vendredi 23 février 2018

Les armures ça protège vraiment !

Oui je sais, j'assène des évidences avec une pédanterie insupportable, mais pourtant...
pourtant, que ne croit-on pas sur les armures, des armes qui peuvent les percer.D'ailleurs, de ce qu'on peut voir dans la majorité des films ou des spectacles vivants de combat, elles ne semblent pas vraiment servir à grand-chose...

On va donc parler ici de leur efficacité et de ce qu'on pourrait faire avec ça en escrime de spectacle.

Précision : on ne va ici évidemment parler que des armures de métal, les armures de cuir étant quand même anecdotiques dans l'Histoire et les armures matelassées moyennement efficaces et surtout portées sous une armure de métal (cf mon billet précédent).

Ci-dessous, quelques armures des XVI-XVIIèmes siècles exposées au Musée de l'Armée à Paris

Les armures sont efficaces :

On a donc, de l'Antiquité à la fin de l'époque moderne (et même au XIXème siècle avec les cuirassiers) deux grands types d'armure : les armures souples comme les cottes de mailles mais aussi les broignes d'écailles ou d'anneaux ou encore les brigandines et les armures rigides de plates d'acier voire (dans l'Antiquité) de bronze, les casques sont aussi en tôle d'acier rigide.
En fait une armure c'est solide, sinon les gens ne les porteraient pas. C'est fait pour résister à la plupart des armes courantes et c'est d'ailleurs pour cela que ça évolue. Selon les époques, les armes auxquelles il faut faire face mais aussi la richesse des combattants voire l'organisation sociale l'armure est plus ou moins complète. Le casque est la base, il protège la partie la plus sensible et, en général, si on n'a qu'une seule pièce d'armure c'est un casque. Le reste varie énormément.
Mais revenons-en à la solidité, on pense souvent qu'un coup d'épée asséné avec force pourrait percer une armure, en fait c'est faux. Même la cotte de mailles y résiste. Pour preuve les gens de ce site ont fait des tests qui semblent assez sérieux de résistance d'une cotte de mailles historique. On voit que globalement les gens du XIIIème siècle étaient bien protégés dans leurs cottes de mailles et l'on imagine aisément que les plates qui ont succédé à la cotte de mailles étaient encore plus efficaces.

Vidéo de l'un des tests réalisés par les gens de Guerre et chevalerie

On n'a pas fait le test avec des armes plus puissantes comme les haches, les becs de corbin ou les hallebardes mais, même avec ces armes redoutables, il semble qu'il faille frapper bien fort pour vraiment passer l'armure et blesser le porteur.

On peut également espérer taper tellement fort qu'on assomme le porteur à force de coups. C'est possible là encore mais pas évident quand on voit les coups que sont capables de s'envoyer les pratiquants de béhourd par exemple.


La plupart des coups seront donc tentés sur les parties non protégées, les "ouvertures" et il y en a toujours : au minimum les aisselles, l'arrière des cuisses, l'entrejambe, souvent le visage (les casques fermés sont pénibles pour combattre), le cou, et tout ce qui n'est pas protégé si l'armure n'est pas complète. En armure complète on en arrive donc à combattre de très près, avec une escrime mêlant lutte et techniques de demi-épée pour atteindre les failles de l'armure.

Extrait du Codex Wallerstein (entre 1420 et 1470) montrant des techniques de combat en armure


On rajoutera pour l’anecdote qu'au XVIIème siècle on portait encore des armures et que celles des hommes d'armes (les cavaliers armurés, descendant direct des chevaliers médiévaux) comprenaient des cuirasses à l'épreuve des coups d'arquebuse de face et de pistolet de dos.

Les armures ne devraient pas être que des costumes :

Parce que c'est quand même trop souvent ce qu'on constate : combien de figurants en cotte de mailles transpercés par un coup d'estoc sans vigueur, découpés par un coup de taille qui n'aurait dû que glisser ? Combien de combats où un héros sans armure, armé de sa seule épée, vient à bout de dizaines de guerriers en armure, les frappant comme si ils n'en avaient pas. Combien de héros ôtant leur casque sur le champ de bataille alors que c'est tout de même particulièrement suicidaire ? On ne parlera pas des grands coups à la tête sur les gens qui portent des casques...
Dans un combat chorégraphié l'armure est donc très souvent un simple costume et ne sert en général à rien dans la chorégraphie en elle-même avec laquelle elle n'a, la plupart du temps, pas de liens.

Reconnaissons que même quelques éléments d'armure médiévale soulignent très efficacement l'aspect guerrier d'un personnage ou simplement son statut de garde chair à épée... Mais pourquoi ne pas l'exploiter dans la chorégraphie elle-même plutôt que d'en arriver à des aberrations comme un gentil coup de taille d'épée abattant un gaillard casqué et armé d'acier ? Au minimum s'arranger pour que la mise à mort soit crédible. Plus loin, faire comprendre au spectateur que le gars est protégé (pourquoi pas frapper la zone armurée ? Ça fait un joli bruit en plus !).

Le pur combat en armure de plates pourrait être quelquechose d'original, brutal et intense mêlant coups brutaux pour déconcentrer, demi-épée et lutte. Pour que cela soit spectaculaire il faudrait probablement quelques passes de lutte avec projections ou renversement ce qui peut être dangereux et réserver l'exercice à des professionnels ou des amateurs très au point mais pourquoi ne pas tenter ? En vidéo, avec la possibilité de filmer de près, les phases de demi-épée pourraient être très fortes. Je ne crois jamais avoir vu ça quelque part et c'est dommage...

Ah oui, une dernière chose : messieurs les réalisateurs de cinéma : mettez des casques à vos acteurs, des casques avec plumes ou décorations pour bien les reconnaître, mais aussi permettre à des cascadeurs de les remplacer et d'offrir de meilleurs combats aux spectateurs !

samedi 17 février 2018

Ces fausses idées sur le combat historique que nous ont transmises les jeux de rôles et les jeux vidéo

Les jeux vidéos sont probablement l’entrée la plus courante vers le monde du combat historique (ou historique-fantastique). Or, les premiers créateurs de ce type de jeux vidéos piochaient presque exclusivement leurs référence dans les jeux de rôle (« papier » comme on dit maintenant). La vision de l’histoire des pionniers du jeu de rôle (jdr) a ainsi influencé les jeux suivants qui ont influencé les jeux vidéos. Tout d’abord ; précisons que ces pionniers du jdr évoluaient dans les années 1970, à une époque où, sans internet, l’accès à la connaissance était beaucoup plus difficile que de nos jours, surtout pour des non spécialistes. Or, des spécialistes de l’Histoire ou de l’escrime ils n’étaient pas, la plupart étaient étudiants dans des universités de sciences et avaient une vision et une connaissance des réalités historiques d’amateurs passionnés. Ils ont logiquement fait de nombreuses erreurs (volontairement ou non ?) qui se sont ensuite répercutées.

Non l’épée longue n’est pas une épée à une main à longue lame :

Malgré l’imprécision des dénominations au Moyen-Âge et à la Renaissance, quelle que soit la langue employée quand on parle d’épée longue, il s’agit toujours d’une épée maniée principalement à deux mains, jamais d’une épée à une main. D’ailleurs certains jeux de rôle comme Stormbringer ont conservé le terme dans son acceptation exacte.
Ci-dessous, une épée longue historique exposée au Musée de l'Armée, vers 1470-1500, 1,26m et 1,24kg

d’ailleurs les soldats de l’Antiquité, du Moyen-âge ou de l’époque Moderne n’étaient pas principalement armés d’épées : 

L’arme principale des combattants historiques, la plus répandue du moins, a toujours été, à de rares exceptions près (la légion romaine en est une de taille), la lance. La lance ça ne coûte pas bien cher à produire, on apprend les bases assez vite et c’est une arme redoutable. En combat individuel elle donne une grande allonge difficile à vaincre, d’autant qu’on peut allonger ou raccourcir sa prise voire frapper avec la queue si on est trop près. En groupe c’est une forêt de pointes mortelles que vous avez en face de vous. Avec une arme aussi bon marché et aussi efficace il n’y a rien d’étonnant qu’elle ait été employée au combat de la préhistoire au XVIIIème siècle où elle a été supplantée par le fusil à baïonnette qui n’est rien d’autre que la combinaison d’un fusil et d’une lance.

Non, l’armure de cuir clouté n’a jamais existé : 

Quand on y réfléchit c’est d’ailleurs ridicule de penser que quelques clous sur du cuir vont améliorer la défense contre des coups de taille ou d’estoc ! En fait il s’agit probablement d’une mauvaise interprétation de la cotte de plates ou de la brigandine, des armures très répandues aux XIVème et XVème siècles constituées de plaques ou d’écailles de métal rivetées entre deux couches de tissu… ou de cuir. Les fameux clous que l’on voit sont en fait les rivets des plaques d’acier. Il s’agit d’une armure lourde (les modèles de reconstitution font bien 5-6 kgs soit le même poids, voir plus lourd qu’un cuirasse de plates) offrant un peu plus de liberté de mouvement à son porteur et non d’une armure légère ou « intermédiaire » comme dans les jeux de rôles ou les jeux vidéos.
Intérieur d'une brigandine (Italie XVème siècle - source Wikipedia)

d’ailleurs l’armure de cuir non plus n’a (presque) jamais existé : 

Honnêtement, vous pensez vraiment que du cuir épais allait vous protéger d’un coup d’estoc asséné par une épée ou une lance ? Même un bon coup de taille bien donné a de forte chance de vous blesser cruellement. On n’a pas vraiment retrouvé d’armures de cuir au Moyen-âge ce qui est logique vu que le cuir se conserve moins bien que le métal, mais on n’en voit pas non plus dans les représentations iconographiques et elle n’est pas non plus mentionnée dans les textes. Bon, en cherchant bien on va quand même trouver, à la marge, deux exemples d’armures de cuir en Europe : à l’époque viking, les armures d’écailles de cuir bouilli des Varègues et des Rus directement empruntées aux Mongols et les buffletins (des veste de cuir extrêmement épaisses, d’au moins 5mm) des cavaliers et piétons des armées du XVIIème siècle. L’armure des Mongols serait censée arrêter les flèches et le Sieur de Gaya, dans son Traité des armes de 1678, nous dit que le buffletin est efficace contre les épées (il faudrait tester mais on doute qu’un estoc ne pénètre pas par contre). En dehors de ces exemples à la marge toutes les armures étaient en acier (mailles, écailles ou plates), portées par-dessus des vêtements rembourrés pour amortir les coups.
"Quoique les buffles ne soient proprement que des habillements de cavaliers, nous pouvons aisément les mettre au nombre des armes défensives, plus qu'ils peuvent aisément résister à l'épée, lorsqu'ils sont d'une peau bien choisie"
Louis de Gaya - Traité des armes 1678
Buffletin (aux alentours de 1650) conservé au musée de Leeds

Non, dans un combat ce n’est pas forcément le plus rapide qui frappe en premier : 

Il ne s’agit pas ici d’un duel de type western spaghetti. Pour gagner il ne faut pas attaquer le premier mais bien attaquer, c’est-à-dire de tromper sa défense sans se faire toucher. Cela peut impliquer une préparation d’attaque mais aussi de faire en sorte que votre adversaire vous attaque là où vous le voulez pour mieux le cueillir ensuite, en riposte ou en contre-attaque (aux mains par exemple). Tous les Maîtres d’armes et les combattants confirmés vous le diront, celui qui maîtrise son adversaire aura (en principe) le dessus. Les règles de jdr faisant agir les combattants chacun son tour en fonction de son initiative n’ont donc aucun sens.
"Ce jeu se nomme le coup du vilain (de la brute) et se fait de cette manière : on doit attendre que le vilain envoie son épée, et celui qui attend le coup doit rester en petit pas avec le pied gauche devant. Et dès que le vilain tire le coup, avance le pied gauche hors de la ligne vers son côté droit. Et avec le droit, passe à la traverse hors de la ligne en saisissant son coup au milieu de ton épée. Et laisse son épée aller à terre et réponds immédiatement avec un fendant pour la tête ou pour les bras, ou avec un estoc à la poitrine comme il est dépeint. Ce jeu est également bon avec l’épée contre la hache, contre un bâton lourd ou léger."
Fior du Battaglia - Fiore dei Liberi fin XIVème-début XVème siècle (trad. Benjamin Conan - Association De Taille et d'Estoc)

d’ailleurs la feinte n’est pas une compétence spéciale mais presque la base du talent d’un combattant : 

Qu’elle soit effectuée avec l’arme, les jambes, le corps, la tromperie est à la base du combat. Un bon combattant n’attaque pas directement, il prépare son attaque par des tromperies. Faire de la feinte une compétence ou un talent spécifique n’est donc pas vraiment pertinent en terme de simulation.

Non, une dague n’est pas une arme qui fait peu de dégâts : 

Vous avez envie de prendre un coup de couteau ? Non probablement, parce qu’au fond vous savez que vous pouvez en mourir autant que d’un coup d’épée, d’ailleurs vous êtes tout autant transpercé. Pourtant, les dagues sont toujours ridiculement inoffensives dans la plupart des jeux de rôles ou jeux vidéo, impossible de tuer d’un coup de dague (sauf si on est un assassin, fufu, attaque sournoise de la mort). Le problème de la dague n’est pas les blessures qu’elle occasionne mais sa faible allonge par rapport aux autres armes et des difficultés qu’elle peut avoir à les parer.
Extrait de la Bible de Maciejowski (1245) où l'on voit les partisans des David et du fils de Saul se massacrer joyeusement à coups de dagues.

d’ailleurs, on ne peut pas ne plus continuer le combat après de multiples blessures : 

Bon d’accord il s’agit ici de relativiser, des estafilades, des bleus etc. voire, éventuellement, une blessure à l’abdomen (dont vous mourrez pourtant de façon certaine dans les dix jours, d’une infection) peuvent vous permettre de continuer le combat. Mais pour la plupart des blessures effectuées par des armes tranchantes ou pointues vous serez incapable de continuer le combat. Donc les multiples points de vie, les blessures constantes, on oublie, mais ça vous le saviez probablement déjà.

mardi 13 février 2018

Une tentative de typologie des coups d'épée

Je vais tenter ici une typologie des coups que l'on peut donner avec une épée. On entendra par épée une définition très large comme toute arme relativement équilibrée pourvue d'une lame d’une certaine longueur (arbitrairement on dira plus de 50 cm) aiguisée et plus ou moins pointue, d'une garde et d'une poignée. Cette définition regroupe donc les glaives romains, les épées médiévales de toutes sortes, les fauchons et autres sabres mais aussi les rapières et les épées de cour. Il est bien évident que certains types d'épées sont plus aptes que d'autres à certains types de coups et c'est d'ailleurs là tout l'intérêt ! Cette typologie tente également de recouvrir toutes les périodes historiques avec une dénomination commune (une des particularités de l'escrime artistique afin de pouvoir noter des combats que tous comprennent)

Dans la tradition de Liechtenauer on distingue trois types de coups, oui trois et non deux : les coups de taille (hau), les coups d'estoc (stich) et les coups d'entaille (schnitt) qui diffèrent des coups de taille parce qu'ils sont portés très différemment et n'impliquent pas les mêmes gestes en escrime.

Les coups de taille sont portés en frappant avec le tranchant de la lame, idéalement avec le "point de percussion", l'endroit où une lame ne vibre pas, en général sur le faible de la lame mais pas à la pointe. Les coups de taille diffèrent beaucoup en force, en amplitude et en rapidité. J’aime bien les classer selon la typologie établie par Joseph Swetnam, escrimeur anglais du XVIIème siècle auteur de The Schoole of the Noble and Worthy Science of Defence (1617). Swetnam distingue trois types de frappes de taille (blows) :
_ The wrist blow : effectué avec le poignet seul, c’est un coup très rapide qu’il conseille de porter au visage ou à la tête et plutôt de façon opportuniste, si l’ennemi laisse une ouverture. C’est aussi le seul coup de taille qu’il ne déconseille pas à la rapière.
_ The half blow : Swetnam ne décrit pas ce coup qui semble être un coup de taille de force et de vitesse moyennes, un coup classique avec une épée à lame large propre à blesser un adversaire. Si la lame est tranchante et l’épée assez large et lourde pour que l’impact se fasse sentir le coup n’a pas forcément besoin d’être très armé.
_ The quarter blow : le nom pourrait être inspiré du quarterstaff, le bâton anglais auquel Swetnam consacre d’ailleurs une partie de son traité. Il s’agit d’un coup puissant mais très lent. Swetnam conseille de lever haut l’épée et de frapper les jambes en feignant de viser la tête ou le cou. Comme ce coup expose beaucoup celui qui le donne il recommande de se protéger la tête avec sa dague en le donnant.
On remarquera ainsi que le plus puissant des coups de taille ne s’envisage que si l’on a une autre arme (une dague ou un bouclier) pour se protéger et que le plus faible, qui est aussi le plus rapide, est le seul conseillé avec des armes à lame fine. Celles-ci en effet ont sacrifié leur puissance de frappe à l’allonge et à la rapidité et les coups de taille sont rarement dangereux avec une rapière ou, pire, une épée de cour.

illustration de l’épée-dague tirée du traité de J. Swetnam

Les coups d’estoc se donnent avec la pointe. Presque toutes les épées sont pointues et capables d’en donner, même les sabres courbes et les épées du Haut Moyen-Âge. Même si on peut le donner avec plus ou moins de puissance, il n’y a, en fait, pas besoin d’énormément de force pour que l’épée rentre dans le corps, les lames pointues et aiguisées sont effroyablement efficaces pour pénétrer les chairs ou les tissus. Les 750g de pression qui allument une épée d’escrime moderne et qui simulent une attaque efficaces sont extrêmement faciles à obtenir, sans avoir besoin d’être particulièrement fort.
Les coups d’estoc n’ont donc pas besoin de force et sont également plus rapides à porter que les coups de taille. Les coups d’estoc se portent également à une plus grande distance puisqu’ils se portent avec l’extrémité de la lame et non son point de percussion. En revanche ils nécessitent une meilleure capacité d’évaluation des distances puisqu’il est difficile de les porter si l’on est trop près (il faut reculer la main) tandis qu’un coup de taille peut être porté à plus de distances différentes. L’escrime d’estoc donne souvent une impression de finesse et de maîtrise, c’est le type de coups pour lequel ont été conçues des armes comme l’épée de cour (arme presque purement d’estoc) et la rapière. En revanche, pour les sabres orientaux ou inspirés de ceux-ci, l’estoc est un coup marginal, opportuniste...

(ci-dessous une vidéo d'un groupe canadien qui vous montre la facilité avec laquelle l'estoc pénètre le cuir)

Les coups d’entaille peuvent être distingués des coups de taille dans le sens où ils ne sont pas donnés par une frappe mais par le fait de faire glisser le tranchant de la lame sur le corps de l’adversaire après l’avoir posée. On peut au choix pousser en avant ou tirer la lame vers soi. Ils n’ont d’autre puissance que le degré d’aiguisement de l’épée et ils doivent donc viser des zones sensibles comme les artères ou les tendons. C’est généralement un coup d’opportunité, souvent donné de près avec n’importe quelle partie de la lame même si l’intérêt est de faire glisser la plus grande longueur de lame possible pour augmenter d’autant la profondeur de l’entaille. Il n’y a pas vraiment de type d’épée à privilégier pour ce coup.

Un coup d'entaille illustré dans le manuel de Peter Faulkner (1495)
Si l’on pense à une application en escrime artistique on constate qu’évidemment tous ces coups sont possibles. L’entaille est intéressante pour finir un combat de façon sécurisée ou pour donner un coup quand les partenaires sont près l’un de l’autre. Le fait que l’estoc et la taille n’aient pas la même distance d’attaque ne doit pas être oublié et varier les deux c’est aussi savoir gérer ses distances. Enfin, le type d’épée et le fait d’avoir ou non une arme secondaire conditionnent le type de coups porté entre l’estoc et la taille et même le type de coups de taille. Vous avez le droit de lancer des quarterblows avec une épée de cour (enfin peut-être pas en fait), mais vous devez être conscient que, si vous vouliez créer un combat réaliste, c’est un peu raté.
On peut étendre la réflexion à d'autres armes. Ainsi avec une dague on estoque ou on entaille mais on ne lance pas de grands coups de taille, avec une hache on fait de la taille et, éventuellement de l'estoc, avec un gourdin ou une matraque uniquement de grands coups de taille avec de la force car l'arme n'est pas tranchante et ne sera efficace que si l'on envoie des quarterblow, c'est la même chose avec un bâton si ce n'est que celui-ci peut également estoquer efficacement...
Tout cela paraît évident mais ce n'est malheureusement pas toujours ce que l'on voit dans les chorégraphies.
La faucille, une arme presque exclusivement d'entaille !

dimanche 11 février 2018

Idée reçue : avant la Renaissance on se tapait dessus comme des bourrins avec des épées très lourdes

Qui ne l'a pas entendu ? Qui n'a pas entendu dire qu'au Moyen-Âge une épée pesait 10 kgs (ou 15, ou 20) ? Plus grave, même parmi celles et ceux qui connaissent le poids réel d'une épée médiévale, qui n'a pas dit/écrit qu'avant la Renaissance, en gros, on n'avait pas de technique et que c'était le plus costaud qui gagnait ?
Au cas ou vous en douteriez encore tout cela est évidemment FAUX !
Non seulement les épées médiévales étaient relativement légères et équilibrées mais en plus on dispose de nombreux manuels d'escrime attestant de la richesse et de la diversité de l'escrime des XIVème et XVème siècle. Alors il y a des coups "de bourrin", comme le fameux coup furieux cher aux escrimeurs allemands, mais aussi des techniques subtiles, vicieuses, ingénieuses comme on en retrouve plus tard ou encore de nos jours.

(ci-dessous, un scan d'une page de manuel de Fiore dei Liberi)

Pour aller plus loin dans ma réflexion, j’ajouterai que les armes n'ont même pas besoin d'être légères et équilibrées pour qu'on utilise de la technique. Le jeu de la hache est un manuscrit français de la fin du XIVème siècle qui explique comment manier... la hache noble (ou "hache de pas","poleaxe" en anglais, une arme de hauteur d'homme ou presque terminée par une pointe dans le prolongement de la hampe et, au choix, deux des éléments suivant : fer de hache, marteau et pic, une arme puissante et efficace faite pour le chevalier en armure). Même pour le gourdin à deux mains, la grosse branche ramassée pour se défendre il existe des techniques martiales ! 

(ci-dessous, des reconstitutions des techniques martiales paysannes selon Paulus Hector Mair)

Si l’on réfléchit un peu, on se dit qu’il existe des techniques de combat armé probablement depuis les débuts du combat armé entre humains, c’est-à-dire depuis les débuts de la préhistoire, peut-être même avant l’homo sapiens ! Si il a pu exister des sociétés sans guerre, l’anthropologie ne connaît pas de sociétés sans violence. Depuis quand a-t-on commencé à transmettre des techniques qui fonctionnaient à d’autres humains ? Depuis quand ont-ils commencé à s’entraîner en conséquence, donc à apprendre l’escrime ?
La seule réponse que nous avons est « il y a très longtemps ». Alors, par pitié, cessons de dire qu’il n’y avait pas d’escrime avant la Renaissance !!!

samedi 10 février 2018

Le nécessaire respect de la logique de l'arme en escrime artistique

Ce n'est pas un scoop, les armes sont différentes et ont des caractéristiques propres qui favorisent certains coups, certaines techniques au détriment d'autres. Bien sûr il y a des invariants du combat comme le tempo, les cibles ou la distance mais le reste, y compris les déplacements, va être fortement influencé par l'arme que l'on manie.
Alors pourquoi voit-on autant de vidéos de pratiquants manier leur épée médiévale, leur lance, leur broadsword écossaise ou je ne sais quoi d'autre comme si ils faisait de l'escrime de taille à la rapière triangulaire (on reviendra probablement là-dessus un de ces jours d'ailleurs mais ce n’est pas le propos aujourd'hui) ? Si je caricature un peu, la seule différence par rapport à un combat à la rapière c'est qu'on a des armes et des costumes différents, mais on utilise les mêmes techniques..
L'intérêt est finalement assez faible, on se retrouve avec une sorte de style universel habillé différemment.
Or pour beaucoup d'armes il existe des traités expliquant comment les manier, et grâce à la magie d'internet ils nous sont désormais accessibles, très souvent traduits en français ou au moins en anglais ! Pour les autres on peut réfléchir et s'inspirer des sources qu'on possède.
Ainsi il serait dommage de construire une chorégraphie médiévale à l'épée longue sans quelques gardes empruntées chez les auteurs allemands ou italiens, sans coups de pieds, sans les fourberies de Fiore ou les coups de maîtres en un temps d'escrime de la tradition de Lichtenauer ! En faisant cela on donnerait tout son intérêt au fait de pratiquer à l'épée longue plutôt qu'à la rapière, parce qu'on y fait des coups qu'on ne peut pas faire à la rapière, on s'y déplace différemment, certaines techniques comme les battements sont plus efficaces etc. Du coup le combat est vraiment différent, en variant les armes on varie les spectacles au lieu de les maquiller ! De même, si l'on a une lance contre une épée, la différence d'allonge doit se faire sentir, on se doit de construire le combat autour de la difficulté pour l'épéiste de franchir cette distance, on aura alors un combat complètement différent, avec du déséquilibre, un scénario inhabituel mais justement, on sortira de la routine.
Respectons la logique des armes que nous utilisons, la variété profitera au spectacle !

(ci-dessous Hans Talhoffer nous explique le problème d'attaquer quelqu'un armé d'une épée quand on n'a qu'une dague)