dimanche 17 novembre 2019

Quelques coups sympathiques de la Belle Époque


J'ai évoqué les combats de la Belle époque dans un précédent article en parlant du contexte, des scénarios, des armes et des techniques. Dans cet article il s'agit de voir des coups et techniques particuliers qui, parce qu'ils sortent un peu de l'ordinaire, peuvent être intéressants à placer dans une chorégraphie. Il s'agit pour tous de défense personnelle, hors contexte militaire ou duel d'honneur (les deux autres types de combat de l'époque). Les manuels utilisés vont du milieu du XIXe siècle à 1912 et évoquent tous ce monde d'avant la première guerre mondiale. Il s'agit de manuels de défense personnelle destinés à l'usage de tout un chacun voulant se défendre, les techniques sont donc assez simples et ne nécessitent normalement pas une condition physique optimale même si, en spectacle on peut en avoir besoin pour effectuer des cascades en toute sécurité.

Georges Dubois - Comment se défendre (1913)

À la canne

La canne de combat est aujourd'hui une discipline de compétition et, comme souvent pour les disciplines compétitives, le règlement a fait disparaître certaines techniques. Pour ce qu'elles sont mal connues et que le public ne les attendra pas elles sont intéressantes à placer dans un combat.

Le coup de talon

La canne de défense connaît des coup de bout (des estocs) et c'est assez logique puisqu'un tel coup fait mal et demande peu de force. Mais on ignore encore plus que l'on peut aussi frapper avec le talon de la canne ainsi que nous l'explique très brièvement Émile André.

"Parfois, on veut se servir du gros bout de la canne, autrement dit donner un coup de talon, ou en faire la menace, comme dans la figure suivante.
À l'occasion, on donne le coup de talon avec les deux mains."

Émile André - 100 façon de se défendre dans la rue avec armes - 1905
Il s'agit d'un coup porté soit quand l'adversaire s'est rapproché (ce qui peut être le cas si il n'a pas d'armes ou alors une arme plus courte tel un couteau ou une matraque), soit avec la volonté de rentrer dans sa distance si il a par exemple une canne, ce qui rendra ses coups inefficaces et peut permettre d'enchaîner sur des techniques de lutte. On peut ainsi imaginer ce coup en contre-attaque ou en attaque sur la préparation de l'adversaire (lorsqu'il arme son coup). Cette technique peut également intervenir avec une feinte de coup à la tête suivie d'une rapide projection vers l'avant pour donner le coup de talon. N'oublions pas que beaucoup de cannes de l'époque ont des pommeaux parfois très lourds et qu'un tel coup avec un pommeau métallique est potentiellement très puissant.


Émile André - 100 façon de se défendre dans la rue avec armes - 1905

Les parades à deux mains

Julien Delauney dans son Traité de Canne, boxe et bâton nous présente plusieurs parades à deux mains avec la canne :

Septième exercice.

Parade de tête avec les deux mains.
EN POSITION.
Mettre la canne horizontale au-dessus et un peu en avant de la tête, en avançant l'épaule gauche et en tendant la jambe gauche, saisir en même temps la canne avec la main gauche, de façon que les mains soient à 1 mètre environ l'une de l'autre ; avoir les bras allongé.
EN GARDE.
Reprendre la position de garde

Neuvième exercice.

Parade de corps avec les deux mains.
EN POSITION.
Mettre la canne verticale en avant du corps, la saisir en même temps avec la main gauche, de façon que les deux mains soient à 1 mètre environ l'une de l'autre, la main droite à hauteur de l’œil, les bras allongés, le jarret gauche tendu.
EN GARDE.
Reprendre la position de garde

Onzième exercice.

Parade de tête, avec les deux mains en rompant.
EN POSITION.
Comme pour la parade de pied ferme ; porter en même temps, le pied droit à 65 centimètres, environ, en arrière, en tournant sur la pointe du pied gauche, le jarret tendu.
EN GARDE.
Reprendre la position de garde, en portant le pied droit en avant.

Treizième exercice.

Parade de corps, avec les deux mains, en rompant.
EN POSITION.
Comme pour la parade de pied ferme ; porter en même temps, le pied droit à 65 centimètres, environ, en arrière, en tournant sur la pointe du pied gauche, le jarret tendu.
EN GARDE.
Reprendre la position de garde, en portant le pied droit en avant.
Delauney l'explique pas le contexte de ces parades mais l'on imagine aisément qu'elles servent à parer de puissants coups comme des bâtons, des grands gourdins ou des cannes lourdes. Elles peuvent également être utile pour quelqu'un de frêle qui aurait à parer les coups d'un adversaire bien plus lourd et puissant (opposition intéressante dans un scénario d'escrime de spectacle). Enfin elles pourraient amener à un rapprochement pour des techniques de corps à corps mais l'auteur a tendance à ne pas trop aimer la lutte, préférant les percussions. Après, nous ne sommes pas forcés de le suivre !

Parade de tête à deux mains - J. Delaunnay Traité de Canne, boxe et bâton - années 1890.

À mains nues

La défense personnelle comprend tout un pan de combat sans armes. Même si le propos de ce blog est de parler d'abord de combat armé il serait commage de se priver totalement de corps à corps dans un choérgraphie de combat de rue. En dehors de techniques de boxe et de lutte assez conventionnelles (et assez simples), les manuels de défense personnelle nous donnent quelques trucs pour lutter contre des techniques de rue spécifiques. En voici deux qui permettent de se défendre des saisies. 

Se défendre contre une saisie au col

Donald Walker, dans un manuel du milieu du siècle nous explique comment se défendre d'une saisie au col :
"When one man intends to make another prisoner, a generally seizes him by the collar, and an escape may often be effected in the following way. - Remain quiet for a few minutes till the enemy somewhat relaxes the severity of his grasp. Then, supposing he holds you with his right hand, suddenly seize it with your right, and twist it round so as to turn the outer or little finger side of his wrist upward, and, at the same time, let your left arm famm heavily on the middle of his right. If you do but succeed in twisting the hand round, the rascal is at your mercy. - Fig. 53.

Quand un homme à l'intention d'en faire un autre prisonnier, il le saisit généralement par le col et il est possible de s'échapper en exécutant la technique suivante. - Restez calme pendant quelques minutes jusqu'à ce qu'il relâche un peu sa prise. Alors, en supposant qu'il vous tient avec sa main droite, attrapez la soudainement avec votre main droite et tournez là de façon à ce que la partie extérieure de son poignet (celle du côté de son petit doigt) se retrouve vers le haut et, en même temps, laissez votre bras gauche tomber lourdement sur le milieu de son bras droit. Si vous parvenez à retourner la main la racaille est à votre merci - Fig. 53."

Donald Walker - Defensive exercices - 1840
Traduction : Capitaine Fracasse
La technique est intéressante pour inclure un rebondissement dans un scénario : on croit le combat fini, gagné, mais le vaincu reprend soudain l'avantage. Notons que si, dans la présentation de la techniques c'est le bourgeois qui gagne et s'échappe (c'est normal, ce sont les bourgeois qui achètent des livres), elle est tout à fait inversable à l'avantage du voyou. Elle peut aussi être faite sur une saisie à gauche, il fait alors saisir la main gauche avec la sienne et appuyer avec le bras droit !
Défense contre une saisie au col
Donald Walker - Defensive exercices - 1840

Le coup du père François

Emile André évoque les techniques les plus fourbes des truands pour agresser les passants. Parmi celle-ci il y a le "coup du père François" que nous décrit également Georges Dubois.

"Le coup du père François est un descoups favoris au moyen duquel les malfaiteurs paralysent lepassant attardé, afin de le dépouiller et quelquefois de le frapper à coups de couteau, s'il se débat. Il consiste pour ces individus à s'approcher silencieusement de leur victime par derrière et à lui jeter autour du cou, soit une corde soit un foulard et à le renverser sur leur dos en se retournant.

C'est généralement avec un foulard que ces individus opèrent ce genre d'attaque.

Leur procédé est toujours le même. Ils sont généralement plusieurs, jamais moins de deux. Celui qui doit porter l'attaque reste en arrière. Les autres marchent ostensiblement à la hauteur ou même devant l'homme qu'ils vont attaquer. 

Malgré leur air sinistre et peut-être précisément à cause de cet air sinistre, le passant ne les perd pas de vue, uniquement préoccupé d'observer leurs gestes.

Pendant ce temps, l'individu resté en arrière et généralement chaussé d'espadrilles qui amortissent absolument le bruit de ses pas, s'approche sur la pointe des pieds, tenant dans chacune de ses mains l'extrémité d'un foulard roulé en corde (voir fig. 21).

Soudain, alors qu'il n'est plus qu'à un pas du passant, il lui jette ce foulard autour du cou, le tire en arrière et se retournant sur lui-même, le charge sur son dos.

Le malheureux, ainsi saisi, se trouve suspendu par le cou et couché sur le dos incliné du bandit, ses pieds touchant à peine le sol du bout de leur pointe.

En quelques secondes il est étouffé, autant par la pression du foulard sur sa gorge, que par l'émotion effroyable qu'il éprouve. Aussitôt, les autres individus se rapprochent, sautent sur leur victime et la dépouillent, tout en la frappant si ses gémissements ont une chance d'être entendu. Peu de gens échappent à cette terrible strangulation dès qu'ils sont saisis. c'est pourtant très facile. Il est me^me possible de faire avorter cette prise, nous en reparlerons tout à l'heure."

Georges Dubois - Comment se défendre (1913)
Présentation par Gang de Paris

Les deux auteurs donnent plusieurs parades à ce coup : Emile André préconise de se retourner tout de suite ou de se faire pesant et de se laisser choir au sol avec son adversaire. Georges Dubois propose à peu près la même chose : une fois saisi et jeté sur l'épaule il faut rouler du même côté que l'épaule de l'adversaire ce qui permet de se retrouver à côté de lui et de lui saisir alors la jambe. Il indique également que, se sentant saisi, on peut immédiatement s'accroupir et se jeter en avant, profitant que l'adversaire a peut-être enroulé son foulard autour d'une main et sera emporté en avant.

Le coup et sa défense par Émile André (1905)


Les trois étapes de la défense contre le coup dans le manuel de Goerges Dubois (1912)
Vous aurez noté que l'exécution de ce coup est assez dangereuse et demande de l'entraînement et de l'expérience. Si l'on veut passer ça il faut le travailler sérieusement, et l'on peut aussi user de quelques petites astices comme l'ont fait les membres de la Meute de Nuada (groupe de pratiquants d'AMHE) dans les vidéos suivantes :

Le coup du Père François exécuté par le groupe d'AMHE La Meute de Nuada


Les défenses contre le coup du Père François exécutées par La Meute de Nuada

Avec des objets du quotidien

Pour se défendre contre des agresseurs il n'y a pas de règle, tout peut être utilisé, y compris des objets du quotidien. En spectacle cela renforce l'impression d'astuce de l'agressé, assez malin pour détourner des objets du quotidien, à moins qu'il ne soit tellement en infériorité qu'il en soit réduit à faire ce qu'il peut avec ce qu'il trouve...

La chaise (ou le tabouret)

C'est un classique de la self-défense, encore de nos jours. Georges Dubois nous la présente dans son manuel de 1912. Il évoque la possibilité de l'utiliser comme massue mais indique qu'il faut alors "être un Hercule" et nous décrit une utilisation plus adaptée à toutes les physionomies (y compris les femmes).
"Alors, saisissez la chaise (voir la gravure) par le siège que vous appuyez contre votre poitrine, en maintenant le dossier en dehors, à droite si vous êtes droitier; par conséquent les quatre pieds en avant et courez sur votre agresseur, que vous frappez en plein torse et dans la tête avec les pieds de la chaise, en projetant les bras en avant (voir fig. 41).

Vos bras ont la longueur de ceux du bandit qui vous poursuit, mais les pieds de la chaise sont plus longs que son couteau, outre cela, ils sont quatre frappant sans arrêt et à coup sûr.


Je pose en fait qu'un homme décidé, assez robuste, peut par ce moyen s'ouvrir un passage à travers un groupe d'individus, à la condition de fondre sur eux avec furie."

Georges Dubois - Comment se défendre (1913)
En spectacle il faudra tout même faire bien attention à ses partenaires et maîtriser ses coups avec quatres pieds de chaise frappant d'estoc. Les partenaires devront jouer aussi le jeu de faire semblant d'encaisser les coups ce qui demande un peu d'entraînement. Même sans entraînement particulier la chaise peut simuler une défense un peu désespérée et gérer une situation à plusieurs contre un. Comme c'est un accessoire facile à se procurer il serait dommage de s'en priver !

Illustration de la défense avec une chaise par G. Dubois (1912)

La bicyclette

En avril 1901 est paru dans le Pearson's magazine un article sur la défense à bicyclette, c'est à ma connaissance le seul de son genre (mais si vous en connaissez d'autres n'hésitez pas à me le dire). C'est une "arme" suffisamment insolite pour que j'en fasse un article entier un jour mais je veux ici vous donner un avant-goût.

Il s'agit de se défendre contre un inconnu qui surgirait devant vous et voudrait soi saisir votre bicyclette, soit vous frapper. La technique est un peu acrobatique et consiste à sauter de sa selle en arrière et lever le vélo à la verticale. On peut ainsi,, soit profiter du mouvement de la roue arrière pour envoyer le vélo sur l'intru, soit garder l'engin en main et parer son coup puissant (surtout si il s'agit d'un gourdin ou d'une canne) avec la roue avant qui tourne encore à grande vitesse, la bicyclette sert alors de bouclier.

La technique est originale et impressionnante, elle peut faire une introduction de combat très sympathique pour éliminer (temporairement ?) par exemple un adversaire dans un combat de groupe. En revanche vous aurez vite compris qu'il faut une bonne souplesse et une bonne maîtrise pour l'utiliser et que quelque expérience en cascade ne serait aps de trop. Moyennant cela (et l'achat d'une bicyclette d'époque) vous pourrez impressionner votre public avec cette technique sourcée !

La technique illustrée en photographie
Pearson's Magazine - avril 1901


***

Voici quelques techniques qui, je l'espère, vous auront inspirés et que vous aurez peut-être envie de replacer dans vos chorégraphies. Attention à certaines cependant qui demandent une certaine expérience et préparation. En attendant, coiffez vos hauts-de-formes, casquettes et chapeaux élégants, mettez vos redingotes, vos robes et pantalons de cyclistes, attrapez cannes, couteaux, foulards, chaises ou bicyclettes et faites revivre la Belle Époque !

Traités et manuels cités :

Donald Walker - Defensive Exercises (1840)
Julien Delaunnay - Traité de Canne, boxe et bâton  (années 1890).
Pearson's Magazine - Avril 1901
Émile André - 100 façons de se défendre dans la rue avec armes (1905)
Émile André - 100 façons de se défendre dans la rue sans armes (1905)
Georges Dubois - Comment se défendre (1913)

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