jeudi 1 mars 2018

Quelques coups originaux chez Pierre Jacques François Girard

Pierre Jacques François Girard était un ancien officier de marine et maître d’armes de la première moitié du XVIIIème siècle. Il est l’auteur de deux traités d’épée de cour bien illustrés de gravures à l’eau forte : le premier publié en 1736 est le Traité de la perfection sur fait des armes. Il a été réédité en 1740 sous le titre Traité des armes dédié au Roy. Le second publié en 1755 dont le titre est L’académie de l’homme d’épée: ou La science parfaite des exercices défensifs et offensifs. Si ceux-ci sont moins beaux et moins connus que le traité de Domenico Angelo par exemple ils ont l’intérêt de proposer une escrime où l’on utilise encore beaucoup la main non armée. Ils sont assez didactiques, présentent une escrime de salle d’armes mais également une escrime pour les duels (les « affaires sérieuses ») et même des techniques pour la guerre, contre les sabres, les piques et d’autres types d’adversaires. Il y a une certaine volonté d’exhaustivité chez Pierre Girard qu’on ne retrouve pas partout et qui, pour le pratiquant d’escrime artistique, est une bonne source pour trouver des coups originaux qui changeront de l’ordinaire.
Je propose ici d’en présenter quelques-uns issus de ce traité qui peuvent être intéressants à replacer dans un spectacle.

Une Flanconnade

La flanconnade est un coup qui vise le flanc, Michel Palvadeau dans son Guide pratique d’escrime artistique (éd. Émotion primitive – 2009) précise que « la main reste dans la ligne où elle a pris le fer plutôt que de passer dans la ligne diagonalement opposée ». Il existe de très nombreuses façons de faire une flanconnade et Girard en présente lui-même trois. Nous nous occuperons ici de la première qui est intéressante car elle implique la main non armée, donne un visuel un peu original (avec une épée coincée par le bras et la main) et présente même un contre. Mais laissons Girard parler :
« L’ennemi se mettant en garde le poignet avancé en devant le corps, et que l’épée est engagée en dehors des armes, je la fais dégager de quarte, levant la main haute et les ongles en dessus, le bras tendu, gagnant le faible de son épée, en coulant dessus et passant la pointe derrière son poignet ; et dans le même temps, je lui fais tirer le coup de flanconnade sur le flanc droit, le bras et le jarret bien étendus, le poignet haut tourné de quarte et courbé, le corps soutenu avec la main gauche opposée à son épée crainte d’être frappé de même temps ; en cas que l’ennemi vînt à tourner la main de tierce. Le coup achevé se retirer en garde, ou redoubler le même coup. »
Il y joint deux illustrations sur le coup et son contre qui facilitent la compréhension. Pour mémoire la notion de dedans et dehors des armes est essentielle en escrime de cour car on oppose toujours la lame à celle de l’adversaire pour se couvrir, la tierce est en dehors des armes et en pronation, la quarte en dedans des armes et en supination.
Sans être extraordinaire ce coup pourra toujours trouver à se placer dans un combat.


Le contre d’un saisissement de poignet

On voit souvent des désarmements, façon sécurisée de finir un combat ou de se montrer généreux en rendant son arme à l’adversaire (scénario dont on abuse peut-être un peu en escrime artistique), mais voilà, vous croyiez en voir de nouveau un, eh bien non, Girard nous montre une technique d’une simplicité extrême qui retournera les situations sans vous obliger à faire preuve de générosité ! Il appelle cela « contre ceux qui saisissent la main au lieu de saisir la garde de l’épée » :
« L’ennemi venant au saisissement d’épée sur vous, étant abandonné sur lui, et qu’au lieu de saisir votre garde, il ne saisisse que le bras ou la main droite, il faut dans ce cas jeter dans ce même temps brusquement la main gauche sur le milieu de votre lame, en la quittant aussitôt de la main droite, qu’il tiendrait saisie, lui présentant la pointe sur le corps de ladite main gauche élevée avec le bras retiré en arrière, et ferme sur les jambes. »
Simple et efficace...

L’épée tenue à deux mains

D’autres auteurs appellent cela la « botte du paysan », Girard la nomme simplement « Garde de ceux qui tiennent leur épée à deux mains ». Il s’agit de tenir la délicate épée de cour à deux mains pour pratiquer une escrime manquant probablement de subtilité, idéale pour un personnage rustique ou brutal. Elle se place probablement bien en fin de combat lorsque ledit personnage s’énerve, se fatigue ou tente le tout pour le tout.
« Ils ont le genou gauche tendu et le genou droit plié ; ils tiennent leur épée à deux mains les bras en avant au dessus du genou droit, à l ahauteur de la ceinture de la culotte, avec la pointe haute ; et dans cette attitude ils parent ferme de tierce et de quarte, et lorsqu’ils veulent riposter, ils quittent l’épée de la main gauche pour tirer les coups de la main droite, comme nous tirons ordinairement. »
Girard explique également la façon de combattre cette garde :
Entrant en mesure, je fais faire une feinte à la tête de la pointe de l’épée, ou une demi-botte ; et l’ennemi venant à la parade, je fais dégager subtilement de quarte, le poignet à la hauteur de l’épaule, le corps en arrière sur la partie gauche, comme pour achever le coup de quarte sur la poitrine, ou, ne manquant pas de parer ferme des deux mains et même de faire un battement d’épée, en quittant l’épée de la main gauche pour riposter de quarte droite dans les armes de la main droite, il faut parer sec et quitter sa lame en lui tirant le coup de quarte coupé sous la ligne du bras de la principe, et redoubler de tierce à fond, faisant suivre le pied gauche, ensuite de seconde, puis faire retraite. »


Bonus : combattre les fléaux à grain

Girard consacre de nombreuses pages au combat contre les sabres (qu’on appelle plutôt « espadons » à l’époque), une technique contre les lances, armes d’hast (et donc fusils à baïonnette), mais la plus amusante est probablement la défense contre le paysan mécontent qui vous attaque avec son fléau à grain. Comme on le verra la technique est d’une simplicité enfantine et très facile à placer en spectacle pour peu qu’on veuille accepter un fléau à grain sur scène. Elle fonctionne probablement à toutes les époques avec toutes sortes d’armes articulées un peu grandes. La voici :
« Les fléaux brisés sont faits de cinq ou six bâtons, de la longueur d’environ un pied chacun, attachés bout à bout avecd e petits chaînons de fer, et y ayant au dernier bout une boule d’acier, de la pesanteur d’une demi-livre ; de sorte qu’un homme en va battre dix avec un fléau brisé : car étant en train d’aller, il pare des pierres jetées à tour de bras.
Étant en campagne et ayant malheureusement affaire à ces sortes d’armes, il faut s’éloigner de leur portée et ôter son habit, sous prétexte qu’il embarrasse, puis le tenir par le milieu du dos avec la main gauche, toujours reculant l’épée à la main, et dans le temps que le fléau ou le bâton fait le moulinet rapidement, étant à une certaine distance, jeter de toutes ses forces l’habit dessus ladite arme, qui arrêtera le moulinet, et aussitôt se jeter brusquement sur l’ennemi pour lui ôter son arme, en lui présentant la pointe de l’épée sur le corps.
Ces armes se combattent en étant hors de mesure, et l’on peut avoir un fouet à la main, en allongeant le coup de fouet sur lesdites armes, dans le temps même du moulinet, et pareillement jetant quelque-chose de lourd bien attaché au bout d’une corde fine dans le moment du mouvement desdites armes. »

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