samedi 23 mai 2020

Armes insolites : le biscaïen et autres fléaux improvisés

Récemment, Alaric de Capcir qui tient la chaîne Les arts martiaux français a fait paraître une vidéo (voir en fin d'article) traitant du biscaïen, une sorte de fléau artisanal employé, notamment sur les navires et enseigné par les maître de savate et de bâton du XIXe siècle. Si vous connaissez mon goût pour les armes insolites vous imaginez bien que ma curiosité a été immédiatement piquée et que j'ai donc décidé d'en faire un article.

On commencera évidemment par analyser ce que cette arme, ou plutôt cette famille d'armes ainsi que son maniement. Puis nous nous intéresserons ensuite à son utilité martiale et tactique mais, surtout, à ce que nous pouvons en faire dans le cadre d'un spectacle d'escrime.

Cette arme (détail), qui apparaît sur une gravure  pour la salle du 21 rue des Moineaux serait le fameux Biscaïen
(la gravure est reproduite dans l'ouvrage de Michel Delahaye Savate, chausson et boxe française d'hier et d'aujourd'hui - 1994)

Le biscaïen, un fléau d'arme artisanal

Dans la vidéo Alaric du Capcir laisse la parole à SuperFab et Ludwig qui ont tous deux effectués des recherches sur le biscaïen. Tous deux en arrivent à la conclusion que d'un fusil de rempart (lourd donc), le mot en est arrivé à désigner la munition puis, dans l'argot, n'importe quelle munition. Le Biscaïen serait donc cette balle de plomb lourde "estropée" (ceinte d'un cordage) dans un "poing de singe", un nœud de marine permettant de fabriquer une "pomme de touline". Cette dernière est formée normalement autour de chiffon ou d'étoupe autour de laquelle on fait le "poing de singe", elle sert à lester l'extrémité d'une corde d’amarrage pour mieux lancer celle-ci. Le biscaïen serait donc un détournement de cette pomme de touline en estropant à l'intérieur une balle de plomb et au lieu d'un chiffon. Pour améliorer l'arme on peut la fixer au bout d'un bâton et en faire un fléau.

Dans cette dernière hypothèse il faut veiller à ce que la longueur de corde soit plus courte que la longueur du bâton et permette un maniement à deux mains sans risquer de se prendre la balle sur les mains ou les avants-bras. C'est d'ailleurs le principal risque avec la version sans bâton, potentiellement, si la corde est plus longue que les bras, on peut se la mettre dans la tête en retour de frappe. Le fait d'utiliser un bâton permet un maniement beaucoup plus sécurisé. Idéalement on placera une marque indiquant l'endroit à ne pas dépasser pour le positionnement de la main la plus haute. Pour ce qui est de la taille de l'arme on peut se baser sur l'étude réalisée par Canne et Bâton Dijon sur le fléau agraire. Afin de pouvoir réaliser correctement les moulinets l'arme devrait mesurer en tout (bâton + corde + nœud) entre 1m20 et 1m80, à ajuster en fonction de la taille de la personne qui manie l'arme. La partie mobile (corde + boule) devrait quant à elle faire au moins 30cm de long.


Pomme de touline sur Wikimedia Commons

Un membre d'une grande famille d'armes paysannes

Le biscaïen s'appelle ainsi au XIXe siècle, il est tout à fait possible qu'il ait eu un autre nom précédemment. C'est plutôt une arme utilisée sur les navires mais elle s'inscrit dans une longue lignée d'armes improvisées, chez les paysans notamment. Son maniement est souvent cité conjointement au bâton brisé, fléau brisé, au martinet ou au fléau à grain. Toutes ces traditions ont été conservées dans la savate-boxe française en étant associées au maniement du bâton à deux bouts puis du bâton de Joinville. Ces deux méthodes (on retrouve le bâton à deux bouts au moins au XVIIe siècle), plus ou moins parentes, nous enseignent, entre autre l'art de faire faire des moulinets au bâton et de lui garder un mouvement ininterrompu. C'est cette technique qui permet de manier facilement le biscaïen et les autres armes articulées quand on est formé au bâton à deux bout ou au bâton de Joinville.


La Rose couverte, un enchaînement de moulinets présentés par Roger Pozzi enseignant au Cercle d'armes du Dauphiné
L'arme permet de maintenir un très grand espace autour de soi et, du fait qu'il s'agit d'une arme articulée, elle est très difficile à parer avec des sabres ou des fusils à baïonnette, les principales armes utilisées sur les navires (avec la hache d'abordage). Au mieux on réussira à enrouler la corde sur son arme, neutralisant ainsi l'adversaire... à condition de ne pas se prendre quand même la balle de plomb estoupée ! Si l'on avance directement vers celui qui manie l'arme comme on le ferait façon à un bâton et que l'on en vient à parer la partie bâton c'est encore pire car on est alors presque assuré d'être blessé par la pomme de touline. Face à un fléau brisé, Pierre Jacques Girard recommande de neutraliser l'arme en jetant simplement son vêtement dessus (voir la technique à la fin de cet article). Plus anciennement encore, Michael Hundt dans son traité Ein new Kůnstliches Fechtbuch im Rappier (1611) recommande, face à un fléau, d'enrouler son vêtement autour du bras gauche et d'éviter un coup horizontal en se jetant sous l'arme d'une fente et en attrapant le fléau.

La technique présentée dans le Traité de la perfection sur fait des armes de P.J. Girard (1736)

La technique de rapière contre le fléau d'armes des sergents de ville par Michael Hundt (1611)
Scan : Herzog August Bibliothek

L'arme idéale contre plusieurs adversaires

Concernant l'emploi tactique de cette arme, on constate que, bien qu'elle soit une arme navale, elle demande un certain espace pour être maniée. C'est, de plus, une arme capable de tenir à distance des ennemis en supériorité numérique et de faire le vide autour d'elle, rendant son porteur difficile à attaquer. Cela fait penser à une autre arme qui était également employée sur les navires, quelques siècles auparavant, au XVIe siècle notamment : la grande épée à deux mains et spécifiquement la Montante. Je ne peux d'ailleurs que vous inviter à lire l'article qui lui est consacré sur ce blog. En 1537, dans son Espejo de Navegantes, l'Espagnol Alonso de Chaves conseillait pour l'abordage l'emploi d'infanterie lourde, de boucliers mais aussi de montante. On imagine que l'usage est ici le même : contenir des adversaires plus nombreux ou les faire reculer. Celui qui manie le biscaïen ne passe pas son temps à faire continuellement des moulinets, ils ne commence ceux-ci que lorsque les ennemis s'approchent et menacent.


Si l'on lit le Lieutenant Pringle Green (voir cet article), bien plus tardif, on s'aperçoit que des tactiques d'abordage parfois très sophistiquées existaient. c'est également ce qui apparaît dans les mémoires de corsaires comme Duguay-Trouin ou Jean Doublet. Le champ de bataille que constituent les deux navires n'est pas forcément intégralement empli de troupes serrées et nombreuses et l'on peut évidemment contourner l'adversaire, le prendre de flanc, prendre des canons et les retourner etc. Dans toutes ces circonstances, quelques marins courageux armés de biscaïens peuvent tout à fait dissuader, pour un temps du moins, les ennemis de contourner un flanc ou de s'approcher de pièces d'artillerie, ou, pourquoi pas, du capitaine. C'est tout l'intérêt de ce genre d'armes impressionnantes et la montante ne devait pas servir à autre chose à l'époque. De même, dans les coups de mains qui sont tout aussi fréquents chez les corsaires menant de petites embarcations (comme celles des flibustiers et de la majorité des pirates), la possibilité de contrôler des ennemis plus nombreux est très appréciable en attendant les renforts ou que ses compagnons aient fait ce qu'ils avaient à faire. Si l'on va vers des époques plus récentes, on peut aussi facilement l'imaginer manié dans un port, la nuit, lors d'un mauvais coup.

Ces deux images illustrent certaines possibilités tactiques lors de l'abordage.
Lt Pringle Green :  Instructions on training ship’s crews to the use of arms (1912)
© National Maritime Museum, Greenwich, London.

Le biscaïen, un certain potentiel scénique

On esquisse là déjà des scénarios pour l'escrime de spectacle mettant en scène le monde maritime. On voit tout de suite qu'il s'agit d'une arme propice aux combats de groupe et même de groupes relativement nombreux. Cependant même à trois, à deux contre un, l'arme reste intéressante par l'aspect impressionnant de ses moulinets et la difficulté à la gérer pour les adversaires. En revanche elle offre une très faible diversité de coups et peut assez vite ennuyer le spectateur. Donc, à moins d'un combat court (mais au Fracas des lames nous préférons toujours un combat court et intense à un combat long et ennuyant), il vous faudra prévoir que le biscaïen ne soit qu'un passage au sein d'un chorégraphie. Il faudra donc trouver un moyen de le vaincre, ou du moins de le désarmer. La manière la plus simple peut être de lui régler son sort d'un coup de pistolet (cela fonctionne bien, nous avons tous vu Indiana Jones le faire). On peut aussi le tuer à coup de pique d'abordage ou de fusil à baïonnette en prenant le bon temps d'escrime ou en profitant qu'il s'occupe d'un autre adversaire. Un ennemi peut également se sacrifier et se faire blesser à la poitrine ou au dos (en portant, de préférence, des protections dissimulées) pendant que son camarade en profite... Si l'on est peu nombreux sur scène il faudra qu'il survive encore un peu pour se battre au sabre ou au poignard dans un combat plus classique.

Dans cette situation un biscaïen serait très utile !
image tirée du jeu Assassin's Creed Black flag - Le prix de la liberté édité par Ubisoft
On pourrait voir les mêmes scénarios avec des fléaux agraires et autres fléaux brisés mettant en scène des paysans ou des brigands. Cependant le biscaïen a l'avantage, pour l'escrime de spectacle, de pouvoir être plus facilement sécurisé en remplaçant la balle de plomb par une balle de mousse. Les cordages dans laquelle elle est estropée masqueront habilement qu'elle n'est pas en métal et l'on obtient ainsi une arme de scène bien moins dangereuse que l'originale et même que ses cousines agraires en bois. Pour plus de contrôle il est conseillé de monter le biscaïen sur un bâton, cela en facilitera le maniement et la précision. Toutefois n'oublions pas que les cordages peuvent en eux-même faire déjà très mal et qu'il s'agit d'une arme à manier avec précaution, d'autant plus qu'une fois lancée, on ne peut pas l'arrêter. Si elle ne vous enverra probablement pas aux urgences ou à la morgue si elle vous touche, elle risque quand même de vous faire très mal, surtout si c'est la tête qui est touchée. Mais c'est aussi le risque de nombreuses armes bluntées que nous utilisons très régulièrement dans nos chorégraphies....

On prendra donc soin de la faire manier par un escrimeur, ou mieux, un bâtonniste avec une certaine expérience et, surtout, un bon sens des distances. Il en va de même si l'on veut la faire s'enrouler sur un sabre ou une pique sans se prendre un coup ou profiter du bon temps d'escrime pour attaquer. De par son côté plus difficile à contrôler, l'importance du jeu de distances pour les esquives des adversaires, je la déconseille à des débutants ou même face à eux. Enfin notons que si l'on veut aller à la touche pour des raisons scénaristiques, on recommandera de toucher la poitrine ou le dos et de porter des protections dissimulées (une redingote du XVIIIe ou du XIXe siècle les cachera facilement).


***

Pour conclure nous avons là une arme assez exotique et facile à fabriquer soi-même qui peut impressionner si on la sort dans un spectacle d'escrime. Elle peut cependant être un peu lassante à force et est à manier avec précaution. Néanmoins elle trouvera peut-être grâce à vos yeux et illustrera un combat de pirates, un coup de main de corsaires voire une bagarre dans un port au XIXe siècle !

Notons que, dans l'espace allemand, du XVe au XVIIe siècle on trouve de temps en temps quelques techniques de maniement du fléau plus élaborées. Il s'agissait de l'arme des sergents de villes, probablement pour les mêmes raisons que notre biscaïen : la capacité à contrôler de nombreux adversaires et à les faire reculer. Cependant ces traités sont très éloignés autant dans le temps que dans l'espace, de plus, la biscaïen est très clairement relié aux traditions du bâton français. Mais cela peut toujours être une piste pour varier les techniques.


 La vidéo de la chaîne Les arts martiaux français

samedi 16 mai 2020

Pourquoi mettre en scène l'escrime ancienne n'est pas si compliqué.

Nan parce que ceux qui pensent qu'un zwerch c'est trop technique n'ont pas assez analysé le huit. 

Baron de Sigognac, les rechutes éthyliques. 

Hé ! ... C'est pas que c'est le sujet, mais on est pas très crédible, en fait. 


Bonjour à tous, ici le Baron de Sigognac pour un nouvel article...mhhh... techninounet. 

En ces temps moroses il est bon de se réunir, de nous rassembler autour de valeurs fortes, communes, universelles. 
Alors, aujourd'hui, parlons. Parlons d'un sujet rassembleur, simple, léger, qui évitera moults palabres et discussions compliquées.
Aujourd'hui...
L'escrime ancienne.

Nan sérieux ! Vous m'avez cru ? 

Enfin, plutôt la manière d'en user sur scène ; la reproduire. 

Si vous nous suivez depuis plusieurs articles, sa définition et ses avantages pour la crédibilité de vos combats ont déjà été suffisamment exposés. Tout comme l’intérêt des AMHE et de leur travail. Je vous dirigerais bien vers un article, mais vous pouvez tous les lire alors, lisez les tous. Oui c'est bien ça. Lisez-nous. Lisez tout. 
Au passage, je tenais à insister sur notre position qui nous semble, le Capitaine et moi, parfois incomprise. Ce qui sans être grave mérite la répétition : 
Nous ne prétendons pas que vous devez mettre des techniques "réalistes" dans vos combats. Ni que ces derniers doivent être crédibles ou que faire une chorégraphie conforme au canon des années 50-60 soit de la mauvaise qualité. 

Notre raisonnement se fonde simplement sur les principes suivants : 


  • Ma démarche scénique rend une chorégraphie "réaliste" inutile ou contre-productif ? 
    • Je ne crée pas une chorégraphie "réaliste". 
  • Ma démarche scénique la rend utile ? 
    • Je crée une chorégraphie "réaliste". 
  • J'ai un doute sur ma démarche scénique ou le besoin d'user de techniques plus réalistes ? 
    • Il vaut mieux commencer à créer une chorégraphie "réaliste". Le temps d'y voir plus clair. 

La démarche scénique se construisant elle même selon vos désirs artistiques, ceux des autres acteurs qui gravitent autour du projet et les moyens à votre dispositions. 
Ainsi, avec les même principes directeurs, elle ne sera pas la même au cinéma qu'au théâtre etc... 

Ce qui a une incidence sur le geste, discipline corporelle oblige. Et c'est bien là tout le cœur du problème. 

L'escrime de scène a cette capacité pour une même action d'offrir diverses expressions corporelles. On a beau dire qu'il n'existe pas 36000 manières d'attaquer à la tête, dans les faits scéniques...
Une réalité liée intrinsèquement à son essence créative. Le geste suit un but créatif et les règles qui s'en découlent. 

La plus commune de toutes étant la sécurité. 
Une technique ancienne, jugée efficace, ne peut être prise telle quelle dans sa conception martiale ou sportive. Elle se doit d'être neutralisée, modifiée. Par la cible : ne pas viser jugulaire ou le visage avec une punta reversi, arrêter la lame avant de toucher la cible... Par le rythme et la coordination : éviter de prendre le camarade de vitesse, annonce à travers l'armé...Par l'espace du mouvement : taille, entaille, large, court...
Je pense ne rien apprendre aux pratiquants. 

Bref, le geste scénique dénature le martial quels que soit nos efforts. User de l'escrime ancienne sur scène c'est accepter de la dénaturer. Et ce n'est pas grave : nous ne faisons pas acte d'AMHE. 
Cela amène d'ailleurs un premier filtre qui va bannir des techniques trop dangereuses ou trop difficiles à neutraliser ; objectivement plus rares que certains veulent bien le crier. 
Par la suite, notre volonté scénique continuera cette dénaturation, ce qui n'est toujours pas péjoratif, pour atteindre l'expression voulue. Au point, parfois, de rendre l'action initiale méconnaissable. Juste scéniquement, mais méconnaissable. Voire la considérer comme inutile, au final, et en choisir une autre. 


Petit ange technique parti trop tôt

C'est en ce sens que, dans le doute, partir du réel peut aider. Conserver au maximum les caractéristiques et la logique d'une action aide à cerner nos désirs. 



Toutefois, il est délicat de dénaturer, adapter une technique, si  nous discernons mal sa composition. Et tant bien même nous l'aurions, nous devons pouvoir l'expliquer aux autres. Ne serait-ce qu'à son partenaire. Or, c'est là que trop souvent, devant ce challenge de compréhension, de transmission et de création, un mur se dresse. "L'escrime ancienne, mais mon bon monsieur, c'est trop technique, trop compliqué. Bien trop dangereux pour un débutant. Non tout ceci est ridicule. Faisons et restons comme nous l'avons toujours fait. A grands coups de voltes, gammes et larges couronnés. Ou alors à petite dose, hein. Après un huit tient". ( cf : Sus aux gammes ! )

Bon, je caricature à l'excès, j'avoue. En réalité ces positions et ces craintes sont parfaitement compréhensibles. Mais laissez moi vous défendre le contraire : défendre que l'escrime ancienne sur scène, ce n'est pas si compliqué. Que nous pouvons tous, à n'importe quelle niveau la pratiquer et comment. D'autant que nous ne sommes pas démunis d'outils : des sources abondantes, dont mon collègue vous fait souvent l'éloges, traités, traductions, commentaires, vidéos, démonstrations et, malgré ses défauts, un langage commun pour pouvoir communiquer : notre lexique. Je passe sur les autres atouts dont nous disposons. 

Certes, en ce qui concerne l'escrime médiévale, nous pourrions rétorquer que ses systèmes de pensée étaient trop différents. Qu'user du lexique sans s'appuyer sur l'étude des traités entraîne des incompréhensions. On ne peut plus vrai, si on essayait de partir directement des dits traités. Or, nous tirons davantage nos idées des démonstrations filmés par ceux qui les ont déjà étudié ou adaptés. Cela ne doit pas vous empêcher d'aller vous-mêmes à la source ceci dit. Il ressort, en tout état de cause, que le lexique semble suffisant pour saisir l’enchaînement des actions. Il y aura une dénaturation, un biais, mais, comme précisé, ce n'est pas grave. Au pire, j'ai confiance en votre intelligence si cela le devenait.

Naturellement, comprendre intellectuellement le geste ne suffit pas à le reproduire. Corps et esprit s'influencent, mais ne se remplacent pas. Ce qui interroge de nouveau sur les procédés possibles : Comment faire ? Selon quelle(s) méthodologie(s) ? Quels avantages ? Quels inconvénients ? A moins d'avoir la science et l'instinct infus, progresser sans un minimum de méthode devient vite compliqué. Ne serait ce que pour mieux en dévier. Une affaire qui n'incombe pas qu'aux enseignants et tant bien même, pouvoir seconder à cette tâche demeure intéressant. Au besoin, imaginez que le prof soit parti ou que vous soyez mis en autonomie.

Spoiler : ça arrive plus souvent que vous ne le pensez. 

Heureusement, les possibilités sont nombreuses et permettent diverses approches. De quoi contenter tout le monde. En ce sens, au fil des années, plusieurs ont pu trouver grâce à mes yeux, être adaptées, combinées, modifiées au fil de mes réflexions et des besoins qui les motivaient. Réflexions dont je tenais à partager un aspect autour du procédé de simplification des techniques. Soit :

Déconstruire pour mieux construire. 

Au delà de l'aspect nihiliste du propos se cache le principe cardinal de ce qui vous est proposé : simplifier une technique, un enchaînement, jusqu'à atteindre un stade de difficulté où vous vous sentez à l'aise. Ce à fin de pouvoir ensuite retourner progressivement à son degré de complexité réelle. 

Une position très proche de mon dernier article "A travers le débutant et l'urgence : l'art de mettre en confiance." où pour amener au plus vite un débutant à assimiler des techniques censés ne pas lui être destinés, ce au plus vite, nous commencions le plus simplement possible. Une position  qui en reprends donc les principes, dont ceux qui découlent du schéma ci-dessous. 

Au risque de me répéter, lisez l'article précédent si vous voulez tout comprendre. 

Néanmoins, le sujet d'aujourd'hui va nous permettre d'aller plus dans le détail. Mon article précédent partait du postulat que notre partenaire était un débutant. Or, ce n'est, bien sûr, pas toujours le cas. Que ce soit en terme de niveau tout comme en nombre. De quoi adopter une vision plus générale que le schéma ci dessous essayera de rendre explicite. 


j'aime les schémas.
        
Sur la zone de confort :

Elle représente l'ensemble des actions où chaque partenaire, qu'importe son niveau, se sentira à l'aise. Nous pouvons commencer un acte de création aux niveaux les plus bas. Cependant, si vous êtes à l'aise avec davantage de complexité rien ne vous empêche de commencer plus haut. Vous en éprouverez souvent l'envie d'ailleurs, ne serait ce que pour gagner du temps. Cela n'est possible, en revanche, que si vous ne dépassez pas les capacités du plus "faible" d'entre vous, débutant ou non. Ce que je nomme, faute de plus claquant, le niveau de départ maximum. 

Quant à savoir s'il est pertinent de commencer à la limite ou en dessous, dans quelles circonstances, je propose de laisser ça à d'autres discussions.

Lorsque vous décidez d'intégrer une technique ancienne, adaptée pour la scène et, par conséquent, neutralisée, un niveau d'escrime plus ou moins élevé s'avère requis. Niveau à la fois objectif, mais aussi subjectif : nous avons tous nos facilités et inversement ; un débutant qui comprend instinctivement l'attaque composée ( vécu ) , un confirmé qui a du mal avec les voltes... 
Cependant, bien que de façons imparfait, estimer ce niveau permet de placer la technique, et l'objectif qu'il représente, sur notre schéma. 



A titre d'exemple.


Dans notre cas, la technique ne poserait pas de soucis particuliers au plus fort du groupe. En revanche, les partenaires le plus faible et intermédiaire auraient du mal à l'exécuter tel quelle sans une phase préparatoire. A savoir, simplifier la technique, la déconstruire afin d'atteindre une / des actions, des formes, conformes aux capacités de tous. 



Ce qui peut demander plus ou moins de travail.



Remarque : nous pourrions nuancer si la technique ne concernait, dans le cas d'un trio, que le partenaire le plus fort et l'intermédiaire. Déconstruire jusqu'au niveau de ce dernier pourrait fonctionner. Une exception qui mérite d'être discuter avec ses pour et ses contre. Nous y reviendrons. 

Ainsi, et selon les mêmes principes qu'avec la mise en confiance d'un débutant, nous déconstruisons une technique pour une version plus simplifiée. Ce que nous résumerons ainsi : 


La forme brute étant la technique ou l’enchaînement neutralisé.


Une forme simplifiée qui va servir de base pour retrouver progressivement la technique de départ ou, du moins, une version stylisée de cette dernière. Ce qui nous bascule dans une phase de (re)construction. Phase dont le produit final sera une forme travaillée de la technique ou l’enchaînement initial :






Toutefois, nous réserverons l'étude de cette phase pour notre prochain article. Ce afin de nous consacrer à la déconstruction, seule. L'article deviendrait trop long sinon.
D'autant, qu'il  reste à voir comment goupiller une déconstruction dans les faits

Déconstruisez oui, mais tout en réalité. 


Pour cela, nous aurons besoin d'un peu de matière. La nostalgie m'habitant, je prendrai un enchaînement proposé par Gladiatores sur la vidéo suivante : 



Je vous met la vidéo en entier dont il est issue.

De 2'29 à 2'34, Gladiatores continue de faire évoluer un enchaînement à l'épée longue. Selon notre lexique (sportif comme artistique) nous pourrions noter la phrase d'armes comme, pour l'escrimeur de droite, une feinte de brisé côté non armé (feinte de zornhau) suivie, à gauche, d'une contre attaque figure armée parée de tierce haute et terminée d'une reprise et mise en menace d'estoc en coulé.

Remarque : si on regarde attentivement, l'estoc en coulé ressemble davantage à une reprise à la nuque du faux tranchant, en coulé. Mais, à mon sens, il s'agit davantage d'une neutralisation de la technique. Ce qui livre d'ailleurs un exemple sur le sujet. 

La première étape consisterait à neutraliser la technique. Ici, les escrimeurs nous mâchent le travail, mais dans le cadre d'une démonstration technique avec protection, des touches auraient été probablement portées. Impossible en artistique, sauf dans les cas de mise à mort et blessure, mais même ici, nos règles sont contraire à l'usage de la technique tel quelle : Mercutio a beau mourir tout les soirs, chaque soir il monte sur scène pour mourir.
Ceci fait, il faudrait établir de quelles gestes, mouvements chaque action est construite. Comme cela prendrait trop de place, je vous met en guise de rappel ma décomposition d'une attaque simple à la tête, lors de mon précédent article. Le procédé étant le même :



Remarque : décomposer une action sur le papier peut vous aider à maîtriser l'exercice, mais l'idéal serait que cela devienne une gymnastique mentale. 

Ceci fait, un point de l’enchaînement de Gladiatores peut déjà retenir notre attention : la présence d'une feinte suivie d'une contre attaque. Si on considérait la phrase d'armes du point de vue d'une discussion, nous aurions un locuteur qui poserait une question piège à son interlocuteur. Dans l'espoir d'obtenir la réponse voulue. Et nous aurions aussi, un interlocuteur qui, au lieu de répondre, couperait la question en train de lui être posée par sa propre question. Si vous faites ou avez fait du théâtre, le rythme de ces échanges n'est pas à prendre à la légère. Il en va de même pour l'escrime de scène. 

La contre attaque devra s'enclencher  au plus tard à la fin de la feinte, du temps d'escrime. Ce qui constitue un gain en temps d'escrime. L'effet visuel se voudra plus percutant qu'une attaque simple suivie d'une riposte, mais l'absence de temps mort et les exigences accrues du rythme rendent aussi cette action plus complexe. Au point, de ne pas vouloir tenter le diable à l'essayer de suite en chorégraphie ; lui préférer des formes simplifiées.  Ne serait-ce que pour se préparer à assurer la sécurité d'une action contre-offensive qui implique souvent un partenaire qui avance vers la lame.  

Les solutions sont nombreuses et dépendent, rappelons-le du partenaire le plus faible. Par exemple, vous désirez un temps mort pour mieux sentir l'à propos de la contre attaque. De nombreuse options s'offrent à vous, certaines plus complexes que d'autres : respecter la feinte à l'épaule et la contre attaque, mais stopper l'action à la fin de la feinte pour prendre le temps. Ce qui, en réalité, transforme votre action en fausse attaque épaule, attaque figure armée, parade de tierce haute.
Vous pouvez aussi remplacer directement la feinte par une attaque simple et la contre attaque en parade de quarte haute riposte figure armée... Le temps de pause se faisant sur la parade de quarte et le contact des lames sécurisant davantage l'action. 

Vous conviendrez qu'en terme de simplification, ces deux propositions ne se valent pas et ne trouverons donc pas grâce dans les mêmes duos. De même, pour les autres possibilités de déconstruction autour de l’enchaînement.

Néanmoins, pour synthétiser les derniers paragraphes :

Par souci de clarté, je n'ai pas gardé la fausse attaque, attaque figure armée pour la simplification 1 

Remarque : si la partition en escrime de scène vous intéresse, je vous partage un article d'Adrien Garcia qui mérite d'être consulté : La musique élève l'âme, l'escrime la trempe : écrire la partition du duel

Nous disposons ainsi d'une forme simplifiée de l'enchaînement nonobstant la reprise d'estoc en coulé qui se résout de la même manière : nous pouvons citer le fait d'attaquer deux fois la figure armée. Contre-attaque, attaque ou riposte figure armée et remise figure armée du tranchant ou faux tranchant. De taille ou d'entaille... le choix dépend là aussi de vos besoins. Gardez juste à l'esprit le principe directeur : plus vous dénaturez l'action pour une forme moins complexe, plus cette dernière devient abordable.
Il suffit après de vérifier que cela correspond bien aux capacités du plus faible afin qu'il demeure à l'aise. Dans le cas contraire nous aurions qu'à simplifier davantage quitte à aller loin.
Imaginez que l'un d'entre-vous ait du mal avec les attaques simples ou des soucis pour parer à bonne distances etc... etc... la déconstruction, comme je le mentionnais dans mon précédent article, peut aller bien au delà des limites du lexique. Pour rappel, je l'avais illustré avec l'attaque à la tête : 


Restons simple. 

En tout état de cause, la déconstruction finira par produire une situation convenable pour l'ensemble des escrimeurs, servant de base de départ. Départ vers un retour progressif, par la pratique,  à la technique ou l’enchaînement initiale ou, scène oblige, à sa reproduction stylisée. Une phase de (re)construction qui, comme annoncé, fera l'objet de notre prochain article.

Dans l'attente, j'espère que cette lecture vous aura plus et encouragera davantage à user de notre patrimoine immatérielle dans vos chorégraphie, sans prise de tête.
J'ai l'espoir que présenter des manières de faire, que vous les adoptiez ou non, aidera à démystifier notre discipline et oser.

C'était le Baron de Sigognac pour le Fracas des lames.
Passez une excellente journée et je vous dis à la prochaine.

En parlant de construction, il y aurait bien ma cave à vin qui... 


mardi 12 mai 2020

On vous a menti sur la hache à deux mains médiévale !

Dans les fantasmes guerriers issus de la bande dessinée, des jeux de rôles ou des jeux vidéos, la hache à deux mains figure en bonne place. Il s'agit souvent de l'arme infligeant le plus de dégâts et elle est l'arme par excellence des barbares. On l'imagine en général moins souvent dans les mains d'un chevalier. On y voit généralement une escrime primitive, basée sur de grands coups brutaux et difficiles à parer. Quant à l'arme elle est volontiers représentée avec un manche de longueur moyenne (entre 1m et 1m30) et à double tranchant.

Comme j'aime bien attaquer les clichés et les idées reçues et que ceux-ci sont innombrables concernant l'époque médiévale je vais donc vous parler des haches à deux mains du Moyen-Âge. Je me concentrerai sur cette période en partant de l'époque viking (IXe-XIe siècle) pour déborder un peu sur le XVIe siècle. J'ignorerai donc toutes les haches à deux mains antiques, quant aux périodes suivantes, si il reste des haches à deux mains, elles sont devenues des armes d'apparat ou ne sont que des outils.

Je m'appuierai principalement sur la thèse de Fabrice Cognot L’armement médiéval: les armes blanches dans les collections bourguignonnes. Xe - XVe siècles (Université Paris I Panthéon-Sorbonne - 2013) qui consacre près d'une centaine de pages aux haches. Mon travail est donc surtout ici un travail de vulgarisation, d'explicitation, de contextualisation pour des escrimeurs. Je serai donc parfois amené à simplifier certaines choses et je vous invite à lire son travail pour une meilleure information. Je ne me priverai pas d'ajouter quelques compléments ou remarques de mon cru mais il serait malhonnête intellectuellement de ne pas reconnaître qui a fait le gros du travail et d'où je tire majoritairement mes informations.

Voilà comment souvent on se représente une guerrière armée d'une hache à deux mais !
Illustration : Valeithel

La hache : une arme diversifiée

Un outil utilisable à la guerre

Avant d'être une arme la hache est d'abord un outil utilisé depuis la préhistoire jusqu'à nos jours pour tout ce qui a trait au travail du bois, de l'abattage des arbres au travail de la charpente, la tonnellerie ou même la fabrication de sabots. Toutes les haches ont un fer tranchant et un manche, on joue sur le poids du fer, le tranchant qui écarte les fibres et le manche qui permet d'utiliser la force centrifuge. Ce sont là les grands principes car on constate vite qu'il existe des formes très spécifiques en fonction de l'usage que l'on veut en faire. la variété des formes de fer et des longueurs de manches est donc immense et l'expérience a spécialisé les outils.

 Assortiment de haches à la Maison de la Vannerie (Fayl-Billot, Haute-Marne). Hache de charpentier, hachereau de tonnelier, doloire de tonnelier pour dégrossir les pièces de bois, hache à fossés, hache de sabotier, hache de couvreur.
Parmi ces outils certains ont cependant pu être utilisés à la guerre faute d'avoir une arme spécialisée dans le cas de paysans ou de guerriers, c'est à dire de personnes destinées à se battre par statut social comme les hommes libres des mondes germaniques ou scandinaves. De même, des sapeurs travaillant avec leurs outils dont des haches, ont régulièrement été amenés à se défendre avec ce qu'ils avaient sous la main. Et il faut reconnaître que la plupart des haches sont des armes tout à fait efficaces à la guerre, capables de fendre un crâne ou même de défoncer un casque par un coup bien asséné.

Il a existé, évidemment, des haches spécifiques à la guerre, mais nos sources iconographiques nous montrent aussi assez souvent des haches-outils utilisées au combat. Celles-ci sont plutôt des haches de charpentier (utilisées par les sapeurs) et se reconnaissent assez bien à leurs fers rectangulaires. On retiendra donc qu'il n'est pas du tout illégitime d'utiliser une hache-outil dans un combat de spectacle tant que c'est compatible avec le personnage censé la manier.

Hache charpentier dans le Psautier d’Or de Saint Gall (St. Gallen, Stiftsbibliothek, Cod. Sang. 22)

Les haches de bataille à deux mains jusqu'au XIVe siècle

On en vient donc aux haches spécifiquement destinées au combat. La plupart d'entre elles dérivent de la hache dite "danoise" du IXe siècle et de son grand fer. Le terme est ainsi employé par les contemporains pour une hache en fait utilisée dans toute l'Europe du Nord au moins. Le fer des ces haches est en forme de croissant, le plus souvent symétrique, avec des cornes et souvent un peu incliné vers le bas pour une meilleure frappe. On peut supposer que le côté arrondi permet de mieux entailler en glissant un peu à la manière d'une lame de sabre ce qui augmente le pouvoir vulnérant face aux adversaires sans armure. Néanmoins c'est d'abord le poids et la force centrifuge qui "feront le travail" dans la plupart des cas.

Hache danoise représentée sur la Tapisserie de Bayeux (2nde moitié du XIe S.)
Personal picture taken by user Urban, February 2005
On trouve de nombreuses représentations de ces haches dans les manuscrits. Les emmanchements sont très divers, allant d'emmanchements très simples à des douilles étendues. En revanche, à part quelques représentations antiquisantes évoquant peut-être des licteurs, toutes ces haches sont à un seul tranchant. Les haches à double tranchant sont donc plus un fantasme de BD avec une éventuelle inspiration antique qu'une réalité. Par ailleurs, on voit, ça et là, des haches auxquelles s'adjoignent une pointe au bout du manche ou encore une protubérance voire un bec au niveau de la nuque. Un certain nombre de fers sont pointus vers le haut et permettent d'estoquer facilement.

Enluminure tirée des Grandes chroniques de Saint-Denis - Toulouse BM 512 (fin XIVe-début XVe S.)
Pour ce qui est du manche on a des longueurs variables , y compris parfois dans le même manuscrit comme la Bible dite "de Maciejowski" où des haches de la même longueur que des épées côtoient des manches plus hautes qu'un humain. La Tapisserie de Bayeux nous présente des haches aux longs manches arrivant au menton dans les mains des Houscarls du roi Harold. On a d'ailleurs tendance à voir, dans les mains des guerriers à pied, beaucoup de ces haches aux longs manches qui sont en général totalement ignorées des représentations de la Pop Culture.

Deux types de haches à deux mains présentés dans les enluminures de la Bible de Maciejowski (Pierpont Morgan Library, New York, Ms M. 638) - milieu du XIIIe siècle

La "hache à faire des armes", la reine des combats (XIV-XVIe siècles)

Au milieu du XIVe siècle, les haches ont connu un grand succès dés les débuts de la Guerre de Cent ans, probablement dû au renforcement des armures et à l'habitude des chevaliers de combattre démontés (à pied donc). On arrive vers le tournant du XVe siècle à l'élaboration d'une arme redoutable que nous nommerons "hache à faire des armes". Les termes "hache noble" et "hache de pas" sont les plus couramment utilisés en français au XXIe siècle ("pollaxe" ou "poleaxe" en anglais) avec notre besoin de dénominations précises qui n'existait pas à l'époque. Nos sources parlent le plus souvent simplement de "haches"...

Hache de pas (1450-1500) dans les collesctions du musée de Leeds

Hache de pas (XVe S.) au Metropolitan Museum of Arts
On remarquera d'ailleurs que beaucoup de ces haches sont ce que nous appellerions plutôt des marteaux puisqu'en fait, beaucoup de celles qui nous sont représentées n'ont pas de fer de hache ! Néanmoins nos sources parlent invariablement de "haches" et non d'autres termes. La hache de pas a des formes diverses mais on retrouve en général les mêmes invariants :
  • - un manche plutôt long, allant jusqu'à la taille d'un homme,
  • - une "dague" de queue au bout de ce manche
  • - une "dague" de tête
  • - une tête avec, outre la dague, deux des trois éléments suivants : fer de hache, bec de corbin ou tête de marteau. On peut aussi trouver trois pointes acérées disposées en étoile à la place.
  • - parfois une rondelle vient protéger la main.
Haches de pas dans le livre de combat de Paulus Kal (1470)
Il s'agit donc d'une arme complexe capable d'estoquer des deux côtés, de crocheter, de transpercer, d'enfoncer les plates ou de choquer par la simple force de l'impact. Elle entre à l'époque dans les armes chevaleresques mais n'est pas réservée aux chevaliers. Cette arme est utilisée pendant tout le XVe siècle et l'on s'y entraîne encore au XVIe siècle, notamment pour les tournois et pas d'armes. Néanmoins, avec la fin de la chevalerie à pied au XVIe siècle, la disparition progressive des tournois durant le XVIe siècle, elle ne devient plus qu'une arme honorifique que l'on retrouve encore parfois sur certaines peintures du XVIIe siècle ou dans les collections d'armes.

Hache de pas dans le Opus Amplissimum de Arte Athletica (manuscrit de Dresde) de Paulus Hector Mair (années 1540), l'un des dernières représentations de l'arme en action.

La hache : une arme des élites

Une arme puissante et destructrice..

Si une chose ressort de l'évocation de la hache par les sources contemporaine c'est bien sa puissance. Maniée à deux mains on la tient d'abord les bras écartés et on imprime un mouvement de levier en faisant coulisser la main la plus élevée (en principe la droite pour les droitiers) vers l'autre main augmentant la puissance de la rotation. C'est ainsi une masse d'acier qui est décuplée par la force centrifuge [edit : l'effet de levier], concentrée sur un tranchant étroit (ou un marteau ou un bec) qui vient s'abattre sur l'adversaire.

                    « Et Hervis fiert dan Berengier le griz
                    De la grant hache del vert acier bruni ;
                    Entre le col et l’espaule l’ovri »
Garin le Lorrain - livre VI, vers 1994-1996 (XII e siècle)
Les boucliers ou les hampes de lances ne semblent pas non plus résister à l'arme si l'on en croit les sagas scandinaves (rédigées entre le XIe et le XIIIe S. mais reprenant une tradition orale plus ancienne) :

« Hroald fils d'Össur, courut à Skarphjedin et pointa sa lance sur lui. Skarphjedin, d'un coup de sa hache, sépara le fer de la hampe. Puis il leva sa hache une seconde fois. Elle entra dans le bouclier et le brisa en morceaux, pendant que le coin frappait Hroald au visage. Il tomba à la renverse, et mourut sur le coup. »
Brennu-Njáls saga - Chapitre 128

Cette vidéo de la chaîne Skallagrim nous montre des essais de frappe à la grande hache danoise. Cela donne au moins une idée des dégâts que de telles armes pouvaient faire !

Les armures (de mailles) de l'époque ne semblent pas beaucoup plus résister à la hache, ce qui explique probablement son succès aux débuts de la guerre de Cent Ans. Ajoutons que si le coup n'est pas toujours assez fort pour percer l'armure les dégâts contondants peuvent sonner suffisamment l'adversaire ou le déséquilibrer ce qui peut être suffisant pour prendre un avantage significatif sur lui. Le fer étant en acier il n'y a pas forcément besoin d'un très grand élan pour entailler un adversaire sans armure et même un adversaire armuré devrait sentir les effets de ces coups. Avant la hache de pas les illustrations nous montrent surtout la hache en action à pleine puissance mais cela ne veut pas dire que c'en était la seule utilisation.

Concernant l'utilisation de cette dernière hache de pas il ne faut pas non plus négliger la puissance des coups d'estoc si l'on en croit le maître d'armes italien, Fiore dei Liberi au tournant du XVe siècle :

Posta breve serpentina
Io son posta breve la Serpentina che megliore d'le altre me tegno. A chi darò mia punta ben gli parerà lo segno. Questa punta si è forte per passare coraze e panceroni, deffendeti che voglio far la prova.

Posture courte serpentine

Je suis la posture courte serpentine qui me tient mieux que les autres. A qui je donnerai un estoc, la marque lui paraîtra bien. Cette pointe est forte pour passer les cuirasses et les plastrons. Défends toi, car je veux le prouver.

Fiore Dei Liberi Fior di Battaglia MS Ludwig.XV.13, J.Paul Getty Museum, Los Angeles
Transcription : Charlélie Berthaut
Traduction : Benjamin Conan

Malgré tout, bien que la hache soit une arme redoutable il ne faudrait pas pour autant en conclure que son escrime était primitive et se résumait à de grands coups puissants.

Posta breve serpentina représentée dans le même manuscrit de Fiore dei Liberi (vers 1400)

... mais une escrime élaborée

Concernant le maniement de la hache nous n'avons de sources martiales (des traités d'escrime) que pour la hache de pas. Dés les années 1400 nous trouvons chez l'italien Fiore dei Liberi et dans le traité français anonyme Le noble jeu de la hache des techniques de combat élaborées et complexes concernant cette arme. On notera que Le noble jeu de la hache est le seul traité d'escrime français connu datant de l'époque médiévale et qu'il est le plus ancien traité d'escrime en langue française (il faut ensuite attendre La Noble Science des joueurs d'épées en 1538, traduction du traité d'Andre Paurenfeindt, pour retrouver un traité dans notre langue et le traité d'Henri de Saint-Didier en 1573 pour un auteur français). Les traités issus de l'espace germanique ne sont pas en reste sur la hache. Notons également que la hache est une arme ambidextre : selon les besoins on passe d'un maniement en droitier (main droite vers la tête) à un maniement en gaucher.

Ces deux traités traitent de la hache en armure, ce qui semble être son utilisation normale. Fiore de'i Liberi nous présente jusqu'à six gardes ainsi qu'un certain nombre de techniques dont certaines sont de vulgaires ruses (comme d'aveugler son adversaire en mettant sa main sur sa visière et de le faire trébucher sur la hampe de son arme). Il ne nous montre que des techniques utilisant la tête de la hache mais il montre ailleurs des techniques utilisant la queue d'une lance ou des techniques de demi-épée qui sont tout à fait transférables à la hache. Et l'on sait que cet auteur n'aime pas se répéter et ne redonne pas ailleurs des techniques qu'il a déjà présentées pour une arme.

Quatre gardes à la hache de pas chez Fiore deu Liberi :
Posture courte serpentine, posture de la vraie croix, posture de la dame, dent du sanglier.
Fiore Dei Liberi Fior di Battaglia  Pisani-Dossi MS, Fac similé de Francesco Novati, 1902 - Folio 27a
 
Le Jeu de la hache est peut-être le manuscrit le plus complet et celui qui nous en apprend le plus sur le maniement de la hache de pas. Il est malheureusement incomplet car il semble que les grands espaces vides qui y figurent aient été laissés pour des illustrations techniques qui n'ont jamais été réalisées. Si il ne donne jamais explicitement des actions mortelles il mentionne sobrement : « Et se le pouez faire vous pouez deschergier sur luy telz coups que vous samblera ». Il s'agit le plus souvent de se mettre en position favorable pour asséner le coup qui conclura le combat, mortel ou non en fonction de son objectif (combat à outrance en duel judiciaire, tournois, guerre avec la volonté ou non de rançonner son adversaire).

Le manuscrit nous présente un jeu complet avec des tours de bras permettant d'asséner des coups à pleine puissance, des estocs de la dague de tête ou de la dague de queue, des coups coulés et même des crochetages. Les défenses sont suivies de contres et parfois de contre du contre utilisant d'autres parties de l'arme : "Ainsi, après une parade d’un tour de bras grâce à la demy hache et un pas en avant du pied gauche simultané l’amenant fermement posé derrière le talon adverse, la queue est placée sous le menton adverse, et il est renversé (paragraphe 9) : mais on peut contrer cette bascule en retirant sa hache à soi et poussant de la dague (ou de la demy hache, si on échoue à aligner la dague) à l’aisselle gauche de l’ennemi." (F. Cognot op. cité).
Dans cette vidéo Fabrice Cognot nous présente plusieurs techniques du Jeu de la Hache
(la haute qualité du contenu vaudra bien de supporter la piètre qualité de l'image)

Les manuscrits d'escrime germaniques nous présentent également l'arme et notamment Hans Talhoffer et Paulus Kal. On notera qu'Hans Talhoffer est l'un des rares auteurs à nous présenter un maniement en armure ET sans armure. On retrouve des principes assez proches avec utilisation de la queue de l'arme ainsi que des crochetages utilisant le bec de corbin. on note également une plus forte présence de la lutte. Paulus Hector Mair est le dernier à présenter l'arme spécifiquement, même si on retrouve ensuite certaines techniques de crochetage notamment à la hallebarde dans des traités postérieurs : chez J. Meyer par exemple, la hallebarde est distincte du bâton alors qu'un demi-siècle auparavant, chez A. Paurenfeindt les techniques de bâton (appelée demi-lance) sont "loccasion ou source de jouer a tout les lances ou spises, hallebardes, guysarmes, et aultres semblables". Il faudrait analyser les techniques pour voir ce qui peut en venir (ou non) des techniques de hache noble, mais on sort là de l'objet de notre article...


Présentation de techniques de hache noble selon divers auteurs, essentiellement allemands, par le MEMAG

Mais qu'en est-il du maniement des haches antérieures à la hache de pas ? N'étaient-elles que des armes de brutes aimant frapper fort ? A priori non, sauf lorsqu'un sapeur devait soudainement défendre sa vie avec un outil. Il semble déjà logique que les techniques de hache noble ne sont pas nées spontanément mais ont été développées au fil des siècles avec l'expérience. On a également améliorer les haches pour aboutir à la hache de pas, pouvant faire mal avec toutes les parties probablement utilisées moins efficacement avant.

Ainsi on sait que la corne des haches danoises pouvait déjà estoquer ainsi qu'on le lit ici :
« Puis Thord, frère lait d’Einar, se précipita sur Kolbein et voulait le tuer, mais Kolbein se retourna contre lui et le poignarda de la corne de la hache à la gorge, et déjà il était mort. »
Grænlendinga þáttur, chapitre 5
De même, dans La romance d'Alexandre terminée en 1338 on voit un combattant armé d'une hache à long manche tenter de parer un coup d'épée dans ce qu'on appellerait demy-hache. On notera également la pointe qui termine son arme.

D'autres occurrences nous montrent que la hache n'était pas que l'arme aux dégâts monstrueux que l'on veut bien décrire mais également une arme complexe, utile à la guerre et lors des situations désespérées. On notera également qu'on la trouve plus souvent présente dans les images représentant des sièges que dans les batailles.

On peut donc supposer avec une certaine légitimité une antériorité et un développement progressif des techniques présentées dans les traités d'armes du XVe siècle. Ainsi, si je devais reproduire l'escrime à la hache avant cette époque je m'équiperais probablement d'une hache à long manche et je piocherai dans les techniques de hache de pas celles qui s'adaptent à mon arme. Je ne serais probablement ainsi pas trop loin de la vérité historique, du moins mes techniques auraient une base solide.

Miniature issue de La romance d'Alexandre MS. Bodl. 264 folio 168 (1338)

L'arme des combattants d'élite et des chevaliers

Cette escrime complexe fait des haches à deux mains destinées au combat des armes de spécialistes, maniées par des combattants entraînées, une sorte d'élite quoi. Cela correspond d'ailleurs assez bien à ce que nos sources historiques nous en disent.

Ainsi elle est déjà l'arme emblématiques des houscarls du roi Harold, le malheureux adversaire de Guillaume le Conquérant à Hastings en 1066. Dans le monde germanique (Harold était Saxon), les houscarls sont des guerriers domestiques, des guerriers privés qui accompagnent un prince. Théoriquement tous les hommes libres sont redevables d'un service militaire, c'est d'ailleurs le droit de porter des armes qui les distingue des non-libres. Mais ils sont aussi pour la plupart des fermiers, des artisans, plus ou moins riches et, si leur éducation les a formés aux armes, celles-ci ne sont pas leur principal métier. Les houscarls, en tant que guerriers domestiques sont ce qui peut se rapprocher le plus d'une embryon de troupes professionnelles. Ils n'ont pas d'autre occupation que de porter les armes et étaient donc probablement mieux entraînés que les autres ainsi que largement pourvus d'armes par celui auquel ils avaient prêté allégeance. Et quand il s'agit du roi d'Angleterre ils sont assez nombreux pour former une unité à part entière. Tous ne maniaient probablement pas la grande hache (ne serait-ce que pour des raisons tactiques) mais c'est l'arme que la tapisserie de Bayeux leur donne, qui les symbolise le plus. Cela colle ainsi à notre idée d'arme pour les guerriers d'élite.

Houscarls contre chevaliers normands à la bataille d'Hastings sur la Tapisserie de Bayeux (XIe S.)
 
À partir du XIe siècle la chevalerie se développe en Europe de l'Ouest et les guerriers d'élite à pied disparaissent. Mais c'est au cours du XIVe siècle que les Anglais inventent la chevalerie démontée : les chevaliers se déplacent à cheval mais combattent pied, de préférence sur un talus, une colline, un terrain avantageux qui gêne les charges de cavalerie. C'est cette tactique, combinée aux masses d'archers armés d'arcs longs qui leur a d'abord permis de vaincre les Écossais et leurs formations de piquiers (le Schiltron). C'est évidemment celle-là aussi qui a eu raison des charges de cavalerie de Crécy et d'Azincourt. Évidemment, les Français l'adoptent aussi même si ils gardent un goût pour les charges de cavalerie. On voit ainsi des formations de chevaliers (et sergents) à pied s'affronter.

Cette tactique a favorisé le développement des armures (pour mieux résister aux flèches), de l'épée longue (cette épée à deux mains de 1m10 à 1m30, reine de traités d'escrime) et... des haches à deux mains ! De par sa puissance la hache était tout indiquée comme arme pour attaquer des adversaires fortement armurés. Les dagues de la hache de pas peuvent passer au défaut de l'armure tout comme les épées longues tenues en demi-épée, mais le fer ou le marteau, envoyé par un bon tour de bras vertical, peuvent mettre à mal un adversaire bien protégé.

Néanmoins il ne faut surtout pas croire que les haches n'équipaient que les chevaliers, on en achète aussi pour des corps d'archers ou d'autres corps de soldats professionnels. Là encore on en revient à une arme pour les troupes d'élite.

Miniature représentant Alexandre le Grand et ses guerriers accédant à un palais de montagne grâce à une chaîne en or. Une bonne représentation d'une troupe d'élite à pied au XVe siècle ?
Le Livre et le vraye hystoire du bon roy Alixandre Royal 20 B XX (1420)
 
C'est ainsi que la hache est entrée dans le chevalerie et dans les armes chevaleresques. Elle est donc aussi logiquement rentrée dans l'une des occupations principales des chevaliers en dehors de la guerre : les tournois. Olivier de la Marche (1425-1502), chroniqueur bourguignon semblent particulièrement friand des description de combats de haches lors des tournois et pas d'armes du milieu du XVe siècle. Il parle ainsi des exploits du chevalier Jacques de Lalain contre un certain Jehan Boniface :
« Messire Jehan de Bonniface feroit de la teste de sa hache, et feroit haut après le visage dont il voyoit le plus-nud et découvert ; et messire Jaques (qui fut beaucoup plus haut) rabatoit froidement, de la queue de sa hache, les coups de son compaignon : et, en rabatant, par deux fois luy fit perdre sa hache de la main dextre : et messire Jaques getta le bout d'embas de son batton, par deux ou trois fois, après la visière du bacinet de son adversaire, et si souvent le continua qu'il l'enferra en la visière. »

Olivier de La Marche, Les Mémoires de Messire Olivier de La Marche (vers 1500)
On voit d'ailleurs ici des mouvements correspondant à ce qui est décrit dans Le jeu de la hache. Ces techniques étaient enseignées par des maîtres d'armes, plutôt des gens de l'ombre issus de la bourgeoisie urbaine ou de la petite noblesse. Certains enseignaient également l'épéee (on pense à Fiore dei Liberi) tandis que d'autres étaient spécialisés dans la hache.

En revanche il faut préciser que la hache est clairement une arme destinée à la guerre ou au champ clos. Ce n'était en aucune manière une arme civile que l'on pouvait porter normalement dans la rue. Les seuls à éventuellement en porter dans la rue peuvent être des corps d'archers chargés du guet urbain, mais c'est vraiment une exception. Cette arme a donc d'abord un contexte militaire ou de jeu, c'est une arme qui symbolisait un engagement total dans la guerre ou le combat, pas un ornement de tous les jours !

Présentée par Claude Gaier- Armes et combats dans l'univers médiéval II - De boeck - Bruxelles - 2004

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Les haches à deux mains médiévales sont donc assez loin du cliché de la pop culture de l'arme sans subtilité, toute en brutalité. Brutale, elle l'est certes, mais les haches conçues pour la guerre qui équipaient les troupes d'élites du IXe au XVIe siècle étaient bien plus que cela. Surtout lorsqu'on en arrive à la hache de pas, outil de mort élaboré, fruit de plusieurs siècles d'évolution.

Et puisque ce blog est consacré avant tout à l'escrime de spectacle, il faut dire un mot de l'usage de cette arme en spectacle. Elle a un potentiel spectaculaire indéniable et une variété de coups très importante qui en font une arme extrêmement intéressante. Elle fait peur et le public sera probablement surpris de la subtilité de son escrime. Reste le problème de la sécurité : on peut dévier l'arme mais difficilement l'arrêter et cela reste un problème. De plus je ne suis pas certain de vouloir me prendre un crochetage de nuque au bec de corbin sans une petite protection dissimulée ou un colletin gamboisé... Mais je pense que l'essentiel du danger peut être écarté si l'on présente cette arme dans le cadre d'un combat en armure. L'armure protégera des coups et des crochetages douloureux et puis, après tout, si il y a une arme qui est faite pour les combats en armure c'est bien celle là !

J'espère donc avoir (une fois de plus ?) lever quelques idées reçues et balayé quelques clichés. Je gage que vous verrez désormais cette arme autrement.

Une version plus historiquement crédible d'une chevaleresse maniant une grande hache.
Illustration : Valeithel