lundi 11 novembre 2024

Les excuses : "Utiliser une escrime plus historique c'est dangereux."

Bonjour à tous, ici le Baron de Sigognac pour vous desservir

Aujourd'hui dans les excuses le "MALHEUREUX ! C'EST TROP DANGEREUX !"

Sa place dans les "mauvaises" excuses a de quoi surprendre. Notre premier réflexe serait de l'associer à l'apparition de dangers bien connus : des coups trop forts, peu précis, non maitrisés, à mauvaise distance, la pointe vers le visage… Ce que notre entrainement doit annihiler. 

L'ennui c'est qu'elle est aussi utilisée pour refuser l'usage de techniques plus historiques. Pourquoi ? Parce qu'en réalité ce sont des techniques plus historiques et que ça agace : cherchez pas plus loin, dans quatre vingt dix pour cent des cas c'est juste ça. Cependant cela reste un peu léger, même dans une position d'autorité, donc autant invoquer une excuse bien rodée comme la sécurité. Et c'est malin, il faut l'avouer.  Cela évite ainsi moultes palabres et discussions compliquées.

Après, coup de chance, l'excuse peut s'avérer vraie au final. Alors, utiliser des techniques plus historiques est-ce trop dangereux ? L'auteur nous prendrait-il pas une deuxième fois pour des jambons ? J'ai de nouveau mon avis sur la question.


Sean Bean aussi. Le seigneur des anneaux : La communauté de l'anneaux de Peter Jackson (2001)


Remarque : je fais l'impasse cette fois sur les contraintes de temps et de niveau pouvant justifier une telle excuse, je l'ai déjà fait  dans Les excuses : C'est trop technique ! et je n'ai rien pour l'instant à ajouter.

"Ce sont des techniques faites pour blesser et tuer !"


C'est l'argument principal : les techniques historiques sont faites pour tuer et blesser (gravement). 

Les traités ne manquent pas d'illustrations ou de descriptions présentant les milles et une blessures que les techniques proposées sont censées prévenir, mais aussi infliger. Quitte à tuer. Ce qui se comprend : de nombreuses sources traitent de situations de duels, de défenses civiles etc... 

Il n'en fallait pas moins pour que certains refusent l'usage de ces techniques au nom de la sécurité. Sans justement chercher plus loin. Exemple personnel, ce collègue qui citant Talhoffer... Allez savoir pourquoi, chaque fois que quelqu'un ne comprenant rien à l'escrime médiévale voulait prétendre que si, il me cite cet auteur. Ce collègue citant Talhoffer disais-je, me tenait à peu près le message suivant "Nan mais tu vois bien qu'il montre un coup de pied qui brise la rotule, c'est dangereux, on va pas l'utiliser…"

Passons qu'après discussions avec le Capitaine, il semble que le coup de pied chez Talhoffer est plus haut et que cela correspondrait davantage à du Fiore... l'escrimeur de scène que vous êtes devez sentir qu'une partie du raisonnement gène. 

Pourquoi ? Parce que nous pratiquons une escrime de coopération. Ne l'oublions pas. Qui vise la rotule de son partenaire à la fin ! Simuler, neutraliser une technique n'est pas un élément tabou dans notre discipline . Il s'agit même d'une de ses bases. Et... nous allons développer.



Puisqu'on parle de Talhoffer : Ms.Thott 290.2, folio 122v  (1459). Pensez-vous que le contexte de l'illustration soit celui de la scène ?



Une méconnaissance feinte des fondements de l'escrime artistique, et réelle de l'historique 

Déjà, soulignons que l'escrime de scène vient elle même de techniques "dangereuses". Inspirée probablement de l'escrime olympique, notamment du sabre, les gestes que nous apprenons sont neutralisés. Nous n'avons pas le choix. Prenez une arme affutée, faites un moulinet qui connecte pleine tête, je suis navré mais ça va saigner. Nous pourrions même nous estimer heureux si cela ne faisait que saigner. 
Ne faisons pas mine de l'omettre : les lames non pointues, non affutées, les nombreuses règles de maitrises, distances de sécurité n'existent pas pour meubler. 

Nous sortir ou nous sous-entendre par des actes et déclarations, que l'escrime de scène ne pourrait pas dans ses fondements, ses outils, rendre inoffensives des techniques d'escrime historique me fait doucement rigoler. 

D'autant plus, qu'associer automatiquement l'escrime historique comme uniquement un art de tuer et blesser demeure grossier. 

Lorsque nous recevons des historiens leurs interprétations sur un geste d'escrime, il convient de ne pas oublier le contexte qu'ils développent autour de celles ci. Désolé, scoop, flash spécial, priorité au direct, il semblerait que ne soit pas toujours pour transformer l'autre en brochettes. Même quand ça bagarre.

Prenez la gladiature. Cet art de combat est conçu davantage pour le spectacle que pour blesser gravement : un gladiateur, ça coute cher. Alors tout le jeu aurait été qu'il se batte, ça ok, mais en s'évitant une fin de carrière prématurée. Genre estropié, éventré, tué… Bon ils s'infligeaient de sérieuses entailles de temps  à autres, mais cela indique que même en opposition, certains risques se voyaient neutralisés de façon volontaire, voulue, réfléchie… Bref, ce n'était pas des "sauvages". 

Nous pourrions aussi citer le possible aspect proto-sportif chez Joachim Meyer. Certes, ses techniques semblent efficace en situation "réelle". Cependant, ce n'est pas aussi affirmé que dans le Flos Duellatorum de Fiore Dei Liberi.

Bref envisager l'escrime historique comme un simple art de blesser et de tuer équivaut à taper un peu à côté. Je ne parle même pas de l'influence culturelle qui peut prendre le pas sur l'efficacité des techniques présentées… 

Rigolez, mais c'est avec des idées similaires qu'on en vient sans trembler des genoux à inviter un collègue soi disant calé en histoire pour qu'il affirme que l'escrime commence au XVIe siècle et / ou qu'au Moyen âge les combattants étaient surtout des catcheurs. Je précise tout de suite que je ne parle pas de discours qui se seraient tenus il y à 80 ans, ni même 10. C'est toujours en cours, malgré les évolutions, les nouvelles interprétations et probablement celles futures qui viendront  remettre certaines choses en question.

Du même ouvrage, folio 90v. Si vous avez répondu non, pensez-vous qu'un escrimeur de scène va reproduire ces techniques telles quelles ?


Une volonté de ne pas se remettre en question



Une nouvelle fois, il nous est difficile de ne pas voir dans ce refus une simple volonté de ne pas évoluer. Cette fois sous le couvert de la sécurité. J'en suis le premier navré. 

Je ne dis pas que certaines techniques pourraient ne pas être suffisamment neutralisées, donc à écarter, mais avant de l'affirmer il faudrait déjà avoir pris la peine d'"essayer". Et s'éviter ensuite d'en sortir une généralité. On vous voit vous savez.
Un enchainement qui devrait se finir pointe au visage peut très bien se neutraliser en visant le corps à la place. et pas n'importe où sur le corps bien sûr. Un coup de pied à la rotule peut bien finir à la cuisse etc... 

Refuser des les utiliser voire même de les étudier parce qu'en réalité l'escrime historique vous énerve, vous en avez le droit. En revanche, ce n'est pas en invoquant le danger que le débat va s'arrêter ou que nous n'allons pas développer au fil des années une certaine envie de vous le faire remarquer. 

De même, certains crieront qu'on dénature le geste. Merci, nous sommes au courant que nous proposons un simulacre. Je vous assure que le point nous a pas échappé. Nous cherchons juste quand c'est possible à nous rapprocher du plus "juste". Dans l'état actuel des connaissances et le contexte de notre discipline : la scène. Ensuite, si cet état actuel bouge nous en ferons d'autant.

Nous revenons toujours au même point, à la même difficulté : qu'est ce que scéniquement vous voulez ?

Nous sommes au Fracas des Lames assez claire de notre côté : nous trouvons un vrai intérêt à développer et utiliser une escrime plus historique dans nos créations. Nous nous en sommes jamais cachés. Il s'agit tout de même de la raison qui a poussé le Capitaine à créer ce blog et moi de le rejoindre. Donc surprise, cette position nous la défendons.

Toutefois, je me répète, pratiquer une escrime artistique dépourvue de réalisme ne me dérange pas. Dès lors que vous avez vos raisons. Je le redis de splendides numéros en viennent et surclassent d'autres qui useraient  d'une escrime plus respectueuse des gestes historiques. 

Mais depuis une décennie, l'inverse est vrai aussi et c'est ce fait que certains on du mal à accepter. Quitte dans les cas extrêmes à essayer de décourager le plus de monde possible.
Je rappelle au cas où que c'est généralement dans ce sens que cela intervient : contre ceux qui veulent essayer ou faire apprendre des coups plus histo. 

Tester et comprendre d'autres manières de procéder, loin de vous nuire ne peut que vous valoriser. Vous, mais aussi cet univers artistique que vous avez su développer. Et qu'importe si aucune technique historique n'y est proposée. Arrêtez juste de vous cacher avec ces excuses éclatées.

Comprenez et faites ce que vous aimez. 

C'était le Baron de Sigognac pour vous desservir

A la prochaine. 








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