lundi 14 février 2022

L'épée longue c'est pour les feignants, la rapière c'est pour les costauds !

Derrière ce titre un peu étrange se cache une phrase que Gaëtan, mon instructeur d'épée longue dans le cadre de mes cours d'Arts Martiaux Historiques Européens, aime répéter. Elle est un peu résumée ici mais elle sert surtout à faire comprendre l'importance de levier et des gestes naturels qui font que l'on peut facilement manier l'épée longue sans avoir besoin d'être fort physiquement. J'avais d'ailleurs déjà évoqué cela dans l'un de mes premiers articles mais je voudrais développer l'idée un peu plus ici.

Une rapière de la fin du XVIe siècle et une épée longue de la première moitié du même siècle
dans les collections du Rijksmuseum d'Amsterdam

Les armes à deux mains : la magie du levier

Vous avez peut-être l'impression que je radote sur l'effet levier mais c'est parce qu'il est capital dans le maniement des armes à deux mains. En gros l'idée est celle-ci : utiliser les deux mains pour manier une arme ce n'est pas seulement combiner la force de ses deux bras pour la soulever mais surtout permettre d'avoir deux points d'appui pour la manipuler et donc de pouvoir se faciliter la tâche avec les forces de levier. Je n'entrerai pas dans le détail mathématique des forces que cela permet d'appliquer mais de façon pratique si vous tirer avec une main en poussant avec l'autre ça vous donne énormément de force sans trop d'effort. Plus vos mains sont écartées plus l'effet est puissant et, pour les armes à manche, on peut même rapprocher les mains au moment de la frappe pour une puissance maximale.

« Πα βω και χαριστιωνι ταν γαν κινησω πασαν » (« Donnez-moi un point d'appui, et un levier, je soulèverai le monde »)

citation attribuée à Archimède (287-212 av J.C.)

Ce principe va s'appliquer aux épées longues que l'on tient idéalement une main près de la garde et une autre au pommeau. Cela peut même vous aider à manier une épée à une main qui vous paraîtrait un peu lourde ou pas assez maniable. Si vous maîtrisez bien ces gestes vous devriez même ne presque pas vous fatiguer en maniant l'épée, ne faisant presque aucun effort. Ajoutez cela à des gardes basses où l'on laisse traîner la pointe de l'épée sur le sol pour éviter la fatigue et vous pouvez même construire une véritable escrime de flemmard (et le personnage qui va avec) ! Plus sérieusement, si la maniement de l'épée longue vous fatigue posez-vous la question de vos gestes, il se peut que vous n'ayez pas les bons.

Mais ce principe va également s'appliquer aux lances et aux bâtons. Cela leur conférera une exceptionnelle maniabilité de pointe, même avec une longue hampe. C'est aussi ce principe qui permet de manier les armes d'hast telles que les haches de pas, les gros gourdins, les hallebardes et autres pertuisanes, vouges etc. Il faut en principe (sauf pour certaines écoles de bâton français apparemment dont le maniement ressemble plus à celui d'une épée à deux mains) les coupler avec la technique du coulissement qui permet d'allonger ou de raccourcir l'allonge ou de positionner autrement ses mains pour frapper, par exemple, de la queue. Si des armes lourdes et peu équilibrées comme le haches ou les hallebardes peuvent être encore relativement lourde cela ne doit plus être le cas des bâtons ou des lances courtes.

Comme Paulus Kal (1470) forgez vous un physique d'athlète en utilisant le levier !

Les armes à une main : la gestion du poids

À l'inverse les armes à une main sont toujours perçues dans les idées reçues comme plus légères et plus faciles à manier. Ainsi dans les jeux de rôles ou les jeux vidéos une compétence spéciale est souvent exigée pour manier les armes à deux mains tandis que des armes comme la rapière sont souvent perçue comme des armes pour les personnages faibles. Si il est vrai qu'une attaque d'estoc, et qui plus est de rapière, n'a pas besoin de force pour s'enfoncer dans un corps, des vêtements ou toute autre surface molle il n'en va pas de même maniement de rapières qui pèsent au minimum 1kg et peuvent aller jusqu'à plus d'1,5 kg ! D'autant que beaucoup de techniques de rapières (et spéciale la Verdadera Destreza) nécessitent d'avoir le bras très allongé, on comprend alors la nécessité de s'entraîner et de renforcer le bras afin de ne pas être fatigué au bout de quelques secondes. On est loin d'une arme pour les faibles.

Il en va de même avec l'une des armes les plus exigeantes à manier à une main : la lance. Si cette arme semble plutôt légère à deux mains il n'en va pas de son maniement à une main (le plus souvent en conjonction avec un bouclier). Il faut, soit avoir des muscles d'acier, soit la tenir à la moitié voire au tiers de la hampe et attaquer en la faisant coulisser. Cela se fait relativement facilement dans un contexte où l'adversaire en face est protégé (ou que vous voulez le tuer) mais c’est plus compliqué à maîtriser suffisamment pour être en sécurité dans le cadre d'un combat de spectacle.

En Verdadera Destreza on travaille très souvent le bras allongé. Ici le milieu de la formation de l'atajo chez Ettenhard : Précis des principes de la véritable escrime et de la philosophie des armes (1675)

D'une manière générale, avec une arme à une main vous allez devoir gérer l'inertie de l'arme pour ne pas perdre trop de temps et être prêt à vous défendre après avoir attaqué (ou à enchaîner une autre attaque). C'est là qu'on voit l'intérêt d'un bouclier qui permet de se défendre même sans avoir récupéré la maîtrise de son arme ou de ne pas utiliser celle-ci pour parer et donc de riposter immédiatement. La chose est à peu près la même d'ailleurs avec une main-gauche ou une autre épée.

Seules deux armes demandent peu de force pour être maniées : l'épée de cour et la dague. La première est la seule arme réellement agile à une main. Pour la seconde il ne faut pas oublier que les techniques de dague impliquent le plus souvent de se retrouver rapidement au corps à corps avec des techniques issues de la lutte et que, dans celles-ci, la masse et la force sont importantes. Manier une dague sans être puissant demande donc d'être capable de beaucoup de mobilité et d'agilité pour éviter les saisies ou se dégager rapidement de celles-ci.

À la dague la technique est importante mais sur les phases de lutte la force et la masse peuvent faire des différences. Illustration issue du livre de combat de Hans Talhoffer (1459)
 

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Voilà déjà la fin de ce court article qui vient en fait préciser ou compléter le précédent en abordant la question sous un autre angle : celui des idées reçues sur les armes. Je vous invite donc à revoir vos règles de jeux de rôles ou vos clichés sur les armes, surtout, à tester par vous-même ce que je raconte !

(Et le premier ou la première que je vois qui n'utilise pas le levier avec une arme à deux mains je.... )


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