dimanche 20 juin 2021

Oui, on peut aimer l'Histoire sans être identitaire !

Ce message fait suite aux événements récents qui ont vu le Président de la République se faire gifler par un individu dont les idées semblent tendre fortement vers l'Extrême-Droite (du moins selon les informations qui sont sorties dans les médias) et pratiquant les Arts Martiaux Historiques Européens (hors FFAMHE). Le sujet force les AMHE et ses représentants, affiliés ou non à la FFAMHE, à prendre position. Ce que certains n'ont pas manqué de faire en rappelant certaines règles de sociétés : pas violence hors cadre, pas discrimination, etc. d'autant qu'il s'agit d'attitudes punies par la loi. Cependant, l'incident s'inscrit dans une problématique plus globale de récupération de l'Histoire en général et du Moyen-Âge. Celui-ci touche beaucoup de personnalité publiques et, plus que tout, des hommes et des femmes politiques mais il est particulièrement exacerbé chez les personnes ou des groupes se revendiquant d'une identité nationale ou d'une nostalgie d'un passé fantasmé et idéalisé. Les articles d'Actuel Moyen-Âge et de Temps présents analysent bien cette problématique et nous éviteront de rentrer dans les détails.

L'objet de notre article est plus ici de proclamer que l'on peut aimer l'Histoire, même au point de se costumer pour la faire revivre, que l'on peut aimer les combats historiques, au point de vouloir en reproduire les techniques et les représenter devant un public, sans pour autant verser dans une idéologie identitaire glorifiant, par exemple, la prétendue virilité d'antan par rapport à une supposée fragilité actuelle.

Entendons-nous bien, Le fracas des lames n'a pas pour objet de parler de politique ou de faire la promotion de nos idées politiques. Notre expérience, à défaut du bon sens, nous amène à considérer que nous n'avons pas besoin d'avoir les mêmes idées politiques que nos partenaires de combat pour créer et représenter un bon spectacle ou bien étudier l'escrime historique. Néanmoins, on a coutume de dire que tout est politique. A des degrés différents, certes, mais il est difficile de toujours s'en extraire. Ainsi, lorsque des identitaires nationalistes ou européens, revendiquent l'Histoire, le Moyen-Âge ou les combats d'épée dans une glorification d'un passé idéalisé c'est, de fait, tous les pratiquants qui se retrouvent amalgamés, de force, dans cette revendication. Il nous faut donc, à notre tour venir dans le champ politique pour contester cette assimilation que la presse et le grand public ont tôt fait de faire concernant des disciplines confidentielles.

Et afin de mieux y répondre, nous pensons nécessaire de revenir en premier sur la distinction entre Histoire et Mémoire. Ce avant d'exposer notre vision.

 

Maintenant écoutez-moi bien, il va falloir faire marcher un tout petit peu vos cerveaux !
Extrait des Grandes chroniques de France - fin XIVe siècle

Distinguer Histoire et Mémoire, une notion fondamentale

Disons le, il y a les faits historiques, ce qui s'est passé et que l'historien ou l'historienne cherche à retracer à l'aide des sources dont il ou elle dispose. Parfois c'est assez facile, parfois c'est impossible et l'on arrive, au mieux, à des approximations ou des probabilités. On peut étendre cette catégorie des faits historiques aux faits de civilisation, aux acteurs qui les ont vécus ainsi qu'aux causes et aux conséquences de ceux-ci. C'est le travail du ou de la spécialiste en Histoire de les analyser, de les comprendre et de les restituer au mieux. Dans ce travail il ou elle se doit d'être le plus objectif possible (même si l'objectivité totale est impossible) et de ne pas juger les personnes du passé, surtout aux critères de sa propre époque ! Évidemment, nous sommes tous humains et nous avons nos préférences, nos dégoûts et nos attirances ainsi que les sujets d'étude que nous avons envie de privilégier. Mais quand on fait œuvre d'historien ou d'historienne on se doit de rechercher la neutralité. Le terme Histoire recouvre donc à la fois la discipline mais également le fruit de ce travail qui, comme tout travail qui se veut scientifique et objectif, est forcément soumis à des corrections constantes voire des révisions radicales.

De l'autre côté il y a la Mémoire qui est la volonté de se souvenir de certains faits historiques, de certains moments de l'Histoire, de certains personnages ou civilisations. La Mémoire est un choix plus ou moins conscient de mettre en avant certaines parties de l'Histoire et ce choix se fait forcément en rapport aux préoccupations actuelles. Cela peut être de se souvenir d'un événement douloureux dans l'espoir qu'il ne se reproduise plus jamais comme le génocide juif pendant la seconde guerre mondiale ou la boucherie de la Guerre de 14-18 (le fameux "plus jamais ça"). C'est ce que l'on appelle souvent le fameux "devoir de mémoire".

Les monuments aux morts de la Première Guerre Mondiale évoquent différentes choses selon le lieu et l'époque : la victoire, le sacrifice du soldat dans des mises en scènes plus ou moins dramatiques ou apaisées.
Ici, celui d'Arras, érigé bien après (en 1931) évoque la victoire, la guerre (face cachée), mais aussi la reconstruction qui a suivi, la  région et la ville ayant beaucoup souffert des destructions.
 

Cela peut être également pour mettre en avant certains moments de l'histoire d'un pays, d'une ville, de l'Humanité, perçu comme glorieux ou important. C'est là que l'on retrouve le rôle des statues et des noms de rue : ériger une statue à un personnage historique c'est mettre en avant les actes de cette personne, souvent certains plutôt que d'autres. Le choix est évidemment loin d'être anodin et en dit autant des idées de ceux qui payent la statue que de celui ou celle qui est statufié. Parfois, avec le temps et les remous de l'Histoire, certaines statues sont en trop grande contradiction avec les idées de l'époque pour demeurer dans l'espace public et c'est pour cela que certains veulent les reléguer dans les musées. Cela a eu lieu à toutes les époques d'ailleurs. Ainsi, sortir ou non une statue de personnage historique de l'espace public n'est pas une question de nier l'Histoire. Il s'agit en fait de savoir si ce qu'elle représente est encore idéologiquement acceptable dans la société actuelle.

Notons que la Mémoire a vite fait d'entrer en contradiction avec l'Histoire dans le sens où la Mémoire tend à idéaliser celle-ci. Il y a également une certaine tendance à la diabolisation mais elle est en général moins excessive que celle qui tend à construire une légende dorée de certains personnages ou événements historiques. On aime à se trouver des héros parfaits, des récits parfaits quand la majorité des gens ont ce que l'on pourrait appeler leur part d'ombre. Les idéologies extrémistes sont particulièrement promptes à déformer le faits historiques pour justifier un récit en leur faveur. Mais c'est du camp identitaire et nationaliste que proviennent actuellement les plus sérieuses atteintes au travail des historiens puisque les régimes communistes qui se plaisaient à réécrire l'Histoire ont désormais disparu.

Notons qu'honorer la Mémoire d'une personne peut avoir plusieurs sens. À Orléans on défile tous les ans en l'honneur de Jeanne d'Arc parce qu'elle a libéré la ville en 1429, pas avec des visées nationalistes ou religieuses.

Notre rapport à l'Histoire

Ceci  précisé, qu'en est-il de nous, les auteurs de ce blog ? Déjà affirmons-le : nous nous opposons catégoriquement à toute récupération de l'Histoire ainsi que des disciplines que sont les Arts Martiaux Historiques Européens ou l'escrime de spectacle par des idéologies identitaires ou leurs adeptes. Nous refusons qu'elles soient instrumentalisées et nous refusons, en tant que pratiquants, d'être assimilés à des idées et mouvements dans lesquelles nous ne nous reconnaissons pas.

Ajoutons que, presque toujours, cette instrumentalisation s'accompagne d'une lecture faussée de l'Histoire. Citons, parmi d'autres, la phrase d'un Youtubeur ayant fait parler de lui récemment : « le véritable Moyen Âge, cette France totale qui sent l’ail et le fromage de chèvre, qui saigne du nez et qui transpire abondamment des burnes ». Réduire le Moyen-Âge à cette vision viriliste est faire montre d'une grande ignorance de sa complexité et de sa réalité. Les identitaires aiment idéaliser Charles Martel sans comprendre véritablement la bataille de Poitiers ou même la période dans laquelle elle s'inscrit ou d'autres figures comme de Grands Conquérants comme Napoléon Bonaparte par exemple. Si vous avez lu mon paragraphe précédent vous aurez compris à quel point il s'agit de Mémoire et d'une vision de l'Histoire au prisme de leur préoccupations idéologiques contemporaines.

Une vidéo de la chaîne d'Histoire Ave'roes qui remet bien dans son contexte la bataille de Poitiers

Notre amour de l'Histoire est plus simple et ne s'inscrit pas dans une idéologie quelconque. Je ne nierai pas qu'il peut m'arriver, en tant que connaisseur de l'Histoire, d'utiliser des faits historiques pour justifier des propos politiques mais je m'attache d'abord à être le plus objectif possible sur ceux-ci et ensuite à relativiser cette utilisation. Mais surtout il ne s'agit pas d'inscrire mes loisirs dans une idéologie plus vaste. À vrai dire ils en sont grandement séparés. Je me costume en combattant médiéval, en brigand du XVIIe siècle ou en noble du XVIIIe non pas parce que je fantasme ces périodes ou ces personnages, les idées qu'ils portaient ou les périodes auxquelles ils vivaient et qui représenteraient un idéal. Non, je le fait simplement parce que cela fait de belles histoires, que les costumes sont beaux, l'escrime de ces périodes est intéressante et que ces périodes sont propices à des histoires passionnantes, plus (à mon sens et ce n'est pas une vérité absolue) que la nôtre.

Nous pouvons avoir une certaine fascination pour les combats à l'arme blanche, leur virtuosité, le danger que cela représente. Le Baron, par exemple, en aime la logique ou encore le jeu qu'ils procurent. Pour autant nous ne fantasmons pas de nous battre réellement en duel ou de mettre notre vie en danger. ( Comme dirait peut être Fiore de Liberi : "C'était con ! Ne le faites pas"). En revanche j'adore étudier les techniques martiales et représenter des combats à l'épée devant un public. Le Baron adore étudier comment en enseigner la gestuelle et leur valeur scénique. En cela nous sommes des hommes du XXIe siècle qui apprécient la relative sécurité et les mœurs plus apaisées de notre époque. De même, nous n'aurions pas forcément envie de renoncer au chauffage, à nos salles de bains, à la médecine ou aux congés payés pour vivre au Moyen-Âge ou au XVIIIe siècle. Il s'agit bien d'une passion mais elle n'entre pas dans une idéologie globale qui voudrait retrouver dans les époques passées des soi-disant qualités qui seraient en voie de disparition à notre époque.

"Ainsi que je l’ai dit, que je voudrais plutôt combattre trois fois à la barrière qu’une seule fois à l’épée tranchante de la manière dite au dessus."

Extrait du prologue du MS Ludwig.XV.13 - Getty Fior di battaglia par Fiore di Liberi

(Traduction : Benjamin Conan)

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Voici ce que nous voulions dire sur notre rapport à l'Histoire et à nos disciplines martiales qui y sont liées (AMHE et escrime de spectacle). La passion est là, bien présente, mais elle ne doit nous faire perdre la raison ni sur la réalité des faits historiques, ni sur les qualités que peut avoir la vie au XXIe siècle qui nous permet de jouer à la bagarre sans risques tout en profitant d'un certain confort, du moins dans les pays occidentaux.

Signataires : Le Capitaine, le Baron et MOB