mercredi 8 mars 2023

CFEA 2023 : Un règlement et de l'espoir ?

Bonjour à tous, ici le Baron de Sigognac pour vous desservir.

Depuis presque un mois, l'escrime artistique française vit avec ses nouveaux champions de France sacrés lors des CFEA 2023. En effet, l'événement s'est tenu à Cenon les 11 et 12 février 2023 et fut singulière à plus d'un titre : il s'agissait du deuxième CFEA en juste trois ans, on n'est plus habitué, et du premier à tester le nouveau règlement français inspiré de celui de l'AAI.

Comme votre serviteur, suite à une blague, s'est retrouvé arbitre compteur sur le week-end, le Capitaine et moi trouvions intéressant de vous en faire un retour. Ce qui demeure assez vaste. En effet, nous pourrions aborder l'organisation, réussie, les stands, sympas, la bouffe, vive la bière ou encore l'ambiance, cool, mais, aujourd'hui, c'est le règlement qui attirera notre attention. 

Suite au CFEA 2020 et l'espoir de voir l'organisation en France des prochains Championnats du Monde, l'AAI avait réussi l'exploit de mettre une clim à tout le monde en impos... pardon oblige... décidemment, pro...  Voilà ! "Proposant" un nouveau règlement.


L'Alchimiste, Armadag TUC Escrime ; crédit photo : Pauline Deysson





Un changement qui remettait drastiquement en cause toute les pratiques précédentes. Il serait d'ailleurs assez long de vous en faire la liste. Cependant, pour les besoins de l'article, revenons sur certains d'entre eux :

  • Les traditionnelles époques sont remplacées par des catégories d'armes, lourdes, légères et très légères. 

  • Le chronométrage s'accompagne désormais d'un nombre d'actions minimum à réaliser.
 
  • Le jury note désormais les actions d'escrime selon son niveau de difficulté, BPA ( Phrases d'Armes de Base et  CPA ( Phrases d'Armes Complexe ), lui même établit selon le choix des actions de bras et / ou de jambes et...j'ai une soudaine céphalée de mon lexique moi. 

  • Le choix des armes appartenant à une même catégorie, peut donner lieu à une bonification.

  • Enfin, chaque compétition se fonde sur deux "rounds" : un éliminatoire et un final. Chacun d'entre eux compte pour la moitié de la note finale (à ne pas confondre avec la note du round final). Une note scénique est toujours présente mais uniquement lors du final et ne représente en réalité plus que 25% de la note finale. Soit bien moins que lors des CFEA 2020. 

Forcément, les réactions, du moins en France, furent mitigées et… Bon on va arrêter de se mentir deux secondes, ce fut catastrophique. Voilà. Je ne crois pas avoir entendu une seule personne en dire du bien en presque trois ans.  Mis à part ses créateurs bien sûr, mais bon est ce que ça compte ? 

L'ennui c'est que l'international supplantant le national, hiérarchie des normes toussa, notre fédération devait se plier à cette nouvelle donne. L'article 1 étant de toute façon très clair sur ce point. C'est en ce sens que nous étions "curieux" de voir quel règlement aurait régi les Mondiaux. Mondiaux qui auraient dû suivre les Frances de 2020.  Mais vu qu'ils furent annulés... hein... pas de bol ... comme on dit...  Prévisible ? Rooooh ! Voyonnnnns ... Oui
De fait, c'est sans réel retour concret que la Commission nationale d'Escrime Artistique se saisit du dossier pour créer sur la base de ce règlement international, "controversé", un national en vue des CFEA 2023. 

Et il y avait du boulot. D'ailleurs, je me dois de féliciter ses membres d'avoir fait leur possible pour simplifier et clarifier les mécanismes imposés. Sérieux ils ont pas chômé. 

Parmi les modifications citons :

  • L'abandon du chronométrage temps d'escrime / temps de scène au profit du seul comptage, mais modulable selon la catégorie choisie. Un temps de scène minimum et maximum reste présent ceci dit.

  • Le changement de nom des rounds par épreuve technique et  épreuve libre.

  • La simplification, MERCI, autour des BPA et CPA pour un système de phrases d'armes. Chaque phase disposant de trois niveaux de difficultés possibles : simple complexe et avancée, noté de 0 à 10. Ces niveaux donnant lieux à un coefficient de 0,8 , 0,9 et 1 selon la difficulté retenue par le Jury.

  • La mise à l'écart de la bonification selon l'arme utilisée d'une même catégorie ou du nombre d'escrimeurs pour les batailles… Oui, oui l'AAI avait prévu ça. 

Et j'en passe
Reste que lorsque ce samedi 11 février à 11h, le premier numéro se présenta, il s'agissait de la  première fois où nous pouvions enfin tester la formule. Les épreuves régionales avaient permis des retours, mais là, nous changions clairement d'échelle. C'est donc avec beaucoup d'intérêt que nous étions nombreux à scruter à l'événement. D'une part, parce que cela reste des CFEA et que, d'autre part, c'était bien ce règlement, pour toutes les bonnes et mauvaises raisons du monde, qui était, en plus des compétiteurs, attendu de pied ferme sur les planches. 


Pendant ce temps là au pays imaginaire, Songe d'une nuit ; crédit photo : Pauline Deysson



Alors a-t-il été à la hauteur ? Horrible ? Merveilleux ? Le désastre annoncé ? Une excellente surprise ? 
Allons voir. 

Un comptage à optimiser, une note artistique plus décisive que prévue. 


Sur ses effets, deux points semblent intéressant à regarder en premier : le comptage et la note artistique. 

Un comptage qui tient la route …


Sur le comptage, du point de vue des compétiteurs il est à noter que presque tout le monde avaient suralimenter leur total d'actions. 

Pour rappel, chaque numéro se voyait imposer un nombre de "passes" minimum sous peine de pénalité sur la note final, -0,5 par tranche de dix actions manquantes. Ce nombre se calculait sur le nombre de secondes annoncés par les participants multiplié selon un pourcentage propre à la catégorie d'armes : 40% pour les armes lourdes, 45%, pour les armes légères, 50% pour les très légères. Ainsi toutes les 100s (1mn40), un numéro d'armes lourdes devait au minimum prévoir 40 passes contre 50 pour des armes très légères.

Devant cette donnée, les escrimeurs ont joué la sécurité en dépassant, souvent allégrement, le nombre demandé. Sans être dans leur tête, deux axes l'expliquent : le flou encore palpable pour compter le nombre de passes, notamment avec l'usage d'une arme secondaire (dague...) et le risque d'échec d'une phrase d'armes. 

Le jury et les arbitres avaient bien une règle fixe du début à la fin de la compétition. En revanche, devant les débats, non clos, au moment où les numéros ont commencé à être créés ou retravaillés, les participants devaient jouer la prudence. De fait, que des actions ne soient pas prises en comptes quant on en a vingt en plus... broooaaaafff, osef,  hein ? Au chiotte l'arbitre quand même, mais vlà qwa. 

De plus, au delà d'un désaccord avec le corps arbitral, cette "réserve" permettait aussi d'éviter une double peine : j'ai le nombre pile-poil d'actions pour ne pas me faire pénaliser, je rate ma phrase d'armes, "show must go on", je laisse tomber et j'enchaine. Le jury me met une mauvaise note technique sur cette phase et vu qu'il me manque des actions je me prends une pénalité derrière. 

Dès lors, s'en prémunir par la masse s'entendait et a dû en motiver plus d'un. Une nuance toutefois avec les solos qui ont flirté davantage  avec le danger. Surement de par la spécificité de l'exercice, mais on va laisser ça de côté. D'autant qu'ils ont géré. 


... tant que sur scène vous n'êtes pas plus de trois.


Maintenant, si on se tourne vers les compteurs aka les pouces ardents, un souci c'est vite manifesté. Si compter pour des duels et des solos pouvaient se faire sans grandes difficultés, la chose devenait compliquée pour les ensembles et les batailles. 
Alors, ils nous a toujours été possible de constater que les performances atteignaient le minimum requis. Cependant, c'est sur le nombre de passes finals et l'écart entre chaque arbitre que l'affaire s'est mal goupillée. A partir du moment où deux duels se livraient en même temps, avec en plus des changements de protagonistes, ils devenaient difficile de ne pas se noyer sous le nombre d'actions. Certes si les duels se déroulaient sur le même rythme, attaquaient en même temps etc... on y arrivait. En revanche, dès qu'un binôme faisait plus de passes ou moins que l'autre...

En soi, les compétiteurs n'ont pas été lésés, aucune bonification n'étant prévu pour ceux qui faisait plus. Néanmoins, cela rendait les Batailles, et les Ensembles désagréables pour les compteurs. Un état qui devrait nous amener à réfléchir sur des améliorations. Parce que quand même ça la fout un peu mal. 

Nous y reviendrons. 


Colère, CEM ACTES ; crédit photo : Pauline Deysson


Une note artistique famélique, mais toujours décisive.


En ce qui concerne la note artistique, disons le, 25% c'est peu. Pourtant, plus que celle technique, elle m'apparut comme la faiseuse de roi. Un constat, contre intuitif que j'attribuerai à la notation elle même et en premier aux coefficients.

Appliqués aux phases d'armes, ces derniers eurent tendance à lisser les notes techniques de chaque concurrents au point de réduire régulièrement l'écart entre eux d'un ou deux dixième de point. Du moins, pour des places relativement proches.

10/10 sur une simple vaut autant qu'un 8/10 pour une avancée. Or, il était plus aisé d'avoir une bonne note avec du simple qu'avec du plus complexe. A contrario les coefficients pénalisaient l'abus de phases simples tout en encourageant l'usage d'avancées. 

Ainsi, ceux qui avaient usés davantage des phases d'armes simples ont pu profiter, en général, d'une meilleures notations tandis que ceux qui parièrent sur les avancés d'un meilleur coefficient. Le résultat étant cette contraction des notes techniques autour d'une même moyenne donnant pour les "podiums" des résultats parfois proches. Au dixième près. 

Alors, certes, les deux stratégies ne se valaient pas : le  point d'équilibre tendait davantage vers l'usage de phrases avancées. Toutefois, cela permet de comprendre pourquoi, mis à part deux ou trois numéros, la technique seule ne suffisait pas à l'emporter. 

De quoi rendre la note artistique bien plus décisive que prévue. En effet, bien que ne valant qu'un quart de la note finale, chaque demi point d'écart entre deux concurrent, sur cet aspect seul, creusait l'écart ou le comblait de plus d'un dixième de point. Et comme l'écart technique ne dépassait pas parfois cet ordre… 

L'escrime était essentiel, l'artistique décisif.  
 

Des effets encourageants grâce au règlement ?


Une volonté compétitive et de performance technique présente sur le terrain... 

L'AAI souhaitait par son règlement donner un cadre plus compétitif  aux Championnats. Cela sous entendait au moins deux objectifs de sa part. Donner un canevas plus précis quant à la notation  et inciter la performance technique. 

Le règlement des CFEA 2023, puisque adapté, en portait donc, bon gré mal gré l'esprit. 

Quant à savoir si les autres propositions de règlements étaient véritablement moins compétitifs ou si c'est ce qu'on attendait d'une compétition d'escrime artistique ; JOKER. 

Sur les planches, le comptage des actions a forcé la plupart des compétiteurs a créer davantage de temps d'escrime dans leur numéro. En parallèle, le système de notation valorisait la prise de risque technique pour ceux dont le niveau le permettait. D'ailleurs des exploitations du règlement s'observaient : certains ayant manifestement créé ad hoc leur numéro pour coller au mieux au compétitif. Ce qui est normal et ajoute un élément pour nous suggérer  que le pari de l'AAI serait tenu. 

Un autre point qui pourrait aussi servir d'argument vient du gain technique constaté des numéros autour de l'escrime médiévale.  En effet, force m'est d'admettre que le niveau med des CFEA 2023 n'avait rien à voir avec celui de 2020. Et sincèrement, c'était cool !

Un Requiem pour Monségur, TUC Escrime ; crédit photo : Pauline Deysson



... mais difficile à associer au règlement.

Cependant, attribuer ce point au règlement est hasardeux. A mon humble avis, il serait plus probable en l'état d'estimer que depuis 2020, les compétiteurs ont travaillé cette escrime pour proposer un niveau global bien plus élevé à ce que nous étions habitués sur ces Championnats. Je ne vais pas m'en plaindre, mais de là à le mettre sur l'autel poussiéreux des bienfaits de l'AAI... mouerf.

De même, l'absence de recul sur le règlement doit inviter à la prudence quant aux gains visibles en terme de compétitivité et performance technique. 
Déjà le règlement national n'est pas celui international et de nombreuses mécaniques n'ont pu de ce fait être testées. Du moins, dans ce qu'elle devrait être en cas de mondiaux. Des mécaniques sur lesquelles je reste très interrogatif que ce soit en terme intérêt voire même maintenant en terme de faisabilité : BPA ; CPA, bonifications selon le type d'armes etc... 

En l'état, plusieurs usages du règlement national me semble nécessaire pour vérifier et correctement identifier ses effets positifs comme négatifs. Imaginez pour le règlement international. 

Alors certes, sur ce qui était commun au deux règlements et que nous avons pu observer, le comptage, par exemple, a bien forcé à faire plus, mais était ce pour le mieux ?
Après tout, ma crainte sur cette disposition était de forcer les compétiteurs à davantage remplir leur chorégraphie que la créer. Et j'avoue que sans l'avoir constaté, je ne suis pas pleinement rassuré : à bien y regarder, certaines phrases d'armes paraissaient, parfois, plus faiblardes que l'ensemble de la prestation… Ici encore, le temps répondra. 

Toutefois, cela doit nous convaincre de l'importance du comptage et sa précision. Ce à quoi les difficultés rencontrées lors des passages Batailles et Ensembles n'ont pas aidés. 


Un comptage probablement revu dans le futur.


En imaginant que la formule actuelle prouve son efficacité, le souci rencontré avec les batailles et les ensembles doit se résoudre pour espérer optimiser les effets. 

Pour les duels et les solos, le système tient en l'état. Néanmoins il ne me semble pas viable au delà. J'entends par là à permettre aux arbitres de donner un nombre de passe cohérent sans trop grands écart entre eux. 

En soi ce n'est pas très grave. Une fois que les compétiteurs avaient dépassé manifestement leur minimum, le comptage devenait de la pure forme : les compétiteurs batailles et ensembles avaient prévus très très large. Cependant, réfléchir à des améliorations demeure nécessaire. 

Un système de comptage plus efficace permettrait aux arbitres une meilleure précision et par conséquent une meilleure information. Information qui aiderait les futurs compétiteurs à mieux calculer leurs chorégraphies et réduire leur marge de sécurité et le risque de "remplissage".
Après tout, ce n'est pas le même effort technique, mais aussi créatif, de passer à la 142ème qu'à la 2ème. 

Les pouces ardents, Maistre compteurs ; crédit photo : Pauline Deysson


Mots de fin

Au final, qu'est que je pense de ces CFEA ?

En vérité, je n'aime toujours pas ce règlement. Je remercie la Commission d'avoir vraiment essayé d'en faire quelque chose, mais il demeure sans grâce à mes yeux. Si je comprends et appuie le besoin de valoriser la technique, j'estime que le texte, sur le papier, va trop loin dans cette volonté.
Pourtant des surprises jalonnent mon expérience : les retours cordiaux entre compétiteurs, accompagnateurs et  jurys lors des épreuves régionales pour essayer d'appréhender le bouzin. Le logiciel de notation qui nous aura tenu en haleine jusqu'à la dernière seconde avant le coup d'envoi pour finalement décider d'arrêter de nous mettre la misère et fonctionner durant tout le week-end. Me rendre compte que la note artistique, loin de faire joli, avait le potentiel de détrôner et couronner tout autant…

Je n'avais pas été choqué des résultats des CFEA 2020. Ci et là, j'aurais bien vu un premier passer deuxième et un deuxième, premier, mais rien de plus. Je n'ai pas été choqué des résultats des CFEA 2023, non plus. Comme si un jury et des organisateurs faisant de leur mieux avec des escrimeurs se donnant à fond suffisaient ; au fond. 

Le niveau a augmenté dans certaines catégories. Des performances techniques et scéniques se sont remarquées. De quoi espérer.

Quant à savoir si c'était grâce, sans, ou malgré un règlement…

C'était le Baron de Sigognac pour vous desservir

A la prochaine.