mercredi 6 janvier 2021

Réflexions sur la préparation physique en escrime de spectacle

L'escrime de spectacle est indéniablement une pratique physique qui fait appel au corps pour fournir un spectacle. On y apprend donc à bouger son corps de façon coordonnée pour reproduire l'illusion d'un combat (réaliste ou non). A ce titre se pose la question de la préparation de ce corps-outil à l'exercice et donc de la préparation physique que l'on retrouve dans tous les sports. Pour autant l'escrime de spectacle est-elle un sport comme les autres ? Quelle condition physique faut-il pour la pratiquer correctement ? Mais surtout les escrimeurs et escrimeuses de spectacle sont définitivement des sportifs à part des autres. J'évoquais déjà dans un précédent article, le fait que la majorité ne soit pas des professionnels et en fait même pas des gens se pensant forcément comme des sportifs. Cet article veut donc lancer une réflexion sur la place de la préparation physique dans notre pratique.

Notons que cet article, plus que les autres, est une réflexion en cours. Si je suis toujours ouvert au débat d'habitude (pourvu qu'on me présente des arguments solides) c'est encore plus le cas pour cet article où je propose d'abord d'exposer ce que je pense être des réalités et d'envisager des hypothèses de réponse. Je pourrais ainsi probablement changer plus facilement d'avis que d'habitude, profitez-en !

Affiche publicitaire de la Belle Époque pour un traité de gymnastique

Des exigences physiques assez modestes (mais pas toujours)

Penchons-nous d'abord sur les exigences de la pratique. Il ne s'agit tout d'abord pas d'un sport d'opposition où il faut être le plus vif ou la plus explosive pour gagner. Même si compétition il y a (et cela reste marginal dans notre pratique), on jugera l'escrimeur ou l'escrimeuse d'abord sur la qualité de sa technique, son aisance, engagement, la chorégraphie voir le scénario, le jeu de scène etc. Il faut donc être à l'aise avec son corps, manier les armes sans contrainte, exécuter les mouvements avec la vivacité et la hargne voulues et être capable de maintenir son niveau sur toute la durée d'un combat c'est à dire de quelques dizaines de secondes pour le plus courts à quelques minutes pour les plus longs. Il est rare qu'un combat dépasse les 5 minutes (c'est déjà long) et encore moins les 10 minutes. De plus on passe souvent la majorité des séances à travailler lentement, en contrôle, soit pour apprendre les techniques soit pour répéter une chorégraphie. On ne se donne vraiment à fond que lorsque l'on est proche de la représentation et que l'on répète à la vitesse maximale.

Il faut donc que l'escrimeur de spectacle développe sa coordination, mais cela, la pratique en elle-même s'en chargera. Il lui faut ensuite un minimum de gainage pour mieux se tenir droit, un peu de souplesse, un minimum de vivacité/explosivité et un peu de cardio pour tenir sur un temps relativement court. Si l'on manie autre chose que des épées de cour ou de rapières de spectacle il faudra également acquérir un peu de force dans les bras et les épaules pour manier les sabres, épées longues médiévales ou autres armes "lourdes". On constatera que ces exigences sont assez faibles et qu'il n'y a pas besoin d'être un athlète pour être un bon escrimeur de spectacle. Avec un minimum de condition physique on devrait être capable de s'entraîner pour un combat chorégraphié et de le représenter sans problèmes. Ajoutons également que cet entraînement est très proche de celui qui conviendra à un escrimeur sportif (en dehors du renforcement des bras et des épaules) et quasi-identique pour ce qui est des pratiquants d'AMHE.

Néanmoins on peut bénéficier d'une condition physique supérieure. Ainsi, si l'on veut ajouter des techniques de cascades (roulades, chutes, sauts...) à son jeu il faut tout de suite être plus athlétique, avoir un bon cardio, être bien gainé, explosif et souple. De même si l'on fait plusieurs combats dans le même spectacle ou si, comme les cascadeurs des parcs à thèmes, on enchaîne les représentations tout au long de la journée. Ainsi, une bonne condition physique n'est pas optionnelle pour des professionnels. Elle permet d'assurer plus de spectacle mais aussi d’enchainer représentations et répétitions tout en gardant la même qualité.

La Compagnie Taprobane (Tours) marie cascade et combat scénique, ses membres doivent donc être en excellente condition physique pour bouger autant !

Un public pas forcément demandeur

Il faut également prendre en compte un autre facteur : le public, c'est à dire les escrimeurs de spectacle eux-mêmes. Sans avoir de statistiques spécifiques je pense en avoir déjà rencontré assez pour esquisser quelques portraits et relever des spécificités par rapport aux autres activités. On peut ainsi trouver des passionnés de fils de capes et d'épées (mais les gens en dessous de quarante ans ont moins été abreuvés de ce genre de films à la télévision) mais surtout des gens qui aiment l'histoire et les films de fantasy. Le public "geek" est clairement une cible pour notre activité. On trouvera bien aussi quelques théâtreux et autres pratiquants de spectacle vivant, quelques amateurs de combat de cinéma, des personnes attirée par le côté esthétique des lames qui virevoltent, voire qui viennent du monde de la danse... et parfois un escrimeur ou un escrimeuse sportive.

Une bonne partie de ce public n'est pas spécialement attirée par l'exercice physique ou le goût de l'effort, certains peuvent même avoir un dégoût des exercices physiques de type fitness ou d'endurance. Certains peuvent ne pas avoir fait de sport ou d'activité physique depuis des années (c'était mon cas avant de découvrir l'escrime de spectacle). Ainsi tous sont loin d'avoir une excellente condition physique avec également le facteur de l'âge qui entre en compte, l'escrimeur de spectacle étant bien souvent un adulte qui travaille et qui peut facilement avoir trente, quarante ou cinquante ans voire plus, qu'un jeune compétiteur de quinze ou vingt ans faisant du sport dés son plus jeune âge. Bien sûr on trouve de nombreuses exceptions mais comme ce n'est généralement pas pour l'amour du sport que les gens se mettent à l'escrime artistique il ne faut pas compter avoir à la base d’excellents athlètes ou même des personnes prêtes à faire des efforts poussés pour le devenir.

Vous voulez perdre la moitié de votre groupe à la première séance ? Faites-leur faire des burpees ! ;-)

Ainsi, imposer d'emblée à ces passionnés des exercices de renforcement musculaire ou de cardio-training difficiles est probablement le meilleur moyen de les dégoûter de l'activité et de les faire fuir. D'autant qu'ils auront probablement des performances à ces exercices qu'ils ou elles peuvent peuvent percevoir comme humiliantes en comparaison des plus sportifs. Ajoutons que leurs goûts sont également différents des sportifs : proposez-leur une petite séance de football ou d'ultimate en guise d'échauffement et vous les verrez mépriser ce genre de jeu voire refuser d'y participer. Vous aurez plus chances avec un trollball ou d'autres exercices moins connotés "sport". Par ailleurs, le besoin d'améliorer sa condition physique peut également venir au fur et à mesure que l'on pratique, lorsque l'on constate qu'on a du mal à tenir un combat un peu long, à manier certaines armes ou à faire des cascades que l'on voudrait placer. Le pratiquant peut ainsi de lui-même ou d'elle-même décider de suivre un entraînement supplémentaire... si il existe et est proposé par le club ! Je mets évidemment de côté dans cette analyse la minorité (pas forcément négligeable) de gens qui aiment le sport et d'ailleurs pratiquent souvent une autre activité physique à côté.

Au Trollball on doit mettre une tête de troll dans un panier situé dans le camp adverse. Les participants sont armés d'épées en mousse et doivent éliminer les autres en les touchant. La tête de troll peut éventuellement être remplacée par un ballon et les paniers par des cerceaux.
Ici un arbitre des Bretteurs de Saint-Jean au festival des Geek Faëries en 2019.

La difficile conciliation de tous les facteurs

Nous avons donc une pratique qui est souvent relativement peu exigeante physiquement et un public pas forcément demandeur d'efforts physiques douloureux. Néanmoins on voit qu'une bonne condition physique ouvre plus de possibilités en matière de techniques de cascade ou d'enchaînement des prestations et qu'il est possible que les escrimeurs et escrimeuses de spectacle ressentent un moment ou un autre le besoin d'avoir plus de souffle, de force, de tonicité ou d'endurance. Plus que dans d'autres activités sportives il est donc essentiel de convaincre les pratiquants et les pratiquantes de l'intérêt d'une préparation physique adaptée à leur pratique et de leur laisser l'initiative d'augmenter celle-ci par eux-mêmes.

Ajoutons cependant deux remarques. Tout d'abord le fait que l'escrime artistique est, pour beaucoup d'entre nous, la seule activité physique et sportive et qu'un certain nombre espère malgré tout un gain pour sa santé tout en s'amusant (parce que c'est quand même plus sympathique d'une séance d'abdos-fessiers, de cardio-training ou de zumba !). Ensuite, et cela vient de mon expérience personnelle post-confinement, lorsque l'on est tonique, bien en forme, on va plus facilement se donner à fond sur une chorégraphie, sans avoir à faire d'effort particulier parce qu'on est ainsi dans la vie de tous les jours. Si l'on est ramolli par des mois sans entraînement ou presque (coucou le confinement !) et que l'on est pas un acteur habitué à faire une prestation, on doit se motiver pour trouver l'énergie nécessaire pour mettre de l'intention et de l'agressivité dans ses actions et avec le stress, un temps de répétition un peu juste... on peut être plus facilement "mou" sur scène. Garder une bonne condition physique permet peut-être d'éviter cela.

Les Grecs furent parmi les premiers peuples à comprendre l'intérêt d'une bonne condition physique des citoyens-soldats des citées et à promouvoir les jeux physiques.
Mosaïque de sol représentant des athlètes au Musée d'Olympie sur Wikimedia Commons

Dans l'idéal, il faudrait donc un entraînement physique minimal à chaque séance, du moins à partir d'un certain moment. Celui-ci devrait être le plus ludique possible, prendre en compte les passions de la majorité du groupe, utiliser au maximum les armes (parce que, si on est là, c'est parce qu'on aime tenir des épées en main !) et être le moins douloureux possible. Le célèbre slogan "No pain, no gain" n'aura probablement aucun impact sur une majorité de pratiquants qui sont là pour s'amuser et, éventuellement, bouger. Il faudrait également avoir la possibilité de proposer un programme pour ceux et celles qui souhaiteraient aller plus loin dans le développement de leur condition physique parce qu'ils en ressentent le besoin. Évidemment c'est là un idéal qu'il faut confronter à la réalité des emplois du temps des clubs et des pratiquants et pratiquantes. Mais on peut imaginer se raccrocher à un entraînement général pour tout le club et notamment prévu pour les escrimeurs sportifs voire simplement proposer aux pratiquants de se mettre à l'escrime sportive où ils bénéficieront de la préparation physique de début de séance et se verront incités à développer leur tonicité et leur explosivité. Les pratiquants peuvent également aller suivre ailleurs d'autres cours de fitness, musculation, cross-fit, Pilates ou se mettre à la course à pied en fractionné et d'autres encore...

On peut parier sur ce genre de réactions de la part de beaucoup d'escrimeurs de spectacle

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Voici donc l'état de ma réflexion sur le sujet. Elle part en grande partie de mon expérience personnelle et de l'observation de mon environnement. Comme dit en introduction cet article est d'abord là pour ouvrir le débat et je serais heureux qu'on me fasse changer d'avis ou, du moins, qu'on affine la réflexion. N'hésitez donc pas à commenter (de préférence directement sous cet article et non sur les réseaux sociaux).

4 commentaires:

  1. Marco Compagnie de la Garde6 janvier 2021 à 18:36

    Bonjour à vous! Sujet intéressant. D'accord avec vos arguments. J'ajouterais que le temps d'entraînement est limité et passer trop de temps en mise en condition physique n'est pas utile. Par contre ne pas en faire du tout c'est mal���� au sens Murray ien du terme.

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  2. Bonjour à vous! Je rajouterais que la préparation physique aide aussi à se préparer mentalement au reste de la séance, voire à être plus à l'aise physiquement avec ses partenaires selon les exercices proposés. Donc on ne saute pas l'échauffement! :D

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  3. Réflexion intéressante, j'ai l'impression de mon côté que tout dépend énormément de la manière dont le cours est vendu lors de l'inscription et que des personnes anti-sportives peuvent finalement en redemander quel que soit l'âge (en restant raisonnable évidemment) surtout si l'encadrant
    Fait l'effort de préparer une séance ludique et physique.
    J'ajouterai qu'une bonne condition physique permet d'éviter des blessures surtout en prestation ou l'on donne souvent plus qu'en répétition.

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  4. Je suis ravie que tu aies mentionné l'aspect psychologique, qu'on a tendance à oublier quand on parle de sport.
    La préparation physique, j'aime à le croire, est un cercle vertueux physique/mental. Le fait est que l'escrime artistique conjugue les deux aspects. Le physique, comme tu l'as très bien détaillé, améliore la technicité (plus souple, plus précis, plus longtemps). Mais se donner en représentation demande aussi une sacrée dose de confiance en soi, voire d'estime de soi. Se sentir bien dans son corps, avoir ce boost d'énergie lié à la dépense physique est un bon moyen d'avoir l'assurance nécessaire à l'accomplissement de notre discipline.

    Est-ce qu'une dose de sport devrait être inclue dans les entraînements hebdomadaires d'escrime artistique? Oui, dans l'idéal. Je peux comprendre que le temps soit limité, tout comme l'intérêt de la plupart des pratiquants. Pourtant, le jeu en vaut la chandelle. Amené de manière ludique, comme tu le proposes, à petite ou moyenne dose, loin des cours de sport au collège/lycée qui ont été le cauchemar de beaucoup d'entre nous et quand ça permet d'apprendre mieux et plus rapidement, pourquoi s'en priver?

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