lundi 18 novembre 2024

Les excuses : "À l'époque les combats ne duraient que quelques secondes"

Aujourd'hui une réflexion que l'on entend souvent : "À l'époque les combats ne duraient que quelques secondes". L'idée derrière ceci est de justifier de ne pas chercher l'historicité parce que sinon les combats seraient trop courts et donc pas intéressants d'un point de vue narratif. Évidemment, c'est utilisé pour se dédouaner de tout effort d'historicité. Penchons-nous donc sur cette affirmation.

On va tout d'abord voir qu'elle est à nuancer en fonction des armes, des époques, et, surtout en regard du danger. Mais on pourra aussi rajouter qu'elle n'empêche pas forcément d'utiliser des coups historiques.

Gravure anonyme publiée en France entre 1615 et 1670
Collection du Rijkmuseum d'Amsterdam

 Les combats duraient-ils vraiment quelques secondes ?

Cette affirmation est à nuancer d'abord par l'expérience des assauts et des sparrings que l'on peut avoir en escrime, en AHME ou même en escrime de GN. Si certains assauts sont résolus très vite, il peut aussi se passer beaucoup de temps avant que quelqu'un soit touché. Il suffit de regarder un match d'épée féminine de haut niveau pour vous en convaincre, au point que l'on a dû mettre en place des règles spécifiques pour inciter à l'assaut comme la règle de non-combativité. Les sparrings de rapière ou d'épée longue peuvent être plus longs que l'on pense avant d'avoir une touche, avec parfois plusieurs phrases d'armes, des dégagements pour se remettre à distance etc. Avec des boucliers c'est encore plus long, car on est plutôt bien protégés.

De plus même les touches considérées comme valables ne sont pas forcément toutes incapacitantes : si un estoc à la tête est assez radical ce n'est pas forcément le cas des entailles, même profondes, ou même des estocs au corps qui vous garantira probablement une mort par infection dans les 15 jours mais peut vous laisser encore capable de continuer à vous battre. Si l'on ajoute les armures, le combat peut vraiment durer longtemps avant que l'un ne soit assommé, vaincu en lutte, ou touché à un défaut de l'armure. Les chansons de geste nous décrivent des combats durant plusieurs heures voire plusieurs jours entre deux chevaliers. C'est évidemment très fortement exagéré mais on est très loin des quelques secondes évoquées ici.

Enfin on oublie un dernier facteur : le risque de mourir. Nos assauts et nos sparrings ne sont que d'imparfaites simulations car nous savons que nous ne risquons pas la mort. Il peut y avoir des stratégies de double touche ou d'afterblow pour "annuler" un coup adverse. Avec des armes pointues on ne s'amuse pas à ça, on ne veut pas être blessé et mourir, on sera plus prudent, on n'attaquera pas n'importe comment, on testera, on se retirera vite si ça ne se passe pas comme prévu etc. Ce facteur fait aussi que beaucoup de combats devaient être bien plus longs qu'on l'imagine, même sans armures avec des armes mortelles.

Lancelot affronte Méléagant - miniature tirée du Lancelot en prose (1440-1425)

Faire durer le combat n'implique pas forcément d'abandonner les techniques historiques

Soyons honnêtes néanmoins, en dehors de cas particuliers (duel en armure notamment), on n'atteindra probablement pas le nombre de coups minimal pour un combat des Championnats de France d'Escrime Artistique (pour 3 minutes : 72 pour les armes lourdes, 81 pour les armes légères et 90 pour les armes très légères). Mais cela ne nous empêche pas pour autant d'utiliser des techniques historiques.

Tout d'abord il y a la forme des coups qui n'empêche en rien d'avoir un combat long : attaques, parades, ripostes historiques peuvent facilement être prolongées. Ensuite on constate en effet que beaucoup de techniques ou de coups dits "de maître" sont fait pour terminer le combat. Mais en général il y a des parades, des contres à ces techniques et les traités d'escrime nous les montrent. Encore une fois, une mention spéciale ici à Paulus Hector Mair et ses traitées des années 1540 qui nous montrent des techniques avec le contre, et, au minimum, le contre du contre, permettant de longs échanges de coups et parades complexes. Il y a donc le plus souvent moyen de s'en sortir.

Alors oui, ça ne sera pas 100% réaliste, parce que, oui on veut du spectacle. Il y aura une probabilité beaucoup trop forte qu'un combattant se soit sorti de situations difficiles, il y aura une probabilité beaucoup trop importante de coups audacieux normalement difficiles à placer, l'escrime sera aussi probablement beaucoup plus propre. Malgré tout on utilisera des techniques réelles, historiques, en accord avec les armes que l'on manie et non pas une sorte de gloubi-boulga moderne. On montrera les armes comme elles doivent être utilisées, comme elles étaient utilisées, on "truque" juste un peu la capacité à se défendre de coups vraiment dangereux.

Le 16e jeu d'épée longue de Paulus Hector Mair avec la technique et son contre. À la fin on imagine bien celui qui a mis l'autre à terre retourner prendre son épée. Le combat peut alors continuer !

***

Voilà donc pour cette excuse dont on a vu qu'elle était tout de même très discutable. Alors, oui, il faut étudier des techniques nouvelles et non refaire à l'épée longue/le sabre/la rapière à lame plate/l'épée de cour etc. ce que l'on sait faire avec une arme à lame triangulaire. Mais si vous changez d'arme, si vous voulez évoquer une époque passée, par pitié, étudiez l'escrime de cette époque et n'invoquez pas l'excuse que ça ne servirait à rien car ça mènerait à des combats trop courts !

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