mardi 22 septembre 2020

"Oh non ! Ils font du médiéval..."

"Oh non ! Ils font du médiéval..." c'est cette phrase que le Baron et moi-même prononçons régulièrement lorsque nous regardons une vidéo de combats postée par une troupe d'escrime artistique. Ce n'est pas que nous n'aimons pas l'escrime médiévale, au contraire nous adorons ça, mais c'est que nous savons que nous avons de grandes chances d'être déçus. J'avais posté il y a maintenant plus de deux ans un article critiquant l'escrime médiévale au cinéma mais ce n'est généralement pas mieux en ce qui concerne le spectacle vivant. Il y a bien sûr des exceptions, des troupes géniales dont nous adorons les combats, d'autres que l'on trouve intéressantes même en médiéval mais nous devons confesser que le plus souvent c'est la déception qui l'emporte.

Je vais donc ici exposer la plupart des raisons qui font que nous sommes déçus et ce que, à mon sens, nous devrions trouver dans un bon combat médiéval de spectacle. Vous vous sentirez peut-être visés (c'est un peu le but en même temps) mais l'idée n'est pas de stigmatiser des troupes (je ne donnerai aucun nom comme à mon habitude) mais de susciter l'auto-critique et la réflexion sur ses  pratiques. Après cette critique, même si elle prendra parfois des aspects péremptoire reste relativement personnelle, libre à vous d'affirmer le contraire... en m'apportant vos arguments.

Duel dans l'épisode pilote de la série Kaamelott (mais là c'est une série humoristique)

Ce qui ne va pas dans ce que nous voyons

Tout d'abord notre premier constat est le plus souvent que c'est lent, mais vraiment lent. Certes, les épées médiévales sont plus lourdes que des épées de cour ou des rapières à lame triangulaire mais d'expérience on peut tout à fait avoir une certaine rapidité d'exécution avec ces armes. Les raisons de ce manque de rapidité sont souvent multiples. Tout d'abord il semble y avoir parfois chez certaines troupes une appréhension sur le fait de manier des armes un peu plus difficiles à maîtriser et arrêter. Je dirais qu'il ne faut pas écarter l'hypothèse d'un manque d'entraînement : à la fois de travail de la chorégraphie mais également de travail avec l'arme. Si l'on maîtrise correctement son épée bâtarde ou longue, c'est à dire qu'on a compris comment la tenir (la main gauche sur le pommeau pour les droitiers) et que l'on sait utiliser le levier, il est alors très facile de l'arrêter où l'on veut (en la retenant justement avec la main sous le pommeau, toujours avec le principe du levier). En fait c'est cette maîtrise du levier qui permet à l'épée de danser entre les mains sans avoir à faire de grands mouvements de bras dans tous les sens. Pour plus de maniabilité on peut également poser le pouce sur la lame pour les parades et les estocs voire crocheter le quillon (il ne faut alors pas prévoir juste après de technique où la lame adverse redescend jusqu'à la garde sinon gare à vos doigts !).

Avec une lame à une main il faut savoir maîtriser les moulinets et les rotations utilisant le poids de l'arme pour lui donner plus de rapidité. Ajoutons que si l'on a un bouclier les ripostes rapides sont facilité par le fait de riposter avec un arme différente de celle qui a paré. Enfin pour les armes longues de types haches de pas, bâtons, lance et autres armes d'hast c'est là encore la maîtrise du levier combinée à la capacité à faire coulisser ses mains pour changer de prise qui vous donnera de la virtuosité.

Cette planche du traité de 1570 de Joachim Meyer illustre bien l'intérêt de la tenue en levier.

En relation avec cela on assiste aussi trop souvent à une escrime extrêmement simpliste. Certes on trouve encore ici ou là de vieux manuels ou des gens mal informés qui tentent de vous expliquer qu'au Moyen-Âge les armes étaient très lourdes et l'escrime simpliste, mais depuis dix ou vingt ans des dizaines de traités d'escrime médiévale ont été numérisés, mis en ligne et traduits et l'on sait désormais que cette affirmation est fausse. L'escrime médiévale, particulièrement celle à l'épée longue, était riche et complexe au point que les Allemands commençaient encore l'initiation des nouveaux escrimeurs par cette arme au tournant du XVIIIe siècle ! Or en spectacle on voit trop souvent des coups très amples, des coups de "buffle" ou "de paysan" comme les qualifient nos sources. C'est l'escrime des mauvais, ceux qui ne savent pas escrimer, cela peut être intéressant pour jouer certains personnages (voir mon article sur les types d'escrimeurs) mais on ne peut pas s'en contenter. 
 
Quant aux coups très armés je rappelle que les épées étant tranchantes et relativement lourdes (1 à 1,5 kg, 2 kg au maximum) on n'a pas besoin d'armer très fort un coup de taille pour blesser grièvement quelqu'un sans armure. Frapper très fort ne se justifie que dans le cas d'un combat en armure, et encore plutôt en mailles d'acier, car si l'on attaque quelqu'un en armure de plates il sera plus efficace de passer en demi-épée pour estoquer au défaut de l'armure ou de prendre son arme par la lame et de frapper avec le pommeau (le fameux Morschlag ou Mordhau) pour plus d'impact. On nous objectera l'effet visuel, "artistique", mais comme je l'ai déjà dit ailleurs cela ne change rien à la trajectoire de l'arme. L'arme fait toujours un bel arc de cercle qu'on envoie tout son corps ou juste un tour de poignet, or les armes médiévales sont assez larges, bien visibles, prennent bien la lumière et sont un peu plus lentes que les rapières de spectacle (attention, ça va vite quand même). Ne vous inquiétez donc pas, le public verra tout autant votre arme foncer vers la tête ou le corps de votre adversaire et n'aura pas de doute sur ce qui se produirait si il ne parait pas votre attaque !

Dans le même esprit on voit trop souvent des mouvements ou des coups issus de l'escrime artistique "classique" à la rapière. J'ai déjà dit ce que je pensais des voltes mais je les trouve encore plus déplacées dans un contexte médiéval. Et même des coups comme le classique couronné trouvent rarement leur place car trop lent à moins qu'il ne suive une parade "de prime" ou "de quarte" bien envoyée et dont il est la prolongation logique pour porter une attaque dans la ligne opposée. On regrettera également le plus souvent l'absence de jeu court, c'est à dire de corps à corps, de prises avec les armes, pourtant très présent dans les traités médiévaux. Enfin, je trouve également que l'on n'estoque pas assez avec les bâtons alors que c'est le coup le plus présent dans nos écrits (le bâton étant l'arme d'entraînement pour les lances et autres armes d'hast), je déplore aussi les coups qui visent les parties armurées d'un combattant (oui les armures ça protège vraiment) ou encore les tentatives de Mordschlag pas assez bien vendues ; là par contre c'est un coup qui doit vraiment paraître brutal et qu'on utilisera surtout sur un adversaire protégé, ne serait-ce que par un casque.

Estoc au bâton dans le traité de Hans Talhoffer (années 1450)

Ce qu'on voudrait y trouver

Voilà pour les critiques, nous sommes parfois un peu taquin et nous aimons bien râler. Après tout ce blog est là pour que nous nous exprimions non ? Bon, comme on veut quand même vous garder comme lecteurs et lectrices il nous faut aussi expliquer ce que nous aimerions voir dans des combats médiévaux.
 
Tout d'abord nous aimerions voir des coups variés et surtout plus historiques, avec notamment des attaques en diagonale qui étaient tout de même les coups de base de l'escrime médiévale (on avait plus souvent tendance à frapper ainsi du haut plutôt que verticalement). On aimerait aussi voir plus de frappes en se décalant sur le côté (cela complique la parade, casse la ligne et artistiquement ça fait un combat moins "en ligne"), on veut des coups de contre-tranchant, des estocs vicieux en riposte etc. De même les parades devraient être plus variées, se faire avec la lame de 3/4 et non en opposition (ça abîme les tranchant !). On peut parer en suspension (nous appellerions cela prime ou seconde voire none), même des coups hauts, la lame droite ou encore en frappant la lame adverse pour enchaîner derrière. Faire un combat médiéval ce n'est pas seulement changer d'armes mais également changer d'époque et l'on doit ainsi bouger et frapper en relation avec cette époque.

Technique d'estoc présentée dans le traité de Peter Faulkner (1495)

Un combat médiéval n'a pas plus de raison qu'un autre de ne pas être engagé, au contraire même puisque les codes du duel n'existaient pas (en dehors du duel judiciaire qui est autre chose). Il faudrait qu'un combat médiéval soit aussi dynamique qu'un combat à la rapière et à l'épée de cour. Il faut que ça soit vif et qu'on sente la rage. Cela doit bouger et les lames doivent virevolter : technique et sanglant ; bon OK, là c'est surtout notre goût à nous mais disons que l'époque médiévale se prête moins à des tableaux plus "artistiques" en lien avec la beauté des corps et du mouvement. Après ce n'est pas impossible et je serais curieux de voir une telle prestation si elle est réussie ! Si vous utilisez des boucliers, et spécifiquement des bocles, alors cela doit être encore plus rapide car la riposte vient très vite après l'attaque, simplement parce qu'on a deux armes. 

Deux pratiquants d'AMHE (Nicolas Donnadieu et Marc-Olivier Blattin qui nous a déjà écrit un article sur ce blog) qui décident de créer un chorégraphie à l'épée longue ça donne un combat vif et technique !

Dans ce même esprit d'engagement on devrait voir presque toujours, du moins souvent, des techniques de corps à corps. La plupart des traités médiévaux qui ont survécu nous parlent, pour l'épée, de jeu long ou ("longue épée à deux mains") et de jeu court ("courte épée à deux mains"). Le jeu court comprend toutes les techniques qui permettent de venir et de vaincre au corps à corps à partir d'un jeu d'épées. L'escrime n'est pas encore "civilisée" à l'époque et dans beaucoup de tournois (sauf ceux "à la barrière" où les combattants sont séparés) ou de jeux civils on ne se prive pas de saisir l'adversaire ou de le projeter. Dans le combats plus sérieux on lui fera facilement une clef de bras, on ira le jeter à terre ou l'égorger de près en le maîtrisant. On y ajoute des coups de pied pour repousser mais en revanche les coups de poing ne sont pas présents dans nos traités. On sait néanmoins qu'on se frappe quand même à l'époque, plus sur le mode "patate de forain" que sur des coups plus élaborés comme à la boxe. Bref, allez au contact parfois, ça vous pose un personnage et c'est plus "histo" !

Enfin, disons un mot des armures qui semblent toujours n'être qu'un costume. Certes, le combat en armure n'est pas très visuel, fait de techniques de demi-épée et de lutte, mais quand les personnages portent des protections partielles (c'est très souvent le cas dans les troupes) il serait de bon ton de mimer que l'on vise les endroits non protégés plutôt que le casque ou le tronc protégé par un puissant haubergeon de mailles ! C'est une chose que j'avais énormément apprécié dans la première vidéo de la troupe de combat Spatha : ces gens soignent la précision des coups et ceux-ci visent explicitement les endroits non protégés, et quand ils visent l'armure ce sont des coups puissants qu'on imagine destinés à déstabiliser l'adversaire ou à le sonner !
 
Et du coup je vous remets la vidéo de Spatha en question !


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Pour conclure nous dirons que nous espérons voir de meilleurs combats médiévaux en escrime de spectacle et espérons que cet article pourra y apporter sa modeste contribution. Il est vrai que le Baron et moi-même avons été biberonnés aux vidéos des groupes tchèques comme Adorea, Merlet ou Balestra ou qu'encore nous avons activement regardé les vidéos de démonstration du groupe allemand Gladiatores. Nous voulons donc faire aussi bien ou du moins nous en inspirer, concilier l'historicité, le spectacle et la belle escrime. Depuis quelques français ont suivi comme Spatha, Warlegend et d'autres. L'espoir est donc là de ne plus appréhender de voir des combats médiévaux de spectacle mais, au contraire, de se réjouir d'en voir présentés sur un scène, un pré ou des pavés !

lundi 7 septembre 2020

Manier le sabre court avec Theodorus Verolinus (1679)

Cet été, avec le Baron, nous nous sommes penchés rapidement sur le traité de Theodorus Verolinus et plus spécifiquement sur la partie qui traite du dussack, une sorte de sabre court, en bois dans le traité puisque c'est la version d'entraînement qui est présentée. L'intérêt de ce traité est qu'il est daté de 1679 et est le dernier traité consacré à l'escrime au dussack (du moins exposée dans ces termes). Il est donc contemporain des premiers traités d'épée de cour français et surtout nous présente une arme très peu présente dans les traités de cette époque : le sabre court.

Notre étude pratique fut relativement courte mais j'ai par la suite réétudié certaines techniques en regard de ce que nous avions fait. Notons que nous ne sommes pas des spécialistes du dussack de cette époque ni de Joachim Meyer qui est très largement plagié dans ce traité ce qui nous donne une sorte de regard neuf sur cette escrime mais nous fait peut-être rater des éléments. Néanmoins nous avons des connaissances raisonnables sur l'escrime germanique et nous ne sommes pas novices en escrime. Nous pouvons donc vous présenter ici le résultat de notre approche du traité. 

Une dernière précision : il s'agit d'un blog traitant tout de même prioritairement d'escrime de scène et le public premier est les escrimeurs et escrimeuses de scène. Aussi nous nous autorisons, pour faciliter la compréhension, à utiliser des termes d'escrime moderne comme la septime ou la seconde dans notre étude, avec toutes les approximations qu'ils relèvent. Ces termes sont en général utilisés conjointement avec les termes d'époque.

Illustration de l'une des techniques décrites dans le traité

Un traité archaïque pour une arme bien présente à l'époque

Un auteur fantôme et un plagiat

On ne connait rien de Theodorus Verolinus sinon l'ouvrage Der Kůnstliche Fechter (que l'on pourrait traduire par L'escrimeur instruit de l'Art). Celui-ci est paru en 1679 dans la principauté épiscopale de Würzburg par l'éditeur Joann Bencard. Les recherches qui ont pu être effectuées n'ont retrouvé nulle part la trace de ce nom ce qui n'est pas une preuve de sa non existence mais plus qu'il n'était probablement pas quelqu'un d'important et d'impliqué dans les affaires de sa cité. Le fait que son traité soit en fait un plagiat de plusieurs auteurs a pu faire douter de la réalité de son existence et penser à un auteur inventé par l'éditeur pour éditer à peu de frais un traité d'escrime. Néanmoins les plagiats étaient plutôt la norme à l'époque et cela ne constitue pas non plus une preuve qu'un maître d'armes (il est présenté ainsi sur la couverture) de ce nom n'a jamais existé.
 
 
Cette image issue de la partie épée longue du traité pourrait représenter Theodorus Verolinus
 
Le traité lui-même est un plagiat de plusieurs traités d'escrime : l'épée longue et le dussack de Joachim Meyer (1570), la rapière de Michael Hundt (1611) et le traité de lutte de Nicolaes Petter (1674). En soi cela n'a rien de particulier pour l'époque. Les droits d'auteurs n'existaient pas, pas plus que la protection des œuvres et il était très courant pour un imprimeur (ils se confondaient avec les éditeurs à l'époque) de réimprimer un livre intégralement ou en partie seulement. La seule différence était le dialecte allemand utilisé (on imprimait toujours dans la version locale de la langue) et parfois quelques changements de textes et d'images. Les mêmes planches de gravure pouvaient être réutilisées mais le plus souvent on les copiait en les adaptant à l'époque. Ainsi les gravures illustrant le traité copient celles de Joachim Meyer ; mais là où les escrimeurs de Meyer portent la barbe, à la mode à l'époque, ceux de Verolinus sont imberbes et portent de longs cheveux bouclés comme c'était le cas des hommes en 1679.

Le traité sur le dussack de Verolinus ne reprend pas entièrement celui de Meyer mais le réorganise, le coupe, rajoute des transitions. Il est d'abord plus court et fait l'impasse sur de nombreux conseils tactiques du strasbourgeois. Il présente moins de gardes et de situations. De plus l'ordre de présentation est différent. Comme le texte est très souvent un copier-coller de celui de Meyer avec la référence aux gravures qui est conservée, il en résulte un ordre étrange des images qui gardent la numérotation en lettres du traité d'origine mais ne sont pas présentées dans l'ordre alphabétique. Notons que l'ordre de présentation est rigoureusement identique à un autre traité utilisant celui de Joachim Meyer : New Kůnstliches Fechtbuch par Jakob Sutor Von Baden (1612) qui reprend également la rapière de Michael Hundt. En revanche les images de Von Baden n'ont pas de numérotation, de plus le côté de frappe est inversé pour l'image G chez Von Baden alors qu'il est le même chez Meyer et Verolinus. On peut ainsi supposer que l'auteur avait accès aux deux traités, ou à un autre traité non retrouvé où les numéros avaient été conservés. Concernant les images notons que si la plupart sont identiques à celles de Meyer et de Von Baden, sur l'une d'entre elles (la I) les tireurs sont inversés.

Illustration tirée du Gründtliche Beschreibung des Fechtens de J. Meyer (1570)

La même illustration présentée dans le Der Kůnstliche Fechter de T. Verolinus (1679)

Une forme et une escrime archaïques

Une autre particularité au traité de Theodorus Verolinus est son archaïsme. Il tient d'abord au fait qu'il plagie des auteurs écrivant parfois plus d'un siècle auparavant. L'escrime au dussack présentée ici est textuellement celle du traité imprimé de Joachim Meyer paru en 1570 ! On pourra cependant arguer que les sabres courts ont en fait très peu évolué tout au long de cette période, de même que l'armement des soldats (voir le chapitre suivant). Notons d'ailleurs une très grande similitude des simulateurs d'entraînement entre les époques.

Ensuite, la forme du traité est extrêmement classique et reprend celle des traités issus de la tradition germanique de la fin du Moyen-Âge. Ainsi il commence par présenter l'épée longue avant d'aborder le dussack, puis la rapière et enfin la lutte. Traditionnellement les traités germaniques commençaient toujours par l'épée longue et enchaînaient ensuite par le messer (coutelas) devenu le dussack avant d'aborder la lutte, la dague ou les armes d'hast. Joachim Meyer y intercala la rapière après le dussack ce qui a été repris par Jakob Sutor Von Baden. Theodorus Verolinus respecte ainsi cette organisation classique tandis que d'autres traités en langue allemande parus tout au long du XVIIe siècle ne traitaient que d'une seule arme : la rapière. On peut citer entre autres les traités de Sebastian Hessler (1626), de Johann Daniel Lange (1664) ou encore les multiples traductions des italiens Salvatore Fabris (1615, 1619, 1635, 1677) et de Nicoletto Giganti (1619, 1623, 1649). Quand un traité traite de plusieurs armes c'est un traité militaire comme celui de Georg Paschen (multiples éditions entre 1658 et 1670). Par ailleurs, au dussack il présente, comme dans les traités lichtenaueriens, un nombre symétrique de gardes, du moins en apparence : deux gardes hautes et deux gardes basses, les gardes hautes sont présentées à droite et à gauche, même si certaines ont en fait bien plus d'importance et seront plus utilisés. On voit ainsi dans le traité de Verolinus la volonté de s'inscrire dans une tradition ancienne.
 
Oui, on se bat encore à l'épée longue à la fin du XVIIe siècle !
 
Cette tradition est celle des Fechtschulen, ces rencontres proto-sportives spécifiques aux bourgeois des villes de l'espace germanique. Les bourgeois s'entraînaient à la salle d'armes et s'affrontaient régulièrement dans des événements publics qui étaient pour eux ce que les tournois étaient à la noblesse. Même si ils étaient le plus souvent membres de la milice urbaine (dont l'importance se perd à l'époque au profit de régiments professionnels), ces hommes n'étaient qu'une infime minorité de celle-ci et les raisons qui les poussaient à pratiquer étaient bien plus la sociabilité (toujours utile pour des notables) et le jeu. Les assauts avaient lieu à plusieurs armes, évidemment neutralisées au mieux avec, parfois, des conventions pour éviter les coups trop violents ou l'interdiction de certaines zones (les mains, voire les bras) ou des estocs. L'épée longue y était encore pratiquée avec des Fechtschwerte, simulateurs en acier bluntés et souples ; alors qu'elle avait totalement disparu en tant qu'arme réelle, elle restait toujours l'arme d'enseignement de l'escrime, celle par laquelle on commençait et qui était à la base de toutes les autres armes. Ainsi, présenter cette arme en premier est encore un indice de cette tradition. Notons que les Fechtschulen n'ont disparu qu'au cours du XVIIIe siècle dans le monde germanique et qu'elles étaient donc encore en activité à l'époque de Verolinus. Cette organisation nous pousse également à penser que l'escrime présentée ici était d'abord une escrime destinée au jeu proto-sportif avant d'avoir une application pratique. Les traités faisaient rarement la différence mais en l’occurrence ici il semblerait bien qu'on ait affaire d'abord à une escrime de jeu, une escrime proto-sportive.

Représentation d'une Fechtschule dans l'espace germanique datant du XVIIIe siècle (1742)

Le dussack, un sabre court très porté au XVIIe siècle

Si la forme du traité et l'escrime qu'il présente sont archaïques, les armes présentées ne le sont pas toutes. Parmi les quatre "armes" présentées par Theodorus Verolinus, seule l'épée longue n'est plus en usage en dehors des salles d'armes et des Fechtschulen. Les trois autres : dussack, rapière et lutte sont encore portées et maniées à la ville, en duel ou même à la guerre. Le dussack qui nous intéresse nous est présenté dans tous les traités comme une sorte de court sabre en bois. Il s'agit, on l'a dit, de la version d'entraînement de l'arme. La version en métal, tranchante et pointue, est une sorte de sabre court dont la traduction française serait "braquemart", "braquet" ou "coutelas". Le terme "dussack" serait peut-être d'origine tchèque mais l'on trouve encore plus souvent le terme "tessak" associé quant à lui à une origine suisse. L'arme est répandue dans toute l'Europe et même sur le nouveau monde. On la trouve ainsi représentée dans les mains des Flibustiers de la Tortue et de Jamaïque dans une version largement vendue par la Compagnie Néerlandaise des Indes Occidentales.

Roche Brazilano (1630-1671), flibustier de la Jamaïque armé d'un dussack 


À la guerre l'arme est portée par les fantassins en concurrence avec les autres épées d'infanterie et les rapières. Il s'agit d'une arme secondaire que les mousquetaires (pas ceux de Roi mais les soldats armés de mousquets) utilisent lorsqu'ils sont au corps à corps et que les piquiers sortent lorsque la mêlée est trop dense pour que les piques soient efficaces. Certes le fusil à baïonnette commençait à équiper les armées européennes comme les fusiliers français du Royal Artillerie qui en furent équipés à partir de 1671, mais ce n'est que quelques dizaines d'années plus tard, au début du XVIIIe siècle que son usage se généralisa. Ainsi l'ordonnance de Louis XIV rendant son usage obligatoire date de 1703. On peut gager qu'à l'époque de Verolinus la majorité des soldats étaient soit équipés de piques, soit de fusils ou de mousquets. Ajoutons que les sabres courts et les épées de fantassin ont encore été portées par les fusiliers même armés de baïonnettes et que le sabre-briquet du XIXe siècle en est très probablement le descendant. On a vu que les dussacks étaient également portés par les marins. Il reste à déterminer à quel point les gens du commun non nobles (ceux-ci portent alors des rapières puis des épées de cour) pouvaient en porter. Notons qu'entre 1589 et 1617 le roi de Norvège Christian IV importa plus de 8000 tessaks pour armer ses paysans qu'une loi militaire de 1604 obligeait à posséder une arme chez eux.
 
 
Dussacks ou Tessaks (1600) dans les collections du musée de Leeds

Physiquement le dussack d'entraînement de l'époque de Verolinus est très proche de celui de Joachim Meyer. Il s'agit d'un sabre très court avec une large lame de bois, un contre-tranchant marqué et un garde-main. La version en métal, tranchante et pointue est en acier, légèrement courbe et avec un seul tranchant et un petit contre-tranchant, elle rappelle ainsi le Messer médiéval dont ses techniques sont les descendantes directes. En revanche elle possède une garde complexe qui peut prendre diverses formes (cquillage, croisillons...) mais qui protège toujours le côté droit de la main. Notons cependant que la plupart des épées de l'époque peuvent être utilisées avec les techniques du dussack, Verolinus reprend ici les termes de Joachim Meyer indiquant que le dussack "est aussi l’origine et une base de pratique pour toutes les armes utilisées à une main" (Trad. P.A.Chaize). Seules les rapières et les épées de cour relèvent d'une base différente. Ainsi, il semble légitime d'utiliser les techniques présentées ici pour manier les Pallasch et autre fortes épées wallonnes portées par les cavaliers.

À lire : article (un peu ancien) de R. Nordling "The dussack, a weapon of war" sur le site de HROAR - 2012

Gravure de Jan Luyken (1685) montrant une épée d'infanterie avec laquelle on peut très probablement appliquer les techniques présentées dans le traité de Verolinus (collections du Rijksmuseum)

Les principes de l'escrime de Verolinus

Frapper et parer : le même geste ou presque

Dans la grande tradition de l'escrime médiévale germanique, les mêmes coups servent à attaquer et à parer. Theodorus Verolinus reprend le diagramme de frappe de Joachim Meyer et même certains de ses exercices. Les frappes se font donc selon quatre lignes, dans les deux sens. La principale différence entre un coup d'attaque et un coup de défense est l'ampleur du geste. Lors d'une attaque on arrête le coup lorsque l'on se trouve à la jonction des lignes, la pointe se trouve ainsi face à l'adversaire dans la position appelée "longue pointe" (Lang ort). Cette technique permet de rester dangereux si l'attaque ne porte pas en continuant de le menacer de la pointe ce qui l'oblige également à écarter le fer si il veut riposter.

Il n'existe pas de vidéo des coups de T. Verolinus, mais celle-ci, qui utilise le traité de J. Meyer peut tout à fait être utilisée.

Les attaques se font normalement avec le vrai tranchant mais l'auteur nous propose également quelques coups utilisant le faux tranchant comme les coups changeants (Wechselháuw) ou le coup du réveil (Weckerhau). Les coups changeants se font en descendant verticalement complètement avec le vrai tranchant et en remontant avec le faux tranchant, notons que c'est aussi une manière de parer et de riposter immédiatement. Quant au coup du réveil est la succession d'un enchaînement complexe dont Verolinus n'explique que la fin (on trouve l'enchaînement complet chez J. Meyer). On voit ici qu'il tronque pour une raison inconnue une partie de la technique.

Le  Coup du réveil (weckerhauw) dans le traité de J. Meyer (trad. P.A.Chaize) :

"Fais le coup du réveil de cette manière dans l’approche :
Donne un puissant coup haut sur lui, s’il se défends, sois attentif au moment où les armes rentrent en contact, et tourne ton coup en estoc vers son visage, comme cela est montré sur les deux illustrations à droite de l’image P.
S’il remonte, alors frappe vers le haut avec le tranchant incurvé sur son bras, comme tu peux le voir sur la grande illustration de l’image P."

 Le  Coup du réveil (weckerhauw) dans le traité de T. Verolinus (trad. d'après celle de P.A.Chaize) :

"Fais le coup du réveil de cette manière dans l’approche :
S’il remonte, alors frappe vers le haut avec le tranchant incurvé sur son bras, comme tu peux le voir sur la grande illustration de l’image P."

Le Coup du réveil (Weckerhau) dans sa phase finale, quand l'adversaire essaie d'écarter le fer

On notera que Theororus Verolinus ne propose presque aucun coup d'estoc. Ceux-ci étaient interdits dans les "compétitions" en raison de leur dangerosité et cela nous montre bien que ce traité était essentiellement destiné aux pratiquants d'escrime. Le seul estoc présenté est un long estoc partant de la garde du taureau et destiné à provoquer une parade et à frapper ensuite de taille. Cette tactique consistant à faire un estoc pour provoquer une réaction est directement issue de l'escrime de Joachim Meyer et joue en quelque sorte avec le règlement. Cette dimension est donc à prendre en compte pour comprendre l'escrime présentée ici.

Contrairement aux attaques, quand il s'agit d'une parade le coup doit parcourir complètement la ligne afin de détourner l'arme adverse de sa trajectoire. L'auteur ne nous montre que des parades du tac, conformément à la tradition allemande. On peut ainsi transformer une attaque en parade et permet, même en cas d'attaque double, de contrer le coup adverse. Notons qu'une parade efficace ne doit pas frapper le faible de l'arme mais plutôt son moyen. En effet, si l'on frappe le faible de l'arme on donne de l'inertie à celle-ci et, avec un prompt moulinet, l'adversaire est immédiatement en mesure d'enchaîner une nouvelle attaque ou une parade identique, frapper le moyen évite ceci, frapper le fort risque de ne pas bien fonctionner.

Tout comme on peut donner des coups avec le faux-tranchant, on peut également parer avec le dos du dussack. Si on enchaîne avec un moulinet on peut en profiter pour riposter immédiatement tout en contrôlant l'arme adverse. Là encore il faut frapper le moyen.

Le diagramme des coupes emprunté à J. Meyer

Des gardes issues du Moyen-Âge

On l'a dit, Theodorus Verolinus plagie allègrement Joachim Meyer et il reprend une partie de ses gardes qui sont elles-mêmes issues d'une longue tradition germanique remontant au XIVe siècle (au moins). Prévues pour l'épée longue elles ont été adaptées au coutelas (Messer) par Johannes Lecküchner en 1478 puis reprises et modifiées ensuite par tous les auteurs germaniques ayant traité du coutelas ou du dussack. Ces gardes sont aussi bien défensives qu'offensives même si certaines sont plus risquées que d'autres. En général on distingue les gardes hautes des gardes basses qui servent souvent à contrer les premières. Enfin deux autres gardes ne sont ni hautes ni basses et nous les appellerons médianes.

La garde du taureau (Stier) est une garde haut qui semble avoir la préférence de l'auteur. Il s'agit d'une garde haute qui est privilégiée pour frapper des coups de haut en bas ou des coups diagonaux, elle peut aussi frapper des coups latéraux des deux côtés ou un long estoc. La main gauche qui maintient le dos de l'arme peut servir aussi bien à mieux protéger de puissants coups visant le crâne qu'à appuyer un coup vers le bas ou une parade visant à dégager une arme adverse. C'est également une garde inversée si elle est prise à droite. Pour la prendre on met le pied gauche en avant, pointe vers l'adversaire, le pied droit derrière à l'équerre, le dussack est placé au-dessus de la tête (dans ce que nous nommerions une seconde haute), la pointe vers l'ennemi et la main gauche soutient celui-ci. Pour la prendre à gauche il faut simplement garder la même position en faisant une passe avant et en passant le dussack plus vers l'arrière de la tête. Dans la garde à droite le poids du corps est sur le pied avant ce qui indique une garde agressive.
 
La garde du taureau (Stier) à gauche et à droite
 
La garde de la colère (Zornhut) est probablement l'une des plus célèbres de la tradition germanique. Il s'agit d'une garde haute qui développe essentiellement de puissants coups diagonaux qui permettent, selon l'auteur, de détourner toutes les attaques qui vous sont portées. On peut la prendre à gauche comme à droite. Dans les deux cas la garde est inversée et le poids du corps repose sur la jambe arrière et le buste est penché en arrière. Le bras est complètement en arrière, derrière l'épaule droite (une none pour nous) pour le Zornhurt à droite et sur l'épaule gauche (une sorte de quarte) pour le Zornhurt à gauche. Même si il s'agit d'abord d'une garde défensive elle permet tout de même de passer très rapidement à l'offensive.

la garde de la colère (Zornhut) à gauche et à droite

La garde du sanglier (Eber) est une garde basse qui ne se prend qu'à droite. Il s'agit encore d'une garde inversée, le pied gauche étant devant, pointe vers l'adversaire et le droit à l'équerre. Le bras armé est le long du corps, la lame plus ou moins horizontale, pointe vers l'adversaire et tranchant vers le bas (une sorte d'octave en retrait).  Le poids est plutôt vers l'avant même si il s'agit d'une garde plutôt défensive destinée à contrer les gardes hautes. Elle permet de frapper avec le faux tranchant ou le tranchant en remontant simplement l'arme.

La garde du sanglier (Eber) contre les gardes hautes

La garde du changement (Wechsel) est une garde basse qui permet d'exécuter le coup changeant c'est à dire de remonter en contre-tranchant pour redescendre avec le tranchant. Elle ne se prend qu'à gauche et le pied droit est alors devant, pointe vers l'adversaire tandis que l'autre jambe est à l'équerre. L'arme est sur le côté gauche, pointe vers le sol et tranchant vers l'arrière (nous appelons ça une septime). Là encore c'est une garde qui contre les gardes hautes.
 
La garde du changement (Wechsel)
 
La longue pointe (Lang ort) est une garde médiane qui résulte d'une attaque qui n'a pas aboutit. Il s'agit d'une sorte de demi-fente, le buste est droit, prêt à réagir, le bras allongé, l'arme tendue, pointe vers l'adversaire et tranchant vers le bas (une tierce allongée pour nous). Le poids du corps est légèrement vers l'avant. Il s'agit d'une garde de transition et l'on est pas censé y rester longtemps. En effet, si elle permet de redoubler des attaques ou d'envoyer une parade avec un moulinet, elle est aussi très vulnérable en ce que l'on se fait facilement battre le fer et que l'avant-bras est très exposé.
 
La longue pointe (Lang ort), une garde de transition
 
L'archer (Bogen) est mentionné par l'auteur, représenté par des illustrations mais ne fait pas l'objet d'uns description spécifique. Il s'agit là encore d'une garde médiane et d'une garde de transition. Elle est assez similaire à la longue pointe à la différence que le tranchant pointe vers le haut et que la pointe est plus ou moins pendante (clairement une seconde dans notre jargon). Elle est moins vulnérable que la longue pointe car on peut plus facilement parer les attaques avec un moulinet du dos de la lame (nous appellerions cela un contre de sixte) mais, en l'absence d'estoc, elle est limitée en attaque.

L'archer (Bogen), représenté plusieurs fois mais pas expliqué

Quelques autres subtilités

Tout d'abord il faut dire un mot des déplacements qui sont assez inhabituels pour un escrimeur moderne. Lors des parades effectuées depuis les gardes hautes (taureau et colère) et basses (sanglier et changement) on change systématiquement de jambe, passant d'une garde à gauche à une garde à droite et inversement ; cela permet aussi de donner de la force à ces parades. Il en va de même pour les attaques depuis les gardes à droite qui se terminent par contre dans l'une des gardes médianes (longue pointe ou archer). Depuis ces gardes médianes ou depuis les gardes à gauche l'attaque se fait en rassemblant le pied arrière vers le pied avant puis en avançant celui-ci. Il n'y a donc pas de fente, au mieux une sorte de demi-fente. Dans la même idée, les parades depuis les gardes médianes se font en reculant la jambe avant vers la jambe arrière avant de reculer celle-ci à son tour. Les déplacements d'avant en arrière depuis n'importe quelle garde se font sur le même principe (sauf si l'on préfère en profiter pour changer de garde).

Ensuite on remarque qu'en attaque comme en parade il est important de comprendre qu'il faut utiliser l'inertie de l'arme. Les coutelas sont des armes moins équilibrées que les épées de cour ou les rapières et donc moins agiles. Il est donc important de toujours profiter du mouvement précédent pour en initier un autre. Pour cela il est essentiel de maîtriser le moulinet et la capacité à lâcher les trois derniers doigts pour laisser aller l'arme. Il en va de même pour passer à une pointe pendante presque sans efforts. On gagne ainsi du temps et de la fluidité : c'est plus joli et plus rapide, deux qualités d'un bon combat de spectacle ! Notons d'ailleurs qu'il s'agissait aussi très probablement d'une escrime, certes d'opposition, mais également destinée à être spectaculaire.

Enfin, comme d'autres traités de dussack ou de messer, on trouve nombre de feintes ou de manœuvres destinées à placer l'adversaire dans la position voulue pour le blesser. On doit toujours pour cela profiter de l'inertie de l'arme pour la faire changer de direction ou pour redoubler un coup après avoir frappé dans le vide. On peut également transformer un coup de taille en coup de contre-tranchant (dans un contexte proto-sportif) ou en estoc (dans un contexte martial) après que l'attaque a été parée, c'est d'autant plus efficace si la lame est courbée. On est donc sur une escrime qui se veut relativement élaborée même si l'arme offre moins de possibilités techniques que l'épée longue, la rapière ou la lutte.

"Après t’être positionné en face de ton adversaire, selon l’opportunité, marche et frappe avec le bras tendu et le vrai tranchant, sur le dessus de sa tête en suivant la ligne verticale. Et comme tu surveilles l’endroit où il prendra ton coup en se défendant, dès qu’il le fait, ne laisse pas ta frappe arriver sur son arme, mais ramène rapidement ton coup en arrière et frappe avec force sur le dessus à gauche en suivant la même ligne, comme cela est montré sur l’illustration à droite de l’image D."
Traduction P.A.Chaize (d'après le traité de J. Meyer)

L'escrimeur de droite vient de faire une feinte de frappe et retire sa lame avant d'être atteint par la parade. Il est ainsi de nouveau prêt à frapper (ou à parer)

Mettre du Verolinus dans vos spectacles ?

Style d'escrime, type de personnages

L'escrime au dussack de Verolinus est une escrime très dynamique. Évidemment on attend parfois dans une garde ou l'on passe à l'autre mais lorsqu'une attaque ou une feinte est lancée les armes se lancent dans un ballet très dynamique puisqu'aux parades du tac succèdent des ripostes utilisant l'inertie de la parade pour frapper plus vite. Les feintes ou les changements de direction de l'arme utilisent également ce dynamisme et cette rotation. Pour peu que l'on se décale d'un côté ou de l'autre en frappant (ce qui est toujours conseillé en dehors de l'escrime moderne) on obtient alors une escrime qui bouge beaucoup et où les lames virevoltent constamment. Même dans une escrime d'opposition sans objectif esthétique cette impression ressort, alors imaginez si l'on chorégraphie le combat !
 
Des assauts au dussack (selon J. Meyer)  par le club Escrimédiéval 17


Concernant les personnages susceptibles d'utiliser ce type d'escrime il convient d'en dire un mot. Tout d'abord ce traité s'inscrit clairement dans une tradition germanique, on sait que les Britanniques par exemple maniaient les sabres courts selon un tout autre style. De même il semble que le sabre français, tel qu'il nous apparaît au XIXe siècle et en filigrane au XVIIIe soit très influencé par l'escrime à l'épée de cour. Il est très difficile de savoir comment les Français maniaient le sabre court dans la seconde moitié du XVIIe siècle mais il y a peu de raison de penser qu'ils le faisaient selon des principes germaniques. Les personnages utilisant l'escrime de Verolinus sont donc plus probablement originaires du monde germanique, de la Bavière à la Norvège en passant par la Suisse et la Hollande.
 
Concernant les origines sociales, l'escrime présentée ici est à destination d'une partie de la bourgeoisie urbaine qui se sociabilise et se distrait en pratiquant l'escrime. Parer avec des parades du tac, utiliser des gardes complexes, des feintes ou des ruses d'escrime suppose déjà un certain niveau d'entraînement et à tout le moins les personnages se battant ainsi on au moins reçu une formation classique germanique par un maître d'armes (ou un instructeur s'y connaissant). Notons qu'on trouve tardivement (au XVIIIe siècle) une image d'une sorte de démonstration d'escrime au sabre de la garde suisse où l'on retrouve certaines gardes de dussack. On peut éventuellement imaginer que les maîtres d'armes de certains régiments enseignaient aussi une escrime proche de celle présentée dans notre traité. Soyons clairs, nous sommes ici dans des conjectures plausibles, pas dans une vérité historique étayée, mais on peut au moins trouver un début de légitimité à des militaires ou d'anciens militaires bien entraînés au dussack.

Jacques-Antoine Delaistre "Combat de gladiateur" des gardes suisses (vers 1721)
Photo (C) Paris - Musée de l'Armée, Dist. RMN-Grand Palais / image musée de l'Armée

Pistes d'exploitation possibles

La première hypothèse est évidemment de faire s'affronter deux personnages armés de dussacks et formé à la même escrime. Comme on dit, on aura alors un combat dynamique, enlevé et où les lames virevoltent, bref quelque chose de tout à fait intéressant ! N'oublions pas que, dans le cadre d'un affrontement avec des armes mortelles les coups de faux-tranchant se transformeront plutôt en estocs. Néanmoins on prendra bien garde à retreindre les autres coups d'estoc car les escrimeurs n'étaient pas entraîner à les donner et logiquement devaient utiliser l'escrime qu'ils connaissaient. Les personnages peuvent se battre avec des armes d'acier mais ils peuvent également s'affronter avec des armes de bois dans le cadre d'une Fechtschule (idéalement ils le feront également à la Fechtfeder et à la rapière ou au bâton) ou simplement dans un cadre de rivalité "amicale". On peut avoir affaire à des bourgeois ou à des militaires ou anciens militaires.

N'oublions pas que le même traité d'escrime reprend (plagie) en intégralité le traité de lutte de Petter. Celui nous présente même de techniques de self-défense contre couteau ou coup de poing. Les escrimeurs formés au dussack l'étaient donc très probablement à la lutte et, dans un contexte d'affrontement autre que courtois, il ne faut donc absolument pas hésiter à mêler cette escrime de techniques de lutte voire de coups de poings (plutôt dans le style "patate de forain" que des jabs ou des crochets de boxe). Voir à ce propos mon article sur le corps à corps en escrime de spectacle.

L'une des techniques de lutte (ici contre un couteau) présentée dans le traité de Verolinus

On peut évidemment mélanger les escrimes et confronter notre escrimeur à quelqu'un formé à l'escrime britannique à la backsword. Comme il y avait à l'époque de très nombreux régiments d'origine germanique on trouvera bien des raisons à la présence d'un représentant de cette culture ailleurs que chez lui. L'hypothèse de d'ex corsaires hollandais entraînés peut également trouver une justification pour un affrontement dans les Caraïbes (si l'on veut une justification historique). Le contraste avec les parades d'opposition et le côté relativement statique de la backsword peut bien camper des personnages. On peut imaginer la même chose avec une escrime au sabre française plus portée sur l'estoc (c'est du moins ce que l'on peut plus ou moins supposer pour l'époque).

Dans le même contraste on opposera évidemment facilement cette escrime au dussack à un escrimeur armé d'une rapière ou d'une épée de cour (en fonction des régions d'Europe les deux cohabitent encore en cette fin de XVIIe siècle). N'oubliez pas alors l'énorme avantage d'allonge accordé à la fois par la longueur de ces armes mais aussi par la fente et le fait que le dussack ne fait pas d'estoc (du moins en première intention). De plus l'épée de cour est infiniment agile mais aura toutes les difficultés à parer les coups de dussack si jamais celui qui le porte parvient à s'approcher assez. D'autres oppositions sont évidemment possible comme contre des armes d'hast, des fusils à baïonnette ou des poignards. La limite est votre imagination et votre capacité à rester en cohérence avec l'époque ou l'univers présenté.

Le groupe Adorea nous montre un affrontement rapière contre Dussack
(même si l'époque présentée est plus ancienne d'un siècle par rapport à celle de Verolinus les techniques sont relativement proches).

Un début de chorégraphie sympathique

Par le Baron de Sigognac

Verolinus n'hésite pas à conseiller des gardes contre celles de l'opposant. Ainsi la garde du taureau est conseillée contre celle de la colère à gauche. De même, cette dernière est mise en avant contre la garde du changement. En début de chorégraphie, jouer sur ces positions antagonistes peut aider à établir la tension entre les personnages et exposer, implicitement, leur niveau. Cela nécessite de considérer que les combattants soient bons et vérifier que les objectifs de la saynète s'y prêtent. Un scénario qui sera le notre. À ce stade plusieurs, choix s'offrent, une infinité même, mais vous m'aurez compris. 

De prime abord la garde du taureau semble être la position typique chez Verolinus. Presque la moitié du traité y est consacré. Commencer la première phrases d'armes en la prenant, garde du sanglier contre garde du taureau pour l'exemple, conviendrait. D'un autre côté la garde de la colère est typique de l'escrime allemande en générale et pourrait constituer le réflexe de tout combattant aguerrie sans être expert. Commencer une offensive de cette dernière, de sa version à droite, n'aurait rien de choquant. 

Nous pourrions même imaginer qu'après la première offensive une reprise serait tentée à partir de la garde de la colère, mais à gauche. Ce qui permettrait au partenaire de prendre la garde du taureau pour contrer cette seconde offensive et, pourquoi pas, riposter par l'estoc présenté par l'auteur, pointe basse vers le torse pour la sécurité, puisque la situation s'y prête...

Un enchaînement sympathique. Cependant, pour vous en présenter une dernière, très proche de celle présentée par T. Verolinus à la fin de son traité, je laisse le reste à votre imagination, nous pourrions partir d'une garde de la colère à gauche contre celle du changement. Volontiers, je vous dirais que c'est là dessus que le Capitaine et moi, avons commencé notre petite chorégraphie privée. Le Capitaine était alors en garde de la colère à droite et moi en taureau. Puis, au moment où je prenais la garde du changement, il basculait aussitôt en colère à gauche pour attaquer mon épaule droite. Une garde censée contrer la garde du changement. 

Pour continuer la chorégraphie, je pare de tac en sixte (avec le dos du dussack donc). La garde du changement y incite, même si la tierce serait plus performante. Le Capitaine reprend d'un coup du dessous (Underhau, un coup en remontant) en avers que je pare de septime suivie d'une fente latérale à gauche. Afin de respecter l'idée que j'ai contré son coup du dessous d'un autre coup du dessous et je finis le geste en quinte inversée. Enfin, sur sa troisième offensive, celle de trop,  un coup du dessous revers, qui reprends un exercice de Verolinus, j'utilise le même mouvement pour intercepter et opposer en seconde haute.

De là le capitaine tente une contre attaque poignet dessus. Ce que je préviens d'un contretemps avec une parade proche d'une quinte inversée, mais pour le poignet avant de riposter d'un zornhau revers. Le capitaine l'esquive et rompt pour clôturer la phrase d'armes.  

Nous en sommes restés là, mais nous n'avons pas boudé notre plaisir et je suis sûr qu'il en sera de même pour vous avec vos propres créations. 

Le début de la chorégraphie : la garde du taureau (Stier) contre la garde de la colère (Zornhurt)

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Nous espérons vous avoir fait une présentation la plus claire possible de ce traité presque anachronique pour son époque. Il reste important par la rareté des sources contemporaines sur le sabre et, d'une manière générale, les lames autres que la rapière et l'épée de cour aux XVIIe et XVIIIe siècles. L'escrime présentée ici y est plaisante et a en elle-même un bon potentiel de spectacle. Nous espérons que vous aurez envie de vous y aventurer et de changer (au moins temporairement) vos rapières et épées de cour pour ces petits sabres sympathiques et avec lesquels on peut faire beaucoup de choses !

Sources :

Scans de la partie dussack du traité de Verolinus
Traduction anglaise du traité de Verolinus par Rainer Von Nort
Traduction  française de la partie Dussack du traité de J. Meyer (1570) par Pierre Alexandre Chaize