Pierre Jacques
François Girard était un ancien officier de marine et maître
d’armes de la première moitié du XVIIIème siècle. Il est
l’auteur de deux traités d’épée de cour bien illustrés de
gravures à l’eau forte : le premier publié en 1736 est le
Traité de la perfection sur fait des armes. Il a été
réédité en 1740 sous le titre Traité des armes dédié au Roy.
Le second publié en 1755 dont le titre est L’académie de
l’homme d’épée: ou La science parfaite des exercices défensifs
et offensifs. Si ceux-ci sont moins beaux et moins connus que le
traité de Domenico Angelo par exemple ils ont l’intérêt de
proposer une escrime où l’on utilise encore beaucoup la main non
armée. Ils sont assez didactiques, présentent une escrime de salle
d’armes mais également une escrime pour les duels (les « affaires
sérieuses ») et même des techniques pour la guerre, contre
les sabres, les piques et d’autres types d’adversaires. Il y a
une certaine volonté d’exhaustivité chez Pierre Girard qu’on ne
retrouve pas partout et qui, pour le pratiquant d’escrime
artistique, est une bonne source pour trouver des coups originaux qui
changeront de l’ordinaire.
Je propose ici
d’en présenter quelques-uns issus de ce traité qui peuvent être
intéressants à replacer dans un spectacle.
Une Flanconnade
La flanconnade
est un coup qui vise le flanc, Michel Palvadeau dans son Guide
pratique d’escrime artistique (éd. Émotion primitive –
2009) précise que « la main reste dans la ligne où elle a
pris le fer plutôt que de passer dans la ligne diagonalement
opposée ». Il existe de très nombreuses façons de faire une
flanconnade et Girard en présente lui-même trois. Nous nous occuperons ici de la première qui est intéressante car elle
implique la main non armée, donne un visuel un peu original (avec une épée coincée par le bras et la main) et présente
même un contre. Mais laissons Girard parler :
« L’ennemi
se mettant en garde le poignet avancé en devant le corps, et que
l’épée est engagée en dehors des armes, je la fais dégager de
quarte, levant la main haute et les ongles en dessus, le bras tendu,
gagnant le faible de son épée, en coulant dessus et passant la
pointe derrière son poignet ; et dans le même temps, je lui
fais tirer le coup de flanconnade sur le flanc droit, le bras et le
jarret bien étendus, le poignet haut tourné de quarte et courbé,
le corps soutenu avec la main gauche opposée à son épée crainte
d’être frappé de même temps ; en cas que l’ennemi vînt à
tourner la main de tierce. Le coup achevé se retirer en garde, ou
redoubler le même coup. »
Il y joint
deux illustrations sur le coup et son contre qui facilitent la
compréhension. Pour mémoire la notion de dedans et dehors des armes
est essentielle en escrime de cour car on oppose toujours la lame à
celle de l’adversaire pour se couvrir, la tierce est en dehors des
armes et en pronation, la quarte en dedans des armes et en
supination.
Sans être
extraordinaire ce coup pourra
toujours trouver à se placer dans un combat.
Le contre d’un saisissement de poignet
On voit
souvent des désarmements, façon sécurisée de finir un combat ou
de se montrer généreux en rendant son arme à l’adversaire
(scénario dont on abuse peut-être un peu en escrime artistique),
mais voilà, vous croyiez en voir de nouveau un, eh bien non, Girard
nous montre une technique d’une simplicité extrême qui retournera
les situations sans vous obliger à faire preuve de générosité !
Il appelle cela « contre ceux qui saisissent la main au lieu de
saisir la garde de l’épée » :
« L’ennemi
venant au saisissement d’épée sur vous, étant abandonné sur
lui, et qu’au lieu de saisir votre garde, il ne saisisse que le
bras ou la main droite, il faut dans ce cas jeter dans ce même temps
brusquement la main gauche sur le milieu de votre lame, en la
quittant aussitôt de la main droite, qu’il tiendrait saisie, lui
présentant la pointe sur le corps de ladite main gauche élevée
avec le bras retiré en arrière, et ferme sur les jambes. »
Simple et
efficace...
L’épée tenue à deux mains
D’autres
auteurs appellent cela la « botte du paysan », Girard la
nomme simplement « Garde de ceux qui tiennent leur épée à
deux mains ». Il s’agit de tenir la délicate épée de cour
à deux mains pour pratiquer une escrime manquant probablement de
subtilité, idéale pour un personnage rustique ou brutal. Elle se
place probablement bien en fin de combat lorsque ledit personnage
s’énerve, se fatigue ou tente le tout pour le tout.
« Ils
ont le genou gauche tendu et le genou droit plié ; ils tiennent
leur épée à deux mains les bras en avant au dessus du genou droit,
à l ahauteur de la ceinture de la culotte, avec la pointe haute ;
et dans cette attitude ils parent ferme de tierce et de quarte, et
lorsqu’ils veulent riposter, ils quittent l’épée de la main
gauche pour tirer les coups de la main droite, comme nous tirons
ordinairement. »
Girard
explique également la façon de combattre cette garde :
Entrant en
mesure, je fais faire une feinte à la tête de la pointe de l’épée,
ou une demi-botte ; et l’ennemi venant à la parade, je fais
dégager subtilement de quarte, le poignet à la hauteur de l’épaule,
le corps en arrière sur la partie gauche, comme pour achever le coup
de quarte sur la poitrine, ou, ne manquant pas de parer ferme des
deux mains et même de faire un battement d’épée, en quittant
l’épée de la main gauche pour riposter de quarte droite dans les
armes de la main droite, il faut parer sec et quitter sa lame en lui
tirant le coup de quarte coupé sous la ligne du bras de la principe,
et redoubler de tierce à fond, faisant suivre le pied gauche,
ensuite de seconde, puis faire retraite. »
Bonus : combattre les fléaux à grain
Girard
consacre de nombreuses pages au combat contre les sabres (qu’on
appelle plutôt « espadons » à l’époque), une
technique contre les lances, armes d’hast (et donc fusils à
baïonnette), mais la plus amusante est probablement la défense
contre le paysan mécontent qui vous attaque avec son fléau à
grain. Comme on le verra la technique est d’une simplicité
enfantine et très facile à placer en spectacle pour peu qu’on
veuille accepter un fléau à grain sur scène. Elle fonctionne
probablement à toutes les époques avec toutes sortes d’armes
articulées un peu grandes. La voici :
« Les
fléaux brisés sont faits de cinq ou six bâtons, de la longueur
d’environ un pied chacun, attachés bout à bout avecd e petits
chaînons de fer, et y ayant au dernier bout une boule d’acier, de
la pesanteur d’une demi-livre ; de sorte qu’un homme en va
battre dix avec un fléau brisé : car étant en train d’aller,
il pare des pierres jetées à tour de bras.
Étant en
campagne et ayant malheureusement affaire à ces sortes d’armes, il
faut s’éloigner de leur portée et ôter son habit, sous prétexte
qu’il embarrasse, puis le tenir par le milieu du dos avec la main
gauche, toujours reculant l’épée à la main, et dans le temps que
le fléau ou le bâton fait le moulinet rapidement, étant à une
certaine distance, jeter de toutes ses forces l’habit dessus ladite
arme, qui arrêtera le moulinet, et aussitôt se jeter brusquement
sur l’ennemi pour lui ôter son arme, en lui présentant la pointe
de l’épée sur le corps.
Ces armes
se combattent en étant hors de mesure, et l’on peut avoir un fouet
à la main, en allongeant le coup de fouet sur lesdites armes, dans
le temps même du moulinet, et pareillement jetant quelque-chose de
lourd bien attaché au bout d’une corde fine dans le moment du
mouvement desdites armes. »
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