samedi 27 août 2022

Du traité à la scène : mettre en scène l'escrime historique

Il traîne encore dans nos milieux d'escrimeurs de spectacle français une vieille rumeur qui voudrait que cela soit très compliqué voire impossible de mettre en scène une escrime historique et/ou un traité d'escrime. Ou alors cela serait trop dangereux et nécessiterait des adaptations très complexes... J'avoue y avoir moi-même vaguement cru avant d'expérimenter les AMHE et de ne plus du tout y croire. Cette tâche est loin d'être insurmontable et les adaptations sont minimes. En revanche cela va demander un certain travail qui va consister à comprendre l'escrime que l'on veut montrer et non à calquer à une autre arme (un sabre ou une épée longue par exemple) des techniques inventées pour des armes extrêmement légères

Cet article veut donc faire le point sur ce que vous devrez faire pour adapter un traité d'escrime ou une tradition martiale dans un spectacle de combat.

 

Couverture du Der Allten Fechter gründtliche Kunst édité par l'imprimerie de C. Egenolff en 1558 et reprenant le traité d'Andre Paurefeyndt.

Comprendre l'escrime présentée

La première chose à faire est de comprendre l'escrime que l'on veut présenter. Il s'agit de comprendre et d'assimiler les formes de corps, les logiques et les déplacements qui en font l'essence. C'est probablement la partie la plus compliquée, surtout pour des escrimes dont les logiques sont parfois assez éloignées de l'escrime moderne qui sert de base à l'escrime artistique. Ainsi, vous serez assez peu dépaysés si vous faites de l'épée de cour, vous les serez plus en faisant de l'escrime médiévale et peut-être encore plus en pratiquant la Verdadera Destreza (j'avoue personnellement avoir eu énormément de mal à en assimiler la logique et les mouvements, notamment les déplacements qui accompagnent systématiquement les mouvements d'épée).

Pour cela il faut lire les traités, mais cela ne suffit pas, ne travaillez pas seuls et seules, surtout quand des tas de gens compétents ont déjà travaillé sur les mêmes sujets ! N'hésitez pas à regarder des vidéos, prioritairement de groupes d'AMHE qui ont pour seul but de travailler la forme et la technique, vous y mettrez votre style après au besoin. Regardez des vidéos explicatives, des vidéos de techniques et même éventuellement de sparrings (assauts) pour vous aider à comprendre. N'hésitez pas non plus à échanger avec les spécialistes de ces pratiques sur les réseaux sociaux, en général ils sont toutes et tous très heureux de vous faire bénéficier de leurs lumières pour l'amour de l'Art.

Présentation de la dague médiévale selon Fiore dei Liberi par Jeanne Bréard et Gilles Martinez

Une fois que vous vous êtes un peu renseignés pratiquez, testez, regardez à nouveaux, échangez encore au besoin et, SURTOUT, ne retombez pas dans les vieilles techniques habituelles de l'escrime de spectacle à la rapière à lame triangulaire. Vous êtes là pour présenter autre chose et non pour singer à une autre arme une escrime que vous connaissez.



Vidéo de la chaîne "Les arts martiaux français" présentant les techniques d'attaque de de parade à la canne selon Maître Larribeau (il s'agit de canne de défense et non de canne sportive)

Sécuriser la pratique (pointes au visages et clefs)

Il faut tout de même dire quelques mots de la sécurisation des coups. On estime que, si vous vous lancez dans ce genre d'entreprise, vous avez un minimum d'expérience (pas besoin d'être expert non plus) ou vous êtes bien encadrés et que vous êtes capables d'identifier ce qui est dangereux pour vous car vous n'avez pas le niveau pour le faire.

Il n'en reste pas moins que les coups de pointes à la tête restent trop dangereux pour qu'on les fasse, le jeu n'en vaut pas la chandelle. Or les techniques historiques présentant ce genre de coups sont fréquentes, c'est logique en fait puisqu'on veut initialement tuer ou mettre hors de combat et que le visage est une cible fragile. Il faut donc faire attention de bien retravailler vos estocs pour viser la poitrine et non la tête ce qui va parfois amener à modifier légèrement certaines techniques, à lever plus haut les bras et donc, oui, c'est l'un des cas où il est possible que, pour des raisons de sécurité, une technique soit dénaturée.

 

La garde à deux cornes de Fiore dei Liberi (ici présentée dans le Florius de arte luctandi, BNF lat. 11269.) est une technique très sympathique mais presque imprésentable dans un combat de spectacle tant son but est de menacer le visage et le haut du crâne en permanence !

Les clefs de bras sont un des autres cas où il faut évidemment modifier la technique. On les retrouve surtout en escrime médiévale où le corps à corps est partie intégrante de la pratique du combat. Il faut donc utiliser la classique technique du coude retourné, comme au catch par exemple. Il convient cependant d'être très prudent avec les clefs de bras et de bien répéter ces mouvements qui peuvent être dangereux.

Pour le reste des techniques c'est pour moi juste une question de niveau technique. De nombreuses escrimes anciennes proposent des mouvements de contre en un seul temps d'escrime qui sont techniquement difficiles à réaliser en sécurité. Du coup mon conseil est simple : ne le faites pas si vous ne vous sentez pas capables de le faire sans risques ! Et surtout, répétez-le lentement, la répétition appliquée peut tout à fait pallier un niveau plus faible (et vous apprendre le principe pour la suite), aussi, si vous avez du temps devant vous vous pouvez tout à fait l'envisager si vous êtes prêts à travailler patiemment le mouvement. Il en va de même pour le reste et notamment les projections qui va vous demander un petit niveau en cascade, voire une certaine condition physique pour les plus compliquées. Mais là encore rien d'impossible avec de l'entraînement.

La catcheuse Becky Lynch effectuant une fausse clef de bras sur Sasha Banks à la WWE

Sélectionner ses techniques

La dernière tâche va être de sélectionner les techniques que vous voulez mettre en scène dans votre chorégraphie. Vous allez voir des dizaines de techniques plus ou moins intéressantes et/ou spectaculaires et vous n'allez pouvoir en placer que quelques unes dans un combat qui sera forcément assez court.

La différence entre un combat réel et un combat de spectacle est que, dans ce dernier, on peut se faire plaisir et placer plus de techniques. Là où on placerait au mieux une technique complexe en sparring, on peut en placer jusqu'à trois ou quatre dans un combat de spectacle ! Si vous voulez faire un combat réaliste évidemment cela ne sera pas le cas mais tout en gardant une grande crédibilité dans l'approche on peut se permettre d'en placer plus pour faire plaisir au public et se faire plaisir soi-même.

Choisissez donc vos préférées mais pas seulement celles-ci. Faites d'abord attention au type de média par lequel votre combat parviendra au spectateur. Si vous filmez un combat vous pourrez vous permettre de mettre en scène des techniques qui prennent peu d'ampleur et qui seront plus difficilement visibles de loin comme dans un combat présenté sur une scène de théâtre. Dans le cas du spectacle vivant pensez à ce qui sera le plus spectaculaire, préférez les projections aux clefs par exemple si on en vient au corps à corps. De même, pensez que le public verra plus difficilement de subtils changements de positions de mains, surtout si les mains sont emmêlées.

Une dernière chose concernant les techniques : il vous faudra trouver des contres. Les techniques des traités sont faites pour piéger l'adversaire et celui-ci est censé ne pas pouvoir en réchapper, ou du moins avoir du mal à le faire. Or, pour faire durer un peu le combat il faudra bien que l'on en réchappe quelques fois. Certains auteurs présentent des contres aux techniques et même des enchaînements comme Paulus Hector Mair pour l'escrime de Moyen-Âge et de la Renaissance mais ce n'est pas toujours absolument le cas. Il faut faudra parfois les trouver vous-mêmes d'où l'importance de la première étape consistant à bien comprendre l'escrime que vous voulez présenter pour inventer vous-mêmes des échappatoires crédibles.

 

Interprétation d'un enchaînement de dussack de Paulus Hector Mair par Fechkunst.schüle
 

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Pour conclure je ne peux que vous encourager à adopter cette démarche que j'essaie d'appliquer au mieux dans la construction de mes combats. C'est en fait pour moi un vrai plaisir d'expérimenter de nouvelles escrimes, de nouvelles armes à chaque combat que je monte. Si vous voulez changer d'arme, d'époque, donnez-vous en les moyens. Ce n'est pas excessivement compliqué (notamment grâce à l'abondance de vidéos en ligne) mais cela demande de se casser un peu la tête et de creuser le truc. C'est évidemment plus facile quand vous avez déjà une expérience de plusieurs styles d'escrime, c'est un peu comme les langues, plus on en connait, plus vite on en apprend d'autres car on retrouve parfois certains mécanismes qu'on a déjà vu ailleurs.