vendredi 20 novembre 2020

Le jeu de la Dame ou le choix du réalisme et ses enseignements pour l'escrime de spectacle

Comme beaucoup je n'ai pas échappé à l'excellente série Le jeu de la Dame (The Queen's Gambit en VO) qui connait en franc succès en ce moment. Ce succès est amplement mérité et tient autant au jeu des actrices principales, aux qualités de mise en scène, de lumières qu'à une recherche de réalisme assumée. Vous vous demanderez cependant quel est le rapport avec la thématique principale de ce blog qui est l'escrime historique et plus particulièrement sa dimension de spectacle chorégraphiée. Hé bien justement, cette recherche de réalisme qui pour moi est un enseignement fort de cette série.

L'héroïne affrontant un jeune champion russe lors d'un tournois international

Le jeu de la Dame, une série qui recherche le réalisme

Le jeu de la Dame est une mini-série en 7 épisodes de 45 min. à 1h chacun créée par Scott Franck et Allan Scott d'après un roman de Waler Travis avec Anya Taylor-Joy dans le rôle principal. Elle produite et distribuée par Netflix en 2020. La série raconte la vie de Beth Harmon, une jeune orpheline dans les années 1960. La jeune fille découvre des échecs à l'orphelinat, initiée plus ou moins clandestinement par le concierge et s'annonce rapidement comme un prodige des Échecs. La jeune fille enchaîne alors les succès mais aussi parfois les défaites face à des adversaires de plus en plus forts lors de tournois de plus en plus prestigieux jusqu'à affronter en Russie les grands maîtres russes. Parallèlement elle se débat entre une addiction aux drogues et quelques aventures amoureuses compliquées.

Voilà pour l'histoire résumée ici à très grands traits. Comme je l'ai dit en introduction la qualité de la série tient en grande partie au jeu des actrices principales (Anya Taylor-Joy qui incarne Beth adulte et Isla Johnston qui l'incarne enfant), à une mise en scène léchée avec une recherche esthétique dans les prises de vue et à une recherche poussé du réalisme. C'est cette dernière qui nous intéresse ici. Ainsi les intérieurs avec les papiers peints surchargés des années 50 et 60 ont été très bien reconstitués de même que les coiffures et la mode de l'époque puisque Beth, quand elle s'enrichit devient une véritable amatrice de mode. Pour une revue commentée de ces tenues je vous invite à lire l'article du blog Temps d'élégance sur le sujet.

La série n'a pas peur d'afficher les intérieurs très chargés de l'époque !

Mais venons-en au cœur du sujet : les Échecs. Avouons-le, les échecs sont un jeu complexe, très technique et difficilement intelligible pour la plupart des gens. Même si, comme c'est mon cas, vous y avez un peu joué dans votre vie (j'ai même, lorsque j'avais 14 ou 15 ans, participé à une ou deux compétitions d'échecs de bas niveau), vous être probablement incapable de lire les échiquiers présentés dans la série. Pourtant il y a eu une recherche minutieuse de réalisme et de crédibilité pour ces parties d'échec. Tout d'abord les acteurs ont appris, à l'aide de l'entraîneur d'échecs Bruce Pandolfini à déplacer les pièces à la façon des grands joueurs, à bouger et à se concentrer comme eux. Les procédures des tournois d’Échecs sont parfaitement respectées ou presque, les mouvements des pièces sont les vraies... mais les parties également ! Celles-ci ont toutes été écrites par le même Bruce Pandolfini ce qui fait que tous les échiquiers que l'on voit dans la série représentent tous de véritables parties crédibles. C'est clairement une interrogation que j'ai eu comme d'autres personnes et, je ne sais pas trop comment l'expliquer mais savoir, même après coup, que les pièces n'étaient pas mises n'importe comment a renforcé mon plaisir et mon estime pour la série, comme l'ultime élément de perfection dont il fallait s'assurer.

Aucune des pièces de ces échiquiers n'a été posée au hasard !

Le jeu de la Dame, une série qui prouve l'intérêt d'une approche réaliste

Il convient d'en tirer maintenant des enseignements et de faire un parallèle avec l'escrime de spectacle chorégraphiée. Car après tout ce sont des parties chorégraphiées que jouent les acteurs et les actrices et ils arrivent à rendre passionnant qui est loin d'être spectaculaire à l'origine. À comparer avec notre activité où une partie du public s'extasie déjà dés que deux reconstituteurs poussifs font s'entrechoquer deux épées dans une "foire à la saucisse" dans un costume médiéval approximatif. Certes il a la caméra qui permet de plans rapprochés sur les visages et tout un jeu sur les prises de vues, mais tout de même cela n'était pas gagné à la base !

Un mot sur les décors et les costumes qui ne sont pas à négliger et sont probablement plus importants qu'on ne le pense. Un costume travaillé ça se remarque et l'on voit bien la différence avec une simple chemise ancienne agrémentée vaguement de quelques éléments évocateurs. Alors forcément cela a un coût, en argent et/ou en temps, mais c'est néanmoins important et à ne pas négliger. Pour ce qui est du réalisme des coups on voit bien que cela rajoute quelque-chose et il y a fort à parier que cela sera exactement la même chose avec de l'escrime. Si les parties n'avaient pas été crédibles j'aurai probablement été déçu de l'apprendre et mon estime pour la série aurait (un peu) baissé, même si je ne l'aurais probablement pas remarqué... encore que.

Il y a pour les échecs deux niveaux de crédibilités des coups. Le premier concerne le mouvement des pièces, si un personnage se mets par exemple à déplacer un cavalier ou un fou n'importe comment ça risque de se voir tant c'est flagrant pour toute personne ayant un peu appris comment jouer aux échecs (et là cela fait tout de même du monde). En escrime cela concernerait l'a crédibilité d'un coup isolé, la façon de manier une arme, de porter le coup de façon réaliste et, même si ce n'est pas forcément flagrant il y aura probablement un petit truc qui gênera le public en voyant ce coup.

Évidemment, les mouvements des pièces sont réalistes, mais les gestes des joueurs et des joueuses également.

Le second niveau concerne la crédibilité de la partie en général, c'est à dire le fait que toutes les positions sur les échiquiers soient de vraies parties crédibles. Je l'ai dit c'est déjà quelque-chose qu'on est content d'apprendre après-coup (ou de savoir avant de regarder). Mais je pense que cela participe également à la narration parce que, malgré tout, on voit dans certaines parties que les blancs ou les noirs dominent de part leur position globale sur l'échiquier : pièces aux centre ou un camp poussé dans ses retranchements et recroquevillé même si on a en général besoin de souligner cela par un discours qui l'accompagne. Obtenir le même effet avec des pièces placées "au petit bonheur" pour en plus permettre un coup décisif ou du moins important pour la partie avec un vrai mouvement de pièces d'échecs aurait probablement demandé également un certain travail, du coup autant écrire une vraie partie. Le parallèle pour nous pourrait être la narration du combat : un début où l'on est beau et/ou prudent et une fin plus tendues, plus "animale", où les instincts de survie prennent le dessus sur la civilisation et où l'on tue ou est tué. Ou un récit avec des différences d'allonges, où celui qui a l'arme la plus courte tente de plus en plus de se rapprocher pour frapper jusqu'à réussir ou mourir ou user d'une ruse. Ou tout autre idée du même genre...

Même si c'est souligné par le jeu des acteurs on voit tout de même clairement que les noirs dominent la partie rien qu'à leur position sur l'échiquier "étouffant" les blancs.

***

Je n'irai pas forcément plus loin dans le parallèle entre échecs et escrime chorégraphiés mais j'espère que vous aurez compris où je voulais en venir. Évidemment on n'est pas forcés de présenter un combat réaliste et crédible, d'autant que c'est plus compliqué que pour les échecs dont les règles sont bien connues et où l'on peut avoir accès à des vidéos où l'on voit jouer les joueurs. Nous n'avons pas de vidéos de combattants du XVe ou du XVIIe siècle, au mieux quelques images et quelques traités d'escrime pas toujours bien expliqués et destinés à une petite partie des combattants. Néanmoins nous pouvons chercher nous-mêmes ou exploiter ce qu'on trouvé ceux qui ont étudié (et souvent produit des vidéos). Nous pouvons créer un récit réaliste et cela ne sera pas forcément ennuyeux pour le public. Si il est possible de le faire avec une matière aussi peu spectaculaire que les échecs nous devrions réussir avec des épées qui font fantasmer une bonne partie de notre public.

Je vous laisse avec ce combat, tiré du film Les Contrebandiers de Moonfleet réalisé par Frizt Lang en 1955
On y trouve une vraie narration où, fait rare, les différences d'allonge sont respectées et utilisées et où l'on assiste à une multitude de rebondissements. Et même si la hallebarde semble un peu trop légère et le costume du héros un peu trop lamé on leur pardonnera car le reste est bien construit.

 


3 commentaires:

  1. C’est très bien décrit cette recherche de réalisme dans cette Mini-série, mais tu ne réponds pas à la question ce qu’est le réalisme dans une chorégraphie d’un duel 17ème. Reconstruire un monde des années 1960 est facile, car beaucoup de personnes encore vivant l’ont vécu. Mais c’est bien différent pour les années 1660 et suite. Finalement le réalisme d’une chorégraphie sur cette époque est bien le fruit de notre imagination. C’est notre vision subjective et reste toujours notre réalisme personnel. Et il y aura toujours le risque que quelqu’un ne partagera pas ma vision de réalisme… 😉

    RépondreSupprimer
  2. Savoir exactement et précisément non. Mais par contre il y a des gens qui font des recherches sur cette escrime. Nous avons des sources : traités d'escrime, récits, gravures etc. Et nous pouvons aussi expérimenter des réalités physiques.
    Donc ce n'est pas uniquement personnel et subjectif, très loin de là !
    Il en va de même des costumes, des constructions de cette époque, ça n'est pas différent.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. J'ajoute qu'il y a des invariants comme devoir gérer une différence d'allonge ou de longueur des armes, comme les caractères des adversaires plus ou moins offensifs ou encore les lignes d'attaque, éventuellement le tempo etc.

      Supprimer