dimanche 15 mars 2020

Sus aux gammes !


Ce n'est pas que j'ai un souci avec les gammes, mais un moment j'aime entendre de la musique. Bah , en escrime, c'est pareil !
Baron de Sigognac, trois grammes de cognac dans le sang. 


Do, ré, mi...


Bonjour à tous, ici le Baron de Sigognac pour vous desservir.

Une nouvelle fois...

Seul...



Plutôt cool en fait.
Las de mon rôle de FIDELE ACOLYTE ( Capitaine, va juste mourir ! ) je prends la plume pour vous faire part de quelques unes de mes réflexions. Et au vu du titre putaclic, vous vous doutez que ce ne sera pas dans la finesse.

Je sais, je sais... je suis censé représenter la voix technique du forum ; un élan d'élégance et de raffinement ; de nuance et de justesse... LOL, je fais du med.
Plaisanterie mis à part — Seigneur ! Que cette association médiéval - brutal m'agace — nous touchons ici, un souci qui malheureusement se retrouve davantage dans cette époque, enfin, disons, dès que ces armes sont scéniquement utilisées. Rigolez pas trop les Renaissance-Grand Siècles, on vous voit aussi.

Lequel ? Les gammes pardi ! Et pas n'importe lesquels, celles que nous aimerions cantonner aux entraînements. Vous savez ces petits enchaînements de deux tailles hautes, une basses ou deux, ou l'inverse ou en croisé. Et s'il y avait encore besoin de développer :

Ce type de gamme. ( vite fait sur paint. Pardon pour la qualité. )


Remarquez que le Capitaine en avait parlé dans Ces actions que l'on voit trop souvent en escrime de spectacle. Pourquoi y revenir me rétorquerez-vous. Peut être mon expérience de commentateur, lors des derniers championnats de France qui m'a remis la problématique en pleine poire : l’îlot de chagrin dans cet océan de bonheur. ( le compte rendu du capitaine :Retour sur les Championnats de France d'Escrime Artistique )
Car oui, il y a eu des gammes ! Hé oui, je crois qu'il nous faut préciser et développer le propos.

Une dérive méthodologique.

Il est normal, en fonction des méthodologies de création et d'entrainement, de travailler des enchaînements. Ces enchaînements peuvent même être la marque d'une école, d'un club etc... L'ennui a toujours été le caractère "facile", "irréel" qu'ils peuvent engendrer. Heureusement, pas toujours et on reviendra plus tard sur comment s'en prévenir.

Prenons le cas d'une gamme trop courante, le joueur A attaque 4 fois le joueur B avec pour cibles figure non armée ( du côté opposé à la main tenant l'arme ), figure armée, jambe non armée, jambe armée.

Sur le plan de l'entrainement, son travail peut se justifier sur de multiples aspects :

  • Travailler la fluidité des enchaînements.
  • Rassurer les escrimeurs qui peuvent ainsi se cantonner à un rôle sur plusieurs actions.
    • Aborder les spécificités de l'attaquant, du défenseur en terme de sécurité, coordination des actions communes
    • Créer un climat de confiance par cette simplicité.
  • Développer une rigueur dans ses actions.
  • Le reste qui vous viendrait à l'esprit.  
D'expérience, je suis peu en phase avec son usage. Je trouve l'exercice plus difficile qu'il en a l'air. Peu naturel et source de mauvaises habitudes : au hasard, sacrifier la qualité des attaques données, notamment celles intermédiaires par un bras trop peu allongé ; passer au mouvement suivant à peine les lames en contact. Cependant, tant que cela reste un moyen de transmission, je n'ai pas de jugement.
D'ailleurs, il m'arrive au besoin de le faire. Il s'agit davantage, à mes yeux, d'un choix méthodologique ; les miens s'en passent juste le plus souvent. Affaire de personnes, de conceptions... l'efficacité d'une méthode ne peut se dissocier de la personnalité de l'enseignant et du groupe. D'où cette phrase que je trouve toujours magnifique : vous n'enseignez pas une matière, mais qui vous êtes.

Pardon. 


Vous l'aurez saisi, mon déplaisir ne vient pas de là. Plutôt de l'instant où la dite gamme déborde de la salle d'armes pour débarquer sur scène. Très souvent à mauvais escient.
Si je vous dis au hasard gamme 3-0 ou 4-0, donc le même qui attaque trois à quatre fois de suite, chassé / technique histo-discutable. Cela vous rappelle quelque chose ? Rajoutons à la structure une gamme 0-3 ou 0-4 suivi toujours d'un chassé / technique ... le tout répété jusqu'à la fin : blessure / mort / statu quo. Des souvenirs devraient vous hanter. En tant que spectateur, certes, mais aussi escrimeur ; acteur de ce genre de combat.

Je n'ai aucun souci à avouer d'y avoir pris part fut un temps. "Allez partons sur un huit !" On appelait une de ces gammes ainsi de par chez nous. "Puis partons sur un huit brisé et je te désarme." Une période heureuse, en réalité. Je m'amusais. Je m'amuse toujours, en fait. J'y ai rencontré des amis avec qui, pour certains, je participe encore à différents projets  ( salut Capitaine ! ). Et je suppose que pour vous c'est similaire ou le deviendra.
Cependant, avec le recul, ce type de structure, de construction chorégraphique m’apparaît aujourd'hui ni plus, ni moins, comme une dérive méthodologique. Une dérive liée à son irréalisme injustifiée, sa facilité  et son manque de profondeur.


Oui ! Vous là ! C'est à vous que je cause !


L’irréalisme injustifié des gammes.

Si vous nous suivez, vous savez que ce point nous est cher. Nous avons bien conscience que l'aspect visuel de l'escrime de scène lui permet d'interroger la réalité et de prendre des libertés avec elle. C'est , à ce propos, l'origine des différents styles plus où moins définis que nous connaissons. Cependant, nous sommes sensibles à la justification de ces dites prises de libertés. En effet, à partir du moment où nous pouvons nous appuyer sur une connaissance suffisante de la logique d'une arme, son contexte d'utilisation... il est appréciable que les escrimeurs soient capable d'expliquer leur démarche. en d'autres mots, les raisons qui les poussent à ne pas proposer une action la plus proche possible de la réalité.
L'aspect est assez récurent avec les arts visuels. Souvent, l'artiste ou ceux qui se chargent de présenter son oeuvre vont la comparer avec le réel et mettre en avant les différences centrales. Différences qui doivent, si réussies, porter leur message. Pensez à l’impressionnisme, au surréalisme...
L'escrime ne me semble pas y faire exception.

Alors, vous me direz, si les artistes modifient le réel dans leur oeuvre pour porter leur message, tenter d'être réaliste ne serait-il pas un néant artistique ? Ce qui serait une excellente remarque. Manquant de temps pour y répondre, je préciserai juste que cette question a déjà été traitée par d'autres arts visuels que l'escrime et que tout paradoxale puisse-t-elle être, le réalisme est tout autant un point de départ à la réflexion artistique qu'un style à part entière. Avec ses forces et ses faiblesses. La principale de ses forces étant, pour l'escrime, la crédibilité des gestes.

Vous l'avez peut être entendu dans une salle d'armes, en pleine séance sportive : "Si c'est beau, c'est proche du vrai". Je pense que cette tirade résume tout ce que le réalisme peut apporter. Une sensation de "vrai" de "vérité". Sensation d'autant plus importante que la chorégraphie n'est qu'une chorégraphie : un faux. Chercher le réalisme jusqu'aux limites techniques que notre art, comme la sécurité, est un plus indéniable pour rendre votre scène crédible.
Car sans crédibilité, votre scène ne peut pas investir un public et est le gage d'un mauvais travail. Cette crédibilité peut venir du réel, nous venons de le dire, mais aussi de l'univers, de l'ambiance, du genre... bref tout ce qui vous permettra d'obtenir la nécessaire suspension consentie de crédibilité de vos spectateurs.

Or, que faire quand les idées nous manquent pour passer notre message ( Déjà avons nous un message ? ) ? D'un point de vue méthodologique, il est agréable de pouvoir s'appuyer sur une procédure / recette quand l'inspiration n'y est pas. Le statut particulier du réalisme nous en offre une satisfaisante : sans justification, restons proche du réel. Au moins, la crédibilité de votre scène a des chances d'être respectée et qui sait, les idées pour vous en affranchir, vous viendront après ? Nous penchons vers cette voie  au Fracas des lames.
De plus, ce qui me semble très important, cela force à concentrer nos choix scéniques sur le message, même trivial, que la scène doit faire passer et non sur des éléments extérieurs comme la compréhension du public.
Nous y reviendrons, mais par pitié il faut cesser de prendre les spectateurs pour des cons ! Cela ne veut pas dire qu'aucune réflexion ne doit être entreprise envers la réception du public, au contraire, mais cela vient à mon sens assez loin dans le travail et demeure davantage un sujet technique qu'une démarche artistique. Démarche qui doit primer. 

Revenons à nos gammes. Que dire d'elles ? De ces 4-0 ; 0-4 en taille. Peuvent-elles se justifier ? Dans l'absolu, l'éther, oui, mais vous vous en doutez, beaucoup moins en situation. J'exclue volontairement les soucis techniques du temps et du niveau des escrimeurs qui peuvent forcer leur usage et qui sont du domaine du compromis et non de la démarche scénique.
Permettons nous cette règle, au delà de l'attaque remise simple ou attaque reprise simple, un bon escrimeur devrait être en mesure de riposter, sinon cela voudrait dire qu'il est battu. De fait, porter l'offensive quatre fois sans être dérangé me semble compliqué, à moins d'affronter un personnage débutant. Et encore ! Sans mettre en œuvre quelques artifices, cela demeure fort limite.
Au passage, si vous voulez approfondir la question des combattants, je renvois à notre article : Une tentative de typologie des personnages combattants par niveau

Admettons, vous affrontez un personnage débutant et vous même n'êtes pas un expert de combat. Nous l'avons notre justification. Certes, sauf que... ce type de personnage est assez peu représenté en prestation médiévale. Du moins, dans mes souvenirs dont certains fort récent. J'avoue n'en avoir pas fait l'étude, et je doute qu'il puisse en exister une. Néanmoins, de façon très empirique ce sont souvent des personnages à minimum aguerris qui s'affrontent, voire carrément des experts. Pourtant, en parallèle, les constructions gamme, technique, gamme, technique faisant passer le thrash metal pour du progressif, se retrouvent en masse. Alors aux championnats de France avec 60% de la note dédiée à la technique...Avec des rois, des reines, des chevaliers, des guerriers...Un relent de combat de paysan ne pouvait que me frapper de sa petite incohérence et par conséquent de son manque de crédibilité.

Un manque de réalisme injustifié, donc, car non crédible. Ce même dans des tentatives de le dissimuler avec des passages plus construits. Une béquille qui s'observe beaucoup et nous amène au souci de la facilité de ces gammes.

Remarque : Mon propos élude volontairement les situations où l'escrime n'est que secondaire, un simple élément de décorum. Le message scénique passant par d'autre médias. Dans un autre article peut être. 


Ils ont essayé.

Les gammes : une trop grande facilité chorégraphique. 

Par facilité, j'entends un manque de travail sur sa chorégraphie. Quand j'écris, romans, saynètes... (oui ça me détend et non rien de publié encore et surement jamais, non pas que j'ai l'impression que ça vous intéresse, mais je voulais que vous le sachiez quand même. Égocentrisme, toussa toussa), je garde à l'esprit la remarque d'une de mes sœurs de plume : "Je dois pouvoir prendre n'importe quelle page d'une œuvre et y trouver la même qualité d'écriture que ses meilleurs passages." La transposition est tout aussi vraie à mon sens pour l'escrime de scène. Tragiquement, les gammes ont tendance à faire remplissage et dénotent une facilité, coupable parfois. Le fait d'avoir placé une belle technique pendant deux secondes, ne vous sauvera pas de l'ennui qu'ont provoqué les cinquante secondes précédentes. Pire si vous avez essayé de bien faire, être crédible et que par manque de temps où envie d'en faire plus, une gamme pourrisse tout votre travail. Un peu comme rater à fond une action alors que le reste nous prenait aux tripes. Le risque que le public ne se souvienne que de ça à court-moyen terme est grand. Évitons voulez-vous. Vous valez mieux que ces vilaines gammes qui ont en plus la fâcheuse tendance de paralyser nos réflexions à la surface.

Les gammes ou comment rester à la surface.

Car oui, le  plus triste avec elles demeurent les positions et débats stériles engendrés. Une vraie plaie. Ceux que j'ai le plus vécu était "Oui, mais c'est ce que le public veut" ou encore el famoso " On ne veut pas que ce soit trop technique pour le public" . Je ne vais pas développer le non sens artistique que je ressens devant ces affirmations, quoique, pour la deuxième, j'y suis plus perméable. Il s'agit de débats complexes qui ne sont pas l'objet de l'article et dont les points d'équilibre sont en constante mouvance.  J'aborderai plutôt la question des conséquences sur la recherche artistique. D'un côté, des utilisateurs de ces gammes qui, par opposition, peuvent refuser de voir qu'ils mettent en scène une situation pédagogique et de l'autre, des opposants jusqu'au boutismes qui risquent de passer à côté du cahier des charges de leur scène. Par exemple oublier de faire de la scène et tomber dans la démonstration technique.

D'ailleurs, c'est que nous avons pu constater sur un ou deux passages, lors des championnats de France, où la recherche technique avait trop pris le pas sur l'art. Dommage, tout comme la pauvreté technique des gammes au nom d'un spectaculaire extérieur à la logique des armes.
Deux surfaces, deux faces de la même pièce qui peuvent nous bloquer dans notre démarche scénique et oublier d'explorer la profondeur, l'infinie des possibles qui s'offre à nous.
Heureusement, nous arrivons la plupart du temps à dépasser ces oppositions, mais avouez que ces débats n'aident pas. Même s'ils ont leur utilité.

Voilà. J'espère vous avoir convaincu de la dérive méthodologique que représente l'usage à tort de ces gammes.
Nous sommes des artistes. Amateurs pour la plupart, mais artistes quand même. Tentons d'agir comme tel. Tentons de dépasser les gammes et leur limites. Mieux apprenons à les exploiter, les utiliser à bon escient. Comment ? Comme un enchaînement brut qu'il convient d'affiner pour nos scènes.

Un outil brut à polir.

En effet, n'est ce pas juste là le problème. La gamme peut-elle être un bon exercice ? Oui, sans nul doute. Est-elle de bon usage sur scène ? Pour moi, non. Dans le même temps, un bon exercice doit pouvoir aider les escrimeurs à réaliser une chorégraphie. Non pas directement, mais en posant des éléments exploitables dans l'acte de création. Des outils en quelque sorte. Des outils dont les gammes feraient parties.
A partir de cet instant, pourraient on les voir ainsi ?  Des enchaînements bruts, pédagogiques, didactiques. Enchaînements qui permettraient une mise en place rapide de cibles donnant ainsi un premier visuel, composé d'attaques simples à sens unique. Je le crois.
Tout le secret serait ensuite d'en polir les contours, d'où les quelques pistes que je vous propose si vous deviez composer avec :

  • Répartir les cibles de façons plus crédible. 
    • Choisir une répartition qui ne dépasse pas deux cibles de suite pour le même escrimeur : 1-2-1 — soit première cible pour le joueur A, deuxième et troisième cibles pour le B, dernière pour A — 2-2 ; 1-1-2 etc...
    • Essayer de choisir en gardant à l'esprit la logique de l'arme et mettre en valeur des actions typiques.
Précisons ce point. Sur notre gamme figure non armée, figure armée, jambe non armée et jambe armée, nous pouvons noter que les deux premières peuvent constituer le point de départ d'un enchaînement en zwerch. Dès lors une répartition 2-1-1 ou 2-2 semblent les plus pertinentes : les deux cibles figure pour le joueur A au moins une jambe pour le joueur B. Vu que deux offensives de suite aux jambes m'ont toujours l'air peu crédible, je pencherai plus pour un 2-1-1 : soit redonner à A la dernière cible aux jambes. L'idée pour l’enchaînement est de mettre en valeur l'escrime médiévale à travers une action typique de celle ci, comme dirait Viollet-le-Duc ( en ayant bien conscience des limites de cette position. )

Le Zwerch, selon Joachim Meyer.

    • Si la répartition dépasse les deux cibles de suite, travailler sa justification. 

D'où notre prochaine piste.


  • Enrichir les actions. 
    • Contre-offensives.
    • Actions au fer, Attaques au fer, prises de fer... toujours dans la logique de l'arme et la recherche du typique. 
    • Esquives.
    • Attaques composées ; idéal pour justifier plus de deux cibles de suite pour le même joueur. L'une d'entre-elles devenant une feinte. 
    • A vous de jouer.
Pour aller encore plus loin dans les possibles :


  • Rajouter des cibles
    • pour placer une feinte. 
    • Permettre un enchaînement ou une action dont il nous manquait un élément. 

Par exemple, sur la question des cibles aux jambes, si vous recherchez la manière de les vendre aux mieux ( coucou : Non, non et non, on n'attaque pas les jambes en première intention ! ) une solution est de montrer le risque de les cibler sans préparation. Sur notre répartition 2-1-1 de tout à l'heure il suffirait de rajouter au joueur A une cible à la tête entre les deux jambes pour se faire : de 2-1-1 on passerait alors, à un 2-1-2 ou 2-1-1-1 avec une quatrième cibles à la tête et la jambe armée toujours en dernière, mais cinquième. Ainsi, suite aux Zwerch, le joueur B préparerait sa riposte à la jambe non armée et pourrait se voir sanctionner d'une contre offensive à la tête...
Idée comme ça...


  • Casser la gamme.
    • Par des temps morts, des césures hors mesures, des désarmements.
    • Par le rajout de corps à corps, actions de lutte, pieds-poings. Si vous le pouvez bien sûr. On s'adapte à nos capacitée avant tout et surtout au plus faible. Ne l'oublions jamais. 

D'ailleurs, j'en oublie, mais j'espère que ce petit tour d'horizon vous aidera à mieux exploiter ces gammes si d'aventure vous décidez d'en user. Comme je vous l'ai dit, je m'en passe de façon générale, mais cela n'engage que moi et mes pauvres élèves.

Quoiqu'il en soit j'espère vraiment vous avoir convaincu d'arrêter de les exploiter, sans les adapter, lors de vos prestations.

Sus aux gammes ! Et à la prochaine.

Bon pas tant que ça le "sus aux gammes"...hein...Bien que quand même...tu vois...oui, oui, je rends l'antenne... 

Le Baron de Sigognac.



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