Un combat ça se fait avec des armes, mais pas seulement. Les poings, les pieds, tout le corps peuvent aussi y participer. Lorsqu'on défend sa vie, lorsqu'il n'y a pas de règles on se bat comme on peut, avec tout ce qu'on a ! L'objet de cet article est donc de discuter de l'intérêt d'ajouter des techniques de corps à corps dans vos combats de spectacle... et de la bonne manière de le faire.
Cette technique devra être bien travaillée pour être correctement exécutée mais elle promet d'être spectaculaire Das Ander Theil Des Newen Kůnstreichen Fechtbůches - anonyme - 1591 |
Le corps à corps c'est historique
C'est un fait historique, la majorité des traités et manuels d'escrime, au moins jusqu'à la fin du XVIème siècle, comptent une partie sur la lutte. Certains, tel le Fior de Battaglia de Fiore dei Libeiri, commencent même par là. Les traités britanniques ont parfois encore des parties sur la lutte au XVIIIème siècle ou même sur la boxe comme le traité du capitaine John Godfrey. En outre, dans les parties consacrées à l'épée longue, au messer, aux bâtons et armes d'hast, à l'épée-bocle et à d'autres armes encore, on trouve des techniques de corps à corps impliquant des mises au sol, des clefs sans oublier les coups de pommeau et de quillons ! On distingue souvent le jeu long et le jeu court, ce dernier décrivant des techniques de lutte avec arme.
Les techniques présentées sont le plus souvent de techniques de lutte. Lorsqu'il y a des coups il s'agit le plus souvent de coups de pommeau (Fiore dei Liberi promet ainsi de briser les quatre dents de devant) ou de coups de pieds, jamais de coups de poing. Les techniques combinant lutte et armes peuvent finir par une projection au sol (qui permet de frapper ensuite l'adversaire), un désarmement, une clef de bras ou un égorgement. Il s'agit d'un choix de vouloir finir le combat autrement. Les auteurs des traités conseillent de ne pas entrer en lutte trop tôt et il est clair que lorsqu'on le fait il faut y aller promptement, décidé, en contrôlant l'arme adverse. Le jeu court est pour les gens décidés et intrépides (cela vous donne une idée du personnage qui l'emploiera).
Une page du traité d'escrime d'Antonius Rast (1553) décrivant une technique de mise au sol au bâton. |
Pour ce qui est des coups. On trouve des coups de pieds dans la plupart des traités du Moyen-âge et de la Renaissance. Ils visent en général le genou, le ventre ou les parties masculines. Les coups de poing existaient dans l'Antiquité mais ils ne semblent réapparaître qu'avec la boxe anglaise à la toute fin du XVIIème siècle et au début du XVIIIème. Cependant on en trouve, parfois associé à une empoignade, dans le traité du hollandais Nikolaes Petter de 1674 (traduit en français en 1680), cela pourrait nous dire qu'ils avaient survécu dans le combat de rue mais cela reste aussi à vérifier historiquement. Beaucoup de maîtres anglais de broadsword sont également des boxeurs. Pour la France à partir du milieu du XIXème siècle beaucoup de maîtres d'armes français sont aussi des maîtres de boxe française, de canne et de bâton.
En revanche, à ma connaissance, les techniques de corps à corps sont totalement absentes de tout ce qui concerne l'épée de côté, la rapière et l'épée de cour [Edit : on m'en signale chez Heredia, Lovino et Godinho cependant cela reste très marginal par rapport à l'épée longue ou au messer-dussack]. Tout semble porter à croire qu'à partir du XVIIème siècle le corps à corps, de technique normale au Moyen-Âge et à la Renaissance est devenu inconvenant pour un escrimeur bien élevé. Il est vrai que la rapière puis l'épée de cour, qui sont des armes d'estoc, favorisent un jeu long où l'on utilise la pointe de l'arme, mais il y a clairement une rupture vers cette époque.
Coup de poing dans le traité de lutte et de défense personnelle de Nikolas Petter (1674). Un très rare exemple de coup de poing avant le XVIIIème siècle ! |
Le corps à corps ce n'est pas forcément difficile à faire
La lutte c'est technique, c'est un placement du corps le meilleur possible, de la technique et la connaissance de multiples coups. Comme de nombreux arts martiaux et sports de combat ce sont des années d'apprentissage pour bien placer les techniques, réagir au bon moment, quelles deviennent instinctives... Mais là ce n'est pas ce que nous ferons. D'abord nous travaillerons une ou deux techniques de notre chorégraphie, le partenaire se laissera faire et cela ne sera pas l'essentiel de notre combat. Ce blog traite d'escrime de spectacle et le combat non-armé n'y entre qu'en invité.
Un certain nombre de techniques de jeu court s'apprennent assez facilement et ne demandent pas des années d'étude du combat au corps à corps pour les comprendre et les réussir dans un contexte de collaboration. Un coup de pommeau c'est somme toute assez facile à donner, le plus dur est finalement de ne pas le donner vraiment (surtout au visage). Les coups de pied se placent souvent facilement eux aussi et peuvent permettre de se dégager d'une situation où l'on veut remettre à distance les personnages. Ils peuvent également donner un côté très dynamique au combat. Quant aux coups de poing ils ajoutent un côté voyou au personnage. Il faut un peu d'apprentissage pour les donner en spectacle. Ils sont ensuite assez faciles à placer avec des armes courtes comme des sabres d'abordage (je reviens là encore sur les pirates).
Une autre remarque : au corps à corps il faut mettre beaucoup d'intention pour y croire. Dans la réalité vous n'avez pas besoin de beaucoup d'énergie pour enfoncer la pointe d'une rapière, en revanche il faut en mettre dans un coup de poing pour qu'il fasse mal ou pour qu'un coup de pied vous repousse. Il faut qu'on y croie, il faut de l'implication, la violence du truc doit transparaître ! Je vois trop de combat où l'on se repousse négligemment, sans énergie, il faut que le public y croie (sauf en cas de combat comique où vous pouvez aussi exagérer le coup). C'est finalement peut-être le plus difficile pour le corps à corps. Enfin essayez tant que possible de placer des coups à peu près compatibles avec l'époque. Vous pourrez placer un coup de pied de boxe française à la tête dans le cadre d'un combat de la Belle Époque, si vous êtes au Moyen-Âge évitez et tapez plus bas, cela jurera un peu...
Le célèbre coup de pied dans le traité d'escrime de Hans Talhoffer n'est pas très difficile à placer. |
Le corps à corps c'est spectaculaire
Dans un combat du Moyen-Âge ou de la Renaissance, le corps à corps rajoute un plus technique, de la variation dans les positions des corps et également de l'engagement physique. On l'a dit, il fallait du courage pour aller vers les techniques du jeu court et cela rajoute à l'aspect violent du combat, cela le rend plus vrai. On a du combat, pas une démonstration d'escrime, on utilise toutes les parties de l'épée et du corps pour tuer et ne pas être tué !
Dans un combat d'une époque plus tardive cet aspect est encore renforcé. Si l'on commence à l'épée de cour et que l'on termine en s'empoignant c'est que le vernis de civilisation s'est effacé et que la sauvagerie primale a pris le dessus. Le corps à corps rajoute un côté voyou au personnage, assez logique quand il s'agit d'un soldat ou d'un marin mais pour un noble c'est une sorte de transgression des règles. On a alors à faire à un personnage qui, soit n'a pas de sens de l'honneur et est prêt à "tricher" pour gagner, soit il s'agit d'un personnage désespéré qui tente tout.
Concernant les techniques à mettre en œuvre n'oubliez pas la distance du spectateur. Un combat de lutte subtil avec des tentatives de clefs et leur contre ne sera pas vu par le public sauf si il est filmé de très près. En revanche usez sans problème des projections, ou immobilisations, des clefs avec grand déplacements du bras et autres désarmements. Pour les coups de pieds n'hésitez pas à projeter l'adversaire, et si il a deux ou trois notions de cascade cela peut être encore mieux.
En épée longue on trouve toujours de nombreuses techniques de corps à corps très visuelle. Paulus Hector Mair (années 1540) |
Le corps à corps il ne faut pas en abuser
Je vais ici tempérer mon propos. Tout d'abord certains combats ne devraient JAMAIS avoir de corps à corps au sein de leur chorégraphie. Si vous faites un combat de hauts nobles espagnols rivalisant de finesse, de dextérité et de technique en s'affrontant selon les principes de la Verderada Destreza vous pouvez oublier tout de suite ces manières de roturiers. Dans un duel d'honneur du XVIIème au XIXème siècle en Europe de l'ouest c'est même carrément s'exposer au déshonneur ! Il en va de même pour tous les combats que vous voulez élégants et raffinés, du corps à corps les dénaturerait, les rendrait moins beaux. D'une manière générale il faut être prudent pour tous les combats concernant l'épée de côté, la rapière ou l'épée de cour, si l'on y ajouter du corps à corps c'est parce que cela va bien avec le caractère de l'un des personnage (ou des deux) ou parce qu'on finit par se battre comme des sauvages.
Duel extrait de la série Sharpe's Honour qui joue de l'utilisation du corps à corps dans un duel d'honneur
Mais même sur les combats où le corps à corps est plus logique et légitime il ne faut pas en abuser. Les gens viennent voir un spectacle d'escrime, ils veulent voir des gens se battre avec des armes, pas à mains nues. C'est une tendance actuelle de beaucoup de films ou séries : les deux protagonistes se font face, chacun tenant son arme, ils échangent deux ou trois coups et tout le reste du combat se déroule au corps à corps. C'est probablement dû à un manque de formation en escrime des acteurs ou des cascadeurs disponibles mais je suis toujours extrêmement frustré. on me promet un combat à l'épée/la hache/le bouclier et je me retrouve avec du pugilat comme dans des centaines d'autres films ! Ne versez donc pas dans ce travers, sachez doser vos phases de corps à corps pour qu'elles apportent au combat armé mais ne le remplacent pas. Au final tout est toujours une question de mesure...
Bien dosés, bien pensez, les techniques de corps à corps peuvent être un véritable atout pour un combat, pas trop compliquées à mettre en place et qui rajoutent du spectacle. Pour finir je vous laisse avec ce combat comique mais engagé de Mishael Lopes Cardozo :
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