samedi 7 mars 2020

Retour sur les Championnats de France d'Escrime Artistique

Si vous suivez ce blog vous avez peut-être assisté en totalité ou en partie aux Championnats de France d'Escrime Artistique aux Herbiers. Vous avez même probablement pu voir ma tête et lever, ce qui était pour beaucoup un mystère. J'ai personnellement été très heureux de commenter en direct ou presque cet événement et je vous laisse seuls juges de la pertinence de nos commentaires, moi et mes comparses, le Baron de Sigognac et le Duc Stanislas qui gère la page facebook Escrime artistique France.  Il est donc désormais temps, presque une semaine après l'événement d'en faire un retour et d'en dégager des caractéristiques et, tout d'abord, le fait qu'elle était réussie. Ensuite nous feront un tour sur l'état de l'escrime qui y a été présentée avant de chercher à percer les secrets des vainqueurs.


Une manifestation réussie

Quarante numéros et un théâtre plein

Le premier indice de réussite d'une manifestation est la participation à celle-ci. Suite aux sélections régionales, aux abandons et aux désistement il restait toute de même quarante numéros qui sont passés sur scène le 29 février, dés 7h30 du matin (c'était également rude pour nous, pauvres commentateurs). Cela montre à quel point cette manifestation pouvait être attendue après seize années sans championnat et très peu de galas en dehors de KOREO en 2018. Les équipes ont eu peu de temps pour finaliser ou monter leurs spectacles même si beaucoup d'entre eux étaient déjà prêts ou en cours. L'envie de participer à ce grand événement, de se confronter aux autres groupes était clairement là et deux personnes sont même venues de Nouvelle-Calédonie pour participer ! Littéralement l'autre bout du monde...

Le public était là. Le théâtre Pierre Barouh, le plus grand théâtre des Herbiers a une capacité de 460 places et il était rempli à ras bord ! Dans l'après-midi des personnes faisaient même la queue pour avoir une chance d'assister au spectacle. Sur internet on a vu jusqu'à plus de 200 personnes connectées en même temps et cela a été constant une bonne partie de la journée, on n'imagine que pour une bonne part ce n'était pas tout le temps les mêmes (sauf les plus mordus mais bon... Ok je l'avais fait pour les championnats du Monde 2016, j'avoue). Le public était donc présent, évidemment il s'agissait encore d'amis ou de famille des compétiteurs pour une bonne part mais pas seulement. Des passionnés étaient là et, probablement aussi, des gens des Herbiers curieux de toutes ces affiches qui parsemaient la ville !

On notera aussi la présence d'officiels, de la ville des Herbiers évidemment, mais, et surtout, de la FFE. Thierry Le Prisé, vice-président en charge du développement, était présent tout le long de la manifestation et la présidente de la FFE, Isabelle Spennato-Lamour, est venue l'après-midi et pour la remise des récompenses. Enfin le jury réunissait lui aussi la majorité des plus prestigieux maîtres d'armes de l'escrime artistique française ce qui donne un poids certain aux vainqueurs.

L'OCE Escrime artistique, vainqueur du prix Claude Carliez devant le jury, les officiels et le public
Photo : Sténo Sténo

 Une organisation efficace

L'organisation était elle aussi au rendez-vous avec une armée de bénévoles motivés présents bien avant le lever du soleil et encore là lorsqu'il était couché depuis longtemps. Tout semblait bien réglé même si, en coulisses, il a probablement fallu gérer une infinité de micro-problèmes (nous avons eu les nôtres avec la vidéo et les commentaires). Si il y a un fait qui résume tout c'est le retard accumulé à la fin, sur une manifestation se déroulant sur une journée entière : 2 minutes ! Et 17 minutes après remise des récompenses. C'est, en terme d'organisation un véritable exploit (non, personne ne vise les 3 heures de retard du concert de Madonna). Tout a, de plus, dû s’organiser très rapidement, en quelques mois à peine...

Évidemment cette date courte entre l'annonce et le championnat n'a pas facilité les choses et c'est probablement la principale critique qu'on peut faire à cette organisation. Les sélections régionales sont arrivées rapidement, probablement trop pour produire des numéros rapidement. À titre personnel, je trouve également dommage que ces épreuves sont seulement techniques, sans costumes ni jeu. On perd une bonne partie du sel et même une partie du sel de notre discipline. Cela empêche d'en faire un événement local sympathique qui pourrait attirer un peu de public.

Mais bon, ces championnats veulent devenir pérennes. Certains parlent d'un événement annuel, d'autre bisannuel. Si je peux encore donner mon avis sur ce point je pense que, pour les troupes d'amateurs qui ne montent pas de nouveaux spectacles très travaillés tout le temps et s'entraînent peu l'été une périodicité bisanuelle serait préférable. Une fois les championnats terminés en février-mars arrive la saison des prestations et l'on recyclera très probablement le spectacle monté pour les championnats dans les lieux culturels, festivals et autres "fêtes à la saucisse" de sa région. On ne commencera à créer un nouveau spectacle probablement qu'à partir de la rentrée, si on n'est pas réquisitionné pour aider les petits nouveaux... Bref, un peu tard pour travailler à fond une chorégraphie si on n'a pas de plages d'entraînement extensibles. En revanche, en s'y mettant un peu plus d'une année à l'avance on a vraiment le temps de créer et de travailler un numéro de la qualité attendue pour les championnats. Mais ce n'est que mon opinion.

Le jury prêtant serment d'impartialité
photo : Sténo Sténo

Le changement dans la continuité ?

La rapière domine encore mais elle a des concurrents

Vous avez probablement remarqué à quel point j'étais attaché à la diversité des armes dans l'escrime de spectacle. Or, pour beaucoup d'entre nous l'escrime artistique implique des rapières, le plus souvent à lame triangulaire. Sur les quarante numéros présentés, vingt-six utilisaient au moins une rapière et on remarquera qu'il y avait là-dedans treize numéros de la période "Antiquité & Moyen-Âge" qui ne pouvaient en utiliser. La période "Renaissance & Grand Siècle" était, assez logiquement dominée par les rapières, mais également les périodes contemporaines où l'on en voyait encore beaucoup et où l'arme reste une arme de base dans un combat, même allégorique, même quand elle n'a rien à faire là vraiment ou pourrait être remplacée par n'importe quelle autre arme.

C'est cependant assez logique puisque c'est avec cette arme que la plupart commencent dans une salle d'armes ou une troupe (en dehors des compagnies médiévales). La majorité des stages implique d'apporter une rapière et de travailler avec cette arme. Les championnats reflètent donc la pratique courante et, en fait, je devrais même faire remarquer que la proportion de rapière y est probablement inférieure à la moyenne. Notons cependant qu'on a  pu voir à deux [Edit : trois] reprises des lames plates de sorties. Ces lames sont plus réalistes et, dans un théâtre, elles prennent mieux la lumière.

En effet, il faut noter que ces vingt-six numéros ne comportaient pas que des rapières, et souvent pas toutes seules ! Nous avons ainsi pu voir de la classique rapière-dague mais aussi beaucoup de capes (quelqu'un me dit qu'un maître d'armes connu a donné récemment une série de stages sur cette combinaison et qu'il y a peut-être un rapport de cause à effet). Nous avons même vu illustré le manuel de Domenico Angelo avec épée-cape contre épée-lanterne !

À côté de cela nous avons vu les classiques dagues et épées longues mais aussi pas mal de boucliers et de lances et de bâtons. Des glaives antiques et des katzblagers (les uns et les autres peut-être pas assez utilisés en estoc et en entaille mais c'est moi qui aime le chipotage) qui ne sont finalement que des armes du même types avec plus de mille ans de différence. Enfin les sabres ont été de sortie plusieurs fois. En revanche, cette année, pas de cannes ou de parapluies ou d'armes de la Belle Époque.

Le corps à corps, surtout dans la version pieds-poings était assez présent et souvent utilisé. En revanche très peu de jeu court en escrime "médiévale" (mais cela existe également dans l'escrime au sabre court ou au bâton) et très peu de techniques de lutte avec prises ou projections (on préférait généralement les coups de pieds pour ça).

La domination de la rapière est donc encore là mais elle est loin d'être omnipotente et c'est plutôt une bonne évolution à mon sens !

L'ombre du Peter Pan a une rapière (qui sera utilisée par Wendy)

Une escrime esthétique ou athlétique

Il faut dire également quelques mots sur les styles d'escrime présentés. Le style encore dominant en France est un style que je qualifierait d'esthétisant. Il recherche la beauté des mouvements, des corps, des lames, et tant pis si les gestes ne sont pas réalistes ! Le terme "esthétique" n'est d'ailleurs probablement pas le meilleur pour décrire des escrimes qui recherchent aussi parfois l'émotion, la narration, la symbolique mais comme je manque d'inspiration pour qualifier tout ça on se contentera de ce terme (n'hésitez pas à me proposer mieux). En escrime de spectacle on est toujours dans un compromis, un mélange entre recherche "esthétique" et "réalisme" du combat et le curseur est placé plus ou moins vers un côté ou l'autre, on est dans le dosage, pas dans le "tout ou rien".

La plupart des numéros présentés s'inscrivaient plutôt dans la démarche esthétisante "classique" avec des voltes presque partout (la volte complète n'existe, à ma connaissance, qu'en canne de combat) dans un nombre variable, beaucoup de coups de taille même avec des armes peu adaptées à cela (les rapières triangulaires mais, en fait, même les glaives romains ne sont pas trop faits pour ça, les Romains utilisant plutôt la spatha, cette longue épée empruntée aux Gaulois, pour l'escrime de taille). Néanmoins cela n'empêche pas des numéros très diversifiés allant de la tragédie au burlesque avec des jeux très différents. On notera également une utilisation massive des ralentis, je n'ai pas compté mais je parierai bien qu'au moins un numéro sur deux comptait une séance de ralentie, plus ou moins bien faite et plus ou moins intéressante d'ailleurs. Pour certains le ralenti permettait une meilleure compréhension de la scène et notamment d'un moment important, pour d'autre c'était un pur exercice de virtuosité (mais bon, nous étions dans une compétition d'escrime où il fallait montrer sa virtuosité).

Cependant le curseur de tous les numéros n'était pas non plus toujours plus proche du côté esthétique que réaliste. Certains numéros mettaient l'accent sur la martialité de l'action et la violence du combat avec une volonté de crédibilité et de "réalisme". On notera cependant qu'en dehors des numéros présentés par le club de l'Isle Adam les équipes ne recherchaient pas tant la technique que le spectaculaire par l'engagement physique. Nous avions plusieurs groupes de cascadeurs qui nous on prouvé leurs capacités athlétiques et leurs capacités à sauter, esquiver, chuter de façon impressionnante ! On y retrouve bien, surtout en escrime médiévale, quelques techniques de traités mais peut-être encore trop peu à mon goût, mais vous connaissez mon amour des traités et des techniques qu'on y trouve.

On a vu quelques belles cascades comme dans Le seigneur des Anneaux par Contretemps Cie
Photo : Guillaume Blanchard, ville des Herbiers

Les secrets des vainqueurs ?

Faut-il être professionnel pour gagner ?

La question du mélange entre professionnels et amateurs est revenue avant et pendant ces championnat de France. Il est vrai que des amateurs et des professionnels s'y affrontent et que certains trouvent cela déloyal. D'abord rappelons ce qu'est un professionnel dans ces circonstances : c'est une personne dont le métier consiste à présenter des combats d'escrime de spectacle et donc à les monter. Donc, pas la plupart des maîtres d'armes qui passent surtout leur temps à entraîner des escrimeurs sportifs et pas des acteurs qui jouent occasionnellement des scènes de combat.

Les professionnels ont un intérêt supplémentaire à la médaille qui est qu'il s'agit d'une carte de visite pour leur employabilité. Ils peuvent éventuellement reprendre des numéros qu'ils présentent sur scène lors des championnats. Cependant je rappellerai que les exigences d'un championnat et de la scène sont parfois différentes et qu'ils peuvent être amenés à raccourcir le numéro ou à en changer certaines parties si ils veulent s'adapter aux contraintes d'une compétition. Les professionnels, quand ils sont cascadeurs, ont souvent une condition physique très élevée et la capacité d'ajouter des cascades spectaculaires à leurs numéros. Cependant ils ont plusieurs numéros, des exigences de calendrier et il serait faux de penser qu'ils ont tout le temps qu'ils veulent pour répéter. Le reste de leur métier doit continuer. Contrairement à l'escrime sportive, au patinage artistique ou au football le métier des professionnels n'est pas de remporter des compétitions mais de donner des spectacles. À titre d'exemple les champions de patinage artistique se consacrent d'abord, dans leur jeunesse, à la compétition avant d'être embauchés dans des spectacles comme Holiday on Ice.

Si l'on fait le bilan des six époques et catégories en compétition on remarque qu'en effet, seuls deux numéros (duel grand siècle et duel intemporel) n'ont pas été remportés par des équipes de professionnels. Si l'on élargit aux podiums, les professionnels remportent sept podiums sur dix-huit places possibles mais tous leurs numéros ont été primés. On doit donc constater une certaine domination qui n'est cependant pas incontestable. Malgré tout, on ne devient professionnel que parce que l'on est bon (même si il y a probablement une importante part de chance et de volonté personnelle) et ce n'est pas non plus étonnant que les professionnels se retrouvent dans le haut du classement. À vrai dire l'inverse serait inquiétant ! Néanmoins je pense qu'il n'est absolument pas impossible de les concurrencer et de gagner contre eux. Il n'y a d'ailleurs que peu de professionnels, ils ne sont pas assez nombreux pour "truster" toutes les places au podium. Lorsque cela sera le cas on pourra peut-être de nouveau s'interroger sur l'opportunité de séparer les compétitions mais on en est encore loin.

Spartacus de Contre-Temps Cie, des professionnels vainqueurs en catégorie Duel époque Antiquité/Moyen-Âge
Photo : Sténo Sténo

Duraluminum ou acier ? Un débat pas encore d'actualité

L'utilisation (prévue dans le réglement) d'armes en duraluminium a également été l'objet de débats. Ces lames sont forcément plus légères et permettent des mouvements plus rapides que leurs équivalents en acier. Leur utilisateurs sont donc logiquement avantagés, sauf que....

Sauf que cette remarque est pertinente essentiellement pour la période antique/médiévale où les concurrents utilisent les mêmes types d'armes en acier ou en aluminium. Pour les autres on note essentiellement des rapières légères à lame triangulaire (sauf encore une fois pour l'Isle-Adam) face à des rapières à lames plates ou des sabres en duraluminium. Nous avons donc des deux côtés des lames très légères capables d'aller plus vite que des armes historiques. Pour ce qui est des sabres une seule équipe (Levallois) a utilisé des sabres (courts) en acier. Notons que si l'on prend un sabre de cavalerie en acier avec son équilibre de base il reste une arme très difficile à arrêter et donc à sécuriser dans une pratique d'escrime artistique.

Quand à l'époque médiévale on notera que si l'on sait bien choisir son épée on en aura une avec un excellent équilibre (c'est le cas de la mienne pourtant achetée à un prix très correct chez un forgeron tchèque bien connu). Il y a également le risque d'être "trop rapide" avec une lame médiévale trop légère, une lame avec un poids plus historique permet de mieux reproduire les gestes d'escrime adaptés à cette arme, c'est donc également un risque avec l'aluminium. Sans compter un sentiment du fer différent. Enfin, pour des armes comme les haches, cette matière est intéressante car là encore on maîtrise mieux son arme.

Les sabreurs de la Formation aux armes et leurs sabres en duraluminium
Photo : Sténo Sténo

L'importance de la part "spectacle" dans la notation

Si l'on regarde les numéros des vainqueurs on s'aperçoit qu'ils sont tous bons sur le côté "spectacle" de l'exercice. Évidemment ils sont tous très bons également sur l'escrime mais, à partir d'un certain niveau, ce sont les 40% de note "spectacle" qui font la différence entre des équipes d'un niveau d'escrime proche ou équivalent. C'est finalement une bonne nouvelle : pour gagner il faut d'abord être un bon escrimeur mais également présenter un bon spectacle.

La note d'escrime empêche les numéros basés essentiellement sur le spectacle de gagner et il y en a eu. L'escrime doit être de très bonne facture et le spectacle est "la cerise sur le gâteau". Mais c'est la présence de cette cerise qui fait que le gâteau est beau en plus d'être bon (je me lance dans des métaphores parfois moi...). Au final je trouve que le compromis 60%-40% était très bon. Parce que j'aime d'abord voir de la belle escrime et qu'ensuite elle soit bien habillée.


La Cie d'armes du Périgor, médaille de bronze sur ce duel intemporel très esthétique et bien mis en scène
Photo : Guillaume Blanchard ville des Herbiers
***
Pour conclure je suis globalement satisfait de ces championnats et de ce qui y a été présenté. Évidemment j'ai forcément des regrets et des attentes mais je suis très heureux d'avoir pu en faire partie et d'y avoir apporté ma modeste contribution. J'espère bien être également des prochains, sur la scène ou en dehors de celle-ci !





2 commentaires:

  1. Très bon article, superbe analyse. Par contre je suis surpris que les lames plates en acier (utilisées par 3 équipes et non 2) soient considérées comme équivalentes à des lames triangulaires ou dural. Le poids et l'inertie des lames plate surtout en version 93 cm n'est en rien comparable.

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    1. Je n'ai jamais dit ça ! Pour manier au quotidien une rapière à lame plate en acier de 105 cm je confirme qu'on ne peut pas faire les mêmes gestes ! L'escrime de tranche est délicate, on fait surtout des "wrist blows" comme dit Swetnam mais pour l'essentiel on est sur de la technique d'estoc.
      Notons que la qualité de la rapière à lame plate est très importante et notamment le poids de la lame et le point d'équilibre. J'ai pu avoir en main des trucs impossible à manier correctement avec un équilibre plus proche du sabre et j'ai la mienne avec un équilibre très proche de la coquille et un poids de 1,1-1,2 kg. Elle a coûté une petite fortune aux personnes qui me l'ont offerte mais elle reste très agréable à manier.
      Après clairement on ne fait pas de grands mouvements circulaires avec, on économise ses gestes.

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