samedi 28 décembre 2019

Le duel en France au XIXe siècle


En tant qu'escrimeurs de spectacle le duel est au cœur de notre pratique, non en tant que tel mais en tant que sujet de représentation. Il est dans les films de cape et d'épée et une grande majorité de films d'action se déroulent par un duel final entre le héros et son principal antagoniste. Le duel, seul à seul, à armes égales nous fascine encore comme il fascinait les hommes du XIXe siècle (qui sont d'ailleurs les auteurs de nombre de romans à l'origine de nos films de Cape et d'épée). Si on voit d'abord le duel comme une spécificité de l'Ancien Régime on oublie trop souvent qu'il lui a survécu plus d'un siècle et que le XIXe siècle fut un siècle très abondant en terme de duels.

C'est de cette période moins bien connue que j'ai envie de traiter aujourd'hui. Non pas qu'il ne soit pas intéressant également de faire le point sur les duels de l'Ancien Régime ou sur les duels judiciaires du Moyen-Âge (qui n'ont d'ailleurs, selon l'historien François Billacois, pas de lien de paternité avec ceux qui les suivent). Mais comme il s'agit de mon blog je l'écris un peu selon mes humeurs et mon humeur du moment est d'étudier les duels au XIXe siècle. Par XIXe siècle j'entends celui des historiens, qui s'achève donc avec le début de la première guerre mondiale en 1914. C'est également la date à laquelle les duels disparaissent si l'on excepte deux ou trois duels anecdotiques par la suite. Par ailleurs je me limiterai à la France qui a la particularité (avec l'Italie) d'être un pays où les duels ne disparaissent pas en milieu de période.

Pour cette étude je m'appuie essentiellement sur les deux spécialistes français du sujet qui sont Jean-Noël Jeanneret et François Guillet (voyez la bibliographie). On commencera donc par voir les enjeux du duel à l'époque avant d'entrer plus dans le détail du point d'honneur et enfin regarder concrètement ce qui se passait "sur le pré".

L'affaire Dreyfus a été l'occasion de nombreux duels comme celui entre le Lieutenant-Colonel Hubert Henry, accusateur de Dreyfus et celui qui a démasqué son imposture, le Lieutenant-Colonel Marie-George Picquart le 5 mars 1898

La survivance du duel en France au XIXe siècle

Une coutume qui se restreint à certaines classes sociales

Sous l'Ancien régime le duel était l'apanage de la noblesse ou des bourgeois qui voulaient imiter les nobles. Après la Révolution française le duel a connu une période de démocratisation et, au début du XIXe siècle on a vu des boutiquiers, des bouchers et d'autres professions relativement modeste se battre en duel. De même, dans l'armée le duel était presque devenu une institution, une sorte de "bizutage" pour tout nouveau et pas seulement les officiers. Le règlement militaire le mentionnait même et des règle strictes l'encadraient.

Néanmoins, à partir du milieu du siècle le duel se restreint à certaines couches de la société : la noblesse bien sûr, les militaires (pour les hommes du rang jusqu'à l'arrivée en masse de conscrits à partir de 1872) mais aussi les hommes politiques, le monde des Arts et de la littérature en particulier ainsi que les journalistes. Dans la seconde moitié du siècle les hommes d'affaire, les capitaines d'industrie ou les ingénieurs ne règlent plus leurs différents par le duel. De même, on observe tout de même une baisse de la létalité des duels qui se terminent de plus en plus au premier sang ou, pour les duels au pistolets, au premier échange de coups de feu.

Le duel est donc le symbole d'un certain statut social et est pratiqué par la droite et l'extrême droite (Léon Daudet et Charles Maurras se sont battus à de nombreuses reprises) mais également par des gens de gauche, pourtant détracteurs de l'Ancien régime et de ses privilèges, de la prétendue supériorité nobiliaire. Si certains comme Pierre Larousse ont toujours refusé de se battre en duel nombreux sont ceux qui s'en sont senti l'obligation. Ainsi Armand Carrel en est mort, Jean Jaurès, Léon Blum (alors jeune critique littéraire) sont allés sur le pré sans parler de Georges Clémenceau, l'homme aux douze duels !


Duel de la presse de droite entre le Bonapartiste Paul de Cassagnac et le nationaliste-royaliste Charles Maurras en 1912

Prouver son courage et son statut

On vient de voir que le duel est vite redevenu l'apanage de certaines classes sociales. Il est une sorte de rituel où l'on doit prouver son courage et sa maîtrise de soi qui sont le signe d'une certaine élite. C'est ainsi qu'à l'épée ou au sabre on doit rester à distance, les corps ne doivent pas se toucher pas plus que l'on ne doit attraper l'arme de son adversaire. Au pistolet la posture droite et digne sous le feu est le signe d'une certaine discipline mentale. Notons au passage que le résultat du duel n'est pas le plus important. L'essentiel c'est d'y avoir été, d'avoir accepté de risquer sa vie sur le pré et il n'y a aucun déshonneur à avoir perdu le duel si l'on s'est comporté honorablement.

On prouve ainsi son courage d'où le caractère un peu initiatique du duel pour les militaires destinés à affronter le feu ennemi à la guerre. Pour certains c'est une façon de monter dans la société, ainsi le héros de Bel ami de Maupassant, un journaliste avide de monter les échelons de la société, valide-t-il son entrée dans la bourgeoisie en acceptant un duel. Pour les mêmes raisons il était parfois très difficile de refuser un duel, la pression sociale dans ces couches sociales était très forte et l'accusation de couardise toujours en suspend.

Le duel était également un signe de virilité. Seuls les hommes se battent en duel normalement. On a bien trace de duels féminins mais ils ont été rares, parfois le fait de féministes revendiquant une coutume qui leur était normalement interdite comme Marie-Rose Astié de Valsayre (duel en 1886 contre Miss Shelby). La coutume voulait plutôt qu'une femme soit représentée par un homme de sa famille si elle était offensée et les femmes étaient régulièrement accusées par les détracteurs du duel d'en être à l'origine.

Pour toutes ces raisons le duel fait souvent l'objet d'une certaine publicité. Il est fréquemment relaté dans les journaux de l'époque et parfois des spectateurs viennent s'ajouter aux témoins. À la Belle époque, avec l'invention du cinéma, la caméra vient même s'ajouter à ceux-ci et nous disposons ainsi d'une certain nombre de duels filmés. Quel serait en effet l'intérêt de risquer sa vie si personne ne sait que vous l'avez fait? Une exception existe cependant lorsqu'il s'agit d'une affaire privée (un mari trompé, une fille "déshonorée"...) où l'on évite alors la publicité (ces duels sont aussi plus meurtriers).


Duel au pistolet dans le film Bel ami de Philippe Triboit (2005), tiré du roman du même nom de G. de Maupassant

Résoudre des conflits ou "civiliser" la société

Le duel a d'autres utilités comme celle de résoudre rapidement des conflits qui échappent à la Justice. En France il est intimement lié aux affrontements politiques. Le XIXe siècle est en effet riche en révolutions et en rebondissements politiques. La Révolution de 1789 et 1793 n'a jamais acceptée par la droite royaliste. La chute de Napoléon Bonaparte en 1815 voit le retour au pouvoir des royalistes. Les officiers en demi-solde vétérans des armées de l'Empereur qui n'ont pas accepté le nouveau pouvoir défient alors en masse les nobles et officiers royalistes. La Révolution de 1830 voit Charles X déposé et Louis-Philippe Ier, roi des Français, monter sur le trône. Celui-ci est déposé par la Révolution de 1848 qui instaure la République laquelle disparaît en 1851 lors du coup-d'État de Louis-Napoléon Bonaparte qui réinstaure l'Empire. La débâcle de 1870 face à la Prusse met fin à ce régime et instaure la IIIe République qui peine à exister à ses débuts avec des Royalistes et des Bonapartistes très puissants.Entre 1885 et 1189 les succès électoraux du général Boulanger ébranlent la République. Enfin de 1894 à 1906 l'affaire Dreyfus déchaîne les passions. À la suite de chaque changement de régime les duels redoublent en intensité entre partisans et opposant du nouveau régime.

L'autre utilité du duel, du moins pour les gens du XIXe siècle est de civiliser la société en rendant l'insulte dangereuse. Nous sommes en effet à une époque où la presse devient de plus en plus libre mais où, également, aucune loi n'existe qui vient réprimer l'insulte ou la diffamation. Or celles-ci sont assez courantes dans les journaux de l'époque (notamment en matière de critique littéraire et de théâtre) et la seule façon de dissuader un éventuel insulteur ou diffamateur est de faire planer la menace d'un duel. C'est l'un des principaux arguments qu'avancent les défenseurs du duel. Insulter Clémenceau, duelliste réputé tant à l'épée qu'au pistolet, c'était s'exposer à un duel et à une probable blessure. De plus, pour ses partisans le duel est une manière plus civilisée et maîtrisée de régler un conflit qu'un flot d'insulte de bas étage ou une bagarre aux poings digne des basses classes de la société. Ajoutons également qu'en matière d'adultère ou de conservation de la vertu des jeunes filles de bonne famille le duel jouait aussi son rôle de dissuasion.

Le 13 juillet 1888, suite à un vif échange à la Chambre des députés le Président du Conseil, Charles Floquet et Georges Boulanger, alors député, s'affrontent en duel à l'épée. À la surprise générale Boulanger est gravement blessé au cou.

Le point d'honneur, un système de règles parallèle

Une illégalité relative

Sous l'Ancien Régime le duel était illégal et a régulièrement fait l'objet d'interdictions et même de condamnation à mort. Dans les fait les autorités étaient très souvent conciliantes puisque dirigées par des gens de la même classe sociale et soumises au même code d'honneur.  Le Code pénal de 1791 fait disparaître le duel de la liste des crimes qu'il établit et celui-ci ne réapparaît ni dans le Code des délits et des peines de l’an IV ni dans le Code pénal de 1810.

À cela, deux interprétations différentes se sont affrontées : la première défendue par Merlin de Douai est que la convention passée entre les combattants exclue le meurtre. Elle est incarnée par un arrêt célèbre de la Cour de Cassation du 8 avril 1819 qui précise "que, dans le duel il y a toujours convention antérieure, intention commune, réciprocité et simultanéité d'attaque et de défense ; et qu'un tel combat, quand il a lieu avec des chances égales de part et d'autre, sans déloyauté ni perfidie, ne rentre dans aucun des cas prévus par la loi". 

La seconde a notamment été exposée par Monseignat, juriste et membre du corps législatif chargé de la rédaction du Code pénal de 1810. Celui-ci indiquait que le silence de la loi sur le duel signifiat simplement que l'on ne voulait pas lui donner de statut particulier. Il indiquait que "En vain voudrait-on invoquer une convention entre les duellistes, et la réciprocité des chances qu’ils ont voulu courir dans une action, qui le plus souvent n’offre de la volonté que les apparences ? Et comment d’ailleurs chercher un usage légitime de la liberté dans l’horrible alternative de se faire égorger ou de donner la mort ?". Cette position fut finalement suivie par la Cour de cassation dans un arrêt de 1837 sous l'impulsion du procureur général Charles Dupin (également président de la Chambre des députés et connu pour s'être dérobé à un duel).

Dés lors la jurisprudence ne revint pas sur cette position mais elle fut, dans les faits très peu appliquée. Dés lors qu'il y avait mort l'affaire relevait de la cour d'appel qui acquittait systématiquement si les conditions du duel avaient été loyales. Les tribunaux faisaient me^me intervenir des spécialistes du point d'honneur comme experts auprès des tribunaux ! Personne ne portait plainte et la police avait toujours la politesse d'arriver en retard.

On a donc à faire à une sorte de législation parallèle acceptée de tous et qu'aucun législateur n'a réussi à faire disparaître. Toutes les tentatives pour réglementer ou prohiber le duel ont échoué et il y en eut de très nombreuses : 1819, 1829, 1848, 1851, 1877, 1883, 1892 et 1895, toutes refusées au Parlement.

Charles Dupin, procueur général auprès de la Cour Cassation et Président de la chambre des députés

Des règles précises pour le respect de l'honneur

Pour être plus ou moins illégal, le duel n'en est pas moins très codifié. L'ensemble de ces règles ont été exposées dans l'ouvrage du Comte de Chatauvillard, Essai sur le duel paru en 1836 avec la recommandation de très nombreuses personnalités. Cet ouvrage expose en détail les règles d'honneur à observer et a été l'ouvrage de référence des duellistes durant toute la période. Néanmoins ses règles n'étaient pas toujours appliquées scrupuleusement et pouvaient s'adapter selon les circonstances. Il s'agit ainsi plus d'un guide que d'un code de lois strict.

Dans le cas d'un duel deux choses sont finalement importantes : l'égalité de chances et la civilité des mœurs. Il incombe aux gens civilisés qui ont un différent de le régler en se comportant dignement dans un combat où les chances sont égales.

Au départ du duel il y a une offense. L'essai du Comte de Chatauvillard nous aide à déterminer l'offensé. En cas d'injure l'offensé est celui qui reçoit l'injure, mais si il y répond par un coup (ou un soufflet) l'offensé devient celui qui reçoit le coup (dans l'esprit des gens de l'époque un soufflet ou un coup rend le duel presque inéluctable). Sans injure ni coups on peut s'en remettre au tirage au sort pour savoir qui est l'offensé.

L'offensé a le choix des armes (épée, pistolet ou sabre, uniquement entre militaires ou si accord mutuel), l'offenseur choisit alors les conditions du duel (à l'épée ou au sabre l'arrêt au premier sang ou non, au pistolet le type de duel). Les duels dit "exceptionnels" ne peuvent être choisis qu'avec l'accord des deux parties. De plus un fils peut suppléer son père si celui-ci a plus de soixante ans. En cas d'invalidité ou d'âge on peut imposer le duel au pistolet voir assis sur une chaise.

En ce qui concerne les militaires, les duels ont lieu à la salle d'armes du régiment, à l'épée ou au sabre (si ce sont des cavaliers ou des artilleurs montés) en présence du maître d'armes du régiment. Celui-ci a la charge de parer les coups trop dangereux et les duels s'arrêtent au premier sang.

Enfin une règle tacite veut également qu'on ne fasse jamais un autre duel avec quelqu'un avec qui l'ont s'est déjà battu et dont le différent est considéré comme réglé. Dans un esprit similaire, pour une affaire particulière plusieurs personnes ne peuvent provoquer en duel le même individu à la suite. Un seul duel doit régler l'affaire (avec donc une sorte de champion d'une cause).

 
 La force du destin - court-métrage de Didier Rodier figurant un duel d'honneur pour une affaire privée.
Chorégraphie & combat par Les bretteurs de Saint-Jean

L'importance des témoins

Dans ce système les témoins sont des acteurs essentiels du duel. Une fois le cartel demandé après l'insulte les protagonistes du duel ne doivent plus se voir avant celui-ci. Ce sont leurs témoins qui doivent régler toutes les conditions du duel. En principe chacun a deux témoins même si un seul est accepté à l'épée. Ceux-ci ne peuvent être des parents au premier degré (père, frère ou fils) du duelliste mais ce sont des gens de confiance qui ont la charge de défendre ses intérêts et de veiller à l'égalité du duel. Les témoins se rencontrent donc entre eux pour voir si l'on peut arrêter le duel (par la présentation d'excuses officielles et leur acceptation) ou décider des armes, des conditions, distances et du lieu du duel. Le Comte de Chateauvillard précise qu'ils doivent être polis entre eux.

Le jour du duel les témoins distribuent les armes, les vérifient, préparent le lieu du combat, chargent les pistolets. Ce sont eux également qui arrêtent le combat et décident de sa poursuite ou non. Vers la fin de la période on fait de plus en plus appel à un arbitre du combat, une personnalité neutre forcément choisie conjointement par les témoins. Avec le temps les duellistes prennent également l'habitude de venir avec leurs chirurgiens personnels en charge d'examiner les blessures ou de sauver la vie à leur champion.
Une fois le duel terminé les témoins rédigent ensemble un procès verbal du duel qu'il signent. Celui-ci atteste du respect des règles de l'honneur et peut servir dans le cas d'un éventuel procès pénal.

Dans son ouvrage Les trucs du duel (paru en 1900) Émile André dresse une liste amusante des différents types de témoins. On y trouve ainsi le témoin bon enfant qui voudrait que le duel n'ait pas lieu, le témoin "fumiste" qui ne cesse de plaisanter ou le témoin vaudevilesque, trop fier d'être témoin. Il y ajoute le témoin amateur d'escrime qui commente l'échange pendant que l'un des duellistes se fait soigner, le témoin formaliste, d'abord attaché au respect des règles, le témoin nerveux qui ne cesse de gesticuler ou s'agiter, le témoin "gaffeur" qui effraie inutilement son ami et enfin le témoin autoritaire qui est plutôt un maître qu'un témoin et veut imposer sa volonté à tous. Autant de rôles secondaires à faire jouer dans un spectacle !
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Procès-verbal d'un duel reproduit dans l’œuvre d'Émile André Les trucs du duel - 1900

Sur le pré : le déroulement des duels

Un lieu, deux hommes, la violence...

Il revient donc aux témoins de choisir le lieu du combat. Il convient de choisir un lieu isolé, à l'écart de la foule puisque le duel implique une certaine discrétion, hors des passages de la police qui pourrait l'arrêter par exemple. Il s'agit le plus souvent d'une périphérie de ville, un pré, un bois un peu à l'écart, parfois une propriété privée avec la complicité de son possesseur. À Paris, certains lieux reviennent fréquemment : Sous l'Empire les bois de Boulogne et de Vincennes (surtout le premier) évidemment, mais également les Élysées encore relativement en marge à l'époque. Plus tard l'île de la grande Jatte à Neuilly où se trouve un restaurant où les duellistes viennent ensuite reprendre des forces, mais aussi les champs de courses de Boulogne, Saint-Ouen ou Levallois. Lorsque l'un des duellistes est interdit de territoire le duel peut avoir lieu à l'étranger comme le duel entre Jean Jaurès et Paul Déroulède à la frontière espagnole en 1904.

Une fois le duel terminé il est de coutume que l'offensé pardonne à son offenseur, y compris mourant. Il n'est pas rare d'ailleurs que l'affaire se termine au cabaret dans la célébration d'une réconciliation rendue salutaire après le moment de barbarie et de tension que constitue un affrontement à l'épée ou au pistolet. À ce sujet il est intéressant de lire le récit du duel d'Aldo Nadi (en anglais) qui fut l'un des plus grands escrimeurs sportif de tous les temps (3 médailles d'or par équipe dans les trois armes aux Jeux Olympiques de 1920).

[...] I saw him get up from his guard in an entirely unexpected, nonconformist and most dramatic manner, disarm his right hand quickly, and proceed briskly toward me, hand outstretched, just as fencers do at the end of a bout. "Oh! I have had enough! Thank You!"

This was not at all the expression of a vanquished, dejected man. Rather, that of a man who had regained his civilized sobriety miraculously fast--a human being already far more virile than in his fighting position. naturally, I was thoroughly astounded; but when he reached me, his hand found another that shook it warmly.

The duel had lasted less than six minutes. "Enough," my adversary had said. Quite! the sun had melted the morning mist, and was now shining brilliantly.

My one wound was beginning to make itself felt. My valiant adversary appeared to be bleeding from everywhere. There were three wounds in his arm, two in almost the same spot, and three in his chest. how I reached his body without hurting him seriously is a mystery, or a miracle, which I have never been able to explain. That evening, he and I drank champagne together. [...]


[...] Je le vis abandonner sa garde de la manière la plus inattendue, anticonformiste et spectaculaire, désarmant sa main et s'avançant vers moi, la main tendue comme le font les escrimeurs à la fin d'un match. "Oh, j'en ai assez ! Merci !"

Il n'avait pas l'expression d'un homme vaincu ou abattu. Au lieu de cela c'était un homme ayant regagné sa sobriété civilisée remarquablement rapidement -- un être humain autrement plus viril qu'en position de combat. Naturellement j'étais complètement stupéfait ; mais quand il me rejoignit, sa main en trouva une autre qui la serra chaleureusement.

Le duel avait duré moins de six minutes. "Assez" avait dit mon adversaire. En effet ! Le soleil avait percé la brume matinale et brillait alors de tous ses rayons.

Mon unique blessure commençait à se faire sentir. Mon vaillant adversaire semblait saigner de partout. Il avait trois blessures au bras, deux près du même point et trois à la poitrine. Comment j'avais pu le toucher au corps sans le blesser gravement est un mystère, ou un miracle que je n'ai jamais été en mesure de m'expliquer. Ce soir-là, lui et moi bûmes le champagne ensemble [...]

Aldo Nadi - On fencing (1943)
Traduction : Capitaine Fracasse

Une prairie isolée à la campagne, le lieu idéal du duel
dans le film Les duellistes de Ridley Scott (1977)

Les duels à l'épée

Le duel à l'épée est l'un des plus fréquent en France à l'époque. Au tout début de la période les épées sont encore des épées de cour assez proches de celles du siècle précédent. On passe ensuite à l'épée à coquille à la lame triangulaire. En 1836, le Comte de Chateauvillard précise que les lames des épées ne doivent pas être aiguisées. En revanche on s'assure que la pointe est bien aiguisée et il est fréquent d'arrêter le combat pour réaffûter la pointe lorsque celle-ci a été trop en contact avec la coquille adverse. Notons qu'il n'est pas toujours facile de se procurer des armes et que l'on improvise parfois. Ainsi l'usage de fleurets démouchetés, faciles à trouver dans une salle d'armes est très fréquent. Ajoutons qu'à partir du milieu de la période on prend également l'habitude de désinfecter systématiquement les pointes des épées (et les lames des sabres), notamment lorsqu'elles entre en contact avec le sol.

Au début de la période le duel à l'épée est très létal car l'on tire encore au corps. Peu à peu, à  partir des années 1860 (mais très progressivement), on prend l'habitude de tirer aux avancées. Les tireurs sont ainsi beaucoup plus éloignés, plus en sécurité et les blessures sont largement moins létales que lorsque l'on tirait au corps comme au fleuret. Cette pratique modifie profondément l'escrime avec l'apparition de l'épée d'escrime, comme nouvelle discipline qui prépare au duel face au fleuret où l'on continue de tirer au corps et de faire de belles armes alors que l'épée recherche l'efficacité. Logiquement durant le début du XXe siècle les matchs à l'épée se déroulaient en une touche gagnante, comme un duel au premier sang ; c'est d'ailleurs encore le cas en pentathlon moderne.

Les témoins (et l'éventuel arbitre) portent tous des épées ou des cannes qu'ils peuvent lever pour stopper le combat en cas de blessure de l'un ou l'autre duelliste ou d'en d'autres cas comme le non-respect d'une règle, une pointe pas assez acérée ou tout autre problème. L'une des astuces du témoins malhonnête est de lever sa canne lorsque son tireur est en difficulté et de redemander d'affûter la pointe, le sauvant ainsi d'une mauvaise posture ! À chaque blessure le combat s'arrête et l'on juge alors si il faut poursuivre ou non le combat.

Le duel à l'épée est vu par beaucoup comme la quintessence du duel, l'arme d'honneur par excellence, héritière des chevaliers. Ses partisans (au premier rang desquels, évidemment, les maîtres d'armes) louent sa noblesse et l'éducation martiale qu'elle suppose, la maîtrise du corps et de soi. Ils fustigent le pistolet où la technique est beaucoup plus rudimentaire et le hasard plus présent.


Duel entre Pierre Mortier (du journal Gil Blas) et Gustave Téry (du journal l'Oeuvre), l'un des trois duels à propos de la publication de la correspondance privée entre Marie Curie et Paul langevin.
On observe clairement la volonté des tireurs de se tenir à la plus grande distance possible et le tir aux extrémités.

Les duels au sabre

Si ils étaient fréquent à l'étranger, les duels au sabre entre civils étaient très rares en France. Le sabre ne pouvait âtre proposé qu'à un militaire ou à quelqu'un y ayant été exercé. Il se pratique le plus souvent avec les sabres d'ordonnance de la cavalerie ou des officiers d'infanterie. Il s'agit donc d'un sabre droit ("latte") pour la cavalerie lourde et d'un sabre courbe ("bancal") pour la cavalerie légère, les officiers d'infanterie ou les artilleurs montés. Pour les civils on tâche de trouver deux sabres similaires où l'on peut.

Deux formes de duel au sabre existent : avec ou sans coups d'estoc. Le duel sans estoc est évidemment moins létal et plus facile à pratiquer avec des sabres courbes (car les droits sont très adaptés à l'estoc, surtout dans la forme d'escrime pratiquée dans l'armée française). Les duels entre sabreurs sont toujours perçus comme sanglants, même lorsque l'on prend, comme à l'épée, l'habitude de tirer aux avancées. Au tournant du XXe siècle on adopte parfois le sabre léger italien (d'où dérive notre sabre d'escrime) qui réduit considérablement les risques de blessure grave.

Comme à l'épée les témoins portent bâtons ou sabres et l'on s'arrête entre chaque blessure pour l'examiner et voir si le combat peut reprendre. Même avecd es armes sanglantes le duel se veut quelquechose de civilisé !

L'un des rares duels civil au sabre entre les deux peintres polonais Leon Chwistek (à g.) et Władysław Dunin-Borkowski au Champ de Mars à Paris le 6 avril 1914

Les duels au pistolet

Enfin, même si il s'agit d'un blog sur l'escrime, mon propos ne serait pas complet sans évoquer les duels au pistolet. Très vite, alors que les armes à feu se perfectionnent tout au long du XIXe siècle on limite volontairement la technologie dont on se sert en duel. On utilise ainsi presque toujours de vieux pistolets d'arçon à silex à canon lisse (non rayé) et proscrit très clairement le revolver. Ces armes sont imprécises et réduisent ainsi la létalité.

Celle-ci dépend aussi énormément de la distance choisie et du nombre de coups tirés (décidé à l'avance entre les témoins). Ainsi, un seul échange à vingt pas, voire trente comme c'était courant à la fin de la période rend le duel beaucoup moins dangereux que six coups à dix pas ! Le plus souvent il est convenu que les tireurs se fassent face et tirent en même temps ou presque mais l'on peut aussi décider qu'ils se retournent et tirent au signal ou s'avancent l'un vers l'autre.

D'autres formes de duel au pistolet, plus exotiques et plus dangereuses existent comme le duel avec un seul pistolet chargé, choisi au hasard par un combattant.

À l'inverse Émile André nous donne quelques astuces pour éviter les blessures ou les morts dans un duel au pistolet. On peut ainsi mettre des balles trop petites qui peuvent tomber ou ne pas avoir assez de puissance pour percer la peau ou sous-charger les armes pour que les balles n'aient pas assez de puissance. On peut également durcir la détente des pistolets pour rendre le tir plus difficile ou fausser les instruments de visée... Tous ces trucages sont fait par les témoins, probablement le plus souvent d'un commun accord entre les deux parties.

Le tir au pistolet ne demande pas la même technicité que l'escrime et, vu les armes employées et les conditions de tir, le hasard y a une plus grande part. Ce fait est évidemment fustigé par les Maîtres d'armes mais certains comme Maupassant défendent justement cet état de fait. Quitte à risquer sa vie et s'en remettre à une certaine destinée autant prendre une arme où le hasard est roi et qui égalise vraiment les chances entre les combattants !

Duel au pistolet - Bauce et Rouget - 1857

Pour conclure...

On le voit, le XIXe siècle fut une époque riche en duels et où les protagonistes avaient l'honneur aussi chevillé au corps que leurs prédécesseurs de l'Ancien régime. Le duel était le signe d’appartenance à une élite qui avait le courage d'affronter le mort sur le pré. Ceci dit la létalité des duels s'est fortement réduite tout au long de la période et ils sont apparus de moins en moins sérieux. La boucherie de la guerre industrialisée de 1914-1918 eut raison de la coutume du duel. Face à la mort aveugle et mécanique le duel apparaissait comme un rituel vain et dépassé. Si l'on dénombre encore quelques duels après cela ceux-ci furent anecdotiques, derniers feux d'une époque révolue où l'héroïsme avait encore un sens.

Nous ne nous sommes ici occupés que du duel en France qui est le seul pays, avec l'Italie, où il a survécu aussi longtemps. La plupart des autres contrées occidentales ont pris des mesures législatives et policières drastiques qui l'ont fait disparaître vers le milieu du XIXe siècle. Cela ne fut pas le cas en France. On invoque un certain esprit français mais il est possible aussi que la politique nationale, bien plus agitée qu'ailleurs, ait joué un rôle dans l'affaire.

En tout cas j'espère vous avoir donné de la matière pour vos scénarios de combat. Présenté sérieusement un duel doit être crispant, tendu, on doit sentir le danger et la solennité de l'instant. Mais on peut également traiter la chose sur le plan comique en se moquant du sérieux des duellistes et en utilisant tous les modèles de témoins plus désespérants les uns que les autres présentés par Émile André. En tout cas c'est encore une fois à vous de jouer !

Bibliographie :

Monographies :

Guillet François, La mort en face - Histoire du duel de la Révolution à nos jours Flammarion, Paris 2008
Jeannerey Jean-Noël, Le duel - Une passion française 1789-1914 Perrin, Paris, 2004, 2011 (rééd.)

Articles en ligne :

Guillet François, « L’honneur en partage. Le duel et les classes bourgeoises en France au XIXe siècle », Revue d'histoire du XIXe siècle, 34 | 2007, 55-70.
Guillet, François. « La tyrannie de l'honneur. Les usages du duel dans la France du premier XIXe siècle », Revue historique, vol. 640, no. 4, 2006, pp. 879-899.
Jeanneney Jean-Noël(conférence) Le duel au XIXème siècle

Sources historiques :

Comte de Chateauvillard - Essai sur le duel - 1836

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