mercredi 11 septembre 2019

Monter un combat de brigands - seconde partie : Types de bandits et scénarios


Dans la première partie de cet article nous avons vu quelques généralités sur les brigands et leur manière d'être à la fois en dehors (ils sont en rupture avec l'autorité) et dans la société (ils restent plus ou moins intégrés à leur territoire d'action). Cette seconde partie va vous présenter deux grands modèles de hors-la-loi et, comme ce blog reste orienté vers l'escrime de spectacle, quelques pistes pour mettre cela en scène dans le contexte d'un combat scénique.

Le brigand généreux (1775) par Daniel Nikolaus Chodowiecki dans les collections du Rijksmuseum
Un brigand veut rançonner un voyageur, celui-ci lui dit qu'il n'a pas d'argent mais lui donnera 10 livres le lendemain. Le lendemain il trouve 10 livres sur la route, revient veurs le brigand et lui demande si il ne les a pas perdu en route. le brigand lui dit que non et refuse de les prendre.

Le bandit social

Le bandit social a été mis au jour par Eric Hobsbawm dans les années 1960. L'historien en désigne trois grands types : le bandit au grand cœur, le guérillero primitif et le vengeur terrible.

Le bandit au grand cœur le type idéal du bandit, celui que tous les paysans voudraient voir. Robin des Bois est le plus connu d'entre eux. Il s'agit d'un brigand ayant opéré au XIIIe siècle, abondamment repris par la tradition orale et la littérature qui n'a cessé de transformer la légende pour prendre la forme qu'on lui connait. C'est le plus ancien de tous les bandits sociaux et il en est devenu archétypal : il vole aux riches pour donner aux pauvres, il combat une autorité abusive qui lève notamment des impôts (le shériff de Nottingham et le mauvais régent Jean sans terres), est victime de cette autorité (on lui a pris son château et ensuite sa fiancée) mais il échappe toujours aux autorités, il n'est même pas l'ennemi des autorités puisque celles-ci abusent de leur pouvoir suite à l'absence de l'autorité légitime (le roi Richard Cœur de lion) qui revient à la fin et rétablit la justice. Il est aimé de tous sauf des représentants du gouvernement...

Gravure du XVIIe siècle représentant Robin des Bois et Marion (qui ne s'appelait pas encore Marianne)
Ainsi le bandit au grand cœur fait le bien du peuple, en distribuant parfois des largesses. Ainsi Luis Parvo, bandit péruvien (1874-1909) distribuait-il de l'argent par poignées aux foules, notamment dans sa ville natale de Chiquian. Pancho Villa qui a commencé comme brigand avant de devenir général de la révolution achetait des choses aux gens dans le besoin. L'investissement des villes et la vente sans taxes de produits de contrebande par Mandrin et ses hommes était également vu comme quelque-chose participant au bien commun par les habitants de ces villes.

Le bandit au grand cœur est réputé ne pas tuer, ou alors seulement ses ennemis c'est à dire le plus souvent les représentants de l'autorité : douaniers, policiers, soldats, autorités corrompues... Si il tue c'est par nécessité, et, surtout, il ne tue jamais d'innocents et de gens de sa région ! Ainsi la légende de Jesse James (la réalité était bien différente) prétend qu'il n'avait jamais dévalisé un prêtre, une veuve, un orphelin ou un ancien soldat des États sudistes.

Mais surtout ce type de hors-la-loi redresse les tors et rétablit la justice. Il commence presque toujours sa carrière (comme beaucoup de brigands) par être victime d'une injustice : il doit défendre l'honneur d'une femme de sa famille des vues d'un notable local, il est spolié de ses biens par un créancier sans scrupules, un membre de sa famille a été exécuté pour un délit bénin etc. Une fois son propre tors redressé, il s'occupe des injustices chez les autres...


Pancho Villa (au centre) et ses compagnons engagés dans la Révolution mexicaine en 1911

Tous les bandits sociaux ne sont pas forcément aussi parfaits que le bandit au grand cœur mais ils ont en commun que leurs actions sont perçues comme légitimes, au moins par les populations des territoire d'où ils sont issus. Ainsi le fait qu'ils vendent à vil prix des marchandises volées ou dépensent leur argent dans les villages environnant les rend déjà populaires auprès de ceux qui profitent de ces affaires. Si ils se contentent de redresser les tors qui leur ont été faits par un potentat local qui abuse de son pouvoir, ils sont déjà vu par leurs voisins comme des gens qui ne se sont pas couchés et ont défendu la justice, même si cette vengeance a parfois été sanguinaire. C'est le cas du "vengeur" qui agit d'abord pour lui, mais en se vengeant là où les autres courbent l'échine devant l'injustice, il gagne déjà leur respect.

Les rebelles refusant une nouvelle autorité illégitime (France révolutionnaire) ou une ancienne mais jamais acceptée (Empire ottoman dans les Balkans, Roi d'Angleterre en Écosse ou en Irlande) sont vus de la même façon et les populations acceptent facilement leurs pillages. Pour E. Hobsbawm qui réfléchit dans une perspective marxiste, ils se rebellent contre l'exploitation mais n'ont pas les outils idéologiques pour le faire et restent des conservateurs dans l'âme, ne transformant pas leur révolte en révolution. Ainsi les Haïdouks constituaient des bandes de brigands pillant les étrangers durant la belle saison et luttant contre les Ottomans ou les mauvais seigneurs. Ils pouvaient aussi soutenir de "bons" dirigeants en lui servant de soldats. L'hiver, beaucoup rentraient dans les villages et l'on pouvait tout  fait quitter le brigandage pour fonder une famille par exemple.

Haïdouk en 1703 par Christoph Weigel d'après Caspar Luyken. Pour ces jeunes gens le brigandage et la lutte contre l'autorité ottomane était un véritable mode de vie intégré aux villages de montagne dont ils étaient issus.

Le criminel

Mais le bandit peut être d'abord un criminel qui fait ce métier pour l'argent et sans les scrupules des bandits sociaux. Beaucoup de ces brigands sont liés à la criminalité des villes qui leur offre des espaces de protection et un lieu où revendre leurs larcins. Ils s'y gardent bien d'ailleurs de voler les gens de l'endroit. Ainsi dans le procès de la Coquille à Dijon en 1555 nous montre que les Coquillards opéraient tout autour de la ville mais pas dans celle-ci.

Le poète François Villon (1431 ? -  mort après 1463) aurait fait partie de la Coquille
Gravure sur bois de Pierre Levet dans la première édition des œuvres du poète en 1489
De même, Marion du Faouët et sa bande semblent avoir d'abord été motivés par le fait d'avoir de l'argent à dépenser dans les tavernes locales plutôt que par une vengeance ou une quelconque injustice. Cependant celle-ci arrive avec la pendaison du premier compagnon de Marion, Henri Pezron en 1746. Les brigands de Marion dépouillaient les marchands revenant des foires, les paysans aisés, les artisans mais évitaient les bourgeois, les gentilhommes et (évidemment) les gens du Faouët et des environs. La bande se agrdait ainsi de trop attirer l'attention des autorités (même si Marion a été arrêtée quatre fois, parfois relâchée ou évadée et a été pendue par effigie en 1752 avant de l'être réellement en 1754). De même, elle avait besoin de la protection des habitants du Faouët pour échapper aux autorités. C'est probablement pour ça que, bien qu'ayant été bannie deux fois du ressort du Parlement de Rennes elle revint à chaque fois au Faouët. Malgré cette réalité assez peu philantrope et selon un processus assez classique (le même était à l’œuvre pour Jesse James aux États-Unis), la Bretagne a gardé d'elle une image très positive de "Robin des Bois en jupons". Le simple fait d'avoir aussi longtemps échappé aux autorités a probablement joué sur sa célébrité, de même que sa modération dans la violence. Ainsi, en l'absence de vrai bandit social, on transforme des bandits aux considérations moins "nobles" en bandits sociaux.

Enfin le criminel peut également être poussé par la nécessité. On l'a dit dans la première partie, dans les périodes de famines le nombre de bandits augmente. C'est également le cas lors des périodes troublées, pas seulement à cause de la faiblesse de l'État amis aussi tout simplement parce qu'elles jettent sur les routes des milliers d'affamés. De même, on méfie des bandes de vagabonds et des déserteurs sauf si ils sont du crû évidemment ! Ils ne bénéficient absolument pas de la sympathie que l'on apporte traditionnellement aux brigands de la région car on ne sait pas à qui ils peuvent s'attaquer. Contrairement à ces derniers, qui font encore partie la société locale (mais se sont mis en marge de l'officielle), les bandes de déserteurs ou de vagabonds sont véritablement hors de toute société et la menacent. Ils sont alors clairement vus comme des dangers et leur existence est d'ailleurs rarement longue sans véritable refuge.

Le bandit criminel est donc plus conforme à l'image que nous nous faisons habituellement du bandit mais, si il n'est pas chef d'une bande de déserteurs, il prend toujours quelques précautions car tous les hors-la-loi ont besoin d'un refuge. Par refuge on n'entend pas seulement une cachette où échapper aux autorités, comme ces cavernes dans lesquelles on imagine les brigands, mais un lieu où les habitants ne leur sont pas hostiles, ne les dénonceront pas facilement et où ils pourront revendre les biens volés et profiter de leur argent sans être inquiétés.

Le bandit et la mort (1650) par Conrad et Rudolph Meyer

Scénarios possibles

On en vient donc aux scénarios. ceux-ci sont liés d'abord aux types d'opérations des brigands. L'activité la plus classique consiste à dépouiller les voyageurs étrangers au pays sur la route ; il faut évidemment pour cela qu'ils soient un peu riches. Si vous avez des moyens vous pouvez trouver un carrosse, une diligence ou un chariot pour les transporter, si vous êtes une simple troupe ils seront probablement à pied. Si il ne s'agit pas de riches paysans ou de marchands (revenant d'une foire par exemple ?), il faudra expliquer pourquoi des bourgeois ou des nobles sont à pied (perdus lors d'une chasse, la ville ou leur château n'est pas loin ?) Les bandits surgissent d'une cachette et veulent dépouiller les voyageurs, les menaçant de leurs pistolets ou autres armes. Pour qu'il y ait combat il faut que ceux-ci résistent et pour qu'ils résistent il faut que les hors-la-loi aient sous-estimé leur résistance ou qu'un jeune noble soit trop fier et trop brave pour s'incliner (soit il sera héroïque, soit il le paiera de sa vie).

Le vol par Esaias Van de Velde (1616) dans les collections du Rijksmuseum d'Amsterdam

On peut également imaginer d'autres scénarios. Si les bandits sont nombreux ils peuvent investir un château, un manoir, une riche demeure et en dépouiller les habitants en tuant les gardes (si il y en a) et tous ceux qui résistent. Cela peut d'ailleurs être l'objet d'une vengeance de la part des brigands, pour réparer l'injustice qu'aurait commis le maître de maison envers le chef de la bande. Cela donnera alors lieu entre un duel épique entre les deux, le chef des hors-la-loi demandant à ses hommes de ne pas intervenir si c'est un bandit au grand cœur. L'enlèvement contre rançon est également une habitude de certains bandits et cela peut donner lieu à un scénario en deux tableaux.

Enfin, évidemment, la lutte opposant les brigands aux autorités est une bonne source de scénarios. Ceux-ci chercheront les brigands et tenteront de les arrêter ou de les tuer, leur tendant des pièges en profitant d'une dénonciation.

Le pillage d'une ferme (1633) par Jacques Callot (1592 - 1635) et Israël Henriet (1590 - 1661)

Cette thématique se prête très bien au combat de groupe, ou du moins à la scène de groupe et moins au duel. Cependant grâce aux pistolets et autres armes à feu vous pouvez facilement transformer la chose en duel : il suffit de tuer ou d'invalider tous les autres participants dés le début du combat en se tirant dessus les uns les autres ! Il reste deux ennemis valides qui se battent alors en duel...

Un combat de brigands peut être, à votre choix sanglant, dramatique, épique ou même burlesque. Hors-la-loi, forces de l'ordre et victimes peuvent tous être glorieux ou ridicules. On peut ainsi figurer la fin désespérée d'une bande de révoltés au grand cœur trahis par l'un des leurs et tués par les soldats ou présenter un tableau cruel d'un bandit faisant peu de cas de la vie des autres. On peut aussi inventer un combat haut en couleurs où l'on rivalise d'acrobaties et d'astuce ou faire virer tout cela à la farce ridiculisant les uns ou les autres ou les deux !

Dans La Tulipe noire (1964) réalisé par Christian Jaque, Alain Delon incarne un brigand au grand cœur dans des aventures épiques et des combats réglés par Claude Carliez.

  
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Voilà, j'espère vous avoir convaincus que cette thématique était intéressante et que la figure du brigand était bien plus complexe et profonde que l'on ne pensait. Certes, la mode en est un peu passée mais il ne tient qu'à vous de la ressusciter !  Ajoutons qu'en plus cela ne nécessite pas forcément des costumes très complexes ni des techniques d'escrime très avancées.

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Bibliographie :

Monographie et recueil :
Hobsbawm Eric : Les bandits (1969-2018 ) Londres - Paris ed. La découverte (disponible également en ligne ici)
Sottocasa Valérie (éd.) : Les brigands - criminalité et protestation politique - actes du colloque de Toulouse - mai 2007 (2013) Rennes - Presses Universitaires de Rennes

Articles :
Braudel Fernand (1947) Misère et banditisme au XVIe siècle. In: Annales. Economies, sociétés, civilisations. 2ᵉ année, N. 2, 1947. pp. 129-142
Evain Brice (2014) La seconde vie de Marion du Faouët In : Annales de Bretagne et des Pays de l'Ouest 121-1 pp.83-113
Sottocasa Valérie, « Le brigandage à l’époque moderne : approches méthodologiques », Anabases [En ligne], 13 | 2011, mis en ligne le 01 mars 2014
Sottocasa Valérie,  « Rebelle ou brigand ? » Le baron de Saint-Christol (1748-1819) vu par lui-même et par ses juges », Annales historiques de la Révolution française [En ligne], 373 | juillet-septembre 2013, mis en ligne le 01 septembre 2016,
Toureille Valérie, Une contribution à la mythologie des monarchies du crime : le procès des Coquillards à Dijon en 1455 In Revue du Nord 2007/3 (n° 371), pages 495 à 506

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