jeudi 9 janvier 2020

L'escrime de spectacle : un monde de non professionnels

C'est une chose qui ressort parfois sur mon blog, dans les recommandations que je donne et qui essaient de prendre en compte la diversité des escrimeurs. Si je rêve comme beaucoup d'escrimeurs ou d'escrimeuses idéaux : athlétiques, élégants, avec un superbe bagage technique et une belle imagination, je sais aussi que cette image est très loin de correspondre à la majorité des pratiquants. Or ils ont tout autant le droit de pratiquer et de représenter des combats devant un public. Dans certaines discussions j'ai parfois l'impression que l'on oublie cette diversité et que l'on est toujours dans un but de perfection. Je pense également qu'il faut toujours vouloir tendre à la perfection mais qu'il faut aussi accepter les réalités concrètes et c'est l'objectif de cet article que de les mettre en lumière.

Comme les miliciens d'Amsterdam en 1588, nous ne sommes pas des combattants professionnels pour la plupart.
La compagnie du Capitaine Dirck Jacobsz Rosecrans et du Lieutenant Lieutenant Pauw - Cornelis Ketel - 1588
Dans les collections du Rijksmuseum d'Amsterdam

Escrimeur de spectacle : un métier très rare

L'escrime de spectacle est dominée par le monde amateur mais, même au sein des professionnels, il y a peu de gens dont le métier principal est de combattre devant un public ou une caméra.

Une activité d'amateurs

Force est de constater que la majorité des pratiquants d’escrime artistiques sont des amateurs et amatrices au sens qu’ils n’en tirent aucun revenu et pratiquent pour le plaisir personnel.

La majorité est dans ce que l’on nomme une pratique « loisir ». Ils ou elles viennent une ou deux fois par semaine à la salle d’armes avec comme but premier de s’amuser à simuler des combats d’escrime. Ce sont des gens qui n’ont pas forcément de grandes ambitions, ils aiment cette pratique mais n’en sont pas forcément passionnés au point de s’y investir plus que le temps qu’ils passent à la salle d’armes. Bien sûr ces personnes sont prêtes à apprendre des techniques, à travailler des combats mais elles n’ont pas forcément un souci de perfection absolue et veulent avant tout s’amuser.

Évidemment, on trouve également au sein des amateurs de véritables passionnés, des pratiquants et pratiquantes prêts à s’investir énormément, passer des heures à apprendre des techniques ou à peaufiner des combats. Ce sont eux que l’on retrouve dans les quelques rares compétitions ou galas ou dans des troupes exigeantes. Ils ou elles constituent en général le noyau dur de la plupart des clubs ou troupes. Parfois certains écrivent des blogs d’ailleurs… Malgré tout ces personnes restent limitées dans le temps qu’elles peuvent rendre disponible pour la pratique et l’entraînement. De plus, bien qu’il s’agisse de passionnés, la notion de plaisir reste importante et l’on ne veut bien faire que ce qui plaira.

La Garde des Lys est l'une de ces troupes exigeantes composées d'amateurs

Des professionnels loin d'être tous spécialistes

Il y a pourtant bien des individus pour qui le combat de spectacle fait partie de leur activité professionnelle. Des gens que l’on paye pour cela. Et pourtant, pour la majorité d’entre eux, il ne s’agit pas de leur principale activité professionnelle.

Les cascadeurs sont évidemment ceux qui devraient être les professionnels du combat de spectacle. Mais voilà, le métier de cascadeur revêt de très nombreux aspects comme les chutes dangereuses (saut de l’ange, chutes d’escaliers etc.), les sauts, le franchissement d’obstacles, les roulades, les simulations d’accidents, les torches humaines sans parler des cascades de véhicules. Le combat n’en est qu’un aspect et recouvre autant le combat à mains nues, les arts martiaux, le combat aux armes contemporaines que l’escrime ancienne. On comprend donc aisément que la majorité des cascadeurs sont loin d’être des spécialistes de l’escrime de spectacle et qu’ils sont loin de tous exceller dans cette discipline très spécifique. Il existe évidemment quelques cascadeurs spécialisés dans le combat mais ils restent peu nombreux, peut-être quelques dizaines en France, un peu plus d’une centaine ?

 Spatha est la troupe de cascadeurs professionnels français qui m'impressionne le plus en ce moment.

Les acteurs sont également payés pour se battre sur la scène ou devant une caméra. Mais, à l’instar des cascadeurs, c’est loin de constituer leur activité principale. Tous les films ou pièces de théâtre sont loin de comporter des combats et même lorsque c’est le cas ce n’est qu’une toute partie de l’œuvre, même si cela peut être une scène importante. Les acteurs sont donc d’abord recrutés pour leur style et leur jeu t non pour leurs capacités à se battre. Ils sont souvent formés pour une pièce ou une œuvre audiovisuelle même si dans le monde anglo-saxon il existe des certifications qu’il est nécessaire de posséder pour qu’on vous engage dans des rôles où l’on doit combattre. Mais, même avec une formation les niveaux sont variables et les gens plus ou moins doués. Ainsi, dans la série Game of Thrones, Kit Harrington a acquis un bon niveau de combattant quand un acteur comme Nikolaj Coster-Waldau semble avoir eu beaucoup plus de difficultés.

 Kit Harrington combat et ce n'est pas mal du tout.

Enfin, même les enseignants ne peuvent pas forcément consacrer énormément de temps à l’enseignement et à la pratique de l’escrime de spectacle. Les maîtres d’armes et prévôts de la Fédération français d’Escrime sont d’abord des spécialistes de l’escrime sportive. Elle est plus que prépondérante dans leur formation mais également dans leur temps d’enseignement et pour certains elle se limite à une seule séance par semaine. L’accompagnement dans les compétitions sportives réduit le temps de pratique personnelle ou le temps que l’on pourrait libérer en plus. Il en va de même des enseignants amateurs ou semi-pro que sont les CQP et les instructeurs de troupes d’amateurs qui ont leur travail à côté. Là aussi, il existe des maîtres d’armes spécialisés dans l’escrime artistique et dont c’est la pratique principale voire unique, mais ils ne sont qu’une poignée.

François Rostain, un maître d'armes spécialisé dans l'escrime de spectacle

Une diversité avec laquelle il faut composer

Tout cela amène à prendre en compte plusieurs paramètres spécifiques qui font que la plupart des pratiquants d’escrime de spectacle ne correspondent pas complètement à l’escrimeur idéal, celui ou celle qui possèderait toutes les qualités recherchées pour pratiquer son art au plus haut niveau.

Des physiques très divers

Tout d’abord les conditions physiques des pratiquants sont très variables. Pour beaucoup d’amateurs il s’agit de la seule activité physique qu’ils pratiquent et on fait rarement de la préparation physique lors des cours d’escrime de spectacle. Il en va de même pour les acteurs qui, eux aussi, peuvent être de tous âges et avec des conditions physiques plus ou moins bonnes, des blessures récurrentes, du surpoids, des mouvements difficiles à effectuer…. C’est évidemment un frein à certaines actions mais c’est aussi assez crédible dans le sens où tous les combattants des époques anciennes étaient loin d’être des athlètes de vingt-cinq ans. Pour donner un seul exemple, sous l’Ancien régime et jusqu’au milieu du XIXe siècle les soldats s’engageaient assez jeunes dans l’armée et y restaient souvent jusqu’à la mort ou l’invalidité, auquel cas ils étaient versés dans le corps des Invalides. Le problème ne se pose évidemment pas avec les cascadeurs qui doivent être en parfaite condition physique et qui peuvent donner un côté spectaculaire à leurs combats (parfois pour compenser un manque de technique). 
Paulus Kal, maître d'armes allemand de la seconde moitié du XVe siècle était loin d'avoir un physique athlétique

Des niveaux techniques hétérogènes

Le niveau technique lui aussi est très hétérogène. La pratique loisir fait qu’on a régulièrement de nombreux débutants et des gens qui s’entraînent finalement de façon assez légère. On a vu qu’il en allait de même pour les acteurs et de nombreux cascadeurs. Il s’y mêle évidemment des gens d’un excellent niveau et, entre les deux, toute une variété de niveaux différents, plus ou moins complets, avec des qualités très diverses. On peut toujours prendre les meilleurs escrimeurs et leur faire jouer un combat très technique et de haut vol mais, en même temps, il ne faudra pas oublier les autres qui veulent eux aussi représenter un combat (c’est tout de même le but de la pratique). Il faut donc adapter la difficulté et surtout jouer avec les personnages mis en scène pour rendre la chose crédible. Je vous invite ainsi à relire mon article sur le sujet. Il faudra réaliser que la plupart des pratiquants ne seront pas interchangeables et qu’il faut être capable de savoir ce qu’on peut leur demander ou leur proposer.

J'ai parlé des marins anglais du Lt Pringle Green récemment, et on a vu qu'ils étaient loin d'avoir un excellent niveau d'escrime, à vrai dire d'avoir un niveau quelconque...
© National Maritime Museum, Greenwich, London.

Un temps de préparation contraint

Enfin, la dernière conséquence importante est le temps de préparation d’une prestation qui peut être assez limité. N’étant pas des professionnels ayant l’essentiel de leur temps à consacrer à cela et s’entraînant tous les jours ou presque, vos escrimeurs vont devoir gérer leur temps pour préparer un combat, surtout si ils ont un niveau moyen ou débutant. Plus l’on a d’expérience, plus l’on prépare un combat rapidement, mais si l’on se fixe de trop grandes ambitions, même des escrimeurs d’expérience peuvent se voir pris de court par le temps. Il est donc important d’anticiper bien en avance le temps nécessaire par rapport aux objectifs que l’on se fixe et donc, inversement, de fixer ceux-ci en fonction du temps que l’on a. Il faut aussi savoir accepter des combats parfois un peu brouillons (j’ai dit « un peu » hein) ou savoir simplifier certaines techniques qu’on n’aura pas assez de temps pour assimiler. En gros il faut accepter qu’on n’aura pas la perfection car on n’a généralement pas des professionnels spécialisés et il est donc important de savoir sur quoi on sera plus tolérant. Cela n’interdit surtout pas l’ambition, mais il fait savoir être raisonnable dans celle-ci.

Idéalement il faut travailler longuement les techniques d'escrime de spectacle
Extrait du manuel de G. Dubois et A. Lacaze - Essai sur l'Escrime (Dague et Rapière) - 1925

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J'espère ici avoir pu mettre en lumière un fait que tout le monde connaissait déjà mais qu'il est toujours important de rappeler. Cet article n'est cependant pas une invitation à la complaisance dans la médiocrité. Je pense toujours que l'on doit faire tout ce que l'on peut pour s'améliorer, qu'il faut être curieux, sortir de sa zone de confort, rechercher de nouvelles techniques, de nouveaux scénarios, de nouvelles thématiques et, surtout, ne pas sacrifier l'intention et le dynamisme d'un combat. J'inciterai toujours les gens à le faire. Simplement il faut parfois remettre les choses dans la réalité et voir comment faire les meilleurs choix, ou plutôt les moins mauvais sacrifices.

J'ajouterai que cette pratique amateur est également une force, un joli vivier d'escrimeurs souvent très doués même sans être des spécialistes ni même des professionnels. Un certain nombre de combats d'amateurs dépasse d'ailleurs ceux des professionnels du cinéma ou des séries et ça c'est peut-être plus inquiétant. Mais c'est un autre débat...

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