lundi 12 avril 2021

Tout enseignement d'escrime de spectacle doit mener à représenter un combat

Dans notre pratique, notre travail technique nous pouvons être amenés à oublier pourquoi nous pratiquons l'escrime de spectacle. Pourtant un moment ou un autre, nous avons voulu faire comme Zorro, Anne Bonny, d'Artagnan, Ivanhoé, Lagertha ou tout autre héros de cinéma ou de littérature. Et nous avons appris que c'était possible simplement en s'inscrivant dans un club ou une association et en travaillant sérieusement. Dans la plupart des cas c'est l'envie de montrer des combats dans un spectacle qui nous motive, ou du moins c'est la finalité de notre travail même si nous pouvons prendre autant voire plus de plaisir à les concevoir ou à les travailler qu'à les présenter. Cette motivation ne devrait jamais être oubliée, quelles que soient les circonstances d'enseignement et, même si il est important d'enseigner des techniques d'escrime et de jeu scénique armé (mais aussi de cascade, de théâtre et d'autres encore), il ne faut pas perdre de vue cet objectif ultime, quel que soit le type d'enseignement. Cet article est là pour le rappeler.

Nota Bene : Même si il apparait sous le nom du Capitaine (qui tient la plume), il s'agit d'un article rédigé en commun avec le Baron qui, en tant que Maître d'Armes, a évidemment une meilleure expérience de l'enseignement. L'idée en a germé lors d'une conversation et vous en lisez ici la concrétisation. D'ailleurs, la plupart de mes réflexions viennent suite à nos échanges.

La mort d'Hamlet par Eugène Delacroix - 1843

L'enseignement sur le temps long (clubs et associations)

Il s'agit ici de la situation la plus classique en escrime de spectacle : des pratiquants sont inscrits dans une structure et viennent pratiquer une ou plusieurs fois par semaine pendant au moins une année sportive (et on espère plus). Il s'agit en principe d'amateurs mais c'est à peu près la même chose avec des professionnels. La pratique s'inscrit sur plusieurs années et tend à une formation complète.

Nous pouvons la décliner en trois axes qui vont définir de façon large les rôles d'un escrimeur scénique. Celui du technicien qui exécute les actions et les jeux scéniques demandés. De l'artiste qui sait combler avec son / ses partenaires les flous autour d'une chorégraphie et / ou être force de proposition. Du chorégraphe qui créera pour d'autre.

Il en ressort que l'enseignement technique doit constituer une part importante de la pratique, puisqu'elle sera le socle de ces rôles. Cependant, même sur une chorégraphie imposée, l'art dramaturgique ne sera pas en reste. Elle devra assez vite s'aborder ne serait-ce que pour l'aspect technico-scénique de notre art. Une mise à mort tient plus la performance scénique du " mort" que la technique l'ayant amenée. Si une salle d'armes et son  Maître d'Armes ne semble pas respectivement le lieu et l'enseignant qualifiés à ce type d'enseignement, force est de constater qu'il est difficile de ne pas l'inclure à un moment donné. Ne serait ce que pour sensibiliser ses pratiquants. Ces derniers éprouveront de toute façon l'envie de mettre en pratique les techniques qu'ils ont apprises, de jouer. Certes, certains refuseront de se montrer devant un public par peur, mais cette envie de jouer, de créer sera omniprésente. Les aider à la concrétiser devient dès lors notre mission ( si on veut les garder ) tout comme celle de s'assurer que ce soit fait en sécurité. 

Par l'enseignement : la pratique d'une arme, idéalement plusieurs, les notions d'escrime (sécurité, distance, temps, lignes etc.) de façon progressive et planifiée, la scène, l'alliance des deux… Autant de sujet qui peuvent et ont occupé plus d'une vie et qui amènera chaque enseignant à faire des choix. Ses choix. 

Par un projet de représentation : proposer un but aux pratiquants comme au moins une représentation devant un public par an.  Cela peut être pour la fête du club, les enfants d'une MJC ou plus ambitieux, vidéos, prestations rémunérés ou non, son et lumières, compétions ou rencontres d'escrime artistique… L'important demeure que nos escrimeurs aient un objectif à atteindre. Un metteur en scène avec qui nous avions travaillé déclarait que répéter pour une pièce était le meilleur apprentissage possible pour le théâtre. Il en est de même pour l'escrime. La présence du public, le fait de jouer pour lui nous pousse à mettre en œuvre tout ce que nous avons appris, lui donner du sens et ainsi nous inciter à un résultat parfait, au pire convenable.

Notons que, même dans le cadre d'une séance il est souvent très utile pédagogiquement de terminer par la création d'un petit combat où l'on met en œuvre ce que l'on vient de voir. Non seulement cela permet de mieux comprendre pourquoi on l'a vu mais cela permet de travailler la créativité et la construction de scénarios et de personnages cohérents pour les combats. Cela permet aussi d'essayer plusieurs styles pour trouver le sien. Ce qui aidera pour la suite. Ajoutons que c'est aussi tout simplement plus amusant pour les pratiquants que de répéter des techniques.

Alors évidemment l'équilibre entre enseignement technico-scénique et création et répétition des combats que l'on va représenter est toujours délicat à trouver dans l'organisation de l'enseignement. Mais comme ce n'est pas l'objet de cet article nous le renvoyons à un éventuel article ultérieur.

Une heure de fondamentaux c'est sécurisé, technique et progressif. Alors pourquoi je n'ai aucun inscrit ?

Les découvertes et initiations

Si la pratique en club est la situation classique il arrive également fréquemment que l'on soit amené à encadrer des séances de découverte ou des initiations. Celles-ci peuvent prendre la forme d'une courte initiation d'une demi-heure ou un heure dans une manifestation comme d'un court cycle de découverte d'une dizaine de séances dans une école ou un centre de loisirs. Il peut aussi s'agir de votre ami qui vient voir ce que vous pouvez bien faire à cette salle d'armes avec votre épée comme d'un escrimeur sportif du cours voisin qui tenterait bien "juste pour voir". Ce public est probablement un peu moins volontaire à l'origine puisque c'est plus souvent la pratique qui est venue à lui que l'inverse, mais il ne faut pas douter de son envie de jouer au pirate, au Mousquetaire ou au chevalier. Ces personnes sont curieuses, et ont envie de découvrir la pratique. Il y a parmi elles de potentielles futures recrues évidemment, mais aussi simplement des gens ayant envie de passer un bon moment en jouant l'arme à la main.

Or, comment ne découvriraient-ils pas mieux la pratique qu'en préparant un combat de spectacle ? Représenter un combat, en duo, en groupe ou même en solo reste l'essence de la pratique comme on l'a dit. Peut-on donc imaginer une séance découverte sans qu'ils expérimentent cela, même à un niveau très modeste ? Il leur faudra donc présenter un combat. Le plus souvent cela se fera devant les autres pratiquants mais dans le cadre d'un cycle de découverte de plusieurs séance ou d'une journée on peut imaginer ajouter les parents dans le public qui seront toujours heureux de voir leur progéniture s'amuser.

Contrairement aux pratiquants réguliers l'exigence sera très différente : il faudra présenter un combat coûte que coûte. On ne demandera pas à ces pratiquants occasionnels de produire quelque chose de "parfait", en fait cela n'a même pas besoin d'être présentable. L'important est qu'ils s'amusent. Ils n'auront, sauf cas rare, pas assez de temps pour acquérir et surtout maitriser selon nos critères habituelles des compétences techniques et scéniques ni pour répéter, mais, ce n'est pas grave ! Comptons d'ailleurs sur eux pour faire quand même tout ce qu'ils pourront pour produire la meilleure représentation possible car l'important est qu'ils y mettent du cœur. Finalement la seule exigence qui restera sera la sécurité, mais vous pouvez sacrifier ajuster tout le reste : la technique, le tempo, le jeu, la cohérence, tout ce qui sera nécessaire pour quand même permettre aux élèves d'un moment de se produire. Et même pour la sécurité, il ne faut pas négliger l'idée d'utiliser des cannes, des armes en plastique voire des armes en mousse qui diminuent les risques. Cela peut même rendre plus attirante l'adhésion à votre structure qui proposera l'usage des armes en acier.
 
Pour cela, il faudra se limiter à un bagage technique réduit et laisser la part belle à la création. Il est bien plus important que ces élèves dès la première heure, parfois la seule, parfois moins, explorent la finalité scénique de notre discipline. On peut ainsi se contenter de leur enseigner que quelques cibles comme la tête qui est à la fois naturelle et spectaculaire. Il faut ensuite compte sur la pédagogie de la découverte pour qu'ils trouvent des idées. Charge à nous de les accompagner à ces moments : une attaque à la tête qui s'accompagne d'un chassé, voir (vécu) d'une proto quinte lié tierce enveloppé tierce, autant de "trouvailles"  qui vont aider chaque groupe à se démarquer malgré une base on ne peut plus simple que commune. La meilleure manière de  saisir, en ce temps bref, la richesse de notre art et de les faire adhérer.
Après entre proposer le premier coup et leur demander ensuite de trouver la suite. Proposer deux-trois cibles, mais leur laisser le soin de composer avec... Nous vous savons plus que capable d'établir ce qui est le mieux pour vous, votre public et votre style. Néanmoins, avec ce procédé, ils auront ainsi la fierté d'avoir présenté leur combat, unique, personnel. C'est très important en ce début de XXIe siècle où l'on s'oriente beaucoup vers le fait d'être acteur de ses propres découvertes dans le monde de la Culture ou ailleurs.

Initiation au sabre laser par Les Bretteurs de Saint-Jean dans le cadre du festival des Geeks Faëries 2019

Les cas particuliers (stages, formations professionnelles etc.)

Il faut évoquer le cas particulier des stages et des formations professionnelles. Ici il s'agit de développer des compétences nouvelles ou de consolider celles que l'on a déjà concernant certains aspects de l'escrime de spectacle. Même si le but est évidemment de les utiliser dans le cadre d'une représentation scénique celle-ci n'est en général pas directement liée au stage ou à la formation. On est d'abord là pour se perfectionner, pas pour monter quelque chose. Pourtant on remarquera que tous les stages auxquels nous avons pu assister ou dont nous avons entendu parler se terminent par la représentation d'un combat devant tous les autres participants. Le but ici n'est évidemment pas de produire un spectacle abouti que l'on pourrait représenter sur une scène. On est en fin d'une formation souvent intense : une journée, un week-end voire une ou deux semaines à faire de l'exercice physique. Les corps sont fatigués, le temps de répétition et de création limité et il est illusoire d'espérer une qualité optimale. C'est qu'ici on veut d'abord voir la mise en application de ce qui a été appris, le transfert de l'apprentissage théorique ou en ateliers vers une mis en œuvre pratique en situation réelle. La situation réelle étant, pour l'escrimeur de spectacle, la création et le représentation d'un combat chorégraphié. Une preuve encore que l'affrontement scénique est au cœur de notre discipline !
 
Autre cas particulier l'entraînement de comédiens ou d'acteurs dans le cadre d'une pièce de théâtre ou d'un film. Ici le projet est clairement défini et, à moins que les acteurs ne soient très expérimentés, la création de l'affrontement repose sur le ou la chorégraphe de combat. Les délais étant souvent assez courts les comédiens apprennent l'escrime en même temps que la chorégraphie de combat et développent des compétences spécifiques pour celui-ci et rien que celui-ci car on n'a pas le temps d'en faire des escrimeurs généralistes. On a ici un exemple extrême d'enseignement dévolu à un combat spécifique et il est très répandu dans le monde professionnel car au théâtre les comédiens ne sont pas doublés par des cascadeurs comme cela reste possible pour le cinéma.

Nous voyons donc, même dans ces exemples particuliers, l'omniprésence de cet objectif qu'il ne faut jamais perdre de vue.
 
Couverture de L'escrime au théâtre de Georges Du bois (1910)
 

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On voit bien à travers tous ces exemples l'importance de cet objectif final de notre pratique. Cela peut paraître évident mais on peut malgré tout avoir tendance à le perdre de vue tant on est parfois dans l'envie de faire passer la technique. Cela est encore plus vrai pour les séquences de découverte ou d'initiation où l'on a souvent tendance à penser que les élèves n'ont pas encore assez de technique pour représenter un combat. N'oublions pas que pour représenter un combat devant ses pairs ou des gens bienveillants comme des parents d'élèves il faut en fait savoir peu de choses : savoir maîtriser suffisamment ses coups (avec des armes en mousse ou en plastique cela n'a même pas besoin d'être parfait tant que les frappes ne sont pas brutales) et c'est à peu près tout. On peut apprendre beaucoup de techniques en créant un combat et je dirais qu'on en apprend au moins autant que par le travail de techniques spécifiques : lorsqu'on a besoin d'une technique pour une chorégraphie on la travaillera plus volontiers et plus profondément que si on la voit dans un contexte désincarné. Nous devons donc ici souligner l'importance de la pédagogie de la découverte dans l'apprentissage de l'escrime de spectacle. Cela demande plus de supervision de la part de l'enseignant qui répond plus aux attentes de ses escrimeurs qu'il ne dispense un enseignement général mais c'est également en accord avec les attentes générales des pratiquants d'une activité (quelle qu'elle soit) en ce début de XXIe siècle.

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