Les pirates ont toujours fasciné, même à l'époque où ils infestaient les Caraïbes ou les autres mers du globe, les terriens se pressaient pour qu'on leur lise ou qu'on leur raconte les histoires de ces fameux et redoutables héros prolétaires des mers. Nul doute que le public ait lui aussi envie de se voir raconter par les armes une histoire de pirates ou que les escrimeurs aient envie de la jouer... d'autant qu'au niveau des costumes c'est assez facile.
Suite à une récente conversation sur un réseau social bien connu de tous où quelqu'un demandait comment se battaient les pirates j'ai eu envie de faire un article sur les combats de pirates. Et j'ai même décidé d'examiner tous les aspects de la chose dans son contexte historique. On ne traitera ici que des vrais pirates avec ce que l'on peut savoir (ou plus exactement ce que l'on peut supposer vraisemblable) de leurs coutumes, leurs costumes, leurs armes et leur façon de se battre. Libre à vous d'extrapoler et de faire vos pirates de fantaisie, de rajouter du vaudou, des personnages fictifs ou même des Jolly Rogers partout, au moins vous saurez ce que vous faites.
Je me focaliserai ici sur ce qu'on appelle l'âge d'or de la
piraterie,
c'est à dire en gros le premier quart du XVIIIème siècle incluant la
République de Nassau et les dix années qui suivent sa disparition. C'est
un choix délibéré
parce que c'est ce que le public a en tête quand on parle de pirates,
ils veulent des tricornes et des Jolly Rogers et il tant qu'à faire un
combat de pirates autant leur en donner ! C'est aussi pour éviter de
trop me disperser.
Le propos étant déjà vaste cet article sera en deux parties. Cette première partie traitera du contexte, des scénarios possibles et des costumes tandis que la seconde partie se penchera sur l'armement et les techniques de combat.
La mort de Barbe-Noire (peinture de Jean-Léon Gérôme Ferris - 1920) |
Le propos étant déjà vaste cet article sera en deux parties. Cette première partie traitera du contexte, des scénarios possibles et des costumes tandis que la seconde partie se penchera sur l'armement et les techniques de combat.
La piraterie, mythes et réalités
En 1713 et 1714, des traités mirent fin à près de vingt-cinq ans de guerres presque sans interruption (Guerre de la Ligue d'Augsbourg de 1688 à 1797 et Guerre de Succession d'Espagne de 1701 à 1715) de nombreux corsaires se trouvèrent sans emploi et le salaire des marins, relativement élevé en raison des risques importants liés à la guerre de course, baissa cruellement. Or, la petite de Nassau petite île des Bahamas, était, suite aux agressions des Espagnols et des Français de 1703 et 1706, sans gouvernement. Les corsaires qui l'occupaient en étaient devenus les maîtres et Nassau fut alors plus ou moins une république corsaire puis pirate. Les corsaires n'avaient pas cessé réellement leur activité pendant la période de paix de 1797 à 1701 (or piller en temps de paix est juridiquement de la piraterie) et ils firent de même après la paix de 1714. En 1718 la Couronne britannique envoya un nouveau gouverneur, un ancien corsaire nommé Woodes Rogers, avec pour mission de faire cesser la piraterie au moyen d'une grâce royale (sous conditions). Le pardon ayant été refusé par la majorité des pirates, Woodes Rogers entreprit d'éradiquer la piraterie par la force et reprit le contrôle de Nassau à la fin de l'année 1718. Les pirates continuèrent de piller l'Atlantique voire l'Océan indien, établissant des repaires près des routes commerciales ou trouvant refuge à Madagascar. On date généralement de 1726 avec la pendaison de William Fly et de ses hommes la fin de la piraterie dans les Caraïbes.
Les pirates de cette époque étaient donc d'anciens corsaires ou d'anciens marins. Ils étaient essentiellement issus de navires britanniques mais on y trouvait toutes les origines : des britanniques bien sûr, mais aussi des Hollandais, des Danois, des Français, des Espagnols, des Portugais, des Créoles (nés aux Antilles), des noirs, des métis et même probablement quelques marins issus des mers de l'Océan Indien (Arabes, Chinois ou Indiens). D'autres pouvaient être en fuite, esclaves ou engagés (des Européens achetés par un patron et forcés de travailler pour lui pendant 7 ans selon les lois britanniques, pour payer leur voyage). Ils avaient presque tous en commun une origine pauvre et l'aspiration à une vie meilleure. La discipline sur les navires était très rude, les marins parfois recrutés contre leur gré, payés incomplètement pour les forcer à rembarquer sur le même navire, fouettés... Les pires bâtiments étaient ceux de la Royal Navy, connus pour les châtiments brutaux infligés à des marins souvent embarqués de force par le système de "la presse".
Le "Jolly Roger", pavillon arboré par les pirates des Caraïbes au début du XVIIIème siècle. Celui-ci est attribué à "Calico" Jack Rackham |
Les Pirates étaient les héritiers des flibustiers de la Tortue et de la Jamaïque du siècle précédent, les "frères de la côte". Ils en ont hérité le système de chasse-partie où les parts de butin sont réparties équitablement entre les membres de l'équipage (avec une double part pour le capitaine et quelques demi ou quarts de parts pour d'autres membres importants de l'équipage) ainsi qu'une grande liberté vis-à-vis des autorités, une auto-organisation entre gens issus des basses classes de la société ainsi que le décrit Marcus Rediker dans son étude Les hors-la-loi de l'Atlantique. Les pirates y ont institué une société démocratique où le capitaine est élu et peut être démis par ses hommes ainsi qu'il arriva à Benjamin Hornigold en 1717 où il fut démis du commandement du Rangers au profit de Samuel Bellamy à cause de son refus d'attaquer les navires britanniques. Le Pavillon noir, surnommé le "Jolly Rogers" était un dernier symbole d'identification, chaque capitaine avait le sien mais on y retrouvait systématiquement des éléments récurrents comme le crâne ou le squelette sur champ noir avec le plus souvent des arme, des flèches, un sablier (symbolisant le temps qui passe) ou un cœur transpercé...
Les Pirates pillaient certes les navires, avaient un goût pour la vengeance et parfois pour la cruauté gratuite, mais ils étaient loin de tuer systématiquement tous les équipages qu'ils croisaient. Au contraire ils avaient plus souvent tendance à enrôler les volontaires, relâcher les autres et surtout juger le capitaine pour la façon dont il avait traité son équipage. Celui-ci pouvait tout aussi bien être relâché par la suite qu'exécuté si il était un tortionnaire. En fait on a trouvé des pirates cruels comme Edward Low il y a aussi eu des idéalistes comme le capitaine Misson (si il a bien existé mais il révèle au moins un idéal chez les pirates). L'espérance de vie était faible, mais si l'on se met à la place d'un marin risquant déjà sa vie tous les jours, mal payé et accablé par une hiérarchie brutale, la vie de pirate pouvait ne pas paraître si mauvaise. La "paye" était en effet bien meilleure que sur n'importe quel navire et la hiérarchie était librement choisie, de plus les pirates n'étaient pas prisonniers de leurs navires mais pouvaient quitter celui-ci assez facilement (parfois sous certaines conditions). Les Pirates étaient un des rares exemple de pauvres se hissant au-dessus de leur condition et, pour cela et pour leurs aventures dans des lieux exotiques, ils faisaient rêver en Europe.
Benjamin Hornigold, capitaine du Rangers, démis de son commandement en 1717 au profit de Samuel Bellamy (gravure d'époque) |
"Dans le service marchand, il n'y a rien de commun, les salaires sont maigres et le travail pénible. Ici, c'est la profusion et la satiété, le plaisir et l'aisance, la liberté et le pouvoir. Qui ne voudrait basculer de ce côté malgré les périls ? Une vie courte et joyeuse, telle sera ma devise."
Bartolomew Roberts
Établir un scénario de pirates
Dans ce contexte historique, que représenter ? Il faudra tout d'abord prendre en compte, comme dans tout spectacle d'escrime les circonstances de cette représentation. Est-ce une commande ? Le combat fait-il partie d'un ensemble plus grand (pièce ou film) ? Quels décors sont à disposition (a-t-on de gros moyens, un pont de navire reconstitué pour filmer ou une scène de théâtre aménagée, ou le décor devra-t-il être abstrait car on est en spectacle de rue ?) ? Est-ce un combat individuel ou de troupe ? Avec des figurants supplémentaires ? Non formés aux armes ? De quels costumes disposons-nous ou pouvons-nous nous procurer ? Il y a-t-il une durée minimale ? Maximale ? Qui sera le public ? De combien de temps disposons-nous ? Quel est le niveau en escrime et en théâtre des combattants-acteurs ?
Une fois ceci établi on choisira un décor plus ou moins matérialisé ou juste évoqué qui peut être aussi bien le pont d'un navire, qu'un entrepont, une cabine, une plage, une plantation, les rues de Nassau ou toute autre idée valable dans le contexte. On choisira également un ou des antagonistes : des marins, d'autres pirates, la Royal Navy...
Un abordage "à l'ancienne" contre un navire marchand anglais
La Flibustière des Antilles de Jacques Tourneur (1951)
La Flibustière des Antilles de Jacques Tourneur (1951)
Avec cela il faudra le prétexte au combat : l'abordage est le plus évident mais demande un minimum de décors et de participants ainsi que d'éventuels figurants. Pour se faire on peut se référer à ce que nous disent, en 1805-1808, le manuscrit du lieutenant William Pringle Green (malheureusement il faudra attendre une transcription car la numérisation rend difficile la lecture EDIT : il l'est désormais, voir mon article sur le sujet) ,et en 1804, M.J. de Saint-Martin dans un court essai de manœuvres utiles pour et contre l'abordage à la fin de son traité. M.J. de Saint-Martin insiste notamment sur le fait de placer une ligne de sabreurs, le tranchant en haut et la pointe vers l'ennemi secondée idéalement par une ligne de piquiers pour prévenir un abordage. Les assaillants auront eux aussi à adopter la même position de sabres pour pouvoir menacer, chasser et frapper dés que possible le coup de Jarnac.
Contre des soldats anglais (ou autres), on peut aussi imaginer l'attaque d'une plantation, d'une prison, d'un convoi de marchandises ou de prisonniers, d'esclaves. Si on a quelques soldats, un moment de formation en ligne de fusils à baïonnettes pourrait être du plus bel effet.
Positions de combat et abordage sur un navire de guerre dans le manuscrit du Lieutenant Pringle Green |
On pourra recourir aux armes à feu pour faire joli mais, comme c'est un spectacle d'escrime, il faudra tout de même que l'essentiel de la querelle se vide avec des armes blanches. Pour la piraterie on imagine assez peu de scénarios avec des armes d'entraînement, le thème des pirates avec ses instincts primaires colle mal à la légèreté du combat d'entraînement. Les combats se doivent d'être sanglants et de finir mal pour un ou plusieurs protagonistes, je ne dis pas qu'il doit forcément y avoir des morts mais le combat doit être âpre, rude, celui d'hommes qui se battent au quotidien pour leur survie et peuvent mourir le lendemain ! Au passage notons que la chasse-partie de Bartholomew Roberts indique comment régler un conflit à terre (elle interdit les combats à bord entre pirates) :
"Personne ne doit frapper quelqu'un d'autre à bord du navire ; les querelles seront vidées à terre de la manière qui suit, à l'épée ou au pistolet. Les hommes étant préalablement placés dos à dos feront volte-face au commandement du quartier-maître et feront feu aussitôt. Si l'un d'eux ne tire pas, le quartier-maître fera tomber son arme. Si tous deux manquent leur cible, ils prendront leur sabre et celui qui fait couler le sang le premier sera déclaré vainqueur."Un scénario facile à mettre en place avec très peu de décor.
Les costumes des pirates (et de leurs ennemis)
Pour ce qui est du costume, celui des pirates a l'avantage d'être assez facile à trouver ou fabriquer à un coût assez faible. Il faut cependant avoir en tête quelques réalités pour éviter de faire n'importe quoi.
Réglons d'abord une chose : le Jolly Rogers, le pavillon noir à tête de mort était arboré par les pirates à un seul endroit : le mât du navire, et nulle part ailleurs ! On évitera donc les fautes de goût qui consistent à en porter sur ses vêtements ou son chapeau ou à tout autre endroit.
Réglons d'abord une chose : le Jolly Rogers, le pavillon noir à tête de mort était arboré par les pirates à un seul endroit : le mât du navire, et nulle part ailleurs ! On évitera donc les fautes de goût qui consistent à en porter sur ses vêtements ou son chapeau ou à tout autre endroit.
Ensuite il faut se rappeler qu'on est au début du XVIIIème siècle et que c'est la mode de cette époque qui sert de référence. On porte des "culottes", sorte de pantalons s'arrêtant au niveau du genou, les chemises sont assez bouffantes et seulement ouvertes sur le haut du torse, on y ajoute souvent un gilet (appelé "veste" à l'époque) et une redingote (pour les nobles, les bourgeois et les soldats). Les chapeaux sont des tricornes ou des chapeaux mous mais également des bonnets. Les nobles de haut rang portent des perruques longues et blanches en principe (grises au début de la période).
Costume de marin du XVIIIème siècle fabriqué par La Malle aux Costumes et louable sur leur site. |
Cependant ayons à l'esprit que les pirates sont des marins et des pillards et qu'ils évoluent le plus souvent dans des climats chauds. Le vêtement est léger. Le marin porte en général des culottes avec une chemise et un bonnet, éventuellement une courte veste ou un gilet et il va en principe pieds nus (plus pratique pour monter dans les voiles ou ne pas glisser sur un pont). Comme les pirates sont des pillards ils peuvent compléter/remplacer cela par des vêtements pris à leurs proies : le fameux tricorne, des redingotes ou des chaussures pour les pieds fragiles. Notons cependant que presque tous les capitaines pirates qui sont représentés portent des redingotes, est-ce en imitation de la marine marchande ou de la marine de guerre ou un signe de réussite ?
Pour ce qui est des ennemis des pirates c'est à dire les marines des états présents dans les Caraïbes, à l'époque, seuls les soldats de marine portaient des uniformes,les officiers du vaisseau s'en faisaient parfois et les simples marins n'en portaient aucun. Ce n'est qu'en 1740 pour l'Angleterre et en 1765 pour la France que les uniformes sont devenus obligatoires dans les marines de guerre pour les matelots et leurs officiers. Cependant les officiers se faisaient souvent fabriquer des uniformes (le plus souvent dans les tons bleus).
Les soldats de marine (et leurs officiers) portaient quant à eux des uniformes similaires à ceux des armées terrestres : rouges pour les Anglais, blancs pour les Français.
Royal Marines britanniques dans le film Pirates des Caraïbes, la malédiction du Black Pearl |
Reconstitution de troupes de marine française au Canada en 2008 ( By Harfang - Own work, CC BY-SA 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=21321667 ) |
L'armement des pirates ainsi que les techniques de combat qu'on peut supposer qu'ils utilisaient feront l'objet d'une seconde partie dans un prochain article.
Bibliographie et Webographie succinctes :
_ Marcus Rediker Les hors-la-loi de l'Atlantique Beacon Press 2014, le Seuil 2017
_ Article de Wikipedia sur l'âge d'or de la piraterie (l'article en anglais est beaucoup plus complet)
_ Site web sur l'histoire des Bahamas
_ Article de Wikipedia sur la République de Nassau (là encore l'article en anglais est bien meilleur)
_ Le jeu de rôle Pavillon Noir - Black book éditions est bien documenté sur la période et fait de bons résumés
_ Le jeu de rôle Pavillon Noir - Black book éditions est bien documenté sur la période et fait de bons résumés
_ Traité de M.J. de Saint Martin avec une petite partie sur les tactiques d'abordage à la fin
_ Manuscrit du lieutenant William Pringle Green (pour les tactiques d'abordage)
Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.
RépondreSupprimer