samedi 24 novembre 2018

Monter un combat de pirates - flibustiers et corsaires

Cet article est complément à mes deux articles (1ère partie2nde partie) concernant les combats à l’époque de la piraterie. Il vous sera utile si vous souhaitez monter un combat naval aux deux périodes proches que sont la Flibuste et les Corsaires des guerres napoléoniennes (les exploits de Surcouf et de ses hommes notamment).

Les tactiques, les techniques de combat, les costumes et les armements sont très proches mais il y a néanmoins quelques différences. À noter que si vous voulez évoquer des périodes encore plus proches comme par exemple l’épopée de Jean Bart et des corsaires de Dunkerque (entre 1672 et 1697) vous n’avez rien à changer, les costumes et armes sont les mêmes à des détails infimes.

Affiche du film Surcouf, le tigre des 7 mers  de Sergio Bergonzolli (1966)

 Monter un combat de flibustiers

Contexte historique

Pour l’histoire de la flibuste je vous invite à lire l’excellent site de Raynald Laprise, je tâcherais ici d’en faire un très rapide résumé. Les corsaires français et anglais ont d’abord accompagné les corsaires hollandais (les « gueux de mer ») lors de la Guerre de trente ans pour piller les navires espagnols dans les Caraïbes. En 1629 ils ont investi la petite île de la Tortue (Tortuga en espagnol) au nord-ouest de l’île d’Hispaniola (actuellement la Tortue fait partie de l’état d’Haïti) et l’on utilisée comme base pour mener leurs raids. Après avoir été attaquée et parfois reprise (et abandonnée) par les Espagnols, la petite île s’est peu à peu imposée comme repaire de flibustiers, ainsi que se sont appelés ces hommes, à mi-chemin entre les corsaires et les pirates. Parallèlement une petite colonisation par des planteurs de tabac s’est mise en place à la Tortue et, l’Ouest d’Hispaniola étant étant abandonnée par les Espagnols, des boucaniers français se sont installés pour y chasser les bœufs sauvages (pour la peaux) et le cochons sauvages (pour la viande).

L'île de la Tortue au XVIIème siècle
En 1654 Cromwell, qui vient gagner la guerre civile anglaise, met en place le « Western design », une politique maritime agressive. Il envoie dans les Caraïbes une flotte avec une bonne partie des hommes de son ancienne armée (la « New model army ») pour conquérir Hispaniola. L’aventure n’est qu’à moitié couronnée de succès puisqu'entre 1655 et 1658 les Anglais s’emparent de l’île de la Jamaïque à la place, moins peuplée et moins riche. On tente de faire des colons de ces soldats mais la plupart préfèrent rejoindre les rangs de la flibuste, c’est ainsi que l’île de la Jamaïque devint la seconde base de la flibuste et même plus importante que la Tortue.

La flibuste connut sa décennie de gloire dans les années 1660 où les flibustiers les plus audacieux allèrent jusqu’à prendre des villes pour les piller ou rançonner ses habitants. Une des plus célèbres est la prise de Maracaïbo en 1666 par l'Olonnais. Puis dans les années 1670-1680, les gouvernements français et anglais décidèrent de mettre un terme à la flibuste en normalisant la Tortue et la Jamaïque. Cette entreprise fut menée par d’anciennes gloire de la flibuste : de Grammont pour la France et Henry Morgan pour l’Angleterre. Ils parvinrent en grande partie à éteindre la flibuste même si, à l’occasion de la guerre de succession d’Espagne, celle-ci reprit un peu de vigueur.

L'Olonnais, peut-être le plus célèbre des flibustiers
Les Flibustiers pillaient les navires espagnols en vertu d’une commission délivrée par le gouverneur de la Tortue ou de la Jamaïque qui les y autorisait au nom du roi. On retrouve un mécanisme proche de celui des corsaires sauf que ces commissions étaient, au regard du droit national, d’une qualité juridique douteuse (elles relevaient surtout de l’initiative de ces gouverneurs et ne suivaient pas les règles habituelles en matière de guerre de course). Néanmoins elle leur permettait de revendre légalement les biens pillés à la Tortue ou à la Jamaïque et de trouver des armateurs pour leurs navires. Néanmoins les flibustiers avaient mis en place un partage des biens inédit qui n’existait pas chez les corsaires (chez qui l’essentiel du butin allait à l’armateur). Ils ont inventé la chasse-partie où la part du capitaine est seulement le double de celle d’un homme ordinaire, où l’armateur a un certain nombre de parts de butin et où un système de compensation (une sorte de « sécurité sociale » avant l’heure) est donné aux hommes en cas de blessure ou d’invalidité. Avec les Boucaniers ils ont constitué une sorte d’ensemble nommé « les frères de la côte », témoignage d’un sentiment d’appartenance commun de ces hommes. Beaucoup de flibustiers étaient d’anciens boucaniers réputés pour leur habileté au tir.

Spécificités par rapport à l’âge d’or de la piraterie

Pour ce qui est des costumes celui des marins était déjà sensiblement le même : culottes, chemise, bonnet et un éventuel gilet. Pour ce qui est des gens un peu plus fortunés (ou des flibustiers ayant réussi) on oublie le tricorne et l’on préfère un large chapeau (à plumes?) et la redingote n’avait pas encore été inventée et les gens de bien portent des vestes aux manches ouvertes ou à manches courtes et des demi-capes. Nous sommes à l’époque de Louis XIV, mais dans le monde plus fruste des Caraïbes...

Pour ce qui est de l’armement les sabres ont peut-être des gardes plus enveloppantes venant du dussack, notamment en forme de coquilles saint-jacques (sabres produits par la compagnie des Indes néerlandaise). Tout ce que j’ai dit sur leur maniement est globalement identique. On trouve également des haches et des poignards, les nobles pouvant éventuellement avoir une main-gauche à grands quillons. En revanche la Baïonnette n’existait pas ou n’avait probablement pas gagné les Caraïbes et les soldats espagnols étaient encore sur le modèle des Tercios, divisés entre piquiers et mousquetaires. On imagine que sur un navire les piques étaient plutôt des demi-piques et notons également qu’une partie de ces piquiers pouvaient porter une armure protégeant le tronc et les cuisses et un casque (de type cabasset, bourguignotte ou morion). Si l’on choisit cette option cela changera fortement les coups que porteront nos flibustiers (il est inutile alors de vouloir porter un coup au crâne ou au tronc) et donc la physionomie du combat.

Dussack du XVIIème siècle
Une autre différence concerne les nobles et officiers qui ne portent pas d’épées de cour (pas encore inventées) mais des rapières. Les espagnols combattent selon leur école nationale et les français et anglais selon leurs écoles respectives descendantes de l’école italienne. Des officiers ou des nobles anglais pourraient préférer une broadsword (du type « mortuary sword ») à la place. Mais là encore il s’agit d’une très petite minorité, De Grammont est l'un des très rares nobles connus parmi les capitaines de la flibuste si ce n'est le seul, les flibustiers ordinaires combattent au sabre, à la hache, au poignard et au pistolet. Enfin, notons que certains soldats espagnols sont armés de montantes, de très grande épées à deux mains (plus d’1m50) destinées à dégager l’espace autour de soi et maniées selon des techniques très particulières et très différentes de l’épée longue, ce sont également des armes de garde du corps. Figueiredo, auteur d’un traité de montante, nous précise que cette arme est utile pour dégager le pont d’une galère, de là à supposer qu’on en trouvait également sur les navires sillonnant les Caraïbes... C'était certainement rare mais cela peut être intéressant en spectacle.

Monter un combat de corsaires napoléoniens

Contexte historique

Sauf si vous êtes dunkerquois, le mot de corsaire évoque très probablement pour vous les exploits de Surcouf et des corsaires français durant la longue période des guerres napoléoniennes. La France fut en guerre contre l’Angleterre presque continuellement de 1793 à 1814. La guerre de course se développa particulièrement à cette époque et notamment durant la période allant de 1803 à 1810 où les corsaires français firent des merveilles. L’Angleterre réagit en prenant plusieurs mesures : convois obligatoires pour les marchands, bombardement systématique de tous les ports commerçant avec la France et escadres ou flottilles anti-corsaires. La course française devint beaucoup moins rentable et même souvent déficitaire à partir de 1811 même si les corsaires naviguèrent durant tout le reste de la guerre. Il s’ensuivit deux décennies de combats entre les corsaires français et les navires anglais, notamment ceux de la Compagnie des Indes Orientales, avec quelques exploits légendaires comme la prise du Kent (40 canons et 437 hommes) par Surcouf sur la Confiance (24 canons et 160 hommes) en 1800.

Cet historique doit beaucoup au petit livre de 'l’universitaire Patrick Villiers Les Corsaires (éd. de 2007).
EDIT : je vous invite également, pour cette époque, à jeter un œil à mon article concernant le manuscrit du Lt Pringle Green.

Prise du Kent par la Confiance en 1800 (tableau de L. Garneray 1835)
Les corsaires, si ils étaient des hommes audacieux, n’avaient pas la liberté des flibustiers et des pirates. Ils étaient payés par l’armateur même si une petite partie du fruit du butin leur revenait pour les motiver. C’était également des hommes attachés à un port, avec parfois une famille. Ils pouvaient aussi ne pas être corsaire toute leur vie et retourner à une vie de marin plus ordinaire par la suite. Cela nous limite surtout aux scénarios Français contre Anglais (marchands ou Royal Navy) et rend plus compliqués les scénarios impliquant des histoires personnelles entre corsaires. Enfin, avouons-le il est difficile de ne pas verser dans un certain chauvinisme bien franchouillard avec cette époque, ces corsaires courageux défiant les navires de commerce anglais bien armés et la chasse par la Royal Navy.

Un ancien officier du Kent aurait renconté Surcouf et lui aurait fait remarquer la chose suivante : «Enfin, Monsieur, avouez que vous, Français, vous battiez pour l'argent tandis que nous, Anglais, nous battions pour l'honneur…» 
La réponse prêtée à Surcouf : «Certes, Monsieur, mais chacun se bat pour acquérir ce qu'il n'a pas.»

Spécificités par rapport à l’âge d’or de la piraterie

Pour ce qui est des costumes, celui des corsaires et des marins des navires marchands était probablement assez proche de ce qui se portait un siècle auparavant. Là encore les vêtements des gens de bien (nobles et bourgeois) diffèrent : la redingote est coupée différemment, on commence à porter le pantalon et le tricorne a cédé sa place au bicorne ou à d'autres chapeaux plus pratiques. Notons par contre que les marins des marines de guerre (et donc de la Royal Navy) portent désormais des uniformes (très simples), évidemment aussi, l’uniforme de gardes de marine anglais est différent lui-aussi. Au niveau de l’armement également, on dispose de sabres réglementaires pour les deux marines, ils sont distribués au moment de l’attaque aux marins. Le sabre français est surnommé « cuiller à pot » du fait de sa garde très enveloppante. Il est porté par la marine régulière, les corsaires s’arment à leurs frais mais ils achètent également aux manufactures d'État. Son maniement reste le même.

Sabre "cuiller à pot" français

Sabre d'abordage britannique
On retrouve également toutes les autres armes (poignard, hache, piques d’abordage et lutte) même si les officiers commencent à préférer le sabre à l’épée de cour (qui existe encore). Une précision concernant la boxe cependant, il s’agit d’une spécificité britannique et donc seuls les marins anglais pourront donner des coups de poings issus de la boxe. À l’époque la boxe française n’existe pas (elle a été créée peut-être par Charles Lecour vers 1830-1840 en intégrant justement les coups de poings de la boxe anglaise) et si on pratique la « savate » dans les faubourgs parisiens et le « chausson » dans le port de Marseille on est en fait plus proche de démonstrations d’esbroufe que du sport de combat. De plus nous n’avons aucune occurrence de pratique à Saint-Malo ou dans les ports de l'Atlantique, mais si vous maîtriser ces coups de pieds et que vous voulez vous faire plaisir, pourquoi pas, surtout si vous avez un accent marseillais ou des faubourgs parisiens !

La bataille finale sur film Master and commander de Peter Weir (2003).
Évidemment les Français sont les méchants !

Voilà pour ce complément. Si il me semblait indispensable dans mes deux premiers articles de me concentrer sur une période précise, je trouve également intéressant de pouvoir étendre la période temporelle à des époques où les données du combat sont similaires. En espérant toujours vous être utile...

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