dimanche 19 mai 2019

Les armures à l'époque des Mousquetaires

Après avoir vu les autres épées à l'époque des Mousquetaires d'Alexandre Dumas je me suis dit que je pourrais faire également un focus sur les armures. Nous imaginons déjà cette époque sans armures, avec uniquement des vêtements chamarrés... ou du cuir viril pour les versions plus récentes (il faudra un jour que l'on m'explique cette obsession actuelle des vêtements de cuir dans les films médiévaux ou de l'époque moderne). Or, si c'est bien ce qui se porte dans le civil (et la majorité des intrigues de la trilogie des mousquetaires se déroule dans un contexte civil, siège de La Rochelle excepté), ce n'est pas le cas dans tout ce qui touche au domaine militaire. Les moins connaisseurs seront donc peut-être étonnés d'apprendre que l'on portait encore des armures de plates à l'époque d'Athos Porthos et Aramis !

N.B. : Si vous avez besoin d'un rappel sur la résistance des armures aux coups d'épées et autres je vous invite à relire cet article que j'ai publié il y a déjà plus d'une année.

Armures de Richelieu (à gauche) et de Louis XIII (à droite) lors d'une exposition au musée de l'Armée de Paris

 

Les meilleures armures de métal de l'Histoire

On associe bien souvent l'armure de plates au Moyen-âge mais c'est aux XVIème et XVIIème siècles qu'elle est la plus aboutie. Elle équipe toujours les hommes d'armes, cavaliers lourds descendants des chevaliers mais pas toujours de noble naissance. Ceux-ci ont des armures complètes (même si les grèves et solerets ne se trouvent plus que sur les armures de prestige des hauts nobles), bien articulées et dont la cuirasse protège contre les balles de mousquet, la dossière contre celles de pistolet, armes à feu qui avaient fait des ravages dans leurs rangs au siècle précédent (dont le plus célèbre héros de son temps, le chevalier Bayard). On parle ainsi de cuirasses "à l'épreuve" car on y tire réellement une balle de mousquet pour valider cette protection avant de la vendre. La conséquence de cette invulnérabilité aux armes à feu est l'augmentation du poids des armures, si les armures de la fin du Moyen-âge pouvaient peser 25 à 30 kg, celles du XVIIème siècle dépassent souvent les 40 kg. Leurs porteurs étant montés ce poids n'était pas insupportable mais nécessitait tout de même une bonne condition physique ! À l'époque le casque presque universellement usage chez les cavaliers est la bourguignotte à laquelle on peut ou non rajouter une protection faciale.

Charge de Cavalerie , huile sur toile par Jan Martszen de Jonge,(1629)

Armure d'homme d'armes vers 1630 au musée de Leeds
Celle-ci aurait été offerte au Shogun du Japon par la Compagnie des Indes Néerlandaise et récupérée au XIXème siècle

Il s'agit ici des armures de la cavalerie lourde mais même la cavalerie dite "légère" de la première moitié du XVIIème porte normalement une demi-armure, c'est à dire la même sans les jambes, et sans gantelets pour pouvoir tirer à la carabine ou au pistolet. Dans les faits, celle-ci était déjà beaucoup plus allégée, en ne laissant le plus souvent que la cuirasse à l'épreuve et un casque ouvert voire moins. Les cavaliers légers pouvaient porter également la bourguignotte, souvent ouverte, mais également d'autres casques. Ainsi anglais portaient à la place le "lobster pot" un casque plus ouvert et articulé avec deux barres pour protéger le visage des coups de taille, les chevau-léger français ont également porté le chapeau d'armes ou chapeau de fer, un casque encore plus léger.

Les mousquetaires, en tant que membres d'un corps de cavalerie dérivé des chevau-légers, étaient d'ailleurs probablement censés porter ce type d'armure à la guerre. Leurs rivaux, les Gardes du Cardinal étaient soit des gens d'armes armés du harnois complet, soit des chevau-légers portant la demi-armure.

Demi-armure (vers 1620) dans les collections du musée de Leeds
[EDIT] Je ne peux résister à l'envie de vous rajouter cette armure de mousquetaire noir de la maison du Roi avec ses dorures
Musée de l'armée - Paris
Le terme "mousquetaire noir" indique l'époque où il y a deux compagnies de mousquetaires, soit à partir de 1663. Les décorations en or pourraient indiquer que l'armure a plus une destination de parade que de guerre où la décoration risquerait de souffrir mais elle est probablement fonctionnelle (on ne fait pas d'armures non fonctionnelles à ces époques).

Notons toutefois que le prix des armures a beaucoup baissé par rapport à celles des chevaliers. Les armures des Princes et des Grands sont encore faites sur mesures, finement adaptées à l'anatomie de leur porteurs et sont souvent décorées jusqu'à devenir de véritables œuvres d'art (mais toujours fonctionnelles). En revanche, les armures de la troupe sont fabriquées en série dans les manufactures royales et le plus souvent distribuées plutôt que vendues aux soldats. Il en résulte une certaine uniformisation même si il n'y a pas d'armure règlementaire à l'époque mais simplement un règlement militaire qui impose un niveau d'équipement minimal (et parfois maximal). C'était la condition pour équiper les immenses effectifs de la Guerre de Trente ans (1618-1648) !


Bouguignotte (vers 1600) au Musée de l'Armée de Paris
Lobster tail pot de dragon (harquebusier) anglais - 1645- musée de Leeds
Chapeau de fer à nasal, compagnie des chevau-légers de la Maison du roi (acier cuivre et laiton) vers 1650
Musée de l'armée - Paris


Des cavaliers qui s'allègent

Malgré tout on observe tout au long du siècle une forte tendance à l'allègement des armures voire à leur abandon de la part des cavaliers (mais aussi des fantassins). Plusieurs ordonnances, lettres, injonctions répétées tout au long du siècle sont prises pour obliger les cavaliers à porter leurs armures. Or en Histoire on sait que si une interdiction déjà existante est répétée c'est qu'elle n'est pas ou peu appliquée. Le roi et les officiers semblent insister pour que les cavaliers portent au moins leurs cuirasses et dossières à l'épreuve qui réduisent considérablement les pertes humaines dans une bataille. Ainsi, en 1638 Louis XIII passe une ordonnance punissant de mort celui qui se présente non armé (cad sans armes offensives et défensives) à la revue des troupes :
"... le Roy ayant reconnu que le soin que la cavalerie françoise avoit, par le passé d'estre toujours armée, luy a causé les grands avantages qu'elle a remportez en beaucoup de rencontres sur celle des ennemis et que le mépris qu'elle fait à présent d'avoir et de porter ses armes aux occasions qui se présentent pourroit estre grandement préjudiciable à ses affaires s'il n'y estoit pourveu. Sa Majesté enjoint très expressément à tous capitaines, officiers et soldats de sa cavalerie d'estre à l'avenir armez en toutes leurs marches, factions, combats et autres actions et occasions de guerre. Et pour leur en donner moyen, elle fera présentement fournir à ses propres cousts et dépens des armes à tous les chevaux légers ausquels il n'en aura pas esté distribué depuis cette campagne... Veut et ordonne sa Majesté qu'aucun soldat non seulement ne puisse estre passé à la monstre sans estre armé au moins d'une cuirasse, d'un pot et de deux pistolets, mais aussi que s'il s'y présente sans armes après qu'il les aura reçues et que la présente aura esté publiée, il soit arresté sur le champ pour estre puny... de mort."
Ordonnance royale du 2 septembre 1638 (citée par Clément Bosson)
Les sources semblent indiquer que cette ordonnance fut suivie d'effet pour une ou deux décennies d'autant que les ennemis Espagnols et Allemands semblaient avoir quant à eux conservé leurs armes défensives. Malgré tout la tendance à l'allègement se poursuit tout au cours du siècle, tendant à ne plus porter que la cuirasse et la dossière (le minimum dans l'ordonnance citée) et un casque. Avec sa création d'un corps de dragons à l'armure allégée Cromwell avalisait ainsi un usage des soldats.

Ce tableau de Peter Meulener (1602-1654) nommé Combat de cavalerie et exposé au musée de Besançon nous montre un affrontement de cavaliers très allégés. On remarquera les buffletins, les simples cuirasses et les chapeaux.
D'autant qu'on voit se répandre chez les cavaliers une armure plus légère : le buffletin. Il s'agit d'un épais vêtement de cuir de bison européen ou de grands cervidés (jusqu'à plus d'1/2 cm d'épaisseur pour un poids de 2 à 3 kg), avec ou sans manches porté sur les autres vêtements et sous une éventuelle cuirasse. Les buffletins apparaissent au début du XVIIème, probablement dans les îles britanniques, mais ils ne sont largement répandus qu'à partir du milieu du siècle. Ils protègent assurément contre les coups d'épée de taille, probablement les pistolets, les flèches des Indiens d'Amérique et peut-être les estocs, voire les balles de mousquet en fin de trajectoire. J'émets personnellement un doute sur l'estoc (car une lame bien pointue pénètre vraiment très bien beaucoup de choses) et le mousquet, d'ailleurs ce sont des balles de mousquet qui ont tué le roi de Suède Gustave Adophe à la bataille de Lützen en 1632.

Voici ce que disait Louis de Gayasur le buffletin :

"Quoique les buffles ne soient proprement que des habillements de cavaliers, nous pouvons aisément les mettre au nombre des armes défensives, plus qu'ils peuvent aisément résister à l'épée, lorsqu'ils sont d'une peau bien choisie"
Louis de Gaya - Traité des armes (1678)
Buffletin porté par Gustave Adoplhe, roi de Suède. On remarque bien le trou causé par la balle.
Photo du musée de livrustkammaren

Cette armure plus légère devint la protection la plus portée par les cavaliers et même les seigneurs anglais du milieu du XVIIème siècle qui nous ont souvent laissé des versions décorées. À vrai dire, au milieu du XVIIème siècle, buffletin signifiait cavalerie légère. Il s'agissait malgré tout d'une armure coûteuse qui était plutôt payée à ses hommes par leur commandant qu'achetée par eux-même. Elle se porte soit seule soit avec une cuirasse ou un simple gorgerin d'acier.

Buffletin, chapeau d'armes et colletin (vers 1630) dans les collections du Musée de l'Armée

Équipement défensif complet de dragon anglais (harquebusier) anglais (1631-1670): bufffletin, cuirasse & dossiere, lobster pot et gantelet.
Sa singularité ici est le long gantelet protégeant le bras gauche avec lequel on peut parer des coups.
Malgré tout les chefs de guerre, notamment les français, continuaient de porter de lourdes armures en campagne pour se prévenir des tirs ou des éclats. Ainsi le tableau représentant Richelieu en armure au siège de la Rochelle n'est pas une fiction (n'oublions pas qu'Armand Jean du Plessis de Richelieu avait eu une éducation militaire, étant à l'origine destiné aux armes et non à la robe). De même, plus tardivement, l'armure de Vauban porte de nombreuses traces d'agressions, fruit de son commandement au plus près lors des sièges (lui-même avait été blessé à six reprises).

Ce célèbre tableau de Paul-Henri Motte n'est pas de l'époque mais de la fin du XIXème siècle (1881). Il montre un Richelieu en armure ce qui est historiquement correct (même si il devait aussi très probablement porter une bourguignotte au lieu de d'un calotte rouge cardinal)
 

Des fantassins parfois bien protégés

Même l'infanterie n'était pas sans armure à l'époque. Comme je l'ai succinctement expliqué dans mon article sur les épées, les fantassins de l'époque se répartissaient entre les corps de piquiers et les arquebusiers et mousquetaires. Les arquebusiers et mousquetaires ne portaient en général pas d'armure quoiqu'ils pussent porter un casque (a priori un morion ou un cabasset) dont l'usage s'est raréfié de plus en plus au cours de la période pour être remplacé par un simple chapeau.  Pour ce qui est des piquiers, si les rangs du milieu ou de l'arrière ne portaient pas plus qu'un simple casque (là encore un morion, un cabasset ou une bourguignotte), ceux de l'avant portaient une armure de fantassin. Cette armure consistait en au moins un casque ouvert, une cuirasse avec dossière et presque toujours des lames de métal protégeant les cuisses et fixées à la cuirasse. Parfois des spalières et des protections de bras ou d'avant-bras complétaient cette armement.


armure de piquier (1630-1670) dans les collections du musée de Leeds

Ces armures étaient également des armures de munitions de produite en séries et distribuées aux soldats. Contrairement à celles des cavaliers elles n'étaient pas à l'épreuve des armes à feu. Le fantassin était en général de plus basse extraction que le cavalier et le poids de la cuirasse à l'épreuve aurait probablement été un problème pour des troupes à pied. Néanmoins on peut estimer que les piquiers en armure allaient probablement à la guerre avec au moins une dizaine de kilogrammes d'acier sur le dos. N'oublions pas non plus que dans les premiers rangs des piquiers on pouvait également trouver des hallebardiers, des joueurs d'espadon ou des fantassins équipés de boucliers.

Enfin, le buffletin semble s'être lui aussi répandu chez les fantassins, surtout les anglais, sans toutefois devenir prépondérant comme dans la cavalerie légère.

Morion hollandais - 17ème siècle- collections du Rijksmuseum d'Amsterdam

Cabasset italien - fin du XVIIème siècle


Comme déjà expliqué le nombre de piquiers a diminué peu à peu au profit des mousquetaires et a définitivement disparu lors de l'adoption de la baïonnette à la fin du XVIIème siècle. À cette époque les fantassins avaient également abandonné leurs armures.


Cette gravure de Salomon Savery est faite d'après une œuvre de Pieter Jansz Quast datée entre 1625 et 1635, on y voit bien le piquier en faction et son armure le protégeant des coups d'estoc au tronc et des coups de taille à la tête.

 

Que faire de cela en escrime de spectacle ?

Voir des combattants en armure est toujours impressionnant pour un public. L'armure rajoute un vrai côté martial, elle fait du bruit et plait toujours. Le public aime toujours les armures même si il a de forte chances de vous appeler "chevalier" dans votre armure de piéton... Malheureusement ce n'est pas si évident d'être crédible dans un combat impliquant des armures tout en étant sécurisé.

Tout d'abord les armures ne sont pratiquement portées que dans un contexte de guerre ce qui limite les scénarios. Il est peu probable qui vous ayez assez de monde pour représenter l'affrontement d'un carré de piquiers avec des cavaliers, sauf si vous tournez un film et que vous avez du budget. Vous pouvez toujours mettre en scène de escarmouches, des embuscades, de la poursuite, du pillage, les scènes de ce genre n'ont, hélas, pas manqué durant la Guerre de Trente ans qui fut aussi l'équivalent de nos guerres de religion pour le Saint Empire germanique. Un autre possibilité, concernant les armures de fantassins, est de les faire porter par des miliciens du guet patrouillant dans les rues, demi-pique ou hallebarde à la main (pour séparer des Mousquetaires et des Gardes du Cardinal ?).

Compagnie de milice du XIème district d'Amsterdam connue comme "La maigre compagnie
Huile sur toile par Frans Hals et Pieter Code (1637) exposée au Rijksmuseum d'Amsterdam

Vous vous trouverez cependant en face d'un second obstacle : où porter les coups ? Si dans certaines fêtes actuelles on s'affronte en se donnant des coups d'épée sur les armures, on le fait justement parce que cela ne fait pas mal ! Même face à un combattant en armure de fantassin on est obligé de modifier beaucoup son escrime pour être efficace. Cela conduit donc avec une arme de pointe à porter des estocs à la partie la plus fragile et la moins protégée : le visage ! La chose est très fortement déconseillée en escrime artistique, interdite par le règlement de la FFE et pratiquée uniquement pas des escrimeurs très expérimenté qui se connaissent bien... ou par des inconscients. Pour les coups de taille il faudra aussi viser le cou, rarement protégé par les armures de fantassin du moins (sauf les bourguignottes portées par tous les cavaliers) ou les membres. On peut aussi donner des coups de dague aux parties non protégées, aux jointures des armures etc. Face à un buffletin on évitera les coups de taille inefficaces et on ne fera que de l'estoc, même si l'on n'a qu'une courte épée de fantassin. Dans tous les cas affronter un adversaire en armure est un défi de construction pour un combat de spectacle.

 Je vous laisse cependant avec cette scène finale tirée du film Capitaine Alatriste (2006) reconstituant de façon réaliste le combat des tercios espagnols à la bataille de Rocroi (1648).



Bibliographie succincte :

- Clément Bosson  "La fin de l'armure"  in Genava (1962)
- Breiding, Dirk H. “Fashion in European Armor, 1600–1700.” In Heilbrunn Timeline of Art History. New York: The Metropolitan Museum of Art, 2000
- Article "Dutch cuirassier armour" sur le site de Royal Armouries (musée de Leeds)
- Keith Dowen : "The seventeth century buff-coat" Journal of the Arms and Armours Society, vol XXI, mars 2015
- Article anonyme sur l'histoire des armures du site de Médiévart.

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