mercredi 25 septembre 2019

Quelques coups intéressants à la dague allemande

Le combat à la dague a des avantages et des inconvénients dont je discuterai probablement dans un article ultérieur. La logique voudrait d'ailleurs que j'écrive cet article avant celui-ci mais ma réflexion n'est pas encore très précise sur ce point et, comme je l'ai déjà dit, c'est un blog, pas une thèse en feuilleton ! Du coup je n'ai aucun scrupule à vous présenter quelques coups que je trouve intéressants dans les traités germaniques abordant la dague.

Par "dague allemande" il faut entendre un ensemble de techniques présentes dans les traités germaniques des XVe et XVIe siècle et présentant une arme appelée "Degen" (das Degen) ou parfois "Tegen" (l'orthographe n'était pas vraiment fixée à l'époque sans compter les variations régionales). Au XVe siècle les illustrations nous montrent plutôt de vraies armes qui transpercent et font saigner tandis qu'au XVIe siècle elles nous montrent des dagues d'entraînement en bois (cette remarque vaut pour presque toutes les armes, pas seulement pour les dagues). Néanmoins les mêmes techniques se retrouvent toutes chez de nombreux auteurs, parfois avec des variantes ou des précisions ce qui fait qu'il est légitime de parler de "dague allemande" et de ne pas se limiter à un seul auteur.

Deux combattants prêts à s'escrimer à la dague dans le traité de Paulus Hector Mair

Une clef à la dague

La technique

Paulus Kal appelle cette technique "Das Ainfach Slos im~ tegen / La clef simple à la dague" (trad. : Fabien Bellaire).  C'est dans le Codex Wallerstein qu'elle est probablement le mieux expliquée :
"Item sticht dir ainer oben zu demgesicht, so stich mit deinem degen von unden auf mit abicher hant umb seinen rechten arm und var mit deiner tencken hant vorn an spicz und zeuch nider zu der erden, als hie gemalt stet, so helcztu (hältst du) in mit gewalt.
 Remarque ceci : quelqu’un te donne un coup d’au dessus au visage. Estoque le au bras droit par en-dessous, avec ta main inversée, [pour intercepter son coup] ; saisis ta pointe avec ta main gauche, et tire vers le bas pour l’amener au sol, comme il est dépeint ici, afin de l’immobiliser."
Transcription : Grzegorz Zabinski et Bartłomiej Walzac Traduction : Raphaël Rigal
La technique illustrée dans le Codex Wallerstein

La technique s'oppose à tout tout coup donné de haut en bas, la dague tenue en poignard. Elle consiste à intercepter l'attaque avec son avant-bras droit puis à refermer sa dague sur lui en attrapant la lame de celle-ci avec sa main gauche puis à tirer vers le bas et l'arrière. Une technique originale et visuelle.

Notons que pour la réussir il vaut mieux que le défenseur soit placé en garde avec le pied droit devant et la main droite tenant la dague de son côté gauche, pointe levée. C'est la position que l'on prend après avoir soit déjà frappé, soit reculé et inversé les pieds. Une position très classique en dague allemande.

La position de départ du défenseur (peinture issue de traité de Paulus Hector Mair)

Les contres

On trouve au moins deux contres à cette technique. On notera que ces deux contres doivent être exécutés rapidement, avant d'être au sol, sinon il est trop tard. Si vous voulez rendre ça en escrime de spectacle cela ne sera pas facile.

Le premier contre nous est donné également dans le Codex Wallerstein :
"Wildu ledig werden, so nimdeinen degen in die tenck hant und stich in.
Contre : Si tu veux te libérer de cela, prends ta dague dans la main gauche et plante le."
Transcription : Grzegorz Zabinski et Bartłomiej Walczak Traduction : Raphaël Rigal
Ayant testé la chose ce n'est pas si facile à faire avec aisance, il faut s'y entraîner et trouver la bonne posture.


Illsutration de la technique par Paulus Kal
L'autre contre nous est donné par Paulus Kal qu'il nomme très basiquement "Das zwyfach Slos im~ tegen / La clef double à la dague." (trad. : Fabien Bellaire). Il s'agit tout simplement pour l'adversaire de faire de même !

Double-clef à la dague dans le traité de Paulus Kal

Deux entailles à la dague

La dague du Moyen-âge et de la Renaissance est une arme presque exclusivement utilisée d'estoc, qu'elle soit tenue en poignard ou comme une épée les coups sont toujours donnés avec la pointe. Nous sommes à une époque où le meurtre est n'est pas considéré comme le crime horrible qu'il est de nos jours et peut-être que les vêtements de l'époque (en général plus épais que les T-shirts ou les chemises que nous portons dans nos intérieurs bien chauffés) rendaient peu efficaces les coups de tranchant. Néanmoins il y a une exception notable : deux coups d'entaille au poignet dans le traité de Paulus Kal.

Entaille supérieure à la dague

Pas grand-chose à dire sur ce coup que Paulus Kal ne décrit que très brièvement. Les deux adversaires tiennent la dague comme une épée sur leur tierce et sont en garde la jambe armée en retrait (garde la plus classique de la dague). L'un frappe d'estoc au ventre, le défenseur esquive d'un quart de volte en ramenant sa jambe non-armée en arrière et entaille au passage le poignet de son adversaire. Le coup est facile à faire mais peut obliger l'adversaire à lâcher sa dague et se battre avec l'autre main ou avec des techniques de lutte.

La technique illustrée dans le traité de Paulus Kal

Entaille inférieure à la dague

Cette technique diffère de la précédente car elle se fait contre un adversaire qui tient sa dague en poignard, pied non-armé en avant et qui attaque en avançant le pied armé. Pour la comprendre on peut s'inspirer d'une technique similaire au coutelas (messer/dussack) présente chez André Paurenfeindt :

"Leger dich alsz hie stet schlecht dir ainer zu stosz im dein messer von unden inne[e]n an sein arm[e]n so lembt er sich selb

Tiens-toi avec la pointe haute. Si l’adversaire te frappe, estoque son bras par-dessous, afin qu’il se bloque lui-même."

Transcription : M. Chidester, Traduction : P.A.Chaize
Il s'agit donc d'attaque le poignet par en bas, en estoquant le tranchant au-dessus afin de bloquer l'attaque. Ainsi, plus l'adversaire frappera fort plus il s'entaillera !


La technique illustrée dans le traité de Paulus Kal

Une parade après une feinte

Cette technique est la deuxième des sept techniques présentées par Andre Liegnitzer et qui ont été reprises dans une demi-douzaine de traités qui ont suivi dont la traduction française de 1536 La noble science des joueurs despee. Elle ne semble malheureusement pas avoir été illustrée. Elle a l'intérêt de nous présenter une défense après une feinte.

    "Das ander Stuck

    Thu°et er sam er dir oben zw dem gesicht well stechen vnd macht dir einen feler vnd wil dich in die seitten stechen So vach den stich in dein dencken arm~ vnd vnd wind denn mit deiner dencken hant von vnden auf vber sein rechte hant vnd druck vast an dich an dein prust vñ stich in mit deinem degen zw seinem gesicht ~

      La seconde pieche

    Sil faict comme sil voulsist par deseur bouter apres vostre visaige & faict le faulx coup et vous veult bouter au coste, recepver le coup sur vostre senestre braz, & puys tournez a tout vostre main senestre oultre la sienne dextre et la persez fort contre ta poictrine, lors luy boutez apres le visaige.

    Une autre pièce

    Si il fait comme si il voulait te frapper au visage par dessus et fait échouer le coup pour te frapper au côté alors reçois le coup sur le bras gauche et relève ta main gauche de bas en haut sur sa main droite et presse le fortement contre ta poitrine puis frappe le au visage avec ta dague."


    Transcriptions : Martin Wierschin (texte allemand), Michael-Forest Meservy (texte français), Traduction approximative : Capitaine Fracasse

Le coup de dague est donc à l'origine un coup classique donné en poignard qui se transforme en coup sur le côté, le coup au visage n'étant qu'une feinte. Il est intercepté par le défenseur un peu comme il peut avec le bras gauche. Il s'agit clairement d'une parade d'urgence qui suit une tentative de parade classique avec le bras gauche. Néanmoins le défenseur ne se démonte pas et bloque alors la dague adverse contre sa poitrine se mettant en position favorable pour frapper à son tour avec sa propre arme.

Bien exécuté il peut monter la vivacité de cette arme qu'est la dague mais aussi les techniques de lutte et de clef qu'on peut lui appliquer.



 Si il n'y a pas d'illustration d'époque nous avons au moins cette vidéo de démonstration du groupe Dreynshlag

La dague autour de la nuque


Cette technique est présentée chez Peter Falkner mais on en trouve des variantes dans d'autres traités. Elle est très proche également du jeu court à l'épée longue ou de techniques de corps à corps au messer/dussack. Peter Falkner la décrit ainsi :
"Item aber ein stück sticht er dir oben zu° mit dem tegen so versecz ym mit der lincken hand hoch vnd mit der rechten schlag ym din tegen vmb sin hals vnd ruck andich oder griff mit der lincken ÿn din tegen vnd druck ym in das genick

Item, encore une pièce, s'il t'estoque du haut avec la dague, alors bloque-le haut avec la main gauche, et avec la droite frappe le avec ta dague autour de son cou, et tire vers toi, ou saisis avec la gauche ta dague, et presse-lui la nuque."

Transcription : Dierk Hagedorn - Traduction : Philippe Charlebois
Là encore, comme dans beaucoup de pièces de dague ou de jeu court il s'agit de se projeter violemment vers l'adversaire avant qu'il n'ait eu le temps de donner son coup et de bloquer ainsi son bras. On passer alors sa dague sur sa nuque pour enserrer le cou et donc menacer, trancher une artère ou projeter au sol. La technique n'est pas à passer par des débutants mais avec un peu de travail elle devrait pouvoir être faite en sécurité.

La technique illustrée dans le traité attribué à Peter Falkner

Une projection (contre un estoc au visage)

Je ne pouvais évidemment pas passer à côté de Paulus Hector Mair et de ses 64 pièces de dague ! Voici une technique qui rappelle que la lutte et la dague sont intimement liées et qui peut nous promettre un peu de spectacle avec des escrimeurs un peu cascadeurs (ou du moins qui n'ont pas peur des chutes).

La technique

Contrairement à ses "variantes" cette pièce est présente dans tous les traités de Paulus Hector Mair.

Ein wurff gögen ainem Gesichtstosz
Item wind dich Mit stichen vnnd mit stossen Indem zufechten gögen dem man hinein vnnd wann du fur den Man kumpst. so setz deinen rechten fuosz vor. vnnd halt deinen tolchen den daumen. bey deiner scheiben vnnd gib dich wol nider Inn die wag. streich damit ausz der scher. auf vor Im. Stat er dann mit seinem rechten fuosz gögen dir seinen tolchen wol aufrecht Inn der hoch den daumen auf seinem knopff vnnd begert dir nach deinem gesicht zustössen so far Im mit deiner rechten hand mit deinem tolchen vmb seinen rechten schenckel vnnd mit der lincken greiff Im nach seinem rechten arm so ist Im sein stich abgenomen. hat Er dir deinen stich also abgenomen. so setz Im mit deiner lincken hand an sein kin hat. er dir also angestezt. vnnd will sich ledig machen. so volg mit deinem lincken schenckel hinnach vnnd scheub In vnnden vnd oben wol vbersich. so wirfstu In zuruckh


Une projection contre un estoc au visage
Item, dans l'approche, tourne toi avec estocs et frappes dirigés contre l'homme.
Et quand tu va combattre contre lui alors tiens-toi avec ton pied droit devant et tiens ta dague le pouce près de la rondelle, bien équilibré. Avance et sors de la tenaille avant lui.
Se tient-il avec avec son pied droit contre toi, sa dague bien levée dans la garde haute, le pouce sur le pommeau et veut-il te frapper au visage, alors va vers lui avec ta main droite et ta dague autour de sa jambe droite et avec gauche attrape son bras droit ainsi cela arrête-t-il son coup.
A-t-il arrêté ton coup alors va vers son menton avec ta main gauche.
Se tient-il ainsi contre toi et veut se libérer alors suit le avec ta jambe gauche et repouse le par dessus et par dessous, ainsi tu le projettes en arrière.

Transcription : Pierre-Henri Bas - Traduction approximative : Capitaine Fracasse
On assiste ainsi rapidement à un contre et à une tentative de se dégager qui se finit par une projection que l'on espère spectaculaire (en escrime de scène en tout cas). Cette technique peut montrer une première tentative de lutte. Au choix l'adversaire peut s'en sortir ou être sonné ou poussé dans le vide.


La technique illustrée

Variantes

Dans ses ouvrages en latin Paulus Hector Mair propose deux variantes à cette technique. Dans l'une d'elle l'adversaire pris à la jambe s'accroche à la nuque de l'autre et essaye de le faire tomber avec lui. l'autre dégage alors son bras gauche pour écarter la main de la nuque et échapper à la chute.

La technique avec prise de la nuque

Dans l'autre variante le défenseur tente tout de suite de repousser son adversaire en lui attrapant à la fois la jambe et la gorge. L'attaquant se défend en agrippant le bras droit et en frappant de sa dague ce qui lui permet de se libérer (ou de tuer un adversaire pas assez rapide).

Malgré la violence de l'agression l'attaquant parvient à éviter la projection en ahrippant le bras de son adversaire et en le frappant de sa dague.

***

Voilà, j'espère que ces techniques vous auront inspirés et que vous n'hésiterez pas à sortir vos dagues pour les tester. J'espère vous faire dans pas si longtemps un article plus détaillé sur la dague, en attendant à vos salles d'armes !

Liste des traités utilisés :

- Andre Liegnitzer Traité de 1452 - partie sur la dague disponible sur le site Wiktenauer (traduction anglaise uniquement)
- Paulus Kal Traité de 1460 - traduction complète par AMHE du Maine
- Codex Wallerstein vers 1470 - partie sur la dague traduite par Le Chapitre des armes
- Peter Falkner Kunste Zu Ritterlicher Were (1495) - partie sur la dague traduite par De taille et d'estoc
- Andre Paurenfeindt Ergrundung Ritterlicher Kunst der Fechterey (1516) - partie sur le coutelas traduite par P.A.Chaize sur son blog Le Carrousel des AMHE.
- Paulus Hector Mair Opus Amplissimum de Arte Athletica (années 1540) - partie sur la dague consultable sur le site Wiktenauer (traduction anglaise uniquement)

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