L'escrime de spectacle est très ancienne, au moins dans la Rome antique on présentait des scènes de combat reconstituant les grandes batailles de la République et de l'Empire et les combats d'exhibition plus ou moins chorégraphiés sont prisés depuis longtemps. De même, le théâtre met en scène des combats depuis ses débuts ou presque. Cependant le XXème siècle a l'avantage de nous avoir laissé des traces filmées de ces combats ce qui n'est pas le cas avant. Nous n'avons en vérité aucune idée de la façon dont était réglé le duel d'Hamlet par Shakespeare ou le celui du Cid par Corneille [Edit : on me précise en commentaire qu'il n'y a pas de duel sur scène dans Le Cid, cela étant interdit au théâtre à l'époque. Au temps pour moi]... En revanche nous avons des films et même un peu de théâtre filmé pour les débuts du XXème siècle. Nous allons donc nous efforcer ici de comprendre comment s'est constituée l'escrime de spectacle, d'où elle vient, et ce qui explique donc sa forme actuelle.
Cet article vient compléter deux articles assez récents sur des sujets proches. Celui de Michaël Müller-Hewer sur les origines de l'escrime de taille dans l'escrime artistique et de spectacle et celui d'Adrien Garcia sur l'escrime au cinéma qui s'attache beaucoup au rapport avec la technique cinématographique.
Cet article vient compléter deux articles assez récents sur des sujets proches. Celui de Michaël Müller-Hewer sur les origines de l'escrime de taille dans l'escrime artistique et de spectacle et celui d'Adrien Garcia sur l'escrime au cinéma qui s'attache beaucoup au rapport avec la technique cinématographique.
En contraste avec mes autres articles, celui-ci fera une utilisation abusive des vidéos qui ne seront pas là pour illustrer mais serviront de base à mon propos.
Le Signe de Zorro - 1920 |
Le sabre comme base
Une bonne partie de l'escrime de spectacle des débuts est très clairement inspirée de l'escrime au sabre. Attention, il s'agit de la façon dont on pratiquait le sabre à l'époque, une technique encore très inspirée du sabre militaire, assez statique avec force parades, ripostes et contre-ripostes. Vous pouvez en juger avec ces vidéos d’époque (qui pourtant évoquent même une évolution !)
Sabre en 1906 et 1926
Sabre aux Jeux Olympiques de 1936
Pour information le sabre actuellement ça ressemble plus à ça :
Lorsqu'on regarde les vidéos des combats de Zorro de 1920 et 1940 la parenté est frappante. On a affaire ni plus ni moins à un combat de sabre de l'époque avec un peu de chorégraphie, quelques gammes regrettables pour meubler mais de belles attaques et ripostes martiales.
Le signe de Zorro (The Mark of Zorro) de Fred Niblo avec Douglas Fairbanks (1920), premier film à engager un maître d'armes pour régler les combats :
Le remake de 1940 du signe de Zorro (The Mark of Zorro) de Rouben Mamoulian avec Tyrone Power, un superbe combat malgré quelques gammes dispensables.
Je pourrais montrer d'autres combats au sabre (moins beaux) mais dans tous ceux-ci il est clair qu'à l'époque on fait plus que s'inspirer de ce qui se fait dans les salles d'armes.
L'épée comme base
Mais le sabre n'est pas la seule base, au moins des débuts de l'escrime de spectacle, l'épée en est une autre. Rappelons qu'avant 1914 on se bat encore en duel en France et en Italie. Certes ces duels concernent surtout les milieux de la politique et du journalisme mais aussi du théâtre ! Il ne s'agit plus de duels à mort mais au premier sang, généralement une estafilade sur le bras en prenant bien soin d'avoir une lame désinfectée... Mais il s'agit néanmoins d'une expérience éprouvante où l'on se met en danger ! L'escrime à l'épée prépare à ce type de duel et d'ailleurs à l'époque les compétitions à l'épée se faisaient en une seule touche (c'est encore le cas au pentathlon moderne). Pour les duels à la rapière les régleurs de combat de l'époque se sont abondamment servit de leur technique d'épée, d'où toutes les petites touches que l'on voit préparant la fente.
L'un des duels de Léon Blum (l'homme au chapeau) contre Pierre Weber en 1912 :
Duel de Charles Maurras (le petit) contre Paul de Cassagnac en 1912 :
Escrime aux Jeux olympiques de 1912 :
Sarah Bernhard dans le duel d'Hamlet en 1899 :
Le Comte de Monte Cristo (The Count of Monte Cristo) réalisé par Rowland V. Lee en 1934
Les trois mousquetaires (The Three Musketeers) de Rowland V. Lee et Otto Brower en 1935
Mélanger épée et sabre
Pour les armes plus anciennes pouvant frapper d'estoc et de taille les maîtres d'armes ont improvisé et mélangé des techniques de sabre et d'épée pour tenter de simuler la rapière. Notons qu'à l'époque l'accès aux traités d'escrime était infiniment plus compliqué qu'aujourd'hui (où grâce à la numérisation et internet, n'importe qui peut les lire et les étudier). Alfred Hutton avait bien fait déjà tout un travail de recherche et d'édition à la fin du XIXème siècle mais, après sa mort, celui-ci avait en grande partie été oublié. Cela donne donc des choses un peu bizarres...
Captain Blood de Michael Curtiz, avec Errol Flynn en 1935
The Black Pirate d'Albert Parker avec Douglas Fairbanks en 1926
Notons également à l'époque le travail de Pierre [d'Albert] Lacaze sur l'épée-dague dont il voulait faire la quatrième arme de l'escrime.
Et l'escrime médiévale dans tout ça ?
La dernière école d'escrime enseignant l'épée longue ayant fermé au début du XVIIIème siècle en terre germanique, les techniques d'épée longue étaient à l'époque complètement inconnues des maîtres d'armes.
Là aussi ils ont improvisé et on a donc un mélange de sabre, d'épée et de n'importe quoi...Invahoe (1913) par Herbert Brenon : on fait du sabre sportif sans se soucier des armures ni même des boucliers..
Les aventures de Robin des bois (Robin Hood) par Michael Curtiz en 1938, avec encore Errol Flynn.
Et après ?
L'escrime de spectacle a évolué à partir de ces bases, utilisant de plus en plus les coups de taille au détriment de l'estoc mais, surtout en se détachant de plus en plus de ses bases sportives... et martiales.
Et c'est bien là le reproche que je pourrais lui faire. Elle a en grande partie perdu son lien avec une escrime véritable, efficace....
À l'heure où l'on redécouvre depuis dix ou vingt ans les traités anciens, où des groupes se développent pour les étudier un peu partout dans le Monde, peut-on encore continuer à en être totalement détachés ? Le combat à mains nues s'inspire presque toujours de techniques existantes, pourquoi le combat à l'épée devrait-il en être détaché ?
Les anciens faisaient de l'escrime, avec leurs connaissances de l'époque, mais ils tâchaient de présenter quelque-chose de crédible martialement. Pourquoi vouloir détacher l'escrime artistique ou de spectacle de la réalité d'un combat armé alors que nous avons tous les moyens de l'y rattacher ?
À l'heure où l'on redécouvre depuis dix ou vingt ans les traités anciens, où des groupes se développent pour les étudier un peu partout dans le Monde, peut-on encore continuer à en être totalement détachés ? Le combat à mains nues s'inspire presque toujours de techniques existantes, pourquoi le combat à l'épée devrait-il en être détaché ?
Les anciens faisaient de l'escrime, avec leurs connaissances de l'époque, mais ils tâchaient de présenter quelque-chose de crédible martialement. Pourquoi vouloir détacher l'escrime artistique ou de spectacle de la réalité d'un combat armé alors que nous avons tous les moyens de l'y rattacher ?
Bonjour, une petite précision concernant le début de votre article, lorsque vous parlez de l'escrime au théâtre, qui aurait existé depuis les origines. Il faut bien faire la différence entre les différents pays. Puisque vous citez LE CID, il faut bien noter que le duel n'est pas présent dans la pièce (les 2 protagonistes sortent de scène pour se battre). Et pour cause, il était interdit en France jusqu'à la révolution de montrer des duels sur scène. Cela pour ne pas inciter à la pratique du duel, qui était interdit (même et surtout parce qu'il était abondamment pratiqué). Il y a même une pièce de Michel Sedaine au XVIIIème siècle autour de ce sujet : Le Duel, ou le philosophe sans le savoir. A la différence de l'Angleterre, où Shakespeare peut représenter ses duels sur scène. Pour le reste, il est intéressant de relire les ouvrages de Dubois. Il y parle déjà des sources historiques. Mais il est vrai que l'on reste souvent perplexe au vu de certaines séquences filmées.
RépondreSupprimerCordialement
Au temps pour moi, j'aurais du relire Le Cid ! Merci de ces précisions, j'ai édité l'article en conséquence.
SupprimerUne autre petite correction: Dague- rapière, ce n'était pas Pierre, mais son père Albert Lacaze ...
RépondreSupprimerMerci, je corrige également.
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