samedi 6 juin 2020

Une rapide revue des styles de combat scénique en vogue en 2020

Il y a peu je faisais le constat que l'escrime artistique telle qu'elle est majoritairement enseignée et pratiquée a été formalisée dans les années 1950-60 et a peu évolué depuis. Le combat scénique d'il y a cinquante n'était pas le même que celui que l'on voit régulièrement, au cinéma notamment. Cela conduit à m'interroger sur le style, ou plutôt les styles de combat que l'on rencontre fréquemment de nos jours.

Les années 2010 sont des années de terrorisme et de crise économique (crise de 2008). Pour les États-Unis c'est également la fin du mythe de la guerre contre le terrorisme qui n'a pas été gagnée. L'illusion de la toute puissance des années 2000 est terminée et les vétérans blessés et traumatisés sont rentrés au pays. Du point de vue du sport de combat c'est l'émergence au sein du grand public des arts martiaux mixtes (MMA) qui voulaient remettre une très grosse dose de réalisme dans le combat à mains nues. On a ainsi pu voir l'efficacité de certains styles par rapport à d'autres ce qui a forcément changé le regard sur le combat non armé et les arts martiaux, rois des films depuis l'arrivée de Bruce Lee et des films de Hong Kong.

Je vais restreindre mon étude au combat qui se déroule à une époque contemporaine (pas de films en costume) pour volontairement éviter l'escrime. J'exclurai également les combats utilisant majoritairement des armes à feu et des armes à distance d'une manière générale, mais celles-ci peuvent néanmoins être présentes dans des corps à corps. Enfin je me concentrerai surtout sur le cinéma avec un détour par le catch mais j'éviterai le théâtre que je connais mal et où, d'ailleurs, les bagarres sont plutôt rares.

Comme le titre l'indique il s'agit d'une revue rapide, pas d'une étude approfondie, avec les limites d'un tel exercice. Je n'ai donc pas consciencieusement visionné tous les films en rapport avec le sujet mais je me base d'abord sur mon expérience d'amateur de cinéma. Ce sont donc plus des impressions ou des intuitions que des conclusions rigoureuses. Néanmoins, à partir de là, nous essaieront de voir si l'on peut dégager une ou plusieurs caractéristiques communes à ces styles qui feraient le style du début du XXIe siècle.

La série des John Wick, emblématique d'un nouveau courant ?

Le style spectaculaire

Ici l'objectif est d'en mettre plein la vue au spectateur. Ce style peut vouloir montrer que le héros (ou le grand méchant) est extrêmement fort voire invincible et donc capable de maîtriser un très grand nombre d'adversaires ou d'effectuer des techniques incroyables. Il peut aussi montrer des actions spectaculaires qui défient la réalité physique comme de résister à des chutes ou des coups qui normalement tueraient ou, au moins, incapaciteraient un personnage normal, ou d'effectuer des acrobaties ou des mouvements tournoyants donnant vie et esthétique à l'action. Il est souvent accompagné de grandes giclées de sang, d'explosions ou de décors détruits.

Tous les combats du personnage de Black Widow dans les films Marvel, une super-héroïne sans autre super-pouvoir qu'un entraînement extrême. Un style aérien et spectaculaire et dont l'exagération est surtout la facilité avec laquelle elle passe ses techniques.

Ce style a peut-être atteint son sommet dans les années 2000, initié notamment par des films comme Matrix (1999) des Wachovski et culminant avec les Kill Bill (2003 et 2004) de Quentin Tarantino. Vers la fin des années 2010 nous avons toujours des actions spectaculaires mais il semble qu'un plus grand effort de réalisme soit fait. Les gestes sont plus crédibles, c'est souvent l'enchaînement de techniques risquées qui rend la scène spectaculaire, ça et le fait que le héros semble souvent avoir une vision à 360°, anticipe toutes les attaques adverse et ne rate aucune technique.

Dans Wild Card (2015), le personnage enchaîne les morts à un contre cinq

De même, là où dans les années 90-2000 on était beaucoup sur des arts martiaux ou de la bagarre avec essentiellement les pieds et les poings, désormais on utilise de plus en plus les éléments du décor, des armes improvisées ou même des armes à feu qui servent à bout portant après l'avoir retournée contre son porteur. Même en cherchant le spectacle on est de plus en plus dans le "sale", la bagarre enragée et sans merci. Inspirée du style réaliste d'ailleurs...

La scène des toilettes du Mission Impossible : Fallout (2018) où l'on détruit les décors en projetant violemment son adversaire dedans et où l'on utilise tout ce qui tombe sous la main comme arme.

Le style réaliste

Dans ce style l'objectif est de rendre le combat crédible. On le trouve plutôt dans des films plus sombres et plus violents, qui veulent montrer le côté noir de l'Humanité. On essaie donc de se rapprocher d'une vraie bagarre. Les arts martiaux dans leur forme pure sont peu employés et on va beaucoup plus se baser sur des techniques de self-défense et de bagarre de rue. On n'hésite pas à utiliser des objets, des armes, improvisées ou non. De plus personne, y compris les héros, n'hésite à attaquer dans le dos, par surprise ou en usant de tous les coups bas possibles.

 Une scène de bagarre du film français Antigang (2015)
Chorégraphie par Manu Lanzi

Les combats sont généralement moins déséquilibrés, beaucoup plus souvent à un contre un ou à un contre deux. Les coups font mal et les personnages en ressortent rarement indemnes. De plus il s'agit souvent de luttes à mort où l'ont sent la rage de tuer mais également la rage de survivre. Là encore la brutalité est très présente, c'est clairement "sale" et violent, dur. Les réalisateurs veulent montrer que le combat est une lutte sans merci et sortir du côté très propre des bagarres du XXe siècle.

John Wick (2014) fut l'un des premiers film à succès présentant un style de combat brutal et réaliste

Dans les séries et les films où l'action n'est pas forcément l'intérêt premier (voire est complètement secondaire) c'est aussi un style réaliste qui s'impose. Celui des années 2020 se démarque cependant toujours par l'impact des coups et une brutalité montrée sans filtre. De plus, dans plusieurs séries, les protagonistes gardent pendant longtemps les traces des coups qu'ils ont reçu, apparaissant le visage tuméfié, avec des yeux au beurre noir ou des pansements.

Une bagarre de lycéens dans la deuxième saison de la série 13 reasons why où l'on n'épargne pas la violence

Le catch

Par le Baron de Sigognac 

J'aurais pu parler du catch moi-même, en regardant un peu de temps en temps, mais le Baron de Sigognac étant, lui, un véritable amateur, je préfère lui laisser la parole :

Merci Capitaine. 



Alors le catch...

Divertissement sportif, il trouve ses origines dans la lutte et les fêtes foraines. S'il y aurait fort à dire sur son histoire jusqu'à nos jours, notons, qu'actuellement, il s'agit d'affrontements entre plusieurs personnes, quoique de rares solos existent, dont l'issue est prévue à l'avance.

Cependant, la confrontation n'est pas intégralement chorégraphiée. Soit déterminée aux gestes près. Si les points forts le sont, jusqu'à une certaine limite, l'entre-deux est à la charge des catcheurs qui, entre les prises, communiquent, et s'entendent, le décideur étant souvent le plus expérimenté des deux. 
De même, en fonction des organisateurs, les promos des catcheurs peuvent être décidées au mot près ou laissées à l'improvisation du locuteur. Dans ce dernier cas, l'organisateur donne l'objectif à atteindre au catcheur.
CM Punk auteur de l'une des promos WWE les plus marquantes des dix dernières années.
Une promo quasiment improvisée.

Là où cette liberté va nous intéresser c'est qu'elle permet de révéler les différences de styles et de conceptions qui cohabitent et évoluent au sein de cette discipline, voire d'une fédération, voire dans les événements d'une même organisation.
Avant tout, le catch s'inscrit dans une pratique spectaculaire. Son origine et son objectif de divertir poussent dans cette direction. Toutefois, à l'intérieur de cette pratique spectaculaire, plusieurs styles cohabitent. Nous ne sommes pas là pour tous les décrire, donc regroupons les en deux catégories : athlétique ...

Petite compilation de mouvements orientés vers l'athlétique.

... et puissant.
L'un des mouvement les plus représentatif pour la puissance. 


Or, la liberté de mouvement offerte aux catcheurs les incite à des alliages intéressants. En effet, il devient de plus en plus courant de voir un physique plus propice à des prises puissantes, intégrer deux trois mouvements athlétiques pour se démarquer. De même, certains profils plus légers et davantage orientés vers la performance athlétique, créent la surprise en usant de prises puissantes sur des adversaires plus lourd qu'eux. Bref, une volonté de jouer entre attendus naturels et contrepieds.

Il en va de même pour la question du réalisme.
Dans la même veine que dit plus haut, de plus en plus de catcheurs essayent de choisir des mouvements impressionnants, mais un minimum crédibles quant à leur efficacité. La plupart d'entre eux pratiquent un sport de combat ou un art martial depuis des années et ont à cœur de le montrer. 
Bien que toujours minoritaire, ce mouvement connait une nette accélération, depuis que le MMA voit d'anciens combattants rejoindre le monde du catch professionnel. Ronda Rousey notamment, mais j'aurais pu vous citer Matt Riddle, Brock Lesnar ...

Les raisons d'user du réalisme sont multiples et souvent inconnus, chaque artiste a ses inspirations, mais citons au moins le besoin d'être à l'aise dans ses gestes et le désir de rendre hommage à des techniques qu'ils adorent user en combat réel. Cette dernière raison est d'autant plus intéressante que le catch repose beaucoup sur les actions signatures de ces catcheurs. Par exemple, un ancien spécialiste en soumission aurait tout intérêt à isoler sa technique favorite, déjà connue du public, pour  l'exploiter en tant que signature, voir finisher : le coup vainqueur. 

Quoiqu'il en soit, cette évolution fait écho à celle du cinéma et, si nous allons plus loin, suggérerait que le réalisme dans la chorégraphie s'avère plus affaire de formation scénique que d'un soi disant contexte artistique. 

Voilà, c'était tout pour moi.

Portez vous bien et à la prochaine.

Ronda Rousey, championne de MMA passée au catch (et au cinéma) projetant le catcheur Tripe H
***

Après ce rapide tour d'horizon j'ai l'impression qu'on trouve tout de même quelques points communs à des styles pourtant très différents et aux intentions très différentes. Notre époque s'oriente vers une violence beaucoup plus crue, même dans les styles qui ne se veulent pas réalistes. Ça cogne dur, ça saigne, on a mal. La rage est là, on ne voit plus ces combattants détendus et sûrs d'eux. Ceux qui sont sûrs d'eux-mêmes sont très concentrés ou laissent libre court à leur colère. On est également sorti des styles classiques et purs d'arts martiaux pour de la bagarre bien "sale".

Ainsi, même dans des styles qui ne cherchent pas à la base le réalisme mais le spectacle (comme les films aux héros surhumains ou le catch), on tend vers un certain réalisme, tant dans les gestes que dans le fait que les coups font mal. Comme je le disais en introduction, l'influence du MMA n'y est probablement pas étrangère, on dupera moins les gens avec des coups de pieds sautés improbables quand les champions font majoritairement de la boxe thaïlandaise (ou anglaise) et du ju-jitsu brésilien (ou de la lutte). Il y a évidemment quelques exceptions avec d'autres styles, mais ceux-ci doivent s'adapter à la réalité d'un combat qui se veut avec le moins de règles possibles. Notre époque n'est évidemment pas une époque optimiste même si peu d'entre nous ont expérimenté véritablement la violence.


Que peut-on en dire pour l'escrime de spectacle ? On constatera d'abord que, concernant Hollywood, les films avec des combats en costumes sont le plus souvent dans un style spectaculaire plus proche des années 90-2000, avec un cran de retard peut-être sur le combat contemporain. La violence y est souvent assez crue mais en revanche la technique y est absente ou presque. Ensuite, si l'on veut, du moins un peu, embrasser l'esprit de notre temps, il ne faut donc pas hésiter à mettre de l'impact dans nos chorégraphies. Même sans volonté de réalisme on doit sentir la rage, la peur, la douleur. L'heure n'est plus aux fanfaronnades l'épée à la main mais au combat sans merci et donc avec un certain réalisme dans les attitudes des personnages (il est probable qu'on avait plus peur que l'on ne fanfaronnait dans un duel à mort, la fanfaronnade éventuelle étant d'ailleurs là pour tromper l'angoisse).


 Les escrimeurs de la troupe tchèque Balestra avaient déjà saisi leur époque aux championnat du monde d'escrime artistique de 2016 (médaille d'or en duel Grand Siècle)

Concernant les gestes les études sur le combat historiques portées par le mouvement des Arts Martiaux Historiques Européens (AMHE) n'ont pas la même diffusion que le MMA mais, malgré tout, de plus en plus de gens commencent à mieux savoir comment on se battait. De plus, ces informations sont assez largement disponibles sur internet. Sans forcément vouloir une pureté historique absolue, il me semble que nous avons là également un réel qui peut servir de modèle. De plus, en dehors du cadre réglementé du duel d'honneur, il semble très intéressant d'inclure du corps à corps (lutte avec armes ou coups de pieds/poings) dans les chorégraphies pour mieux accentuer le côté engagé du combat.

Ce ne sont, évidemment, que des conjectures mais voilà ce qu'on pourrait faire pour présenter des combats plus en phases avec les années 2020, des combats qui parleraient mieux à des gens n'ayant pas vu les films de cape et d'épée des années 50 et 60. Certaines troupes l'ont d'ailleurs compris et proposent tout autre chose. Et évidemment, rien ne vous y oblige, mais pensez-y !
Spatha, une troupe française bien dans l'esprit de l'époque

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire