lundi 28 décembre 2020

Quelques coups originaux au sabre chez Alexandre Valville

En complément de mon article sur le sabre français et du focus sur le Traité sur la contre-pointe d'Alexandre Valville je voulais mettre en lumière quelques coups intéressants que l'on y trouve. L'idée est, comme d'habitude dans ce genre d'article, de vous présenter des techniques auxquelles vous n'auriez pas forcément pensé, qui changent des frappes habituelles. Cela permet de pimenter les combats et de surprendre le public tout en restant dans l'historicité et l'authenticité du combat puisqu'ils n'ont évidemment pas été inventés par hasard, surtout pour quelqu'un comme Alexandre Valville qui a mit vingt ans à mûrir son traité.

Celui-ci date de 1817 et est destiné aux officiers du Tzar de Russie et plus particulièrement à ceux de la Garde impériale. Il est ainsi publié en français et en russe (on parlait beaucoup le français à la cour de Russie à l'époque) et est entièrement consacré à l'escrime au sabre à pied. L'escrime présentée ici est d'abord une escrime de salle d'armes, en affrontement à un contre un avec, probablement même si cela ne peut être dit, l'esprit qu'elle servirait également lors de duels d'honneur. Néanmoins elle reste destinée à des militaires et, en cette époque où l'Europe sort de plusieurs décennies de guerre, on ne pouvait envisager qu'elle n'ait aucune utilité sur le champ de bataille ou en campagne militaire. 

Nous aurions également pu parler de la garde haute du Hongrois qui évoque étrangement une garde de dussack des XVe-XVIe siècles mais nous ne pourrons parler de tout et je me contente ici de vous montrer son illustration dans le Traité sur la contre-pointe d'A. Valville (1817).

Comme je l'ai dit dans l'article cité plus haut, il s'agit de l'un des rares traités présentant une escrime au sabre spécifiquement française même si l'auteur dit avoir également étudié le maniement de cette arme chez les Écossais et les peuples de l'Est. Alexandre Valville est en effet un français vivant (exilé ?) en Russie depuis la fin du XVIIIe siècle. L'escrime au sabre française a la particularité de présenter un équilibre entre la taille et l'estoc quand les traditions britanniques et surtout d'Europe de l'Est privilégient surtout les coups de taille. Le traité est bien rédigé, succinct et plutôt clair quand on a assimilé le sens des termes techniques d'époque. J'ai choisi, pour les titres, de laisser les termes du traité et de citer largement celui-ci. J'expliciterai si besoin en termes d'escrime actuels.

Il m'a été difficile de trouver des sabres d'officiers russes mais j'ai trouvé ces deux sabres d'officier de Marine (modèle 1811 à gauche et modèle 1855 à droite) qui donnent une idée de l'arme des officiers de l'armée du Tzar
Photo : George Shuklin pour Wikimedia commons

Des techniques de contre-attaque

La garde du déterminé

Alexandre Valville nous dit qu'il y a quatre gardes de l'espadon, la garde de la contre-pointe ayant sa préférence. Il ne parle que d'une seule autre, la garde du déterminé qui nous intrigue en effet par sa position inhabituelle. L'illustration du traité nous montre en effet un escrimeur largement sur l'avant, la jambe arrière étirée, pratiquement en fente (au moins en demi-fente), le sabre en arrière sur l'épaule, côté non armé, prêt à frapper. Le maître d'armes en parle en ces termes :

"Je ne dirai qu'un mot de la garde du déterminé appellé, ainsi par la raison que celui qui la prend est déterminé à tuer où à l'être par son adversaire. Par sa position il est entièrement fendu et le corps sur la partie droite, son bras droit plié sur son épaule gauche, il attend le coup de son adversaire, qui se trouve, en le lui portant, ou la tête fendue ou le corps hâché en deux, ou coupé de bas en haut. L'énorme pas que le déterminé fait en arrière, sur l'attaque de son adversaire, le met à même de rendre son coup nul et de sabrer, soit perpendiculairement, soit transversalement, soit de bas en haut, mais tout cela devient nul, si son adversaire l'attend."

Alexandre Valville - Traité sur la contre-pointe - 1817

La garde du déterminé chez Alexandre Valville - Traité sur la contre-pointe - 1817

On voit donc que cette garde est clairement faite pour provoquer une contre-attaque, le fait de se mettre en avant et l'attitude agressive la favorise probablement. Cette contre-attaque peut se faire avec tous les coups du sabre : de haut en bas comme cela semble évident mais aussi horizontalement et même de bas en haut (faites descendre le sabre sur le côté non-armé en reculant et remontez ensuite, le tout dans le même mouvement évidemment). Si Valville en parle ainsi c'est qu'il a mis vingt ans à écrire son traité et probablement réfléchi à la meilleure utilisation de cette garde. Notons qu'on trouve déjà une garde très similaire dans le Traité des armes de Pierre Jacques Girard en 1736 : 

"Et d'autres se tiennent en Garde, le bras droit retiré, la main à hauteur du flac gauche, la pointe de leur Espadon au dehors de l'épaule gauche, la hanche droite cavée, le jarret gauche tendu, le genou droit plié & les deux talons écartés l'un de l'autre de la longueur de deux semelles."

Pierre Jacques Girard - Traité des armes -1736

En revanche, chez Girard c'est le sabreur dans cette garde qui attaque son adversaire qui l'attend. Le point de vue de cet auteur étant d'expliquer comment combattre un espadonneur avec une épée de cour c'est en fait très cohérent, y compris avec le discours d'Alexandre Valville.

Parce qu'elle est inhabituelle et qu'on sent bien l'impression de danger pour les deux protagonistes, cette garde est intéressante à placer en escrime de spectacle. Elle prend aussi de l'espace et force à de grands déplacements ce qui est toujours bon à moins d'être sur une scène minuscule. Cependant, de par son caractère un peu radical martialement elle sera plutôt une garde de fin de combat quand le sabreur qui ma prend tente le tout pour le tout après avoir été déjoué ou mis en difficulté plusieurs fois. Elle devrait (si l'on respecte un tant soi peu la martialité) se terminer par un mort, une blessure grave de l'un des deux côté voire des deux. Si l'on ne choisi pas cette option il faudra au moins que les choses se soient jouées d'un cheveu et que celui qui rate la gestion de cette garde (de l'un ou l'autre côté), se re trouve en difficulté ou calme ses ardeurs.

Une garde similaire présentée par P.J.Girard dans son Traité sur les armes - 1736

Les coups de tems en manchette

Le Maître d'armes de Saint-Pétersbourg nous présente des attaques sur l'attaque de l'adversaire dans son traité : les coups "d'arrêt" où l'on estoque sur un adversaire découvert en avançant seraient plutôt pour nous des attaques sur la préparation et les coups "de tems" (orthographe employée par l'auteur) où l'on recule en portant un coup de taille seraient plutôt des contre-attaques. Comme on voit rarement voire jamais ce type de mouvement dans les combats d'escrime de spectacle je le présente ici d'autant que, contrairement aux coups d'arrêt qui demandent beaucoup de maîtrise pour ne pas être dangereux, ces coups de temps sont plus simples à exécuter (sans être des coups faciles). Alexandre Valville nous présente des coups de manchette et un coup à la tête. J'ai déjà parlé de ce dernier dans mon article sur l'attaque aux jambes et c'est donc du premier des coups de temps de manchette que je vais discuter ici. Voici comment l'auteur nous le présente :

"Le coup de tems s'appelle ainsi par la raison qu'il est prit sur le tems de développement du coup de sabre de son adversaire. II y en a plusieurs, le premier se prend sur le coup de tête, dans le moment que l'adversaire vous porte ce coup et qu'il a le bras en l'air, rompez d'un pas, et en même tems, prenez lui le coup de manchette en dedans, ayant soin de le prendre beaucoup plus haut, par la raison que le bras de l'adversaire étant au-dessus de la tête, il faut élever son coup, en lui coupant le bras quand il le développe, et rompant en même tems, de façon que le sien se trouve trop court et ne peut vous toucher."

Alexandre Valville - Traité sur la contre-pointe - 1817

Ainsi sur un coup descendant vous portez une manchette intérieure en reculant lorsque l'adversaire a le bras levé. Notons que, dans son passage sur les coups de manchette, notre auteur explique que ceux-ci sont donnés perpendiculairement, la main n'est donc pas retournée comme pour un coup remontant mais ici c'est d'abord le côté contre-attaque par manchette intérieure qui compte.

L'intérêt de ce coup est de stopper une attaque ou un combat par un coup astucieux et audacieux, ou du moins de blesser gravement son adversaire. On peut évidemment imaginer qu'il soit paré ou esquivé par retrait de la main mais, en ce cas, il aura au moins l'intérêt de calmer les ardeurs du premier attaquant et de poser celui qui effectue la contre-attaque comme un escrimeur doué et roublard. On peut le placer (avec une parade) tôt dans un combat pour poser les personnages mais si l'on veut vraiment rester martial c'est un coup qu'on ne tentera qu'après avoir bien observé que son adversaire fait de trop grands gestes. Idéalement on laissera au moins passer un premier coup de tête avant de tenter le coup de temps de manchette sur le second.

Le coup de manchette en dedans chez Alexandre Valville - Traité sur la contre-pointe - 1817

Coups doubles et feintes

Les coups doubles

Une des particularités d'Alexandre Valville est de nous présenter des enchaînements d'attaque qu'il nomme "coups doubles". Je l'ai déjà dit, les chorégraphies où l'on enchaîne de nombreuses attaques à la suite sont totalement irréalistes car l'adversaire parviendra bien à placer une riposte un moment ou l'autre. Cependant il reste possible d'en enchaîner deux de suite si elles sont logiques ou parviennent à mettre l'adversaire en difficulté. Alexandre Valville parle ainsi des "coups doubles" :
"Les coups doubles s'emploient quand votre adversaire recule sur votre attaque. Alors, comme il est trop loin pour vous riposter, vous étant fendu à votre première attaque, vous portez votre pied gauche contre le droit, vous vous refendez de nouveau, en lui reportant un second coup."
Alexandre Valville - Traité sur la contre-pointe - 1817

Ainsi on voit que c'est lorsque l'adversaire a trop reculé qu'on porte un coup double et il en donne de nombreux exemples, tant d'estoc que de taille ou mêlant les deux. Je vous présenterai donc un exemple de chaque.

Redoublement d'estoc :
"Deuxième coup double
Vous vous fendez et pointez seconde. Votre adversaire pare la pointe en bas, vous retournez le poignet, les ongles en haut et vous portez quarte sur les armes doublant la détente."
Alexandre Valville - Traité sur la contre-pointe - 1817
On part ici d'une seconde haute (en pronation), les deux lames à l'extérieur des armes et on estoque, a priori vers le ventre ou la poitrine. Si l'adversaire pare en seconde (voire en octave) en reculant ou retourne la main en supination en profitant de la force de la parade adverse et on redebouble sa fente. On est ici dans une technique très proche de l'épée mais l'aspect un peu courbe du sabre et le poids supérieur des lames amplifient l'effet. Ainsi, plus la parade sera sur le faible, plus il sera facile d'enchaîner une seconde attaque.

Redoublement de coups de taille :
"Le double coup de tête se forme après avoir porté le premier en moulinet, en se fendant, doublez la détente, continuez votre moulinet qui se termine par un second coup de tête, ayant soin de ne pas baisser la main."
Alexandre Valville - Traité sur la contre-pointe - 1817
Ce redoublement semble simple mais si il faut enchaîner très rapidement les deux attaques pour être crédible et justifier que l'adversaire n'a pas eu le temps de riposter. On attaque à la tête verticalement, face à un adversaire de même main qui pare de tierce on enchaîne avec un moulinet intérieur, si il pare de quarte on enchaîne avec un moulinet extérieur. A priori il serait stupide d'enchaîner après une parade de quinte. Là encore il faut utiliser le poids de l'arme et la force de la parade adverse (toujours cette histoire de parade du tac du fort sur le faible qui ajoute de la vitesse à l'arme de l'attaquant).

Le redoublement du coup à la tête se fait après ce genre de parade
Alexandre Valville - Traité sur la contre-pointe - 1817

Estoc puis taille :
"Exemple : coup de pointe et coup de tête se forme, en se fendant, tirant le coup de pointe en seconde, l'adversaire pare en rompant et baissant sa main, doublez la détente vivement, et revenez en moulinet au coup de tête. Il en est de même des coups de pointe et coups de banderolle, des coups de pointe et coups de flanc en dedans et en dehors."
Alexandre Valville - Traité sur la contre-pointe - 1817
Là encore on profite d'une parade qui veut faire baisser le sabre pour redoubler l'attaque par un coup de taille. La distance d'attaque de taille étant plus courte que celle d'estoc on préférera redouble en taille plutôt qu'en estoc (comme pour le premier exemple que nous avons donné) si l'adversaire recule moins ou si l'on s'est beaucoup engagé.

L'intérêt scénique des redoublements d'attaque est de montrer soit la difficulté de l'escrimeur qui subit soit l'engagement offensif de celui qui redouble ses coups (ainsi que sa maîtrise). Ainsi celui qui subit peut très bien être dans le contrôle en attendant de placer une riposte ou, mieux, une attaque sur la préparation ou une contre-attaque. Il est d'ailleurs très intéressant de placer un redoublement avant ce type de coup pour montrer que celui qui subit et contre-attaquera a d'abord observé. Le redoublement peut se faire assez vite dans le combat mais cela peut aussi intervenir dans la phase finale, lorsque la fureur prend le pas sur la technique et que l'on veut en finir. Redoubler ses attaques est en général le fait d'un attaquant animé d'une grande véhémence, dans la typologie que je propose il s'agira plus probablement d'un athlète, d'une brute ou d'un suicidaire (mais pas exclusivement).

Le personnage du Hussard est tout indiqué pour les attaques furieuses et la philosophie de "tuer ou être tué". Ici le général Lasalle par le dessinateur Job (1858-1931) célèbre avoir dite que "tout hussard qui n’est pas mort à trente ans est un jean-foutre."

Les feintes

Alexandre Valville nous explique que "la feinte s'emploie pour tromper son adversaire, pour lui ôter la possibilité de parer, et pour le frapper plus sûrement." Il explique que, dans le cas des coups de tailles elle peut se faire aussi bien de pied ferme qu'en marchant. En revanche les feintes de coups d'estoc ne se font qu'en marchant. Il précise cependant bien les conditions de la feinte pour ne pas s'exposer à ce que nous appellerions une attaque sur la préparation ou une contre-attaque.
"Toutes ces feintes doivent être faites avec toute la vitesse, et toute la finesse possible, sans cela votre adversaire, peut vous prendre ou le coup d'arrêt, ou le coup de tems et rendre par là votre feinte inutile, et même vous blesser." 
Alexandre Valville - Traité sur la contre-pointe - 1817
 
Nous sommes bien après l'époque de Valville et la photo est posée mais voilà ce qu'on risque si on fait des feintes trop grandes et trop lentes.

Voici donc quelques exemples de feintes que nous propose le maître d'armes de Saint-Pétersbourg.
 
Feinte de coup de taille et coup de taille :

"Feinte de coup de manchette d'envers, coup de banderolle, se forme comme si vous vouliez frapper par le moulinet le coup de manchette d'envers et revenant promptement par le moulinet contraire, en se fendant au coup de banderolle."

Alexandre Valville - Traité sur la contre-pointe - 1817

Ici on feint une attaque à la manchette intérieure de dessous pour partir sur un coup de banderole (diagonale sur le côté non-armé). Il importe de bien maîtriser le moulinet et de "laisser l'arme partir" afin d'avoir la vitesse d'exécution nécessaire pour être crédible.

Feinte de coup d'estoc et coup de taille :
"Feinte de pointe, coup de manchette, se forme en dégageant finement de tierce en quarte, tendant le bras, présentant de même la pointe aux yeux, mais, sans bouger et dans le moment que l'adversaire forme sa parade, passez votre lame par dessus la sienne, marchez un pas en avant et frappez vivement son avant bras en dehors."
Alexandre Valville - Traité sur la contre-pointe - 1817
Pour des raisons de sécurité (éviter les pointes aux yeux, même en feinte) on prendra probablement l'attaque un peu plus basse en escrime de spectacle.

Estoc, feinte puis coup de taille :
 
Coup de pointe en seconde, en se fendant, feinte de flanc en dedans, en doublant la détente et la terminant par le coup de flanc en dehors ; coup de pointe en seconde feinte de tête et coup de cuisse en dehors, se fait de la même manière.
Alexandre Valville - Traité sur la contre-pointe - 1817

Notre auteur nous propose donc cette combinaison subtile qui ne pourrait être sortie que par un tireur entraîné et décidé à attendre le moment opportun pour sortir cette botte mortelle. On attaque en estoc depuis la seconde haute, l'adversaire pare en quarte en reculant, on feint alors de redoubler la fente avec une attaque ventre pour faire passer le sabre devant soi en enchaîner sur une attaque au flanc.

Dans tous les cas il importe, sur les feintes de bien commencer à prendre la parade pour la faire comprendre au public. Cela demande donc de la dextérité également à l'escrimeur qui subit la feinte car il devra faire une parade in extrémis de l'autre côté (sauf si le coup porte). Les feintes permettent de poser la dextérité d'un escrimeur et de dynamiser le combat en faisant littéralement virevolter les armes. Elles se feront plutôt en début de combat, là où l'on essaiera de briller par sa technique plutôt qu'à la fin où la rage l'emporte (ce n'est évidemment qu'une généralité mais il faudra "vendre" habilement le contraire si on le fait).

Ce duel issu du Prisonnier de Zenda réalisé par Richard Thorpe en 1952 illustre l'effet que peut donner les feintes et les redoublements d'attaque dans un combat énergique (avec malheureusement trop de gammes qui rallongent inutilement la sauce).

Les voltes et demi-voltes au sabre

Les voltes à droite et à gauche

Tout d'abord clarifions le terme de "volte". Si, pour nous, il s'agit d'un terme désignant un tour entier sur soi-même (avec des querelles sur le côté où faire une "volte" et une "contre-volte"), à l'époque personne n'aurait fait quelque chose d'aussi risqué que d'exposer son dos à une attaque adverse, même dans le cadre d'une escrime de jeu en salle d'armes. Ce que désigne une volte du XVIIe au XIXe siècle est plutôt ce que nous appellerions actuellement un "quart de volte". Alexandre Valville précise bien qu'on ne volte que "quand il est impossible de rompre ou de reculer, et que l'on a affaire à un ennemi qui se jette sur vous." La retraite, en parant ou en esquivant par une retraite plus forte est donc la norme, la volte est l'exception et l'escrime se fait donc en ligne. Voici comment il décrit la volte à droite (en dedans) : 
"Elle se forme dans le moment que votre adversaire marche sur vous, en se lançant à la droite, le pied droit le premier, tournant un quart de tour, et faisant face parallèlement à son épaule droite, en même tems il faut tirer le coup de banderolle d'envers de gauche à droite en dedans. S'il pare votre coup (ce qui est très difficile) il faut continuer la rotation de votre épée, vous fendre vivement, et lui porter le coup de tête qu'il lui est presqu'impossible de parer, se trouvant hors de garde, et de ligne ; par la raison qu'ayant fait un quart de tour sur sa droite, il est obligé de tourner lui-même pour se défendre, et dans le cas où vous ne le toucheriez pas, vous vous trouvez du terrein derrière vous pour pouvoir rompre."
Alexandre Valville - Traité sur la contre-pointe - 1817
Notons qu'il y a bien deux pas (un vers l'extérieur et un pour faire un quart de tour) et qu'on retrouve ici une contre-attaque, par banderole en dessous (très rare en sabre de nos jours). La retraite y est cependant remplacée par un quart de tour. La contre-attaque veut prendre de vitesse l'adversaire qui doit stopper son attaque pour parer. Et si il pare il s'expose à un coup à la tête quasiment mortel.
 
La volte à droite chez Alexandre Valville - Traité sur la contre-pointe - 1817

La volte à gauche est très similaire si ce n'est qu'elle se fait en dehors des armes et n'implique donc pas exactement les mêmes enchaînements de coups :
"Elle se forme comme la précédente, excepté que vous vous élancez sur la gauche de votre ennemi , faisant face à sa poitrine, tirant le coup de banderolle du côté opposé, c'est-à-dire, depuis la hanche droite jusqu'à l'épaule gauche si votre adversaire pare, comme la pointe de votre épée se trouve en face de sa poitrine, portez lui le coup de pointe, en vous fendant vivement."
Alexandre Valville - Traité sur la contre-pointe - 1817
Comme toute contre-attaque le coup est forcément dangereux pour celui qui le tente mais il permet un renversement de situation soudain où celui qui attaquait vivement (puisque le Maître d'Armes de Saint-Petersbourg précise bien qu'il s'agit d'un adversaire qui se jette sur son adversaire) se retrouve soudainement en difficulté. C'est intéressant dans une opposition de styles entre un protagoniste très vif et engagé (selon la typologie que j'avais proposée cela pourrait être une "brute" ou un "athlète") et un autre plus posé et fin (soit un roublard du type "autodidacte", "vieux briscard" ou "artiste"). Ce n'est probablement pas un coup à mettre en début de combat mais plutôt vers la fin ou le milieu, après que celui qui doit volter ait résisté posément à quelques attaques bien engagées de son adversaire et ait même été éventuellement repoussé contre un obstacle.

La volte à gauche chez Alexandre Valville - Traité sur la contre-pointe - 1817

La demi-volte, un coup désespéré

Ce qu'Alexandre Valville appelle la demi-volte est assez proche de ce que nous appelons la "passata di sotto", un coup qu'on trouve au XVIIe siècle, dans l'escrime italienne à l'épée du XIXe siècle et, chez Baltazar Ficher, un contemporain d'Alexandre Valville, un Suisse vivant en Russie et qui publia en 1796 des Maximes et instructions sur l’art de tirer des armes. Il appelle ce coup "botte de nuit", le classe dans les "coups de tems" (les contre-attaques) et explique que "comme votre adversaire ne s'y attend point, il est impossible de ne pas y réussir".

La Botte de nuit chez Baltazar Ficher - L’art de l’escrime dans toute son étendue (1796)

Si la "passata di sotto" ou la "botte de nuit" se fait avec la pointe de l'épée, la demi-volte se fait avec le tranchant du sabre mais surtout l'auteur insiste bien sur le fait qu'il s'agit d'un coup désespéré qui "ne s'emploie que quand vous n'avez pas d'autre ressource, c'est-à-dire quand vous ne pouvez ni rompre, ni volter à droite ni à gauche, car, dès qu'il n'y a plus de distance entre vous et votre adversaire, il n'y a plus moyen de parer; par conséquent vous faites coup pour coup, et vous vous hachez mutuellement." On remarquera ici que l'autre alternative que serait l'emploi de techniques de corps à corps (un escrimeur du Moyen-Âge n'aurait pas hésité) n'est pas envisageable selon les mentalités de l'époque. L'auteur ne semble même pas y penser alors que son escrime est destinée à des gens amenés à se retrouver sur un champ de bataille. Voici donc comment il décrit la technique :

"Pour éviter cette extrémité, si vous vous trouvez dans un chemin trop étroit pour volter, ou dans l'angle d'un mur, ou dans toute autre position qui vous empêche de rompre, ou de vous élancer, soit à droite soit à gauche ; dans le moment que votre ennemi coure sur vous, le sabre levé, déterminé à faire coup pour coup, fendez vous sur votre gauche, de toute votre longueur, votre main gauche se portant par terre, pour soutenir votre corps, votre pied droit parallèlement à la pointe de votre pied gauche, votre corps renversé sur votre main gauche, et portant en même tems un coup de flanc en dedans, qui se trouve être terrible par la force, et la vivacité avec laquelle vous vous jettez du côté opposé. Il faut faire bien attention de ne pas manquer votre coup, car si cela vous arrive, vous êtes perdu, vous trouvant entièrement renversé et hors d'état de pouvoir parer les coups de votre adversaire. Je le repète, ce coup ne doit se faire que quand il n'y a pas d'autres ressources."

Alexandre Valville - Traité sur la contre-pointe - 1817

La demi-volte est donc une technique désespérée d'un escrimeur malmené et dominé par son, adversaire qui tente le tout pour le tout avec ce coup. Ce n'est probablement ce coup qui terminera le combat, qu'il soit réussi ou non. Si il réussit cela sera le retournement de situation final par une technique suicidaire mais qui a fonctionné. C'est un bon scénario mais il est malheureusement un peu trop courant dans les combats chorégraphiés et ne surprendra pas tant que ça un public un peu blasé. Si il rate cela sera la dernière humiliation d'un adversaire qui aura probablement déjà raté d'autres choses avant et dont le l'ultime effort se soldera pas une parade et une blessure grave ou une menace. Cela posera définitivement le vainqueur comme un grand escrimeur capable de déjouer tous les coups de son adversaire, même les plus désespérés. Cela en fait donc une technique intéressante à avoir dans son répertoire.
 
La demi-volte chez Alexandre Valville - Traité sur la contre-pointe - 1817
 
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J'espère que ces quelques techniques vous auront séduit et qu'elles vous donneront l'envie de vous adonner au sabre français et de le présenter dans vos combats. J'espère que vous en aurez vu les subtilités et éviterez de présenter des combats au sabre un peu trop stéréotypés et prévisibles car la succession d'attaques-ripostes peur arriver un peu trop facilement au sabre quand on le connaît mal. Et même si c'est plutôt réaliste pour des personnages ayant un niveau relativement faible dans cette arme cela risque en revanche de lasser le public si cela dure trop. Voici donc l'intérêt de ces coups originaux ! Vous aurez également remarqué qu'ils ne se placent pas tous au même moment du combat car un combat est un récit et on ne fait pas n'importe quoi à n'importe quel moment. Mais nous en reparlerons...

 

Traités cités dans l'article :

Traité sur la contre-pointe d'Alexandre Valville - 1817
Traité des armes de Pierre Jacques Girard - 1736
 
 
 

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