vendredi 16 septembre 2022

Trouver ses formes scéniques. Entre liberté artistique et rigueur technique.

Fiou ! C'était intense mon absence. Imagine ! En quelques mois, j'ai connu la guerre des AMHE empiristes contre historiques, savouré celle de la Destreza or not Destreza, la preuve que mes confrères Maîtres d'Armes ont parfois du mal à comprendre notre discrédit en escrime artistique, la naissance de la première rencontre fédérale régionale d'escrime artistique… le silence de l'été et paf soudain la rentrée.
Bon ben on va y retourner hein.
Baron de Sigognac, vacances addict

Bonjour à tous, ici le Baron de Sigognac pour vous desservir. 

Avant tout, je voulais revenir légèrement sur notre vision et l'importance que nous accordons à l'historique dans nos premières ébauches chorégraphiques. Le Capitaine m'épargnant cette peine grâce à son article Du traité à la scène : mettre en scène l'escrime historique , rentrons plutôt dans le vif de notre sujet.   

Aujourd'hui, parlons d'art, parlons de scène, parlons de forme. 


Crédit : Hulki Okan Tabak, Unsplash


Et par forme, j'entends ce qui touche à votre posture, expressions faciales, positions dans l'espace qui enrichissent le simple signe que représente votre défensive ou offensive. Bref, ce qui va rendre votre "tête, flanc, tierce" différent de celui de votre voisin et, si vous faites bien les choses, soutenir votre histoire, votre personnage. Un travail important qui se mène en amont de celui d'enrichir techniquement nos chorégraphies voire conjointement. 


Nous pouvons classer ses formes en deux catégories : celles qu'on nous impose et celles qu'on nous impose pas. 


Un chorégraphe décidera davantage, à priori, des formes scéniques qu'un simple cascadeur ou, pour viser large, simple "exécutant". Ce même s'il est souhaitable que le dit exécutant ne soit pas qu'un yes man et le chorégraphe, un tyran sourd, mais je m'avance de trop.

Sur la partie imposée, l'exigence sera avant tout technique. La décision étant prise par d'autres, il nous incombe de la mettre en œuvre par une phase d'entrainement et de répétitions que nous appellerons consolidation. 

En revanche, en absence de demandes scéniques suffisamment précises, ce sera aux escrimeurs, eux même, de trouver des formes adéquates. Je dis "des". Il existe, à mon sens, autant de formes pertinentes que de joueur, si ce n'est plus, pour une même situation. Le propre de l'art ( ceci est important ). Sauf que cela pousse à prendre des décisions, ce qui, sans méthode et pratique régulière, n'est jamais évident. 


La principale conséquence est de de décaler la phase de consolidation, au profit d'une autre dédiée à la recherche de formes scéniques.  
Et rechercher c'est comme tout, ça s'apprend !


Crédit : Hulki Okan Tabak, Unsplash



Attardons nous donc quelques instants.

Rechercher ses formes : entre principes et liberté de pratique.


Préférences personnelles contre attendus naturels : les principes et choix directeurs de nos recherches


Copieur, déjà, tu ne seras pas !

D'abord, le principal écueil à éviter est celui de copier . En fonction de notre formation, nous avons appris de façons explicites ou non des schémas de créations. La première erreur serait de les reproduire sans recul. Alors, certes nos enseignants, modèles ont pu établir leur réputation, carrière autour de ceux-ci, sauf que eux c'est pas nous. Ils savent (du moins, je l'espère) intellectuellement, mais aussi émotionnellement, pourquoi ils agissent de telles manières. 
En soi, s'inspirer de ce qui fonctionne est intelligent, mais le reproduire tel quel ne vous aidera pas davantage à trouver des formes pertinentes que de tenter au hasard. Parce qu'il vous en manquera l'esprit qui anime ceux dont vous voulez copier l'image. Au mieux nous arriverions à être les bons élèves de... pour un artiste, qui par essence a une volonté émancipatrice, c'est un peu chaud. Et ça ne fera pas de vous de meilleures exécutants.  

Après, si vous ne pratiquez qu'en loisir, cet écueil n'en est pas un. Il offre même des avantages en terme de tranquillité d'esprit. En revanche ne vous attendez pas à faire autre chose que de "l'industrie". Tout aussi qualitative soit-elle. D'où mon appel à commencer votre réflexion le plus tôt possible. 

Ceci étant dit, deux catégories de recherches scéniques s'offrent à nous : celle où l'histoire est déterminée et celle où elle ne l'est pas. 



Crédit : Ahmad Odeh, Unsplash



Dans la première, nous allons pouvoir rechercher tout de suite nos formes en ayant en tête des balises précises : mon personnages est un artiste, je suis agressif etc... Certes, cela ne vous donnera pas une solution pré-faite, mais un cadre qui facilitera votre imagination. Une voie à suivre que vous pourrez agrémenter des manières de faire de ceux qui vous inspirent ou de nouvelles en fonctions de ce que vous ressentez. 

Dans la seconde, plus rare, nous cherchons sans connaitre les tenants et aboutissants de l'histoire : Exercices, travail préparatoire en attente du scénario, page blanche, etc... La principale conséquence est d'élargir le champs des possibles jusqu'à en devenir totalement ingérable. Ce qui va nous forcer à intervenir et trouver nous-même notre propre cadre : réduire volontairement cette océan d'incertitude en prenant nous-même des décisions, quitte à en changer plus tard parce que manque de bol on se voyait artiste et par la grâce du scénario en retard nous finîmes bandit. 

Une gymnastique mentale que nous avions commencé à explorer avec Osez créer ! L'art de décider.

Cette hypothèse étant la plus complexe, je vous propose de fonder notre réflexions dessus. Il vous suffira ensuite de considérer les autres comme des situations plus simples et favorables nous dispensant de certaines étapes. Joie.

Alors, nous y voilà, nous avons un combat à monter, nous ignorons l'histoire, mais on désire commencer à s'y pencher. Nous avons mis en place quelques cibles voire quelques enchainements ou non, plus ou moins répartis nos rôles d'offenseurs et défenseurs et le temps de rechercher nos formes scéniques semble venu.   
En l'absence de repère, nous allons en décider plusieurs. Les manières de faires sont nombreuses. Celle que j'utilise souvent repose sur deux axes : nous et les attendus naturels du public.



Crédit : Ahmad Odeh, Unsplash


Nous. 


L'expression "naturelle" de nos corps, ce que nous formons, par exemple, sur une parade de seconde quand nous nous imposons rien est la base de ce nous. A travers diverses répétitions, elle dégagera un panel de formes plus fréquentes que d'autres sur lequel nous intéresser.
La prochaine étape consiste à l'affiner par nos préférences en termes personnage. Ainsi, sur une parade de seconde, si nous aimons jouer les vieux briscards, un changement de garde aura davantage grâce à nos yeux qu'un quart de volte à gauche, plus artiste. Même si à l'origine notre corps proposait les deux à égalité. De quoi réduire le nombre de possibilités. Pour plus de détails je vous renvoie de nouveau à l'excellent Les neuf types de combattants : ma typologie révisée et rationalisée.

Les attendus naturels du public. 

En parallèle et sans être une science exacte, les perceptions "primaires" du public, vis à vis de notre apparence, sont un excellent moyen d'anticiper l'impact de nos postures. En effet, un géant à la musculature imposante semblera moins enclin à jouer les artistes. A contrario, étant moi-même plutôt petit et menu  -- je suis nul aux jeux de hasard depuis ma conception que voulez-vous --  il serait curieux de me voir jouer les brutes. Et le fait que j'ai pu hériter, ado, du doux surnom de Patataure ne change rien à ça. 

Cependant, ce constat peut s'opposer à vos propres ressentis : celle d'un colosse aimant jouer les artistes et dont le corps choisis principalement des postures conformes à cet archétype. De quoi complexifier notre affaire, c'est évident.

En revanche, cette dualité possible entre attentes du public et personnelles, nous permet des choix scéniques plus concrets, à savoir se conformer aux "mythes" des spectateurs et les y conforter ou s'y opposer ; ce à des degrés divers (nuances toussa, toussa)

La dessus, nos préférences personnelles ont une grande influence : si les préjugés des spectateurs s'opposent à mes préférences, je serais enclin à jouer avec et les prendre à contrepied. Que ce soit par le personnages ou le style scénique. 

Toutefois, dans le contexte de notre article, si vous savez ne pas avoir le dernier mot sur le futur scénario, je vous conseillerai de suivre ces attendus naturels. Vous aurez plus de chance de tomber juste et de moins revenir sur votre travail.

Cette précision faite, voyons la chose en pratique, en partie tout du moins.


Crédit : Ahmad Odeh, Unsplash


Guider et se laisser guider : la liberté de décider et d'explorer. 


La recherche de formes scéniques, par essence, ne consiste pas à travailler au plus juste techniquement, mais de trouver des expressions corporelles selon des situations établies. Voyez ça comme un brouillon. Si la sécurité est toujours obligatoire (liberté ne veut pas dire faire n'importe quoi) c'est bien la mise en confiance, l'échange et la fluidité corporelle qui seront nos meilleurs alliés dans cette phase. 

La technique et le travail qu'elle demande viendront après : vous n'allez pas monter sur scène tout de suite, prenez votre temps. Et si vous en avez pas ... bon courage ^^' ou alors... on y reviendra un jour, promis.

Ainsi, comme j'ai pu l'aborder dans  A travers le débutant et l'urgence : l'art de mettre en confiance, je vous conseille, à ce stade, de ne pas user de pied ferme. Profitez du mouvement en essayant de rester fluide quitte à enchainer les préparations de jambes pour un mouvement de bras.

Notez que les répétitions viendront d'elle-même réduire le nombre de préparations nécessaire jusqu'à tendre vers un mouvement de bras pour un mouvement de jambe. Donc, n'ayez pas peur d'exagérer au début pour préserver votre fluidité ou celle de votre partenaire. Cela vous permet en plus de vous synchroniser tranquillement. 

A cet instant, vous allez pouvoir  guider votre exploration en vous posant différents scénarios. La liste qui suit servira d'illustration, mais ne la prenez pas comme exhaustive et dans l'ordre. 

  • Autour des jambes 
    • déplacements linéaires, circulaires, à gauche, à droite, croisés, non croisés... A vous de choisir : plus vous aurez une idée précise, plus vous irez à l'essentiel, mais en cas de doute n'hésitez pas brasser large. (c'est valable pour la suite)


  • Autour des bras et des cibles
    • préparations aux fers, feintes, gardes... 

  • Autour des cibles et des rôles
    • Jouer l'offenseur sur toutes les cibles concernés par notre recherche scénique, le défenseur ( contre-offenseur, avec prudence ), répartir équitablement, à l'avantage de l'un...

    • Vous remarquerez que la recherche de forme scénique peut se faire en parallèle ou conjointement à l'enrichissement technique de nos chorégraphie : la recherche de forme peut nous faire enrichir techniquement notre chorégraphie et l'enrichissement technique peut nous faire trouver des formes Ainsi, si je parle de l'un, sentez bien que l'autre n'est pas loin. 

  • Autour du jeu d'acteur. 
    • Expressions corporelles, faciales, émotions... je suis énervé(e), apeuré(e) etc... 


Crédit : Ahmad Odeh, Unsplash


Gardez juste à l'esprit de partir du plus simple jusqu'au plus ouvert pour ne pas vous perdre. En revanche, vous êtes libre de partir de ce qui vous convient : chaque situation est unique.

 
Quoiqu'il en soit vous devriez obtenir des formes scéniques plus ou moins grossières (attaque simple au ventre en quart de volte, expression de rage ; parade quinte inversé en fente latérale à gauche, expression de surprise ou encore à déterminer...). L'occasion de les filtrer à travers les attendus estimés du publics et la manière dont nous voulons nous y conformer. Puis, avec celles restantes, intéressez-vous à la suite : consolider et peaufiner. 

Consolider les formes, la rigueur technique à l'œuvre.


Identifier, répéter, rationaliser... : le chemin rigoureux de la maitrise technique. 

 

Nous laisserons de côté ce qui touche uniquement le jeu d'acteur pour nous concentrer sur l'escrime. 

Donc, nous avons nos formes, du moins une bonne idée, et savons où aller. Reste que ce n'est pas ça que nous allons montrer au public, nonobstant les changements possibles. De quoi, nous inciter à travailler et peaufiner chaque aspect technique de nos formes, on a pas le choix de toute façons. Un entrainement que nous pousserons jusqu'à obtenir le résultat voulu.
Pour faire simple, nous sommes d'accord qu'à deux à l'heure on arrive à volter, mais qu'à vitesse de représentation et devant un public, il va falloir plus ou moins, mais plus que moins, travailler.

C'est ici que la liste, issue de Construire et reconstruire, l'art d'enrichir ses chorégraphies, prend une autre dimension pratique.

  1. Offensive simple de pied ferme
    • distance d'allongement du bras en se rappelant qu'on est à distance de touche avec le faible pour taille et entaille et qu'en cas de coup d'estoc on est hors de cette distance : la pointe s'arrêtant avant sur un bras allongé, bla bla bla... tu sais. 
  2. Offensive simple sans préparation
    • Départ de pied ferme suivi d'un développement : fente, demi passe, changement de garde, marche, latéral, linéaire, diagonale… 
  3. Offensive simple avec préparation de jambe
    • Faire précéder votre développement de préparation de jambes 
  4. Offensive simple avec préparation de jambe et de bras
    • Rationaliser ses gardes et positions de mains pendant les préparations de jambes
    • Rajouter les préparations au fer
  5. Offensive composée avec préparation de jambe et de bras
    • Intégrer des feintes à nos offensives


Attention, l'idée n'est pas de la suivre à la lettre, loin de là. 


Encore une fois

En revanche, pour chaque forme, vous trouverez un niveau de complexification correspondant à cette liste. Si le plus faible du groupe est capable de travailler en confiance ce degré technique, vous pouvez commencer directement à le faire. En effet, après un certain niveau on ne vas pas décomposer une attaque simple ( le bras allongé, stop, puis les jambes ) pour la réaliser correctement. On la fait ( prédominance du bras ). 


Dans le cas contraire, les étapes précédentes, sans être des plus précises,  vous aideront à déconstruire la forme et son exigence technique pour une version plus simple. Ce jusqu'à ce que vous puissiez revenir dessus grâce au progrès issus de votre, vos séances : le quart de volte sur l'attaque au ventre me semble compliqué en l'état, je fais juste l'attaque simple au ventre en déplacement linaire, puis je reviens progressivement à la forme désirée (travailler le quart de volte à part, rajouter une étape avec un déplacement latéral vous appartenant comme décision). Vous pouvez consulter Pourquoi mettre en scène l'escrime ancienne n'est pas si compliqué. sur ce sujet. 

J'insiste sur le fait que nous ne sommes plus en train de nous interroger sur les formes scéniques à utiliser, mais bien de les acquérir.


Crédit : Léon Liu, Unsplash


Quelques remarques. 

Remarque une : le travail de pied ferme n'est pas à occulter. Même si vous êtes à l'aise techniquement, travailler de pied ferme, permet de se concentrer sur la rigueur des mouvements de bras et de l'équilibre qu'ils imposent. Sur une parade en croix haute froissée / chassée, passer un moment sur du pied ferme permet de vérifier que seuls nos bras agissent : éviter les coups d'épaules, une impulsion du buste etc... des petits défauts techniques qui peuvent à bonne vitesse nous jouer des tours. Donc, je ne saurais trop vous conseiller de faire du pied ferme pour chaque technique, si possible. N'y passez pas forcément beaucoup de temps, mais c'est un plus indéniable pour peaufiner et consolider vos formes. C'est un excellent complément à l'échauffement, en plus.

Remarque deux : la liste se concentre que sur les bras, et la coordination bras-jambe. D'où mes appels à ne pas prendre ça comme exhaustive, mais comme un simple outil ; utile, mais imparfait. Dans votre entrainement n'hésitez pas, par moment, à faire que des jambes. Surtout si vous sentez que c'est là que ça pêche. On appelle pas ça des fondamentaux pour rien ^^.

Remarque trois : vous pouvez toujours revenir en arrière. Ce n'est pas parce que vous consolidez une forme que vous ne pouvez plus en changer. l'histoire change, les formes aussi. La pratique vous donne une meilleure idée, allez-y. L'important c'est de vous lancer. Les idées peuvent venir de suite ou par la pratique. Bref, rien n'est irremplaçable. Après, si vous allez monter sur scène, remettez les changements à plus tard (pas de blague !)


Crédit : Nihal Demirci Erenay, Unsplash


Résumons

Qu'importe que vous connaissiez les tenants et aboutissants de l'histoire que vous allez raconter : rechercher et consolider ses expressions, postures peuvent s'en passer. Au départ en tout cas. 

Les possibilités sont nombreuses. Donc, n'hésitez pas à procéder par étapes. Rechercher vos formes dans un premier temps en laissant agir votre corps, puis en le guidant à travers différentes possibilités, de plus en plus vastes et l'impact que vous estimez obtenir du public. 

A cette fin, misez sur l'aisance, la confiance et la fluidité sans rechercher la justesse technique. Puis, une fois des formes déterminés, consolidez les et affinez les progressivement en mettant l'accent sur la technique sans vous empêcher de revenir en arrière, changer de forme, voire juste la simplifier pour mieux revenir aux résultats souhaités.

Voilà.
C'était le Baron de Sigognac pour vous desservir, je vous donne rendez-vous dans un mois pour un prochain article. Bonne rentrée scénique à tous et portez-vous bien.