samedi 23 mai 2020

Armes insolites : le biscaïen et autres fléaux improvisés

Récemment, Alaric de Capcir qui tient la chaîne Les arts martiaux français a fait paraître une vidéo (voir en fin d'article) traitant du biscaïen, une sorte de fléau artisanal employé, notamment sur les navires et enseigné par les maître de savate et de bâton du XIXe siècle. Si vous connaissez mon goût pour les armes insolites vous imaginez bien que ma curiosité a été immédiatement piquée et que j'ai donc décidé d'en faire un article.

On commencera évidemment par analyser ce que cette arme, ou plutôt cette famille d'armes ainsi que son maniement. Puis nous nous intéresserons ensuite à son utilité martiale et tactique mais, surtout, à ce que nous pouvons en faire dans le cadre d'un spectacle d'escrime.

Cette arme (détail), qui apparaît sur une gravure  pour la salle du 21 rue des Moineaux serait le fameux Biscaïen
(la gravure est reproduite dans l'ouvrage de Michel Delahaye Savate, chausson et boxe française d'hier et d'aujourd'hui - 1994)

Le biscaïen, un fléau d'arme artisanal

Dans la vidéo Alaric du Capcir laisse la parole à SuperFab et Ludwig qui ont tous deux effectués des recherches sur le biscaïen. Tous deux en arrivent à la conclusion que d'un fusil de rempart (lourd donc), le mot en est arrivé à désigner la munition puis, dans l'argot, n'importe quelle munition. Le Biscaïen serait donc cette balle de plomb lourde "estropée" (ceinte d'un cordage) dans un "poing de singe", un nœud de marine permettant de fabriquer une "pomme de touline". Cette dernière est formée normalement autour de chiffon ou d'étoupe autour de laquelle on fait le "poing de singe", elle sert à lester l'extrémité d'une corde d’amarrage pour mieux lancer celle-ci. Le biscaïen serait donc un détournement de cette pomme de touline en estropant à l'intérieur une balle de plomb et au lieu d'un chiffon. Pour améliorer l'arme on peut la fixer au bout d'un bâton et en faire un fléau.

Dans cette dernière hypothèse il faut veiller à ce que la longueur de corde soit plus courte que la longueur du bâton et permette un maniement à deux mains sans risquer de se prendre la balle sur les mains ou les avants-bras. C'est d'ailleurs le principal risque avec la version sans bâton, potentiellement, si la corde est plus longue que les bras, on peut se la mettre dans la tête en retour de frappe. Le fait d'utiliser un bâton permet un maniement beaucoup plus sécurisé. Idéalement on placera une marque indiquant l'endroit à ne pas dépasser pour le positionnement de la main la plus haute. Pour ce qui est de la taille de l'arme on peut se baser sur l'étude réalisée par Canne et Bâton Dijon sur le fléau agraire. Afin de pouvoir réaliser correctement les moulinets l'arme devrait mesurer en tout (bâton + corde + nœud) entre 1m20 et 1m80, à ajuster en fonction de la taille de la personne qui manie l'arme. La partie mobile (corde + boule) devrait quant à elle faire au moins 30cm de long.


Pomme de touline sur Wikimedia Commons

Un membre d'une grande famille d'armes paysannes

Le biscaïen s'appelle ainsi au XIXe siècle, il est tout à fait possible qu'il ait eu un autre nom précédemment. C'est plutôt une arme utilisée sur les navires mais elle s'inscrit dans une longue lignée d'armes improvisées, chez les paysans notamment. Son maniement est souvent cité conjointement au bâton brisé, fléau brisé, au martinet ou au fléau à grain. Toutes ces traditions ont été conservées dans la savate-boxe française en étant associées au maniement du bâton à deux bouts puis du bâton de Joinville. Ces deux méthodes (on retrouve le bâton à deux bouts au moins au XVIIe siècle), plus ou moins parentes, nous enseignent, entre autre l'art de faire faire des moulinets au bâton et de lui garder un mouvement ininterrompu. C'est cette technique qui permet de manier facilement le biscaïen et les autres armes articulées quand on est formé au bâton à deux bout ou au bâton de Joinville.


La Rose couverte, un enchaînement de moulinets présentés par Roger Pozzi enseignant au Cercle d'armes du Dauphiné
L'arme permet de maintenir un très grand espace autour de soi et, du fait qu'il s'agit d'une arme articulée, elle est très difficile à parer avec des sabres ou des fusils à baïonnette, les principales armes utilisées sur les navires (avec la hache d'abordage). Au mieux on réussira à enrouler la corde sur son arme, neutralisant ainsi l'adversaire... à condition de ne pas se prendre quand même la balle de plomb estoupée ! Si l'on avance directement vers celui qui manie l'arme comme on le ferait façon à un bâton et que l'on en vient à parer la partie bâton c'est encore pire car on est alors presque assuré d'être blessé par la pomme de touline. Face à un fléau brisé, Pierre Jacques Girard recommande de neutraliser l'arme en jetant simplement son vêtement dessus (voir la technique à la fin de cet article). Plus anciennement encore, Michael Hundt dans son traité Ein new Kůnstliches Fechtbuch im Rappier (1611) recommande, face à un fléau, d'enrouler son vêtement autour du bras gauche et d'éviter un coup horizontal en se jetant sous l'arme d'une fente et en attrapant le fléau.

La technique présentée dans le Traité de la perfection sur fait des armes de P.J. Girard (1736)

La technique de rapière contre le fléau d'armes des sergents de ville par Michael Hundt (1611)
Scan : Herzog August Bibliothek

L'arme idéale contre plusieurs adversaires

Concernant l'emploi tactique de cette arme, on constate que, bien qu'elle soit une arme navale, elle demande un certain espace pour être maniée. C'est, de plus, une arme capable de tenir à distance des ennemis en supériorité numérique et de faire le vide autour d'elle, rendant son porteur difficile à attaquer. Cela fait penser à une autre arme qui était également employée sur les navires, quelques siècles auparavant, au XVIe siècle notamment : la grande épée à deux mains et spécifiquement la Montante. Je ne peux d'ailleurs que vous inviter à lire l'article qui lui est consacré sur ce blog. En 1537, dans son Espejo de Navegantes, l'Espagnol Alonso de Chaves conseillait pour l'abordage l'emploi d'infanterie lourde, de boucliers mais aussi de montante. On imagine que l'usage est ici le même : contenir des adversaires plus nombreux ou les faire reculer. Celui qui manie le biscaïen ne passe pas son temps à faire continuellement des moulinets, ils ne commence ceux-ci que lorsque les ennemis s'approchent et menacent.


Si l'on lit le Lieutenant Pringle Green (voir cet article), bien plus tardif, on s'aperçoit que des tactiques d'abordage parfois très sophistiquées existaient. c'est également ce qui apparaît dans les mémoires de corsaires comme Duguay-Trouin ou Jean Doublet. Le champ de bataille que constituent les deux navires n'est pas forcément intégralement empli de troupes serrées et nombreuses et l'on peut évidemment contourner l'adversaire, le prendre de flanc, prendre des canons et les retourner etc. Dans toutes ces circonstances, quelques marins courageux armés de biscaïens peuvent tout à fait dissuader, pour un temps du moins, les ennemis de contourner un flanc ou de s'approcher de pièces d'artillerie, ou, pourquoi pas, du capitaine. C'est tout l'intérêt de ce genre d'armes impressionnantes et la montante ne devait pas servir à autre chose à l'époque. De même, dans les coups de mains qui sont tout aussi fréquents chez les corsaires menant de petites embarcations (comme celles des flibustiers et de la majorité des pirates), la possibilité de contrôler des ennemis plus nombreux est très appréciable en attendant les renforts ou que ses compagnons aient fait ce qu'ils avaient à faire. Si l'on va vers des époques plus récentes, on peut aussi facilement l'imaginer manié dans un port, la nuit, lors d'un mauvais coup.

Ces deux images illustrent certaines possibilités tactiques lors de l'abordage.
Lt Pringle Green :  Instructions on training ship’s crews to the use of arms (1912)
© National Maritime Museum, Greenwich, London.

Le biscaïen, un certain potentiel scénique

On esquisse là déjà des scénarios pour l'escrime de spectacle mettant en scène le monde maritime. On voit tout de suite qu'il s'agit d'une arme propice aux combats de groupe et même de groupes relativement nombreux. Cependant même à trois, à deux contre un, l'arme reste intéressante par l'aspect impressionnant de ses moulinets et la difficulté à la gérer pour les adversaires. En revanche elle offre une très faible diversité de coups et peut assez vite ennuyer le spectateur. Donc, à moins d'un combat court (mais au Fracas des lames nous préférons toujours un combat court et intense à un combat long et ennuyant), il vous faudra prévoir que le biscaïen ne soit qu'un passage au sein d'un chorégraphie. Il faudra donc trouver un moyen de le vaincre, ou du moins de le désarmer. La manière la plus simple peut être de lui régler son sort d'un coup de pistolet (cela fonctionne bien, nous avons tous vu Indiana Jones le faire). On peut aussi le tuer à coup de pique d'abordage ou de fusil à baïonnette en prenant le bon temps d'escrime ou en profitant qu'il s'occupe d'un autre adversaire. Un ennemi peut également se sacrifier et se faire blesser à la poitrine ou au dos (en portant, de préférence, des protections dissimulées) pendant que son camarade en profite... Si l'on est peu nombreux sur scène il faudra qu'il survive encore un peu pour se battre au sabre ou au poignard dans un combat plus classique.

Dans cette situation un biscaïen serait très utile !
image tirée du jeu Assassin's Creed Black flag - Le prix de la liberté édité par Ubisoft
On pourrait voir les mêmes scénarios avec des fléaux agraires et autres fléaux brisés mettant en scène des paysans ou des brigands. Cependant le biscaïen a l'avantage, pour l'escrime de spectacle, de pouvoir être plus facilement sécurisé en remplaçant la balle de plomb par une balle de mousse. Les cordages dans laquelle elle est estropée masqueront habilement qu'elle n'est pas en métal et l'on obtient ainsi une arme de scène bien moins dangereuse que l'originale et même que ses cousines agraires en bois. Pour plus de contrôle il est conseillé de monter le biscaïen sur un bâton, cela en facilitera le maniement et la précision. Toutefois n'oublions pas que les cordages peuvent en eux-même faire déjà très mal et qu'il s'agit d'une arme à manier avec précaution, d'autant plus qu'une fois lancée, on ne peut pas l'arrêter. Si elle ne vous enverra probablement pas aux urgences ou à la morgue si elle vous touche, elle risque quand même de vous faire très mal, surtout si c'est la tête qui est touchée. Mais c'est aussi le risque de nombreuses armes bluntées que nous utilisons très régulièrement dans nos chorégraphies....

On prendra donc soin de la faire manier par un escrimeur, ou mieux, un bâtonniste avec une certaine expérience et, surtout, un bon sens des distances. Il en va de même si l'on veut la faire s'enrouler sur un sabre ou une pique sans se prendre un coup ou profiter du bon temps d'escrime pour attaquer. De par son côté plus difficile à contrôler, l'importance du jeu de distances pour les esquives des adversaires, je la déconseille à des débutants ou même face à eux. Enfin notons que si l'on veut aller à la touche pour des raisons scénaristiques, on recommandera de toucher la poitrine ou le dos et de porter des protections dissimulées (une redingote du XVIIIe ou du XIXe siècle les cachera facilement).


***

Pour conclure nous avons là une arme assez exotique et facile à fabriquer soi-même qui peut impressionner si on la sort dans un spectacle d'escrime. Elle peut cependant être un peu lassante à force et est à manier avec précaution. Néanmoins elle trouvera peut-être grâce à vos yeux et illustrera un combat de pirates, un coup de main de corsaires voire une bagarre dans un port au XIXe siècle !

Notons que, dans l'espace allemand, du XVe au XVIIe siècle on trouve de temps en temps quelques techniques de maniement du fléau plus élaborées. Il s'agissait de l'arme des sergents de villes, probablement pour les mêmes raisons que notre biscaïen : la capacité à contrôler de nombreux adversaires et à les faire reculer. Cependant ces traités sont très éloignés autant dans le temps que dans l'espace, de plus, la biscaïen est très clairement relié aux traditions du bâton français. Mais cela peut toujours être une piste pour varier les techniques.


 La vidéo de la chaîne Les arts martiaux français

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