vendredi 22 janvier 2021

Monter un combat caractéristique d'un maître d'armes ou d'une tradition

Je parle souvent de contexte dans ce blog et des différentes traditions liées à ces contextes ou que l'on pourrait envisager d'utiliser dans ceux-ci. Je suis souvent déçu de ne voir souvent qu'un seul type d'escrime dans les combats que je peux découvrir ou visionner alors que l'histoire de l'escrime est riche en types d'escrime différents selon les lieux, les époques et les armes.

Cet article a donc pour ambition de donner quelques conseils pour monter et mettre en scène un combat qui s'inscrit dans une tradition martiale ou qui est tirée directement du traité d'un maître d'armes ancien. Notons qu'il ne s'agit que de l'une des étapes préparatoires pour monter un combat, avec les personnages et les armes utilisées, tout cela est intrinsèquement lié mais je me limiterai ici aux styles d'escrime.

Je ne ferai probablement qu'énoncer ce qui semblera être des évidences mais force est de constater que celles-ci ne sont pas toujours prises en compte. Au final cela va se résumer à deux idées : comprendre l'esprit de l'escrime mis en scène et choisir des techniques emblématiques.

Cette image représente probablement Johannes Lichtenauer, Maître d'armes du XIVe siècle semi-légendaire qui est à l'origine d'une longue tradition martiale ayant duré deux ou trois siècles

Saisir l'esprit de l'escrime qu'on veut mettre en scène

La plus grande erreur lorsque l'on veut reproduire une escrime spécifique est reproduire en les adaptant un peu les techniques que l'on à apprises pour la rapière triangulaire avec une autre arme. Nous nous désolons, avec le Baron, de voir cela trop souvent. Il s'agit en général d'armes différentes et d'escrimes différentes, avec un esprit différent et des mouvements différents.

Il est donc essentiel de comprendre ce qui caractérise l'escrime que l'on veut reproduire, d'en extraire la "substantifique moelle" comme disait Rabelais. Il faut déjà comprendre l'esprit de ce qui nous est exposé : est-ce que la technique présentée peut être pour l’esbroufe dans des Fechtschülen, des tournois ou des exhibitions ? Est-il destiné à "une affaire sérieuse" (un duel) ? À la défense personnelle ? À la guerre ? Le contexte du traité nous aide aussi. 

Ainsi l'escrime médiévale semble difficile à dissocier de la lutte et du corps à corps. On veut souvent rentrer dans l'adversaire et certains adversaires recherchaient probablement le corps à corps pour profiter d'un avantage physique ou technique. L'escrimeur médiéval devait donc être prêt à se défendre au corps à corps, à contrer les clefs, les projections, ou à les pratiquer à son tour. L’escrime médiévale germanique est ainsi dans un esprit agressif où l'on n'hésite en général pas à rentrer violemment en contact avec l'adversaire, ce qui n'exclue pas la technique !

Au contraire, l'escrime à l'épée de cour du XVIIIe se veut raffinée et précise. Néanmoins on a souvent le fer de l'adversaire et on gardera au mieux la pointe en direction de l'adversaire en réduisant ses mouvements à l'essentiel (comme au fleuret ou à l'épée actuellement).

L'escrime de Philibert de LaTouche à la fin du XVIIe siècle : une escrime de cour élégante au fleuret
Les vrays principes de l'espée seule (1670)
 

Les sabres et fauchons sont aptes aux moulinets et la plupart des escrimes qui nous parlent de leur maniement prennent en compte l'inertie de l'arme et l'utilisent pour aller plus vite. Le sabre polonais pousse cela au maximum avec essentiellement des mouvements de poignet le bras allongé et un sabre qui se doit de sans cesse tournoyer et virevolter. La broasword/backsword et le sabre britannique sont au contraire plus axés sur des parades bloquées et des lames un peu moins mobiles. Ainsi, avec des armes identiques on peut tout à fait pratiquer des escrimes différentes ! De même qu'une tradition s'applique en général à plusieurs armes.

Reste à savoir comment prendre tous ces renseignements ? Il y a bien sûr l'étude des traités et du contexte. Mais tout le monde n'a pas forcément le temps ni les capacités pour bien faire cela. Heureusement d'autres s'en sont souvent chargés, on trouve des vidéos, des articles, des livres de groupes d'AMHE ou de Maîtres d'armes (et d'autres encore) qui ont étudié cela. Même si l'on veut passer par les traités il reste utile de voir déjà ce qu'en ont pensé ceux qui s'y sont déjà penchés. Au passage il ne faut pas hésiter à demander des conseils sur les groupes de discussion qui existent.

Décomposition des mouvements du premier jeu du dussack dePaulus Hector Mair (années 1540)
par la chaîne de fechtkunst.schule

Choisir des techniques "iconiques"

Une fois que l'on a saisi l'esprit de l'escrime que l'on veut reproduire il faut ensuite choisir quelques techniques, gardes et coups "iconiques" qui permettront de caractériser encore mieux cette tradition. C'est d'ailleurs l'un des plaisirs de l'escrime de spectacle à mon sens : passer plus de techniques "spéciales" que dans la réalité, parce qu'on veut un peu de spectacle quand même ! C'est d'ailleurs dans ce but que je fais quelquefois des articles sur ces techniques originales dans les traités historiques.

Les gardes sont probablement à la base de ce qui caractérise une tradition. Elles sont souvent expliquées dans les traités et elles donnent souvent l'esprit de l'escrime. Ainsi dans la broadsword britannique les gardes sont des positions de parade, dans l'escrime française des XVIIe-XIXe siècle la garde va protéger au moins un côté du corps tandis que les gardes médiévales ou de la Renaissance sont destinées à la parade active ou à l'attaque. Pour le spectateur la garde posera autant le personnage que l'escrime qu'il pratique : prenez un sabre court du XVIIe siècle et prenez une garde de dussack comme la garde du taureau de Verolinus/Meyer, l'effet sera différent d'une Outside guard (plus ou moins une tierce) de backsword britannique. Pourtant vous avez la même arme et vous êtes à la même époque.

Garde du taureau (à gauche) contre garde de la Colère (à droite) dans le manuscrit de J. Meyer des années 1560)
 

Il faut cependant faire attention à ne pas se limiter aux gardes qui ne suffiront pas à caractériser une escrime. Les gardes sont importantes mais elles ne font pas tout. Comme je l'ai déjà dit ailleurs, on trouve dans les traités historiques de nombreuses techniques spectaculaires et intéressantes et il serait dommage de nous en priver ! Allez les chercher (dans le traité, sur ce blog ou ailleurs) et mettez-les en scène ! On n'aurait même pas forcément imaginer certaines d'entre elles qui sont bien meilleures que les habituelles esquives en sautant ou autres habitudes de l'escrime artistique. Auriez-vous pensé à rassembler épée et bocle dans votre main gauche libérant ainsi votre main armée tandis que vous poignardez avec l'épée pour menacer. Pourtant cette technique est présentée dans de nombreuses variantes chez Paulus Hector Mair et d'autres, la main libre peut ainsi saisir le bocle adverse, l'épée ou même la barbe !

N'oublions pas que cela doit également se conjuguer avec les personnages que vous aurez choisi d'interpréter. Leur style et la qualité de leur escrime jouera sur la perfection de leurs techniques et le choix de celles que vous emploierez. On peut tout à faire du mauvais Fiore ou du mauvais Angelo, simplement parce que le personnage est mauvais ! Cela se verra dans une garde qui se veut parfaite mais en l'est pas ou qui s'effondrera à la moindre menace. La difficulté reste de faire comprendre cela au public ! Dans le même ordre d'idée, même dans un contexte médiéval un "artiste" utilisera probablement moins souvent les techniques de corps à corps qu'un "vieux briscard" ou qu'un "athlète" (voir mon article qui propose une typologie de personnages).

Une dernière remarque qui sort un peu du contexte mais qui est importante : un combat c'est une histoire, avec un début et une fin et des péripéties. Ainsi certaines techniques devront plutôt prendre place vers le début du combat tandis que d'autres au contraire sont plus adaptées au milieu ou à la fin de combat voire permettent de le finir. Une fois les techniques choisies il faut également s'interroger sur le moment où l'on doit les placer et vérifier qu'elles correspondent bien au récit du combat et aux personnages des acteurs/escrimeurs.

Cette technique, exposée dans les traités de Paulus Hector Mair (années 1540), vous explique littéralement comment attraper la barbe de votre adversaire à l'épée-bocle !
 

***

J'espère vous avoir aidé à mieux définir la façon d'aborder la problématique de monter un combat relevant d'une escrime spécifique. C'est pour moi quelque chose d'essentiel si l'on veut approcher un peu l'historicité, ou du moins ne pas être en total décalage avec celle-ci. J'ai personnellement (bon le Baron est du même avis, nous sommes au moins deux) beaucoup de mal avec les adaptations de l'escrime artistique à la rapière à lame triangulaire au contexte médiéval, même non réaliste.

Je trouve que ces armes méritent au moins qu'on prennent en compte leur logique interne et donc au moins en partie l'escrime qui a été conçue pour elle. Nos grands mouvements de corps et de bras avec recherche d'expression artistique ne lui conviennent pas et ne semblent pas adaptés à des armes déjà un peu lourdes, aux lames plus visibles, et donc naturellement plus lentes que les rapières ultra-légères utilisées d'habitude. Il est ainsi inutile de ralentir excessivement le mouvement en amplifiant les gestes (cela donne juste l'idée d'une escrime de "gros bourrins" rustauds).

Quant aux autres escrimes, aux autres époques, je trouve qu'il serait dommage de se priver de la variété immense de types de mouvement qu'elles peuvent nous apporter. C'est évidemment plus de travail de recherche, d'apprentissage, de conception, mais au final c'est plus de richesse, de variété, on a ainsi moins l'impression de revoir toujours les mêmes combats. Je ne peux donc que vous inciter à la curiosité !

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