jeudi 24 février 2022

Les neuf types de combattants : ma typologie révisée et rationalisée

Il y a bientôt près de trois ans je publiais un article décrivant une typologie des combattants en prenant pour exemple les personnages de la série Game of Thrones. J'avais ensuite complété cette typologie par un nouveau type : le pillard. Avec le temps cette typologie s'est révélée assez utile dans la construction de nos personnages avec le Baron. Il est cependant temps de la remettre au propre et d'en faire un article récapitulatif, mais aussi de mieux mettre en lumière les axes sur lesquels elle s'appuie.

Je le rappelle encore, une typologie n'est pas une vérité absolue, c'est juste une simplification de la réalité pour mieux l'appréhender. J'estime que celle-ci est assez pertinente et utile. Il n'y a donc, dans la réalité, aucun type "pur" et chaque personne est souvent entre les lignes. Néanmoins dégager deux axes et neufs types peut vous aider à mieux penser un personnage et sa cohérence.

Image de l'affiche des Sept Samouraïs d'Akira Kurosawa (1954)

Les deux axes de classement des combattants

Cette typologie se base sur deux questions que vous devez vous poser afin de classer un combattant ou d'adopter un style dominant pour votre personnage.

Le niveau du combattant

La première question est "quel est son niveau de combattant ?". Il s'agit ici de sa capacité pure à vaincre un autre adversaire en combat, en dehors des considérations de style ou de maîtrise technique. Votre personnage sait-il se battre ? Est-il l'un des meilleurs combattant de son pays/sa région/son clan ? Et comme l'on monte un combat de spectacle il est intéressant de s'interroger également sur la capacité relative des autres combattants, en un contre un mais encore plus dans un combat à un contre plusieurs. Idéalement, dans un combat à un contre plusieurs, celui qui est seul doit être meilleur que les deux autres si on veut espérer qu'il gagne. De même, si il a une arme visiblement moins efficace comme une dague contre une épée longue ou une rapière, il ne peut logiquement gagner que si il est bien meilleur. On peut évidemment défier cette logique mais il faudra l'expliquer par un autre facteur comme la chance ou les circonstances.

Le niveau du combattant va déterminer en grande partie sa capacité à effectuer certains mouvements, ses positions, sa maîtrise des distances, du rythme et de tout ce qui constitue des bases communes du combat, indépendamment du style. Je distingue ici, très arbitrairement, trois niveaux : les combattants novices, les combattants confirmés et les experts du combat.

Chevalier secondé de son Page et de son Ecuyer. Gravure XIXe. par Félix Phillipoteaux. 1882

L'approche du combat

La seconde question est "quelle est son approche du combat ?". Plutôt que de style qui est plus lié à une tradition martiale, je parle plus ici d'approche du combat même si les deux peuvent parfois être liés. Il s'agit à la fois des qualités qui font que l'on combat plus ou moins bien mais également de la façon dont un escrimeur bougera, des gestes qu'il privilégiera et de l'impression générale qu'il donnera. Je distingue également trois approches :

L'approche par la technique rassemble les combattants qui ont reçu un enseignement martial et qui y sont restés. Ils ont appris une tradition martiale bien précise (escrime allemande, italienne, Verdadera Destreza, Broadsword britannique etc.) et la maîtrisent plus ou moins bien. C'est d'abord cette maîtrise technique qui leur permet de vaincre, avant tout le reste.

L'approche par la ruse rassemble les combattants qui, au contraire des premiers, ne jouent pas selon les règles. Ils mélangent facilement les techniques, font du corps à corps là où ils ne seraient pas censés en faire et sont spécialisés dans les coups en traître. Leurs gardes peuvent être approximatives et, même pour les meilleurs, leurs gestes peuvent avoir l'air brouillons. Ils usent probablement plus souvent des feintes et des provocations que les autres, utilisent le terrain à leur avantage et attaquent facilement en groupe (surtout si ils sont plus nombreux).

L'approche par l'engagement regroupe, quant à elle, les combattants qui "se donnent à fond" dans le combat. Cet engagement est à la fois physique et mental, il s'agit de combattants plus ou moins enragés (surtout quand ils ne sont pas très bons) et qui vont compenser des manques techniques par cet engagement qui leur donnera impact et rapidité.


Approche par la technique Approche par la ruse Approche par l'engagement
Combattant novice Le maladroit Le bandit Le suicidaire
Combattant confirmé Le bon élève L'autodidacte La brute
Expert du combat L'artiste Le vieux briscard L'athlète
 

Les neuf types de combattants issus du croisement de ces axes

En croisant ces deux axes, chacun avec ses trois graduations, on obtient une typologie regroupant neuf types de combattants que nous allons détailler ici.

Le maladroit (novice + technique)

Difficulté d'interprétation : ***

Cette catégorie regroupe tous les personnages qui ne savent pas se battre et qui ne cherchent pas une approche par la ruse ou par l'engagement. Ces personnages n'ont pas reçu d'enseignement aux armes, ou alors celui-ci n'est pas terminé et pas suffisant pour les considérer comme de vrais combattants. En principe ce type de personnage va chercher à éviter le combat au maximum et, si il est amené à combattre, c'est parce qu'il n'a pas eu le choix. Soit il est attaqué et acculé, sans possibilité de se rendre, soit une personne ou un État l'oblige à se battre. Cela peut ainsi être un soldat mobilisé d'office ou un marin de la Royal Navy recruté de force selon le système de "la presse" ou encore un paysan levé selon le vieux système féodal.

Au combat cette personne sera probablement beaucoup sur la défensive, au moins au début du combat. Elle reculera beaucoup, parera maladroitement sans forcément riposter, esquivera en reculant bien trop loin ou en se jetant à terre... Si elle doit attaquer elle le fera probablement en se rapprochant trop, ou, éventuellement, pas assez, donnant ainsi des coups dans le vide et accentuant le jugement sur son pitoyable niveau. Tous ses gestes doivent être trop amples, avec des failles facilement exploitables, ses distances doivent être mauvaises, ses appuis approximatifs et, quand elle réchappe à un coup, cela doit tenir au moins autant de la chance que de ses réflexes.

Pour cela c'est, paradoxalement, un personnage qu'il ne faut pas donner à un ou une véritable débutante. Il faut un certain niveau de maîtrise pour réussir à mal combattre tout en restant en sécurité.

Bataille entre paysans et soldats, Peeter Baltens, après Pieter Bruegel (I), 1540 - 1584
dans les collections du Rijksmuseum d'Amsterdam


Le bon élève (confirmé + technique)

Difficulté d'interprétation : *

Le bon élève a, contrairement au précédent, appris à se battre. Ce personnage a appris un ensemble de techniques et se repose sur elles pour vaincre, sans chercher à en sortir. Il peut s'agir d'énormément de personnages combattant à commencer par tous les nobles formés dans des Académies d'escrime ou par des Maîtres d'armes privés. On peut également y rajouter des soldats bien instruits lors de leur formation.

Ses gestes sont plus assurés sans forcément être parfaits, son tempo, ses distances sont globalement bonnes. Néanmoins il ou elle peut se laisser surprendre par des techniques non orthodoxes, déborder par un engagement trop violent ou simplement être surpassé en technique pure. Ce type de personnage peut être aussi bien offensif que défensif même si le scénario du combat peut beaucoup influer sur cela. Face à un adversaire qui le met en difficulté il aura ainsi tendance à être plus sur la défensive.

Il s'agit probablement du type de personnage le plus facile à interpréter puisqu'il demande un certain classicisme dans les gestes sans exiger une palette technique extrêmement étendue ni une perfection du geste.

Le Pacte des Nobles, 1565 - gravure par Reinier Vinkeles (I) d'après un dessin de Jacobus Buys 1787
dans les collections du Rijksmuseum d'Amsterdam

L'artiste (expert + technique)

Difficulté d'interprétation : *****

L'artiste représente l'idéal du héros et du combattant. Il s'agit d'un escrimeur maîtrisant son art à la perfection et capable d'en exprimer toute la pureté. Cela regroupe essentiellement deux types de personnages : les maîtres d'armes et les héros chevaleresques. C'est D'Artagnan, Cyrano, Ivanhoé, Aragorn ou John Snow. Il s'agit souvent du type de personnage choisi lors des compétitions d'escrime artistique car il se prête idéalement à montrer de la belle escrime.

En effet, celle-ci doit respirer la grâce et la perfection du geste. On attend d'eux un parfait équilibre, une excellente maîtrise de l'armes et des déplacements. Si l'expert peut être vif, si il peut faire des feintes ou des provocations, c'est d'abord parce qu'il excelle en technique qu'il ou elle se bat bien. On l'imagine loyal, le genre à ne pas profiter d'être en supériorité numérique et à demander à un compagnon de ne pas intervenir, ou encore le seul type de personnage (ou presque), capable de rendre son épée à son ennemi après l'avoir désarmé.

Évidemment c'est un personnage difficile à bien interpréter puisqu'il demande forcément une superbe technique de la part de l'escrimeur qui l'incarne. Par contre, par pitié, ne donnez pas ce rôle à quelqu'un qui n'aurait pas le niveau technique pour l'incarner !

Le personnage de Shu-Lien interprété par Michelle Yeoh dans Tigre et Dragon - 2000

Le bandit (novice + ruse)

Difficulté d'interprétation : **

Le bandit (ou le pillard) est un paradoxe : un personnage agressif mais qui veut également éviter de prendre des risques. Il n'a jamais vraiment appris à se battre, au mieux quelques mouvements basiques, mais il cherche pourtant à dépouiller ou tuer des adversaires. Il convient donc parfaitement à tout personnage de bandit, de révolté, de voyou des rues ou encore de gobelin des mondes fantastiques. Il est armé (souvent mal) et vous en veut. Ainsi, à moins de l'opposer à d'autres personnages novices, il sera rarement seul.

Les bandits trouveront avantage à utiliser le terrain, à tendre des embuscades ou à utiliser la surprise pour attaquer dans le dos ou s'en prendre à un personnage désarmés. En position avantageuse ils attaquent mais si ils sont attaqués directement ils ont plutôt tendance à reculer voire à s'enfuir, quitte à revenir pour harceler leurs ennemis. Comme pour les autres novices leurs attaques sont simples (le fameux coup à la tête de haut en bas par exemple) et les notions de distance et d'équilibre sont mauvaises, de même que les défenses. Toutes les ruses sont possibles comme utiliser le soleil, le sable dans les yeux, la distraction. N'hésitez pas à puiser dans les trahisons de Godinho pour vous inspirez !

Comme pour les autres novices, la difficulté à les incarner réside dans le fait de réussir à escrimer à une mauvaise distance et dans un mauvais tempo tout en restant en sécurité. Cela demande donc déjà une certaine maîtrise de l'escrime de scène.

Je vous remets ici la vidéo illustrant quelques-unes des trahisons de Godinho par Les Bretteurs de Saint-Jean

L'autodidacte (confirmé + ruse)

Difficulté d'interprétation : **

Ce type de personnage n'a pas reçu de véritable formation aux armes, tout au plus a-t-il reçu quelques bases mais l'essentiel de ses capacités partiales relèvent de son expérience du combat. Il peut s'agir du même type de personnages que le bandit mais en plus expérimenté. Il peut également s'agir d'un pirate, d'un soldat, d'un garde expérimenté ou d'un combattant d'une tribu "barbare". Sauf cas particuliers il y a de grandes chances que ce type de personnage soit relativement âgé, du moins il est peu probable qu'il soit adolescent (sauf, peut-être, pour les tribus "barbares"). 

Contrairement au bandit, il sait se battre même si son expérience l'a rendu prudent. Il est ainsi peu probable qu'il se retrouve volontairement dans une situation désavantageuse et en ce cas il trouvera tout à fait logique de faire ce qui lui a probablement déjà sauvé la vie par le passé : fuir (ou se rendre). Si il sait se battre il le fait en ne rechignant sur aucune ruse, en usant et abusant de feintes et de provocations. En revanches ses gardes et ses positions peuvent être approximatives et, surtout, peu académique. On l'imagine facilement en garde basse, l'épée ou le sabre traînant au sol dans une fausse négligence mais en fait prêt à parer et riposter (utilisez les gardes basses à l'épée longue ou au dussack dans une version négligée).

Ce personnage est assez facile à interpréter même si il est un peu moins facile que le Bon élève. Néanmoins tout escrimeur avec un petit peu d'expérience y parviendra.

Ambroise-Louis Garneray Abordage du Triton par le Corsaire le Hasard (XIXe S.)

Le vieux briscard (expert + ruse)

Difficulté d'interprétation : ****

Le vieux briscard est un combattant expérimenté. Il a connu de nombreux combats et a su y survivre. Il a pu avoir ou non une formation académique mais, si c'est le cas, il a dépassé celle-ci pour y inclure tous les moyens de vaincre. Les vieux briscards sont rarement jeunes et leur expérience doit pouvoir se voir (avec éventuellement des cicatrices ou des vêtements ayant connus de meilleurs jours). Ils font de bons méchants mais également de bons compagnons du héros voire des héros plus sombres.

Ce personnage ne se refuse aucune ruse ou aucune technique, qu'elle soit ou non orthodoxe. Il peut mélanger plusieurs styles d'escrime et/ou les agrémenter de touches personnelles. Il n'aura aucun scrupule à attaquer en groupe voire à laisser ses sbires faire le sale travail. Néanmoins, se sachant très bon combattant, il peut aussi être arrogant et accepter un combat déséquilibré car il est sûr de sa valeur et sait comment gérer ce genre de situation. Malgré cela, si il tombe sur vraiment plus fort que lui, il peut tout à fait fuir (par exemple si ses sbires se sont fait tuer).

Au niveau de la difficulté d'incarnation celle-ci est assez élevée car il faut avoir une très bonne maîtrise de son arme pour enchaîner des techniques complexes ou jouer des feintes et des provocations. Ce personnage doit également pouvoir montrer une palette technique assez étendue. En revanche il n'y a pas la même exigence de perfection des gestes que l'on retrouve chez l'Artiste ce qui le rend un peu moins difficile à interpréter.

Le Capitaine Alatriste, un vieux briscard qui en a vu d'autre - photo du film Capitaine Alatriste de Agustin Diaz Yanes - 2006

Le suicidaire (novice + engagement)

Difficulté d'interprétation : ***

Cette catégorie regroupe les personnages qui ne savent pas se battre mais foncent néanmoins tête baissée dans le combat. Un tel engagement a généralement une explication si il ne s'agit pas de la fougue de la jeunesse. Une raison supérieure pousse ces personnages à vouloir tuer plus que de ne pas être tué. Il peut s'agir d'une mère ou d'un père défendant leur famille avec la rage du désespoir, de révoltés enragés, galvanisés par l'effet de groupe ou de fanatiques religieux prêts à mourir pour leur divinité ou leur gourou. Tous les personnages novices du combat poussés par la vengeance entrent également dans cette catégorie.

Ces personnages vont donc privilégier l'attaque et se jeter sur leurs adversaires au mépris de leur propre vie. La brutalité de leur attaque peut tout à fait surprendre et déstabiliser l'adversaire mais elle a aussi toutes les chances de provoquer leur propre mort. Ainsi les doubles touches sont très probables avec ce genre de personnages et ils ont très peu de défenses car ils pensent d'abord à attaquer. Les combats sont forcément courts avec eux et, si ils ne parviennent pas à bout de leur adversaire dans les premières phrases d'armes il est très probable que, la surprise initiale passée, l'adversaire les vainque en exploitant leur vulnérabilité.

Pour ce qui est de leur interprétation celle-ci n'est pas à laisser à un débutant car il est très probable qu'il y ait une contre-attaque à gérer avec ce type de personnage. Les deux combattants doivent donc être expérimenter pour l'effectuer sans se blesser et faire ainsi un coup double ou à simuler la mort du suicidaire, victime d'un ennemi plus posé que lui.

Des paysans se battent avec des épées, Hans Sebald Beham, 1547

La brute (confirmé + engagement)

Difficulté d'interprétation : **

La brute a, comme l'autodidacte, peu ou pas reçu de formation aux armes. Néanmoins sa valeur au combat repose avant tout sur son engagement qu'il soit physique ou mental. On retrouve là ne nombreux types de personnages ayant souvent en commun leur carrure et qui sont souvent de basse extraction. Il est possible également de créer une brute qui n'aurait pas un physique impressionnant mais il faudra alors compenser par un engagement maximal, une véritable rage du combat.

L'escrime de ces personnages est simple et brutale : pas de fioritures, pas de feintes ou de subtiles préparations mais, en revanche, des attaques qui surprennent par leur rapidité et/ou leur violence. Les gestes sont trop trop larges mais la puissance des battements peut mettre en difficulté l'adversaire ou celle des parades empêcher l'adversaire d'enchaîner malgré la trop grande amplitude de celles-ci. Les brutes vont aussi probablement se rapprocher de leurs adversaires du fait de leur fort engagement et donc très probablement arriver à distance de corps à corps. Évidemment ce type de personnage y est à l'aise et use et abuse de techniques de lutte, de coups de poings, de genoux, de coudes etc. Pour les vaincre, leurs adversaires devront savoir gérer la brutalité de leurs attaques et exploiter leurs failles.

La principale difficulté d'interprétation de ce personnage réside dans la capacité à envoyer des attaques qui paraissent brutales tout en restant en sécurité. Cela ne le met pas à portée du premier débutant venu mais c'est la seule difficulté de ce personnage.

Orques Uruk Hai dans Le Seigneur des Anneaux : les deux tours (Peter Jackson - 2002)

L'athlète (expert + engagement

Difficulté d'interprétation : ***

Si le bagage technique de l'athlète est relativement basique il compense cela par un engagement hors normes. Notons qu'enchaîner des attaques ou riposter rapidement suppose néanmoins une certaine maîtrise de son armes et de ses déplacements, on n'a donc pas affaire là à un personnage totalement ignorant de toute techniques mais il met d'abord l'accent sur le physique. L'athlète est donc plutôt jeune pour être capable de soutenir une telle intensité physique. Il peut donc s'agir d'une jeune héros ou d'une jeune héroïne, d'un compagnon. Si c'est un ennemi il est peu probable que cela soit le méchant principal mais cela sera plutôt son âme damnée (Dark Maul dans Star Wars par exemple).

Il fait assez peu d'attaques compliquées mais il pose problème par sa mobilité, la rapidité de ses gestes et la puissance de ses attaques. Néanmoins ses parades et ses attaques sont moins amples que celles de la Brute et il est plus à même d'enchaîner rapidement les attaques ou de riposter très vite après une parade ou une esquive. C'est d'ailleurs le personnage idéal pour placer des esquives, même un peu irréalistes.

Pour l'interpréter il faudra plusieurs choses : d'abord être capable de maîtriser son arme et ses pas pour enchaîner les attaques ou les ripostes en ensuite d'avoir la condition physique pour maintenir un rythme effréné dans le combat. C'est le type de personnage qui met le  cardio à rude épreuve et qu'on ne peut viser que si l'on est en très bonne forme physique.

Fanart de Dark Maul par HeartOfTheSunrise

Manier et marier les différents types de combattants

Je finirais sur quelques conseils et remarques à propos de ces types de combattants.

Choisir son archétype

Tout d'abord quel type de combattant choisir ? Ou, plus exactement, où situer son personnage dans ce tableau ? La première question à se poser est de savoir quels types de combattant nous sont accessibles de par notre maîtrise de l'escrime et notre condition physique voire notre âge et notre aspect physique. Ai-je assez d'expérience pour gérer la sécurité même à mauvaise distance et jouer un maladroit ou un bandit ? Assez de technique et de grâce pour jouer un artiste ? Ou une condition physique suffisante pour jouer un athlète ? Il y a des chances que, déjà, des rôles se ferment à vous.

La seconde question est de savoir ce que l'on est capable de jouer et ce que l'on aime jouer. Suis-je capable de produire la rage nécessaire pour jouer une brute ou un suicidaire ? Est-ce que je suis trop appliqué pour jouer un vieux briscard ou un autodidacte ?

Enfin vient le scénario du combat ou de l'ensemble du spectacle (film, pièce de théâtre ou scènette) dans lequel s'inscrit le personnage. Le scénario de l’œuvre peut déterminer certains types et, si l'on part du combat pour construire le reste (souvent le cas dans les scènettes), quel combat veut-on ? Quelle impression veut-on laisser au public ?

Ce sont ces questions qui restreindront vos choix et vous guideront dans le ou les types de personnage à choisir. L'avantage est que ceux-ci vous guideront à leur tour dans vos choix d'escrime.

Écran du choix du personnage dans le jeu vidéo Soulcalibur III

Marier les différents types

Le fait qu'il y ait différent types de combattant invite à les marier. Et comme les mariages ne sont pas forcément réussis voici quelques conseils.

Dans le cas d'un combat à un contre un il est plutôt conseillé d'avoir des personnages aux niveaux d'escrime équivalent, du moins si l'on veut qu'un combat dure un peu. En effet, les différences que je mets entre mes archétypes sont assez importantes et la logique veut qu'il y ait peu de suspense en cas d'affrontement des deux. On peut bien sûr envisager toutes les nuances possibles mais veillez à rester logique et à ne pas faire perdre "à la loyale" un personnage qui est manifestement bien meilleur combattant qu'un autre. Si les niveaux sont différents cela va produire un combat court ce qui peut être intéressant dans le cas d'une scènette très courte ou dans un scénario où un sauveur intervient à la fin pour venir au secours de ses compagnons ou d'innocents en difficulté. De même, comme dit en première partie, si les armes sont inégales celui qui est désavantagé doit être meilleur si on veut que le combat soit équilibré.

La même logique prévaut dans un combat de groupe à un contre plusieurs. Celui qui est seul doit, pour avoir une chance, être meilleur que les autres. Certains personnages comme l'artiste et (dans une moindre mesure) l'athlète, se prêtent mal à être dans le camp de ceux qui sont en supériorité numérique et, en revanche, ils sont excellents dans le rôle inverse. D'autres, comme le bandit, sont au contraire faits pour ce type de rôle et on ne imagine pas à l'inverse.

 Dans cet extrait de Princess Bride (1987) on a le combat entre deux artistes arborant de belles positions de gardes et de beaux déplacement avec une escrime flamboyante.

Pour ce qui est des mariages il est souvent intéressant de créer du contraste en opposant les styles : la grâce de l'artiste face à la fourberie de vieux briscard ou le harcèlement de l'athlète : deux très bons mariages. Néanmoins pour les personnages expert, le spectacle sera quand même assuré si les personnages sont du même type. Pensez cependant à les différencier autrement : par les costumes, le langage, l'apparence physique... Dans les niveaux inférieur le mariage de même style fonctionne moins bien car la performance d'escrime ne compensera pas l'absence de contraste. Il est donc plus intéressant de voir s'affronter un bon élève et une brute ou de voir la brute déjouer par l'intelligence de l'autodidacte. Chez les personnages novices le cas du fanatique est à part car il est mieux de le faire affronter des personnages meilleurs que lui, sauf si un personnage est pris de rage après la mort d'un ou d'une proche et se mue en fanatique pour le ou la venger. En cas de confrontation entre un bandit et un maladroit on aura surtout beaucoup de jeu d'acteur basé sur l'intimidation, la provocation et la résistance à celles-ci et probablement assez peu d'escrime. Cela peut être néanmoins un scénario intéressant même si ces personnages sont probablement plus utiles dans un combat de groupe.

 J'ai déjà passé plein de fois cet extrait du début des duellistes. On y voit un personnage à mi chemin entre l'artiste et le vieux briscard expédier un bon élève dans un duel très court.

***

Pour conclure j'espère ainsi avoir affiné mon système et vous avoir convaincu de sa pertinence pour penser vos personnages. J'insiste encore sur le fait qu'il est plus un indicateur qu'une grille stricte dans les cases de laquelle on doit absolument se ranger. C'est un outil pour penser vos personnages, à vous de vous l'approprier et, pourquoi pas, de proposer des améliorations en commentaires !

lundi 14 février 2022

L'épée longue c'est pour les feignants, la rapière c'est pour les costauds !

Derrière ce titre un peu étrange se cache une phrase que Gaëtan, mon instructeur d'épée longue dans le cadre de mes cours d'Arts Martiaux Historiques Européens, aime répéter. Elle est un peu résumée ici mais elle sert surtout à faire comprendre l'importance de levier et des gestes naturels qui font que l'on peut facilement manier l'épée longue sans avoir besoin d'être fort physiquement. J'avais d'ailleurs déjà évoqué cela dans l'un de mes premiers articles mais je voudrais développer l'idée un peu plus ici.

Une rapière de la fin du XVIe siècle et une épée longue de la première moitié du même siècle
dans les collections du Rijksmuseum d'Amsterdam

Les armes à deux mains : la magie du levier

Vous avez peut-être l'impression que je radote sur l'effet levier mais c'est parce qu'il est capital dans le maniement des armes à deux mains. En gros l'idée est celle-ci : utiliser les deux mains pour manier une arme ce n'est pas seulement combiner la force de ses deux bras pour la soulever mais surtout permettre d'avoir deux points d'appui pour la manipuler et donc de pouvoir se faciliter la tâche avec les forces de levier. Je n'entrerai pas dans le détail mathématique des forces que cela permet d'appliquer mais de façon pratique si vous tirer avec une main en poussant avec l'autre ça vous donne énormément de force sans trop d'effort. Plus vos mains sont écartées plus l'effet est puissant et, pour les armes à manche, on peut même rapprocher les mains au moment de la frappe pour une puissance maximale.

« Πα βω και χαριστιωνι ταν γαν κινησω πασαν » (« Donnez-moi un point d'appui, et un levier, je soulèverai le monde »)

citation attribuée à Archimède (287-212 av J.C.)

Ce principe va s'appliquer aux épées longues que l'on tient idéalement une main près de la garde et une autre au pommeau. Cela peut même vous aider à manier une épée à une main qui vous paraîtrait un peu lourde ou pas assez maniable. Si vous maîtrisez bien ces gestes vous devriez même ne presque pas vous fatiguer en maniant l'épée, ne faisant presque aucun effort. Ajoutez cela à des gardes basses où l'on laisse traîner la pointe de l'épée sur le sol pour éviter la fatigue et vous pouvez même construire une véritable escrime de flemmard (et le personnage qui va avec) ! Plus sérieusement, si la maniement de l'épée longue vous fatigue posez-vous la question de vos gestes, il se peut que vous n'ayez pas les bons.

Mais ce principe va également s'appliquer aux lances et aux bâtons. Cela leur conférera une exceptionnelle maniabilité de pointe, même avec une longue hampe. C'est aussi ce principe qui permet de manier les armes d'hast telles que les haches de pas, les gros gourdins, les hallebardes et autres pertuisanes, vouges etc. Il faut en principe (sauf pour certaines écoles de bâton français apparemment dont le maniement ressemble plus à celui d'une épée à deux mains) les coupler avec la technique du coulissement qui permet d'allonger ou de raccourcir l'allonge ou de positionner autrement ses mains pour frapper, par exemple, de la queue. Si des armes lourdes et peu équilibrées comme le haches ou les hallebardes peuvent être encore relativement lourde cela ne doit plus être le cas des bâtons ou des lances courtes.

Comme Paulus Kal (1470) forgez vous un physique d'athlète en utilisant le levier !

Les armes à une main : la gestion du poids

À l'inverse les armes à une main sont toujours perçues dans les idées reçues comme plus légères et plus faciles à manier. Ainsi dans les jeux de rôles ou les jeux vidéos une compétence spéciale est souvent exigée pour manier les armes à deux mains tandis que des armes comme la rapière sont souvent perçue comme des armes pour les personnages faibles. Si il est vrai qu'une attaque d'estoc, et qui plus est de rapière, n'a pas besoin de force pour s'enfoncer dans un corps, des vêtements ou toute autre surface molle il n'en va pas de même maniement de rapières qui pèsent au minimum 1kg et peuvent aller jusqu'à plus d'1,5 kg ! D'autant que beaucoup de techniques de rapières (et spéciale la Verdadera Destreza) nécessitent d'avoir le bras très allongé, on comprend alors la nécessité de s'entraîner et de renforcer le bras afin de ne pas être fatigué au bout de quelques secondes. On est loin d'une arme pour les faibles.

Il en va de même avec l'une des armes les plus exigeantes à manier à une main : la lance. Si cette arme semble plutôt légère à deux mains il n'en va pas de son maniement à une main (le plus souvent en conjonction avec un bouclier). Il faut, soit avoir des muscles d'acier, soit la tenir à la moitié voire au tiers de la hampe et attaquer en la faisant coulisser. Cela se fait relativement facilement dans un contexte où l'adversaire en face est protégé (ou que vous voulez le tuer) mais c’est plus compliqué à maîtriser suffisamment pour être en sécurité dans le cadre d'un combat de spectacle.

En Verdadera Destreza on travaille très souvent le bras allongé. Ici le milieu de la formation de l'atajo chez Ettenhard : Précis des principes de la véritable escrime et de la philosophie des armes (1675)

D'une manière générale, avec une arme à une main vous allez devoir gérer l'inertie de l'arme pour ne pas perdre trop de temps et être prêt à vous défendre après avoir attaqué (ou à enchaîner une autre attaque). C'est là qu'on voit l'intérêt d'un bouclier qui permet de se défendre même sans avoir récupéré la maîtrise de son arme ou de ne pas utiliser celle-ci pour parer et donc de riposter immédiatement. La chose est à peu près la même d'ailleurs avec une main-gauche ou une autre épée.

Seules deux armes demandent peu de force pour être maniées : l'épée de cour et la dague. La première est la seule arme réellement agile à une main. Pour la seconde il ne faut pas oublier que les techniques de dague impliquent le plus souvent de se retrouver rapidement au corps à corps avec des techniques issues de la lutte et que, dans celles-ci, la masse et la force sont importantes. Manier une dague sans être puissant demande donc d'être capable de beaucoup de mobilité et d'agilité pour éviter les saisies ou se dégager rapidement de celles-ci.

À la dague la technique est importante mais sur les phases de lutte la force et la masse peuvent faire des différences. Illustration issue du livre de combat de Hans Talhoffer (1459)
 

***

Voilà déjà la fin de ce court article qui vient en fait préciser ou compléter le précédent en abordant la question sous un autre angle : celui des idées reçues sur les armes. Je vous invite donc à revoir vos règles de jeux de rôles ou vos clichés sur les armes, surtout, à tester par vous-même ce que je raconte !

(Et le premier ou la première que je vois qui n'utilise pas le levier avec une arme à deux mains je.... )


jeudi 3 février 2022

Quelques réflexions sur le poids des armes utilisées en escrime de spectacle

Cela fait plusieurs années que, sans vraiment le comprendre, je lisais Michaël Müller Hewer qui insistait sur la différence fondamentale entre l'escrime artistique (sous-entendu probablement : "telle qu'elle est pratiquée notamment en France") et l'escrime historique. Il ajoute également à cela que l'escrime artistique est une adaptation de l'escrime sportive. D'ailleurs son article répondait bien à ces questionnements et on peut le compléter par mon article sur Les débuts de l'escrime de scène qui montre m'influence de l'escrime sportive du début-milieu du XXe siècle sur l'escrime artistique.

Néanmoins, comme je l'ai dit, je n'avais pas forcément encore bien compris ce qu'il voulait entendre en affirmant cette différence. Ayant commencé dans une compagnie de reconstitution médiévale avant de rejoindre un club d'escrime j'ai toujours voulu faire une adaptation scénique d'une escrime historique (ou du moins aussi historique qu'il est possible de la connaître). Mais je crois avoir mieux compris ce qu'il entendait par là. J'ai pu comprendre ça en m'intéressant à l'influence du poids des armes utilisées sur l'escrime. Je pense qu'il s'agit d'un point important sinon fondamental dans cette différence et c'est cette idée que je vais tenter de développer ici.

N.B. : Il s'agit dans cet article d'une remarque, une hypothèse (sérieuse tout de même) destinée à mieux comprendre la situation. Ce n'est pas forcément l'alpha et l'oméga de toute explication et c'est surtout une réflexion en marche qui est susceptible de changer ou surtout de s'affiner.

Fanart du personnage de Siegfried dans le jeu vidéo Soulcalibur. Et non, même avec de la technique et de la force ce genre d'épée est impossible à manier !
 

Des armes extrêmement légères et maniables

Quelles armes manie-t-on le plus souvent dans les salles d'armes ? Le plus souvent il s'agit de rapières à lames triangulaires (donc non historiques sauf pour les épées de cour) que l'on manie en grande partie avec des coups de taille. On trouve également en bonne place des dagues de main gauche légères, des cannes de combat et des bâtons aux normes fédérales (de la Fédération Française de Savate Boxe Française). On s'essaye aussi parfois aux épées longues ou aux sabres avec souvent moins d'élégance ce qui amène parfois à utiliser des versions plus légères en duraluminium (mais nous reviendrons là-dessus). Dernièrement les "sabres laser" ont fait leur apparition.

La majorité des rapières de spectacle pèsent entre 600 et 800g, la canne fédérale est normée autour de 120g, le bâton (très court) autour des 400g. Par comparaison une rapière historique fait plus d'1kg et peut facilement atteindre 1.5 kg voire plus, il en va de même des sabres ou des épées longues. De même une canne portée dans la rue est au moins trois fois plus lourde qu'une canne de combat (et pas équilibrée comme une épée) et le bâton doit bien atteindre le kilogramme. On manie donc des armes bien plus légères que les armes historiques, la seule à atteindre ces ordres de poids est l'épée de cour qui est une arme exclusivement d'estoc.

Un exemple de rapière utilisée en spectacle avec une lame triangulaire et une coquille "à taza"

Ces armes légères permettent aux débutants et à tout à chacun d'être rapidement à l'aise avec ces armes puisque qu'elles ne pèsent pas assez ou presque pour gêner les mouvements. Ainsi les gestes sont presque les mêmes que si on les faisait dans le vide, sans contraintes liées au poids. On peut ainsi très facilement donner des coups de taille et d'estoc, changer de position de bras etc. Il est même possible de donner des coups de taille très ample tout en gardant une relative rapidité. Ceux-ci sont même plus ou moins conseillés car des coups trop resserrés (avec juste le poignet par exemple) deviennent bien trop rapides avec les armes légères, d'autant que, pour être légères, ces armes son très fines et pas forcément très visibles.

À partir de là s'est développée une escrime spécifique, plutôt agile à base de mouvements souvent amples, de changements radicaux de position de bras, de voltes, couronnés etc. Cette escrime est souvent élégante et visuelle, sécuritaire et facile à appréhender pour toutes les morphologies. Elle est irréaliste de par les coups qu'elle propose, non historique, mais elle évoque bien le combat. C'est un système que fonctionne bien quand on y est. Les problèmes arrivent quand on veut en sortir...

"Comédie funeste", un numéro présenté par l'OCE, médaille d'argent aux CFEA 2020 : un numéro qui m'avait beaucoup séduit et un exemple de cette escrime artistique aux armes légères, élégante et agile.

Des armes plus lourdes qui semblent impossibles à manier

En sortir veut dire le plus souvent s'essayer à l'épée longue médiévale, au sabre, à l'épée à une main ou à la rapière à lame plate (mais cela concerne en fait toutes les autres armes). Et là les problèmes arrivent, parce que l'escrime que l'on pratique avec des armes qui ne pèsent presque rien n'est pas adaptée aux armes plus lourdes. Les frappes amples et les grands couronnés sont plus laborieux et les parades d'opposition en tierce ou en quarte génèrent des ripostes de taille difficiles. Le tout aboutit à une escrime d'un lenteur pachydermique donnant l'impression aux escrimeurs que l'escrime médiévale était juste un truc de bûcherons se tapant dessus avec des lames en acier ! Ajoutons un risque de blessure plus élevé du fait du manque d'habitude et, surtout de parades brutales non adaptées où l'on encaisse ainsi toute la puissance du coup adverse au lieu de la dévier ou la laisser en partie passer, sans parler d'armes mal tenues, souvent trop fermement. La solution paraît donc parfois d'utiliser des armes en duraluminium pour retrouver la légèreté à laquelle on est habitué et continuer de pratiquer la même escrime (quand bien même ce n'était pas forcément l'objectif premier de la création d'armes en dural).

Pour pouvoir manier des épées massives, mêmes les acteurs bodybuildés de Conan le barbare (John Milius 1982) ont eu recours à des armes en duraluminium (et on ne peut pas non plus dire qu'ils brillaient par leur technique à l'épée)

Pourtant on peut être très fluide avec ces armes plus lourdes quand on sait un peu les manier. Il faut "écouter" son épée, c'est à dire ne pas faire de mouvements qui ne semblent pas naturels avec (même si certains techniques peuvent parfois paraître bizarre). Prenez une rapière plus historique avec une lame plate de plus d'un mètre et vous comprendrez aisément que c'est avant tout une arme d'estoc et que les seuls coups de taille valables se font uniquement avec le poignet (et sont donc plus fait pour blesser et affaiblir que pour achever un combat). Il en va de même avec les parades à l'épée longue médiévale où on évitera les parades de "tierce" et de "quarte" pour privilégier les parades où l'on frappe l'arme et les parades par suspension (de "prime" et de "none") car on enchaîne bien mieux les ripostes après (voir notre vidéo et notre article). De même, en dehors du style de broadsword britannique, l'escrime au sabre (ou au coutelas médiéval) ne se comprend que si l'on intègre les moulinets pour les parades et les ripostes.

D'une manière générale il faut, avec des armes lourdes, assimiler deux principes qui ne se trouvent pas dans l'escrime sportive actuelle (et donc auxquels les Maître d'Armes ne sont pas sensibilisés au cours de leur formation) : la gestion de l'inertie de l'arme et le levier (pour les armes à deux mains). Il faut comprendre qu'on ne peut plus faire comme l'on faisait avec une arme qui ne pèse presque rien et qu'il faut aller avec le mouvement de l'arme sous peine de manquer de fluidité et d'être très lent. Il faut savoir relâcher sa tenue de l'arme lors de certains mouvements pour l'affermir lorsqu'il faut changer de direction ou l'arrêter (en cas de parade ratée du partenaire par exemple) mais surtout on ne peut la faire changer brutalement de direction sans un gros effort qu'il faut limiter au maximum. Les principes pour parer sont les mêmes : frapper l'arme adverse pour la dévier ou la laisser filer le long de sa lame mise juste en protection le long de son corps). De même vous devrez réduire vos mouvements sous peine d'aller à une lenteur déprimante. Ce n'est pas grave car, contrairement aux armes très légères, ici votre lame est bien plus large, votre bâton plus épais et on voit donc bien mieux votre arme et votre coup, pas besoin donc d'exagérer le geste.

Dans cette vidéo le Capitaine France fait le point sur la différence entre la canne de combat fédérale et la canne de défense historique.

Il en va de même pour le levier qui économisera beaucoup d'énergie pour votre épée longue (qui se tient, en principe, une main près de la garde et l'autre sur le pommeau) ou pour vos armes d'hast, bâtons et autres lances. Votre main non directrice doit être très mobile et la tenue très souple sur un pommeau d'épée longue. Quant aux armes d'hast et autres bâtons vous devrez en principe coulisser en permanence vos deux mains pour ajuster votre prise afin d'avoir la meilleure force de levier possible et donc le moindre effort à faire. Si vous savez tenir compte du levier et de l'inertie votre escrime à l'arme à deux mains devient finalement très fluide et très rapide et vous constaterez que l'épée longue est une des armes blanches les plus maniables qui ait existé (à mon sens elle n'est détrônée que par l'épée de cour). Ce n'est pas étonnant qu'elle était l'arme avec laquelle les escrimeurs allemands ont appris les bases de l'escrime pendant trois ou quatre siècles (du XIVe au XVIIe siècle).

Ce qui est amusant c'est qu'apprendre ces principes vous rapprochera d'une escrime historique et réaliste, mais en fait vous n'aurez pas le choix si vous voulez faire quelquechose de bien avec ces armes. La seule alternative est, comme je l'ai dit, l'adoption d'armes plus légères en duraluminium, et encore que cela n'interdit pas forcément de manier ces dernières avec des techniques historiques et logiques !

Je vous remets ici la partie concernant les parades à l'épée longue sur la vidéo que nous avions tournée cet été.

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Voilà donc l'état actuel de ma réflexion sur le sujet. Elle est tout de même le fruit de nombreuses années d'interrogation sur les armes, de conversations avec le Baron de Sigognac et d'autres sur le pourquoi du comment on voyait autant d'escrime médiévale moche. Enfin entendons-nous bien sur le sens de cet article, il ne s'agit pas ici de dénigrer ce système basé sur les armes légères, on peut avoir des préférences mais on doit reconnaître qu'il est efficace et qu'il a produit de belles choses. Il a aussi ses avantages de prise en main rapide, du moins si on a peu de temps à passer avec ses élèves. Ce système d'ailleurs a façonné une partie de mon parcours même si il ne m'attire plus en ce moment en tant que pratiquant (pas en tant que spectateur). Cependant je crois qu'il est nécessaire d'en sortir si l'on veut manier des armes plus lourdes et notamment des armes médiévales. Il n'est pas adapté aux épées longues, sabres, épées médiévales, rapières à lames plates, haches, lances et autres hallebardes... Tout ce qui sort en fait de la rapière de spectacle, de la canne et du bâton en fait !

Ainsi, si vous voulez sortir de ces armes, si votre envie vous pousse vers d'autres époques, je pense sincèrement que vous allez devoir réapprendre une partie de votre escrime pour vous adapter à l'arme. Il vous faudra découvrir l'effet levier ainsi que la gestion de l'inertie de votre arme, plus de nombreuses techniques tout aussi spécifiques à certaines armes que sympathiques à utiliser. Vous pouvez faire cela seuls, en réfléchissant et en vous posant des questions mais vous pouvez aussi aller voir ceux qui travaillent depuis des années sur ces armes : les pratiquants d'Arts Martiaux Historiques Européens. Et comme je le disais dans mon article sur l'étude de l'escrime ancienne, vous gagnerez à échanger avec les autres plutôt que lire les traités seuls dans votre coin, car c'est ainsi que progresse la recherche !

Je suis évidemment ouvert à tout commentaire ou débat, alors n'hésitez pas à vous exprimer dans les commentaires (vous savez l'échange tout ça...)