles paraîtront triviales, mais elles répondent à des situations concrètes pour l’époque. Par exemple, Godinho et Figueyredo, proposent des règles pour protéger une Dame (ou un ami). L’escrimeur doit faire passer la dame dans son dos, lui demandant s’accrocher à sa ceinture et de rentrer la tête. Cela permet au montantero de marcher en moulinant (sans passer l’épée derrière lui) pour repousser les adversaires tout en gardant la dame accrochée à lui.

Toutes les règles ont pour finalité de maintenir une distance avec l’adversaire. Passer en jeu court est très dangereux pour le montantero. L’opposition aux rodeleros, escrimeurs équipés de rodela (bouclier rond en acier) est un sujet récurent pour les maîtres écrivant sur la Montante, du fait que les rodeleros ont la capacité de rentrer rapidement en combat rapproché. Un autre indice sur le risque du jeu court est donné par Godinho : il explique avoir vu un escrimeur perdre son épée face à un coup de Montante, mais quand même réussir à tuer le montantero avec sa dague.

J’en profite à nouveau pour faire référence à un précédent article du capitaine : l’estoc est bien présent dans cette escrime, et il se montrent même indispensable afin de faire des transitions rapides dans les enchaînements, ou encore pour combattre dans des espaces réduits (zone urbaine, galère, etc).



Résumé des situations par sources. Il faut noter que d’un texte à l’autre, bien qu’ayant un contexte similaire, les auteurs ne décrivent pas les mêmes e enchaînements. 
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Comme évoqué ci-dessus, dans la péninsule ibérique du XVe au XVIIe siècle, l’enseignement de l’escrime est réglementé, et organisé, notamment autour de plusieurs «niveaux hiérarchiques», qui sont régis par des examens. Certains titres (niveaux) se validaient armes par armes. La Montante faisait régulièrement partie des armes examinées. Il est probable que les examens faisaient appel aux règles décrites dans les sources martiales.

Et combattre contre une autre épée à 2 mains ? Eh bien, pour nos auteurs, c’est un sujet annexe car la situation est peu probable. Une telle arme n’était pas accessible à tous, de plus il est difficilement imaginable de prendre autant de risques en opposant des armes si dangereuses, à une époque où il n'existe pas de protections adaptées pour faire de l’escrime de jeu. Figueyredo est le seul à écrire une règle complète à ce propos, alors que Godinho dit de lire ses premiers chapitres sur l’épée seule et de faire pareil (autrement dit : débrouillez-vous). Pacheco écrit que les principes de la Verdadera Destreza s’appliquent également à la Montante en donnant quelques exemples.

Enfin, je souhaite pondérer certains aspects de cet article en rappelant la place de l’épée à deux mains dans les écrits martiaux. L’arme est secondaire dans les œuvres des auteurs de l’époque. Figueyredo a produit deux manuscrits sur l’escrime : le premier de 120 folios sur l’épée (et la Verdadera Destreza) et le second de 8 folios sur la Montante. Sur plus de 350 chapitres, Godinho a écrit seulement 14 sur l’épée à deux mains. Donc la Montante représente environ 5% du contenu total des œuvres cités.

Et l’usage militaire ?


Je sais ce que vous vous dites : c’est intéressant l’usage civil de l’épée à deux mains en Espagne, mais qu’en est-il des doubles soldes qui écument les champs de batailles avec leurs grandes épées et découpent de la pique en petit bois ? C’est un peu plus compliqué, car comme évoqué dans la première partie, il y a peu d’éléments concrets hors de la zone méditerranéenne. A cela s’ajoutent tous les clichés hérités des XIXe et XXe siècles.

Commençons par un raccourci moderne qui concerne directement l’usage de l’épée à deux mains sur les champs de bataille : quel escrimeur n’a pas entendu, ou lut, qu’au XVIe siècle, les épées à deux mains permettaient de briser et casser les piques, mettant ainsi en désordre les lignes adverses ?! Eh bien, non ! Que ça soit par la mise en pratique ou par les sources, il n’y a pas d’éléments concrets permettant d’appuyer cette théorie :

  • Pour les sources, il faut citer les travaux de Spadone Project : il a identifié 300 sources et témoignages sur l’épée à deux mains. Seulement 4 d’entre elles évoquent des oppositions piquiers / épéistes. Elles sont écrites plusieurs décennies après le déroulement des faits, et par des personnes qui n’ont pas vécu les événements.
  • Aucun manuel militaire ou manuel d’escrime de l’époque ne décrit cette stratégie.
  • Réussir à couper des piques, un peu flasques de par la longueur, et qui sont en mouvement, cela demande beaucoup de savoir-faire. Déjà, couper un manche à balai ce n’est pas gagné, alors une pique de 4 cm de diamètre…
  • Les rangs de piquiers étaient organisés de façon que si une pique tombe, derrière il y en a 30 autres qui avancent en lignes successives. Aux bouts des piques, il y a des gaillards amurés, qui sont enchevêtrés de façon à faire un bloque. Tenter une attaque avec des grandes épées sur un mur de piquiers, c'est autant suicidaire qu’inefficace.
Une autre erreur que l’on rencontre souvent, est l’usage du terme double soldes pour désigner ces épéistes. Ce nom désigne des troupes expérimentées ou stratégiques pour une armée. Ils sont généralement armés de hallebardes, piques ou encore d’arquebuses.

Les effectifs d’épéistes sont variables d’une armée à l’autre. Les ratios sont de l’ordre de quelques dizaines d’épéistes pour plusieurs centaines de piquiers, et ce ratio évolue en faveur de la pique et des autres armes (à poudre noire notamment), jusqu’à la disparition totale de l’épée à deux mains.
Dans les manuels militaires du XVIe, la place des épéistes sur le champ de bataille est similaire à celle des hallebardiers :
  • En arrière des lignes piquiers afin de mener des contres charge, ou de renforcer les formations en cas de défaillances des linges plus en avant.
  • Pour la protection (et des fois l’attaque) des flancs des formations.
  • Pour la protection des enseignes et officiers.


 Représentation de la bataille de Kappel (en 1531) réalisée en 1548. Des épéistes en arrière-garde protègent la retraite des troupes.

Plus tardivement en Espagne et au Portugal (notamment lors de la guerre d’indépendance du Portugal) il semble que les éclaireurs portaient des Montantes afin de se défendre de groupes d’ennemies. Certaines règles des traités ibériques s’adaptent bien aux situations que pourrait rencontrer un soldat isolé en avant des lignes. Dans son manuscrit, Godinho, explicite cette application militaire de la Montante lorsqu’il décrit une variante de la règle contre l’encerclement permettant de se défendre d’un « escadron ».

L’utilisation de la grande épée lors des batailles navales est une autre application militaire que nous connaissons. En effet, quelques Montantes apparaissent dans les inventaires de l'armement embarqué sur les galéasses navigant en méditerranée pour combattre les Ottomans. Cela est appuyé par l’existence de règles dans les traités d’armes afin d’enseigner l’usage de la Montante sur une travée de galère.
Enfin, durant la seconde moitié du XVIIe, Louis de Gaya signale avoir vu des épées à deux mains stockées à proximité des fortifications dans les villes hollandaises. L’usage serait essentiellement défensif, les espadons servant à ralentir l’ennemie en cas de brèche. Cet usage de l’épée à deux mains, lors de sièges ou de combats à proximité de fortifications, est conforté par plusieurs sources italiennes plus anciennes.

Pour conclure sur le cadre militaire, il semble que ce type d’épée fût davantage utilisée dans des actions d’éclats offensives ou défensives, plus que lors des batailles rangées. Comme dans l’escrime civile, le but est de déstabiliser un ennemi plus nombreux, ou de le dissuader d’attaquer.



La Montante en escrime artistique / spectacle


Cette partie concerne uniquement la Montante, donc exit :
  • la Spadone à la Marozzo (sorte de grande épée longue).
  • l’escrime germanique à l’épée longue (Meyer & Co) : les armes ont des caractéristiques physiques très différentes. Les techniques d’épée longue ne sont pas destinées à cet outil.
Vous l’aurez compris, il est possible d’intégrer la Montante dans divers scénarios se déroulant entre la fin du XVe siècle et la fin du XVIIe, en restant cohérent historiquement. Il sera uniquement question de combat asymétrique en nombre (1 Versus 4 par exemple) comme en armement (Montante Versus épée de côté/ronchache). Bien utilisée, cette arme à du potentiel pour faire un combat de groupe pêchu. Le combat Montante Versus Montante semble improbable, hormis dans un contexte de leçon et de salle.

« La Montante peut être l’ennemie de son porteur ». Il faut penser sécurité avant tout :
  • L’arme est réservée à des escrimeurs expérimentés, ayant une bonne condition physique. Je la déconseille aux gens qui ont des problèmes de dos ou d’épaules.
  • Avant de commencer à monter un combat, il est indispensable d’avoir une bonne maîtrise de l’épée en solo, et de développer sa précision, sa constance, son endurance, etc
  • Une fois lancée, la Montante est difficile à arrêter ou à dévier.
  • Attention aux quillons! Il faut donner de l’amplitude aux gestes, et tenir l’épée avec le pouce posé sur le ricasso, tourné vers soi (en fin et en début des frappes), afin de réduire le risque de se blesser avec les quillons.
En cas de pépin (par exemple, votre partenaire oublie de se reculer), il faut chercher à dévier votre frappe.

Pour son maniement, je vous conseille de vous pencher sur les traités tels que ceux de Godinho, de Figueyredo ou Paredes.

Le Montantero balourd et lent est un archétype erroné. Au contraire, il est mobile et rapide, donc représente une menace réelle pour ses agresseurs.

Pour le partenaire / adversaire : il est compliqué de prendre une parade efficace, et sans prendre de risques. Le bouclier (Rodela / rondache en acier) est une bonne protection, mais il rend le combat un peu moins visuel pour le public. Un jeu en distance et en esquive semble plus intéressant.

Enfin, la contrainte la plus importante est l’espace. Avec des frappes avoisinant les 2 mètres d’envergure, il faut de la place sur la scène.


Choisir une épée pour pratiquer


Depuis quelque temps, de plus en plus de fournisseurs intègrent des grandes épées dans leurs catalogues. De telles épées coûtent cher (en moyenne 500€/600€ pour une épée utilisable) donc il est préférable de ne pas se tromper.

(Nota : Regeyinei Armory propose (pour le moment) des épées deux mains à prix économique.)

Si vous êtes d'une traille moyenne, les proportions que donnent Narvaez (voir ci-dessus) sont bien. Attention de ne pas prendre une épée avec une poignée trop longue, cela entrave le maniement. Et bien sûr, attention à la longueur des quillons (20 à 25 cm de part et d’autre).

En ce qui concerne le poids, il faut privilégier une arme « légère » (2 kg à 2,5 kg max). C’est autant une question de sécurité et de santé, que d’exécution des gestes.

Pour conclure

Ce sujet des grandes épées est vaste, et complexe à isoler de ses traditions martiales. Il est probable, que d’ici quelques années, de nouvelles recherches viennent étoffer nos connaissances. Malheureusement, pour le moment, le manque de sources et d’éléments concrets génèrent des erreurs, ou des approximations, qui restent ancrées dans l’imaginaire collectif.

Enfin, au-delà des aspects martiaux et visuels, la Montante est un bon exercice solo de renforcement physique, de proprioception, ou encore de déplacement. Il possible de compléter ce travail solo avec des armes connexes comme à l’époque, tel que la double épée (règles de la double épée selon Godinho) pour la synchronisation/désynchronisation des bras.



Liste des sources (non exhaustive) :
·         Memorial da Prattica do Montante, Diogo Gomez de Figueyredo, 1651
·         Règles de Montante d’après Pablo De Paredes – 1599, Rapportées par Jehan l’Hermite, Cour d’Espagne, 1599 et transcrites par J.E. Buschmann, 1896.
·         Método de enseñenza de maestros, suivi de Epitome de la enseñanza, Luis Díaz de Viedma, Barcelone, 1639
·         Las nueve reglas de la espada de dos manos, y la práctica de la esgrima en Zaragoza hacia 1526, Gladius, Vol 37 (2017), Miguel González Ancín & Otis Towns
·         MS PBA 58, Domingo Luis Godinho, 1599
·         CCPB000152417-8 - “Las reglas del montante” environ 1563
·         MS II/1579(2) environ 1580
·         L’arte di ben maneggiare la spada , 1653 , Francesco Fernando Alfieri 
·         Opera Nova (1536), Achille Marozzo
·         Nueva Ciencia , Luis Pacheco de Narvaez
·         Page de Spadone Project