lundi 4 mai 2020

Quelques coups intéressants à l'épée longue chez Fiore dei Liberi

Fior Furlano delli Liberi, dit Fiore était un maître d'armes italien probablement né dans les années 1340-50 à Premariacco, petite ville du Frioul située à cinq kilomètres de Cividale et probablement mort dans les années 1410.  Il est l'auteur de traités d'armes assez complets qui nous ont été conservés par plusieurs manuscrits. Des sept (au moins) manuscrits connus de l'auteur, quatre sont parvenus jusqu'à nous, trois écrits en dialecte italien et un en latin, ce qui dénote une volonté de créer un ouvrage prestigieux (c'est également le seul dont les illustrations sont peintes de nombreuses couleurs).

De sa vie, on sait surtout ce qu'il nous en dit : probablement d'origine assez modeste (mais pas tant que ça puisqu'il avait appris le métier des armes ainsi que la lecture et l'écriture), il a été au service des premiers condottiere italiens de la fin du XIVe siècle. Son dernier protecteur (et probablement élève), était le jeune prince Niccolò d’Este, marquis de Ferrare et l'un des plus puissants seigneurs de l'époque en Italie du Nord (l'une des deux régions les plus riches d'Europe avec les Pays-Bas - actuel Bénélux + Flandres). Il dit avoir voyagé très tôt et avoir été formé par des maîtres allemands avant d'avoir ses propres élèves souvent prestigieux. Notons que l'un de ses traités a pu être lu par un autre Maître d'armes italien, Filippo Vadi (1425-1501) qui en fut grandement influencé.

Ce personnage serait une représentation de  Fiore vers la fin de sa vie
Florius de Arte Luctandi, MS Latin 11269, Bibliothèque Nationale de France, Paris
L'escrime de Fiore est un ensemble de techniques glanées (ou inventées) au cours de ses années d'expérience. Il explique s'être battu à la barrière en armure mais aussi en duel sans armure (chose qu'il déconseille fortement). Il présente ainsi des techniques plutôt destinées au combat en armure, d'autres sans et beaucoup utiles dans les deux cas. De même son escrime n'est pas spécialement une escrime de jeu courtois destinée aux tournois et il apprend clairement à tuer dans ses écrits. Ses écrits sont un système complet qui devrait normalement s'étudier en entier car certaines techniques, expliquée à une arme, ne sont pas répétées quand on étudie d'autres armes où elles sont applicables.

Ses traités sont plutôt didactiques et orientés autour d'une image illustrant une technique. Un code iconographique est mis en place : c'est celui qui porte une couronne [est le maître] qui montre la technique. Si quelqu'un porte une jarretière, il s'agit d'un contre [des suites possibles montrée par les "élèves"] et si il porte les deux c'est le contre du contre [final, montré par le maître qui met fin à tous les jeux précédents]. Selon les traités le texte est soit en prose, soit rimé, le texte de prestigieux manuscrit conservé à la BNF de Paris est à la fois en latin et en vers. Nous utiliserons ici essentiellement le texte en prose du manuscrit conservé au Getty Museum de Los Angeles, probablement le plus complet et le plus clair. En revanche nous piocherons les illustrations dans tous les manuscrits afin de les varier.

L'idée est donc ici de vous présenter des techniques intéressantes, originales, décrites par Fiore dans sa partie sur l'épée à deux mains sans armure. Elles pourront vous permettre de pimenter vos chorégraphies à l'épée longue de techniques "spéciales".

Une position de croisée d'épées, à partir de laquelle débutent de nombreuses techniques chez Fiore
Fior di Battaglia, B1.370.A MS Morgan 0383, Morgan Library, New York

Des façons de frapper originales

La volta stabile

Il s'agit d'une façon de frapper assez spécifique à Fiore, du moins il est, à ma connaissance, le seul à la théoriser. L'idée est de donner un coup (avec le déséquilibre que provoque un coup de taille à l'épée longue) en restant sur place et en faisant seulement pivoter les pieds. Ceux-ci doivent donc d'abord se trouver non la pointe vers l'adversaire mais à 45°C, pour pouvoir ainsi pivoter sur place tout en ayant l'énergie de son inertie.

Nous sommes deux gardes, chacune faite comme l’autre, et l’une est contraire à l’autre.
[...]
Et ce que l’une peut faire, l’autre peut le faire. Et chacune des gardes peut faire la volte stable et la demi- volte. La volte stable est lorsqu’en se tenant immobile, l’on peut jouer à l’avant et à l’arrière d’un côté.
La Demi-volte est lorsque l’on fait un pas en avant ou en arrière et que l’on peut jouer de l’autre côté en avant et en arrière.
La volte complète est lorsque l’on tourne autour d’un pied avec l’autre pied, et que l’un se tient immobile et que l’autre en fait le tour.
Ainsi, je dis que l’épée possède trois mouvements, qui sont la volte stable, la demi-volte et la volte complète.
Traduction : Benjamin Conan

La volta stabile permet ainsi d'enchaîner deux attaques du même côté après une feinte, elle permet également de parer sans reculer (ou avancer) tout en conservant son équilibre. Elle s'utilise d'abord sur les gardes privilégiant les coups de taille comme la garde de la dame présentée ici. Cependant, en cas d'échange d'estoc depuis une garde centrale on peut aussi utiliser sa force pour prendre le dessus (on voit là l'importance de la lutte chez Fiore). On comprendra ainsi que cette technique augmente les possibilités de chorégraphie en multipliant les options.

La technique présentée dans le Fior di Battaglia, MS Ludwig.XV.13, J.Paul Getty Museum, Los Angeles

Les frappes du faux tranchant

Contrairement à beaucoup d'autres auteurs Fiore recommande de frapper du faux tranchant lorsqu'un coup a été donné sans succès et que l'on veut frapper dans l'autre sens. Ainsi, si l'on fait un coup fendant (coup diagonal de haut en bas) on reviendra par un coup du dessous avec le faux tranchant, sans retourner l'épée. D'ailleurs tous les coups venant du bas, et notamment à partir des gardes basses (dent du sanglier, porte de fer médiane ou forte par exemple) sont portées avec le faux tranchant et visent essentiellement les mains. Cela permet, si l'adversaire les a esquivé (en retirant ses mains par exemple), d'enchaîner avec un coup fendant bien puissant ou, éventuellement, un estoc. De même si l'on fait un coup médian (un coup de taille horizontal), on reviendra avec le faux tranchant et non en revers (ou en coup droit). 

Coups fendants
Nous sommes les fendants, et dans l'art nous faisons notre affaire de fendre les dents et d'arriver aux genoux avec raison.
Et nous allons sans peine d'une garde à l'autre vers toutes les gardes qui se font à terre. Et nous brisons les gardes avec ingéniosité, et avec les coups nous traçons un signe sanglant.
Nous, fendants, ne tardons pas à blesser, et nous retournons en garde de pas en pas.

Coups de dessous
Nous sommes les coups de dessous et nous commençons au genou et nous allons vers le milieu du front, en suivant le chemin des fendants. Et de la manière dont nous montons, nous retournons par ce chemin ou nous restons en posture longue.

Les coups médians
Nous sommes appelés coups médians car nous allons par le milieu des coups de dessus et de dessous. Et nous allons avec le vrai tranchant du côté droit et du revers nous allons avec le faux tranchant. Et notre chemin va du genou à la tête.

Traduction : Benjamin Conan

Martialement cela permet d'avoir des coups plus rapides, visuellement cela déconcertera un peu le spectateur qui verra quelquechose auquel il ne s'attend pas. De plus les frappes visant les mains depuis les gardes basses sont intéressantes pour incarner un personnage un peu rusé, un combattant roué aux petits tours vicieux du combat. Il permettent aussi, à peu de frais, de faire reculer un autre personnage qui devra alors redoubler de prudence, ou alors, si ils portent, de punir une brute trop sûre d'elle !

La page présentant les coups dans le Fior di Battaglia, MS Ludwig.XV.13, J.Paul Getty Museum, Los Angeles

Des gardes intéressantes

Une garde sans nom

Cette garde n'est pas nommée par Fiore. Il explique qu'elle est d'abord destinée au combat en armure, probablement parce qu'elle fait penser à une garde de demi-épée. La demi épée consiste à avoir l'une des mains sur la lame et l'autre sur la garde, elle permet un meilleur contrôle de la pointe pour glisser celle-ci dans les défauts de l'armure adverse (la base du combat en armure on le rappelle). Ici on fait croire à cela mais, bien avant d'être à distance, on tient l'épée près du pommeau et on lance un très long estoc vers l'adversaire d'une seule main, en principe en direction du visage (souvent pas protégé, même en armure). Cette garde surprend car elle permet d'attaquer à une distance à laquelle l'adversaire se sent normalement en sécurité. Vu la distance d'attaque, même si elle est parée, il n'est pas difficile de rattraper sa lame et de repasser en demi-épée puis même en tenue normale de l'épée.

Je suis une garde qui lance une longue pointe, si bien que je maintiens l'épée de grande longueur. Et je fonctionne bien contre quelqu'un si lui et moi sommes en armure, comme j'ai la courte pointe devant, je ne serai pas dupé.

Traduction : Benjamin Conan
Du point de vue de l'escrime de spectacle on ne cachera pas que cette technique est dangereuse car on maîtrise mal l'épée en la tenant à bout de bras. Il faudra viser le tronc et la réserver aux escrimeurs expérimentés aux bras rompus à la tenue des épées et capables d'être précis. On s'arrangera également peut-être pour être très légèrement hors distance. Néanmoins, suivie par une parade, cette technique surprendra, commençant le combat qu'on ne s'y attende.

La garde présentée dans le Flos Duellatorum, Pisani-Dossi MS, Fac similé de Francesco Novati, 1902

La haute garde de la dame - posta de donna la soprana

Cette garde permet d'effectuer ce que les escrimeurs allemands nomment : Mordslhag ou Mordhau, c'est à dire un coup puissant en tenant l'épée par la lame (pas à pleines mains parce que c'est tranchant) et en frappant avec les quillons ou le pommeau. Il s'agit d'une variante de la garde de la Dame (posta di donna) avec simplement l'épée tenue dans l'autre sens. Fiore nous propose cependant l'une des ruses dont il est coutumier : plutôt que de frapper ainsi violemment on change de direction et on plante son adversaire avec la pointe de l'épée dans la poitrine (comme avec la dague de queue d'une hache de pas). On trompe ainsi son ennemi qui se préparait à parer un coup violent. On ajoutera également que, comme le dit Fiore, il s'agit d'une épée maniée comme une hache et que l'on peut donc probablement effectuer avec la majorité des techniques qu'il décrit pour l'escrime à la hache (on parlait de la complémentarité des parties du manuel).

Cette épée est une épée et une hache. Et les grands poids affectent fortement les légers. C'est encore la posture de la dame haute, qui avec sa malice trompe souvent les autres gardes, car quand tu crois que je vais envoyer un coup, je tire un estoc. Je n'ai rien d'autre à faire que de lever les bras au dessus de la tête. Et je peux lancer un estoc, ce que je fais rapidement.
 
Traduction : Benjamin Conan 

En spectacle, changer la prise sur son épée est toujours intéressant, à condition de le justifier un minimum par le personnage. Utiliser des techniques de hache (notamment des crochetages avec les quillons qui remplacent le bec de corbin) apporte là encore de la variété. Mais la ruse de coup d'estoc en lieu et place d'une grosse frappe bien brutale est probablement une astuce vraiment sympathique et qui pourra peut-être terminer un combat ! Au minimum on démontrera, encore une fois, que l'escrime médiévale était très loin de l'image de brutalité qu'on lui attribue toujours.
 
La garde de la Dame (à gauche) et la haute garde de la Dame (à droite) dans le Fior di Battaglia, MS Ludwig.XV.13, J.Paul Getty Museum, Los Angeles

La dent du sanglier - Dente di Cenghiaro

Bon j'avoue qu'il s'agit de l'une de mes gardes préférées (avec la posture de la bigorne trop dangereuse pour l'escrime de spectacle et la posture coutre un peu trop classique). Pour la prendre on se tient (pour un droitier) avec le pied droit devant, l'épée sur le côté gauche. La pointe est au sol, tournée vers l'adversaire et prête à être remontée promptement par un effet de levier sur le pommeau.

La dent du sanglier est une garde basse qui exploite tout le potentiel des coups remontant en contre-tranchant tout en permettant de lancer également des estocs ou de redescendre en coup de taille classique. Elle permet de se déplacer très facilement et est une garde d'agression où l'on met la pressions ur l'adversaire et le menaçant de remonter sur ses mains ou de lancer un estoc. On notera que si l'on se retourne avec une simple volta stabile, on tombe directement en garde de la longue queue sans autre mouvement qu'une rotation sur place, sans bouger les bras ni l'épée.

Dent du sanglier / stable.
Celle-ci est la dent du sanglier, car elle prend la façon de blesser du sanglier. Elle tire de grands estocs pardessous les mains, finissant au visage et sans bouger d'un pas, elle retourne avec le tranchant pour les bras. Et parfois, en tirant l'estoc au visage, elle tourne et va la pointe en l'air, et en tirant cet estoc elle avance le pied avant immédiatement et retourne avec le tranchant pour la tête et pour les bras, et retourne dans sa garde et immédiatement tire un autre estoc en avançant le pied et elle se défend bien du jeu étroit.

Posture de la longue queue/ stable
Celle-ci est la posture de la longue queue qui s'étend à l'arrière sur le sol, elle peut placer l'estoc et peut couvrir et blesser vers l'avant. Et si elle passe vers l'avant et donne un fendant, elle entre sans faillir dans le jeu étroit car cette garde est bonne pour attendre, car de celle-ci on peut entrer rapidement dans toutes les autres.
 
Traduction : Benjamin Conan

La dent du sanglier dans le Fior di Battaglia, B1.370.A MS Morgan 0383, Morgan Library, New York

La garde de la Longue queue dans le Fior di Battaglia, B1.370.A MS Morgan 0383, Morgan Library, New York

Des techniques vicieuses et sans pitié

Un coup de pommeau et un égorgement

L'époque de Fiore ne connait pas de règles aussi contraignantes pour les duels que cela fut le cas par la suite. Aussi est-il tout à fait honorable d'utiliser toutes les ruses disponibles, mais aussi toutes les parties de l'épée et pas seulement la lame. Nous avons vu, lors du jeu précédent, la possibilité de tenir l'épée "comme une hache", ici l'on voit que l'on peut aussi frapper du pommeau. Celui-ci intervient en principe après une croisée d'épées, une situation où les épées se retrouvent croisées, idéalement, moyen contre moyen, après une prise de fer ou une parade.

Le fait d'être fer contre fer est essentiel car il permet de se rapprocher en sécurité, en contrôlant le fer adverse. Il s'agit alors, soit d'attraper celui-ci avec la main (dangereux mais faisable si il ne bouge pas) ou simplement de prendre l'adversaire de vitesse en renversant l'épée pour frapper l'adversaire de son pommeau (on peut, au choix, lâcher une main pour contrôler son arme). Fiore propose d'enchaîner immédiatement avec une technique d'égorgement, afin probablement de profiter du fait que le coup de pommeau a déjà sonné l'adversaire pour l'achever.

Ceci est un autre coup de pommeau. Et si je peux le faire immédiatement quand le visage est découvert, je le fais sans doute, cas il peut se faire en armure et sans armure.
Quatre dents à la fois sont jetées hors de la bouche par ce jeu, comme il l’a prouvé. Et si vous le voulez vous pouvez jeter l’épée au cou comme le fait l’étudiant après moi.

Grâce au jeu précédent, comme l’élève l’a dit, je te place l’épée au cou et je peux bien te trancher la gorge car je sens que tu n’as point de gorgerin
 
Traduction : Benjamin Conan
On notera l'aspect "littéraire" des description, volontairement sanglantes. En escrime de spectacle ce coup peut se faire en visant le visage et il peut, au choix, être détourné par la main de l'adversaire, ou faire semblant de toucher, comme un coup de poing. Il faudra alors, tout comme les coups de poing, bien faire attention à l'angle des spectateurs pour que cela soit crédible. La technique est la même : soit passer à côté, soit s'arrêter un peu avant. Cependant j'attire votre attention sur le fait qu'un pommeau de métal est autrement plus dangereux qu'un poing nu pour le partenaire et demande donc de la maîtrise de la part des deux et surtout de celui qui donne le coup. Peut-être que passer à côté serait préférable même si c’est un peu moins crédible....

L'enchaînement de brutalités (coup de pommeau puis égorgement) peut conclure un combat par un passage bien sanglant. On notera également qu'au lieu d'égorger son adversaire, le personnage peut simplement lui mettre l'épée à la gorge et le faire prisonnier, une autre manière de terminer un affrontement, surtout de la part d'un personnage très loyal. L'égorgement (ou la menace) est un mouvement compliqué qui doit être répété doucement afin de s'effectuer en toute sécurité. Notez également qu'il est un peu plus compliqué à effectué si vous être beaucoup plus petit que votre partenaire (mais pas impossible).


Les deux techniques présentées dans le Florius de Arte Luctandi, MS Latin 11269, Bibliothèque Nationale de France, Paris
(on notera que dans ce traité les deux techniques ne sont pas présentées immédiatement à la suite l’une de l'autre)

 Une feinte de coup de taille pour un estoc rapproché

L'escrime de Fiore comporte également ce que nous pourrions appeler des feintes. Outre que presque toutes les gardes privilégiant l'estoc sont qualifiées de "trompeuses" ou de "venimeuses", le maître d'armes nous présente également des techniques de tromperie plus spécifiques comme celle-ci. Elle consiste, comme souvent chez Fiore, à simuler un grand coup de taille (en partant de la garde de la Dame par exemple) pour finalement ne toucher que très légèrement la lame adverse, attraper la lame en demi-épée et estoquer à la poitrine. Notons que, martialement, il est utile de toucher la lame adverse pour lui faire croire qu'il a paré et est en sécurité. De plus, lors de l'estoc il faut bien penser à décaler le corps de manière à ce que l'on soit protégé d'une riposte lorsque l'on estoque. En effet, la réaction naturelle de l'adversaire est de riposter immédiatement, après une parade de "quarte" (nous la nommerions ainsi), la riposte naturelle est une taille diagonale ou latérale visant le visage armé ou le flanc, celui qui feinte doit donc interposer son épée en action entre lui et son ennemi pour éviter le coup double !
Ce jeu se nomme fausse pointe et pointe courte, et je te dis comment je le fais : je parais arriver avec beaucoup de force pour frapper le joueur avec un coup du milieu à la tête. Et dès qu’il se couvre, je frappe son épée légèrement. Et immédiatement je tourne mon épée de l’autre côté, je saisis au milieu de mon épée avec ma main gauche. Et je lui mets la pointe immédiatement dans la gorge ou la poitrine. Et ce jeu est meilleur en armure que sans.
Traduction : Benjamin Conan
Le fait que ce jeu soit meilleur en armure est probablement lié à la possibilité d'entrer facilement en demi-épée et d'être en mesure de viser les points faibles de l'armure que sont la gorge et le visage (pas toujours protégé par un mézail). En escrime de spectacle ce jeu a l'intérêt de montrer une escrime plus subtile qu'on ne l'imagine avec des feintes, beaucoup trop peu utilisées à mon sens dans les chorégraphies. Il est toujours contrable par une esquive et/ou une parade désespérée de la victime et peut permettre d'enchaîner les actions. On notera que c'est l'un des quelques cas où un coup de pointe suit une feinte de coup de taille alors que la distance de pointe est normalement supérieure à la distance de taille, cependant la demi-épée change les choses.

La technique telle qu'elle apparaît dans le Flos Duellatorum, Pisani-Dossi MS, Fac similé de Francesco Novati, 1902

Un désarmement et son contre

Dans l'escrime de Fiore, les désarmements occupent une part non négligeable de ses écrits concernant l'épée longue. Celui-ci fait directement référence à une technique de dague présentée plus avant par l'auteur et il possède également un contre, ce qui es toujours intéressant pour nous autres, escrimeurs de spectacle, qui cherchons à faire durer un minimum les combats.

Il part encore une fois d'une croisée d'épées et consiste à passer entre les deux mains et à attraper l'avant-bras adverse sous la main d'armes (la droite) pour faire pivoter celle-ci en la faisant tourner vers l'extérieur. On fait ainsi levier sur la fusée adverse, obligeant les mains à lâcher l'arme. On peut également aller plus loin et faire directement une clef de bras.Fiore précise que ces techniques reposent sur les mêmes principes que deux jeux de dague.

À l'épée longue :
Ce jeu est issu du jeu de la dague, du remède du premier maître et alors qu’il met la main gauche sous la dague pour tordre la main, de même cet élève met la main gauche sous la main droite du joueur pour lui retirer l’épée des mains.
Ou bien il le met en clef médiane comme le second jeu qui est après le remède du premier maître de la dague qui est mentionné précédemment. Et cette clef est celle de cet élève.

À la dague :
Je suis le premier maître et je suis appelé remède, car remède signifie que je sais remédier, c’est-à-dire que tu ne te fais pas frapper, et qu’au contraire tu peux frapper et blesser ton ennemi. Et ainsi je n’ai rien de mieux à faire que d’envoyer ta dague au sol en tournant ma main du côté gauche.

Je t’ai serré le bras en clef médiane, de sorte que tu ne peux me faire aucun mal. Et si je veux te jeter au sol, c’est peu d’effort pour moi, et ne te donne pas la peine de me fuir.

Traduction : Benjamin Conan

La technique à l'épée longue dans le Fior di Battaglia, MS Ludwig.XV.13, J.Paul Getty Museum, Los Angeles

La technique du premier maître de la dague dans le Florius de Arte Luctandi, MS Latin 11269, Bibliothèque Nationale de France, Paris
La clef médiane dans le Florius de Arte Luctandi, MS Latin 11269, Bibliothèque Nationale de France, Paris

Ce jeu possède donc un contre qui consiste en une technique de lutte avec arme. Les autres traités de Fiore ne présentent pas la technique précédente et donnent le contre face à d'autres techniques de désarmement où l'on veut faire levier en coinçant l'épée sous son bras. C'est donc un contre adapté à tous les désarmements où l'adversaire attrape votre bras armé. Il faut ainsi pivoter d'un quart de tour en lâchant la main gauche (celle qui est en bas), puis pousser sur sa lame en demi-épée pour maximiser l'effet de levier. On obtient ainsi à son tour une clef qui oblige l'adversaire à lâcher et le mets à terre si elle est exécutée rapidement. Dans le jeu de la dague dont il est inspiré le bras est même fracturé mais cela n'arrivera pas à l'épée si l'adversaire lâche la prise.

Épée longue :
Je suis le contraire et je fais ainsi contre l’élève précédent qui veut faire des jeux de dague, à savoir le remède du premier maître et le second jeu qui le suit.
Si avec ton épée tu restes sur pied, alors je ne te crois pas.

Dague :
Je fais le contraire du jeu précédent, vous pouvez voir dans quelle position je le met. Je lui fracture le bras et je le jette immédiatement au sol.
Traduction : Benjamin Conan
En escrime de spectacle la malheureuse victime peut même probablement en réchapper au prix d'une acrobatie ou en roulant rapidement au sol, permettant de reprendre ensuite le combat et affirmant la supériorité de celui ou de celle qui a contré une technique de désarmement qu'on voçulait tenter sur sa personne. On peut également en profiter pour simuler un membre cassé et donc un avantage très significatif pour l'un des combattants.

Le contre dans le Fior di Battaglia, MS Ludwig.XV.13, J.Paul Getty Museum, Los Angeles

Le contre à la dague dans le Flos Duellatorum, Pisani-Dossi MS, Fac similé de Francesco Novati, 1902

***

Il s'agissait donc de vous présenter une petite sélection d'un livre d'armes bien plus riche afin de vous donner envie de vous en inspirer ou, au moins, de varier vos chorégraphies en utilisant certaines de ces techniques. Si l'escrime de Fiore de'i Liberi était assez secrète à son époque, il est difficile de savoir quelles techniques sont spécifiquement de lui et lesquelles viennent d'autres maîtres. De même, on sait que Filippo Vadi a pu consulter l'un des manuscrits de Fiore, on ignore à quel point il a pu influencer d'autres escrimeurs du XVe siècle. Il est à peu près certain par contre qu'il n'a finalement jamais eu autant d'élèves qu'à notre époque !

Pour finir je vous livre de nouveau la vidéo d'un groupe Akademia Szermierzy travaillant spécifiquement Fiore et qui s'est essayé à mettre en scène l'un de ses duels sans armure.


Traduction des quatres manuscrits de Fiore par l'Association De taille et d'estoc et Arte Dimicatoria :
- Épée longue
- Dague

Sur Fiore de'i Liberi :
- Édition du Florius, de arte luctandi par Emeline Baudet (mémoire de master 2 de 2013 avec plus de 100 pages de contexte historique)
- Article de Gilles Martinez sur Fiore dans un numéro spécial AMHE de La Voie (2015)
- Article sur un forum sur la vie de Fiore par Pierre-Alexandre Chaize (2009)

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