jeudi 5 mars 2020

L'art de l'épée à deux mains



C’est la première fois que je produis un écrit pour ce blog, donc il me semble important de me présenter rapidement :
J’ai débuté dans la reconstitution historique et l’escrime il y a un peu plus de 20 ans. J’ai longtemps pratiqué l’escrime de spectacle avec une association qui ne s’appelait pas encore le CNEA. En 2011, j’ai le déclic pour l’étude des sources martiales historiques en découvrant les AMHE (Arts Martiaux Historiques Européens) et leurs démarches. Très rapidement, j’ai ouvert des sources de la fin du XVIe siècle et début XVIIe, notamment le livre de Girard Thibault d’Anvers (GTA pour les intimes). Depuis, j’ai approfondi mes recherches, notamment en apprenant à lire l’espagnol du XVIIe siècle afin de pouvoir traduire un maximum de sources directes et d’études sur ces sujets. En parallèle, et pour la mise en pratique de ces recherches, j’anime régulièrement des entraînements et des ateliers sur l’escrime espagnole.

(Important : Je ne suis pas un professionnel de l’histoire… historien, c’est un métier, nécessitant un cursus universitaire dans ce domaine, ainsi qu’un temps de travail considérable. Néanmoins, j’essaye d‘être le plus rigoureux possible dans ma démarche.)

Le capitaine m’a sollicité pour écrire sur ce sujet qui en fait fantasmer plus d’un : l’usage de l’épée à deux mains. Je vais donc essayer de vous faire une synthèse sur ce sujet vaste et complexe. Comme écrit ci-dessus, le sujet que j’étudie n’est pas l’épée à deux mains, mais l’escrime de la fin XVIe au début du XVIIe siècle, essentiellement dans les sphères ibériques. La pratique de la grande épée n’est qu’une composante parmi d’autres.

(nota : attention aux amalgames, je parle d'épées à 2 mains, et non des épées longues, les deux armes sont différentes) 

Une arme …. ou des traditions martiales


Selon leurs origines (et les périodes), une variété de noms a été donnée à ces grandes épées : épée à deux mains, Spadone, Claymore, Montante, Schlachtschwert, Zweihänders, Espadon, etc. Certaines de ces appellations, tel que Zweihänders, sont modernes, et d’autres ont des sens très différents selon le contexte historique (par exemple l’Espadon).

En Espagne et au Portugal, le mot Montante a été défini par Sebastián Covarrubias Orozco, dans son Tesoro de la lengua castellana o española, publié en 1611 : le nom Montante (c’est un masculin en espagnol) viendrait de l’italien « Montar» signifiant monter/aller vers le haut, soit parce que la Montante dépasse la taille d'un homme, soit parce qu'elle est jouée haute. L’expression « metre el montante » héritée de l’usage de la Montante au XVIe, est encore utilisée en Espagne afin de signifier que l’on sépare des combattants.

Dans les sphères de l’ouest de l’Europe, l’arme semble exister au moins depuis le XVe siècle, et elle y est encore présente jusqu’à la fin du XVIIe siècle. Trois « traditions » sont identifiables dans les sources:
  • Les traditions germaniques, avec un corpus de sources directes, sur le maniement de la Schlachtschwert / Zweihänders, plutôt pauvre, mais avec pas mal de sources indirectes (des témoignages ou des iconographies) essentiellement du XVIe siècle.
  • Les traditions ibériques (Espagne et Portugal) : le corpus de sources directes, entre le début du XVIe et la fin du XVIIe siècle, est relativement riche. Il nous donne pas mal d’informations sur la Montante.
  • Les traditions italiennes : un corpus de sources directes moins important que pour la péninsule ibérique, mais avec un riche corpus de sources secondaires.
  • Et le reste ? L’arme est présente dans pas mal de zone (France, Angleterre, …) mais le corpus de sources et d’études fiables (j’insiste sur le « fiables ») est pauvre, voire inexistant.
Les liens entre certaines traditions sont indéniables, notamment entre l’Italie, l’Espagne et le Portugal où l’on retrouve des similitudes entre les traités martiaux de la même période. On peut également citer Alfieri, qui dans son ouvrage de 1653 explique que des étrangers (italiens, polonais, français et allemands) pratiquent régulièrement la Spadone dans son école. Néanmoins, il faut rester vigilant à ne pas faire d’amalgames, car ces escrimes peuvent évoluer indépendamment les unes des autres, et ce qui est valable dans un cadre ne l’ai pas forcément dans un autre.

Nota : dans un précédent article, le capitaine avait posé l’hypothèse que ce type d’épée était né dans les contrés germaniques. Cela vient sûrement d’un raccourci à la peau dure : « épée à deux mains est égale à lansquenet allemand ». Il est plus probable que les différents types d’épées à deux mains se soient développés en parallèle.


L’objet


Maintenant que le cadre est posé, intéressons-nous à l’objet physique, ou plutôt AUX objets, car une Montante, une Spadone et une Zweilhander sont des armes différentes. De plus, une grande épée fabriquée au début du XVIe siècle n’a pas les mêmes caractéristiques qu’une produite au milieu du XVIIe : les savoir-faire ainsi que les pratiques ont largement le temps de changer en un siècle.


Reproduction de Schlachtschwert, lame flamberge - forgé par Dr Fabrice COGNOT

La première solution pour caractériser ces armes est de regarder l’aspect physique, notamment dans les collections qui nous sont parvenues. On peut s’apercevoir par exemple qu’une Zweihander est plus « trapue » que ses homologues méditerranéens, les gardes sont plus grandes et plus fournies. Au contraire, les Montantes et Spadone semblent plus étroites, avoir des gardes plus fines, des quillons plus droits et des anneaux plus ou moins grands. Du côté méditerranéen, certaines épées à deux mains sont plutôt courtes au début XVIe siècle, et semble s’allonger au fur et à mesure des décennies.

Différents types d’épées à deux mains (Zweihänders / Montante / Spadone).

A présent, nous avons une bonne idée de l’aspect globale de ces armes, mais l’idéal est d’avoir des caractéristiques physiques factuelles (chiffrables), et si possible d’armes fonctionnelles (qui ont été utilisé). Et là, ça devient compliqué, car les collections sont rarement accessibles. A cela s’ajoute, qu’une partie des pièces conservées ne sont pas des armes destinées à la pratique :
  • A certaines périodes, des armes « décoratives » ont été produites en grande quantité car ça fait class dans la salle manger de son château de campagne.
  • Il existe des arlequinages (l’assemblage de pièces de différentes périodes pour reconstituer une arme) et autres (re)montages étranges.


Épée conservée au Fries Museum de Leeuwarden (6,6kg pour 2m15 de long). Epée trouvée à la fin du XVIIIème siècle. Elle aurait appartenu à Gutter Piers, un guerrier légendaire Frison de la fin du XVe siècle , mais cette arme est probablement plus moderne.

Une solution autre solution est de regarder dans les textes de l’époque. Du côté ibérique, il y a un peu de matière. Pacheco de Narvaez, l’un des fondateurs de la Verdadera Destreza, et Maestro Mayor du roi d’Espagne au début du XVIIe siècle, donne les dimensions de la Montante dans son ouvrage Nueva Ciencas : la Montante doit faire la hauteur d’un homme, soit 2 Varas Castillants (1 Varas = 83,59cm, donc 167,18cm) et une proportion poignée/lame de 2 pour 6 (125,38cm de lame et 41.80 de poignée). Les pièces conservées ayant des caractéristiques similaires, et qui semblent destinées à la pratique ont des masses allant de 2kg à 3kg.

Nota : des auteurs italiens donnent également des informations sur les dimensions. 

Bien sûr il faudrait également prendre en compte beaucoup d’autres caractéristiques physiques (l’équilibrage, les points rotations, etc) mais je ne m’étendrai pas sur ces questions, car certains forgerons sont bien mieux avisés que moi sur le sujet.

Cela m’emmène sur une considération plus praticopratique. A l’époque, il semble peu probable que des grandes épées de plus de 3,5kg / 4kg aient été utilisées pour combattre, sachant que :

 La maniabilité et la célérité sont considérablement impactées par la masse.
  La population souffrait de malnutrition jusqu’au XXe, et n’avait pas une condition physique exceptionnelle.
 Prendre le risque d’un lumbago au moindre geste ne me semble pas une option viable en combat.


Exemple d'exercices tiré des 12 canons à la Montante de Pablo de Paredes de 1599, avec un simulateur ayant des caractéristiques proches de celles décrites par Narvaez.

La pratique de la Montante : L’escrime à la grande épée dans l’empire Espagnol


La Montante a été utilisée comme armes de guerre avant de passer dans le monde civil au XVIe siècle, c’est à partir cette période que des sources martiales sur la Montante apparaissent. Il y a des traces de sa présence dans la péninsule jusqu’à la fin du XVIIe siècle. La plus ancienne source actuellement disponible est datée entre 1525 et 1527.

Les sources martiales espagnoles et portugaises sont essentiellement destinées à l’escrime civile pratiquée dans un cadre de salle d’armes ou de défenses. L’usage pour la défense (personnel ou d’un tiers), et le maintien de l’ordre, sont les deux cas qui transparaissent le plus dans les traités.

L’épée à deux mains semble importante dans la culture martiale sud européenne, et notamment pour les maîtres d’armes portugais. Deux d’entre eux ont produit les traités les plus complets sur le maniement de cette épée : Luiz de Godinho et Dom Gomes de Figueyredo. Dom Gomes de Figueyredo, offre et dédicace son manuscrit au Prince Dom Theodozio du Portugal. Il écrit Memorial da Prattica do Montante alors que le pays réaffirme son autonomie suite à la guerre d’indépendance du Portugal.

Revenons à des aspects plus pratiques. La Montante permettait de dissuader de potentiels agresseurs et de se défendre contre des ennemis ayant l’avantage du nombre. L’efficacité de la Montante est autant due à sa dangerosité intrinsèque (vitesse et grand rayon d’action autour de l’épéiste) qu’à sa capacité à impressionner des adversaires par son aspect imposant. Dans son ouvrage, Perez de Mendoza, la considère comme supérieure à l’épée seule, alors que Diaz de Viedma la tient en peu d’estime mais la considère comme une arme capable de présenter une menace importante.

En ce qui concerne son efficacité, il est possible de citer l’exemple des révoltes de Séville à la fin du XVIe siècle : trois Montanteros (porteur de Montante) auraient tenu en respect une foule, le temps que la milice intervienne. L’un des épéistes aurait fait usage de son arme blessant gravement et/ou tuant trois personnes en une seule frappe.

Godinho, auteur portugais du MS PBA 58 (un des rares manuscrits sur l’escrime prè-destreza), et très porté sur les problématiques de self-défense, explique dans le premier chapitre sur la Montante comment bien porter l’épée sur le bras quand l’on sort le soir dans la rue, afin de se défendre rapidement en cas d’agression.

Une épée destinée à l’entraînement et aux loisirs


Jehan LHERMITE, auteur francophone originaire des Flandres et fréquentant la cour Royale Espagnole, témoigne dans son livre des échanges qu’il a eu avec son ami, Pablo de Paredes maestro Mayor du roi. Jehan Lhermitte explique que dans le cadre de son rétablissement physique suite à une maladie, Pablo de Paredes lui conseilla des exercices avec une Montante, car cela permet « d’agiliter » et de renforcer le corps.

Au XVIe siècle, Godinho décrit des flourish destinés uniquement aux maîtres d’armes, et qui ont pour intérêts l’exercice et la démonstration publics.

Enfin, il y a d’autres indices sur cet usage de la Montante et l’entraînement personnel. Des études universitaires ont mis en avant la présence, en Espagne, d’un système  structuré d’enseignement de l’escrime , et cela depuis au moins le XVe siècle, ainsi que l’existence d’une escrime de jeu intégrant la pratique de la Montante. L’étude de Miguel González Ancín et Otis Towns, sur le manuscrit de Luis Barbarán et son contexte, en est un parfait exemple.


Une épée comme symbole




San Pablo, El Greco, 1610

Les précédents exemples de drilles destinées aux maîtres mettent en avant un autre aspect de l’usage de la Montante : l’arme tient une place symbolique dans les traditions ibériques. C’est l’arme du maître ou l’escrimeur expérimenté. Un maître d’armes reconnu par un examen réalisé par le Maestro Mayor, peut porter une Montante brodée sur sa tenue.

Les maîtres utilisaient la Montante pour régir les combats et jeux martiaux de leurs élèves. Même certains auteurs du nouveau système d’escrime, la Verdadera Destreza (souvent très critique vis-à-vis de l’ancien système, et basant leur approche principalement sur la pratique de l’épée seule), ont intégré dans leurs ouvrages des passages sur la Montante.

Le symbole de l’épée à deux mains se retrouve également dans l’art pictural espagnol, où elle est régulièrement représentée entre les mains de figures religieuses ou de notables. Par exemple, sur plusieurs tableaux de Saint Paul, l’épée (symbole attribué à Saint Paul) est représentée par une arme ressemblant à une Montante.


“La recuperación de la Bahia de Todos os Santos", de Maíno (1634). Détaille de l’œuvre représentant le roi Philipe IV et son ministre, le compte d’Olivares, avec une Montante entre les mains.

Méthodes d’enseignement et de pratique de la Montante


A l’époque, il y avait deux façons d’enseigner la Montante. La première, expliquée par les auteurs de la Verdadera Destreza, qui consiste à appliquer les principes généraux de leur discipline face à un adversaire.

La seconde manière est l’apprentissage des règles. Les règles sont des drilles, un enchaînement de coups dans le vide (sûrement pour ne pas exposer les escrimeurs à une arme intrinsèquement dangereuse). Carranza, fondateur de la Verdadera Destreza, se montre critique sur cette pédagogie, qu’il considère comme une source de confusion pour l’escrimeur se retrouvant dans une situation de combat réelle. Pourtant, c’est cette méthode qui semble la plus rependue au XVIe siècle.

Les règles sont soient des exercices consistant  à faire des enchaînements de coups pour développer ses compétences avec l’arme, soit ce sont des enchaînements destinés à répondre à une situation spécifique. L’un des enseignements les plus importants à retenir de ces traités est qu’il faut savoir mixer les règles entre elles afin de s’adapter aux situations rencontrées.

De nos jours, certaines règles paraîtront triviales, mais elles répondent à des situations concrètes pour l’époque. Par exemple, Godinho et Figueyredo, proposent des règles pour protéger une Dame (ou un ami). L’escrimeur doit faire passer la dame dans son dos, lui demandant s’accrocher à sa ceinture et de rentrer la tête. Cela permet au montantero de marcher en moulinant (sans passer l’épée derrière lui) pour repousser les adversaires tout en gardant la dame accrochée à lui.

Toutes les règles ont pour finalité de maintenir une distance avec l’adversaire. Passer en jeu court est très dangereux pour le montantero. L’opposition aux rodeleros, escrimeurs équipés de rodela (bouclier rond en acier) est un sujet récurent pour les maîtres écrivant sur la Montante, du fait que les rodeleros ont la capacité de rentrer rapidement en combat rapproché. Un autre indice sur le risque du jeu court est donné par Godinho : il explique avoir vu un escrimeur perdre son épée face à un coup de Montante, mais quand même réussir à tuer le montantero avec sa dague.

J’en profite à nouveau pour faire référence à un précédent article du capitaine : l’estoc est bien présent dans cette escrime, et il se montrent même indispensable afin de faire des transitions rapides dans les enchaînements, ou encore pour combattre dans des espaces réduits (zone urbaine, galère, etc).



Résumé des situations par sources. Il faut noter que d’un texte à l’autre, bien qu’ayant un contexte similaire, les auteurs ne décrivent pas les mêmes e enchaînements. 
.
Comme évoqué ci-dessus, dans la péninsule ibérique du XVe au XVIIe siècle, l’enseignement de l’escrime est réglementé, et organisé, notamment autour de plusieurs «niveaux hiérarchiques», qui sont régis par des examens. Certains titres (niveaux) se validaient armes par armes. La Montante faisait régulièrement partie des armes examinées. Il est probable que les examens faisaient appel aux règles décrites dans les sources martiales.

Et combattre contre une autre épée à 2 mains ? Eh bien, pour nos auteurs, c’est un sujet annexe car la situation est peu probable. Une telle arme n’était pas accessible à tous, de plus il est difficilement imaginable de prendre autant de risques en opposant des armes si dangereuses, à une époque où il n'existe pas de protections adaptées pour faire de l’escrime de jeu. Figueyredo est le seul à écrire une règle complète à ce propos, alors que Godinho dit de lire ses premiers chapitres sur l’épée seule et de faire pareil (autrement dit : débrouillez-vous). Pacheco écrit que les principes de la Verdadera Destreza s’appliquent également à la Montante en donnant quelques exemples.

Enfin, je souhaite pondérer certains aspects de cet article en rappelant la place de l’épée à deux mains dans les écrits martiaux. L’arme est secondaire dans les œuvres des auteurs de l’époque. Figueyredo a produit deux manuscrits sur l’escrime : le premier de 120 folios sur l’épée (et la Verdadera Destreza) et le second de 8 folios sur la Montante. Sur plus de 350 chapitres, Godinho a écrit seulement 14 sur l’épée à deux mains. Donc la Montante représente environ 5% du contenu total des œuvres cités.

Et l’usage militaire ?


Je sais ce que vous vous dites : c’est intéressant l’usage civil de l’épée à deux mains en Espagne, mais qu’en est-il des doubles soldes qui écument les champs de batailles avec leurs grandes épées et découpent de la pique en petit bois ? C’est un peu plus compliqué, car comme évoqué dans la première partie, il y a peu d’éléments concrets hors de la zone méditerranéenne. A cela s’ajoutent tous les clichés hérités des XIXe et XXe siècles.

Commençons par un raccourci moderne qui concerne directement l’usage de l’épée à deux mains sur les champs de bataille : quel escrimeur n’a pas entendu, ou lut, qu’au XVIe siècle, les épées à deux mains permettaient de briser et casser les piques, mettant ainsi en désordre les lignes adverses ?! Eh bien, non ! Que ça soit par la mise en pratique ou par les sources, il n’y a pas d’éléments concrets permettant d’appuyer cette théorie :

  • Pour les sources, il faut citer les travaux de Spadone Project : il a identifié 300 sources et témoignages sur l’épée à deux mains. Seulement 4 d’entre elles évoquent des oppositions piquiers / épéistes. Elles sont écrites plusieurs décennies après le déroulement des faits, et par des personnes qui n’ont pas vécu les événements.
  • Aucun manuel militaire ou manuel d’escrime de l’époque ne décrit cette stratégie.
  • Réussir à couper des piques, un peu flasques de par la longueur, et qui sont en mouvement, cela demande beaucoup de savoir-faire. Déjà, couper un manche à balai ce n’est pas gagné, alors une pique de 4 cm de diamètre…
  • Les rangs de piquiers étaient organisés de façon que si une pique tombe, derrière il y en a 30 autres qui avancent en lignes successives. Aux bouts des piques, il y a des gaillards amurés, qui sont enchevêtrés de façon à faire un bloque. Tenter une attaque avec des grandes épées sur un mur de piquiers, c'est autant suicidaire qu’inefficace.
Une autre erreur que l’on rencontre souvent, est l’usage du terme double soldes pour désigner ces épéistes. Ce nom désigne des troupes expérimentées ou stratégiques pour une armée. Ils sont généralement armés de hallebardes, piques ou encore d’arquebuses.

Les effectifs d’épéistes sont variables d’une armée à l’autre. Les ratios sont de l’ordre de quelques dizaines d’épéistes pour plusieurs centaines de piquiers, et ce ratio évolue en faveur de la pique et des autres armes (à poudre noire notamment), jusqu’à la disparition totale de l’épée à deux mains.
Dans les manuels militaires du XVIe, la place des épéistes sur le champ de bataille est similaire à celle des hallebardiers :
  • En arrière des lignes piquiers afin de mener des contres charge, ou de renforcer les formations en cas de défaillances des linges plus en avant.
  • Pour la protection (et des fois l’attaque) des flancs des formations.
  • Pour la protection des enseignes et officiers.


 Représentation de la bataille de Kappel (en 1531) réalisée en 1548. Des épéistes en arrière-garde protègent la retraite des troupes.

Plus tardivement en Espagne et au Portugal (notamment lors de la guerre d’indépendance du Portugal) il semble que les éclaireurs portaient des Montantes afin de se défendre de groupes d’ennemies. Certaines règles des traités ibériques s’adaptent bien aux situations que pourrait rencontrer un soldat isolé en avant des lignes. Dans son manuscrit, Godinho, explicite cette application militaire de la Montante lorsqu’il décrit une variante de la règle contre l’encerclement permettant de se défendre d’un « escadron ».

L’utilisation de la grande épée lors des batailles navales est une autre application militaire que nous connaissons. En effet, quelques Montantes apparaissent dans les inventaires de l'armement embarqué sur les galéasses navigant en méditerranée pour combattre les Ottomans. Cela est appuyé par l’existence de règles dans les traités d’armes afin d’enseigner l’usage de la Montante sur une travée de galère.
Enfin, durant la seconde moitié du XVIIe, Louis de Gaya signale avoir vu des épées à deux mains stockées à proximité des fortifications dans les villes hollandaises. L’usage serait essentiellement défensif, les espadons servant à ralentir l’ennemie en cas de brèche. Cet usage de l’épée à deux mains, lors de sièges ou de combats à proximité de fortifications, est conforté par plusieurs sources italiennes plus anciennes.

Pour conclure sur le cadre militaire, il semble que ce type d’épée fût davantage utilisée dans des actions d’éclats offensives ou défensives, plus que lors des batailles rangées. Comme dans l’escrime civile, le but est de déstabiliser un ennemi plus nombreux, ou de le dissuader d’attaquer.



La Montante en escrime artistique / spectacle


Cette partie concerne uniquement la Montante, donc exit :
  • la Spadone à la Marozzo (sorte de grande épée longue).
  • l’escrime germanique à l’épée longue (Meyer & Co) : les armes ont des caractéristiques physiques très différentes. Les techniques d’épée longue ne sont pas destinées à cet outil.
Vous l’aurez compris, il est possible d’intégrer la Montante dans divers scénarios se déroulant entre la fin du XVe siècle et la fin du XVIIe, en restant cohérent historiquement. Il sera uniquement question de combat asymétrique en nombre (1 Versus 4 par exemple) comme en armement (Montante Versus épée de côté/ronchache). Bien utilisée, cette arme à du potentiel pour faire un combat de groupe pêchu. Le combat Montante Versus Montante semble improbable, hormis dans un contexte de leçon et de salle.

« La Montante peut être l’ennemie de son porteur ». Il faut penser sécurité avant tout :
  • L’arme est réservée à des escrimeurs expérimentés, ayant une bonne condition physique. Je la déconseille aux gens qui ont des problèmes de dos ou d’épaules.
  • Avant de commencer à monter un combat, il est indispensable d’avoir une bonne maîtrise de l’épée en solo, et de développer sa précision, sa constance, son endurance, etc
  • Une fois lancée, la Montante est difficile à arrêter ou à dévier.
  • Attention aux quillons! Il faut donner de l’amplitude aux gestes, et tenir l’épée avec le pouce posé sur le ricasso, tourné vers soi (en fin et en début des frappes), afin de réduire le risque de se blesser avec les quillons.
En cas de pépin (par exemple, votre partenaire oublie de se reculer), il faut chercher à dévier votre frappe.

Pour son maniement, je vous conseille de vous pencher sur les traités tels que ceux de Godinho, de Figueyredo ou Paredes.

Le Montantero balourd et lent est un archétype erroné. Au contraire, il est mobile et rapide, donc représente une menace réelle pour ses agresseurs.

Pour le partenaire / adversaire : il est compliqué de prendre une parade efficace, et sans prendre de risques. Le bouclier (Rodela / rondache en acier) est une bonne protection, mais il rend le combat un peu moins visuel pour le public. Un jeu en distance et en esquive semble plus intéressant.

Enfin, la contrainte la plus importante est l’espace. Avec des frappes avoisinant les 2 mètres d’envergure, il faut de la place sur la scène.


Choisir une épée pour pratiquer


Depuis quelque temps, de plus en plus de fournisseurs intègrent des grandes épées dans leurs catalogues. De telles épées coûtent cher (en moyenne 500€/600€ pour une épée utilisable) donc il est préférable de ne pas se tromper.

(Nota : Regeyinei Armory propose (pour le moment) des épées deux mains à prix économique.)

Si vous êtes d'une traille moyenne, les proportions que donnent Narvaez (voir ci-dessus) sont bien. Attention de ne pas prendre une épée avec une poignée trop longue, cela entrave le maniement. Et bien sûr, attention à la longueur des quillons (20 à 25 cm de part et d’autre).

En ce qui concerne le poids, il faut privilégier une arme « légère » (2 kg à 2,5 kg max). C’est autant une question de sécurité et de santé, que d’exécution des gestes.

Pour conclure

Ce sujet des grandes épées est vaste, et complexe à isoler de ses traditions martiales. Il est probable, que d’ici quelques années, de nouvelles recherches viennent étoffer nos connaissances. Malheureusement, pour le moment, le manque de sources et d’éléments concrets génèrent des erreurs, ou des approximations, qui restent ancrées dans l’imaginaire collectif.

Enfin, au-delà des aspects martiaux et visuels, la Montante est un bon exercice solo de renforcement physique, de proprioception, ou encore de déplacement. Il possible de compléter ce travail solo avec des armes connexes comme à l’époque, tel que la double épée (règles de la double épée selon Godinho) pour la synchronisation/désynchronisation des bras.



Liste des sources (non exhaustive) :
·         Memorial da Prattica do Montante, Diogo Gomez de Figueyredo, 1651
·         Règles de Montante d’après Pablo De Paredes – 1599, Rapportées par Jehan l’Hermite, Cour d’Espagne, 1599 et transcrites par J.E. Buschmann, 1896.
·         Método de enseñenza de maestros, suivi de Epitome de la enseñanza, Luis Díaz de Viedma, Barcelone, 1639
·         Las nueve reglas de la espada de dos manos, y la práctica de la esgrima en Zaragoza hacia 1526, Gladius, Vol 37 (2017), Miguel González Ancín & Otis Towns
·         MS PBA 58, Domingo Luis Godinho, 1599
·         CCPB000152417-8 - “Las reglas del montante” environ 1563
·         MS II/1579(2) environ 1580
·         L’arte di ben maneggiare la spada , 1653 , Francesco Fernando Alfieri 
·         Opera Nova (1536), Achille Marozzo
·         Nueva Ciencia , Luis Pacheco de Narvaez
·         Page de Spadone Project


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire