jeudi 18 juillet 2019

Non, non et non, on ne fait pas de parades d'opposition avec un bâton contre une épée !

J'ai déjà dû en parler dans de précédents articles mais cette désastreuse habitude est tellement répandue qu'elle méritait bien son petit article.

Je parle ici de combats que l'on voit fréquemment en vidéo dans des compagnies ou des troupes, souvent médiévales : l'un des combattants a une épée (souvent une épée longue), l'autre a un bâton (souvent un bâton français, trop léger pour être une vraie arme mais facile à trouver). Et là, invariablement, un moment où un autre du combat l'épéiste balance un coup crânien que la bâtonniste pare en opposant bien son bâton au-dessus de sa tête.

Eh bien NON, NON et NON, il ne faut pas faire ça parce que c'est  ridicule !

Précision : je vais parler de bâton dans cet article mais tout ce que j'écris est également valable pour les lances et toutes les autres armes d'hast. Et comme j'ai été très paresseux sur la recherche des illustrations vous aurez surtout des peintures des traités de Paulus Hector Mair.

Petit Jean affronte Guy of Gisborne dans la très très très perfectible série Robin des Bois de la BBC (2006-20019)

L'acier tranchant ça coupe, et le bois c'est fragile

Oui cela semble vraiment idiot d'écrire ça mais on oublie que les épées sont normalement tranchantes. Certes, lorsque nous pratiquons l'escrime de spectacle chorégraphiée ou même d'autres forme de combat comme les sparrings d'AMHE, la joute courtoise et même le béhourd, nos lames ne sont pas affûtées. C'est normal, vous voulez conserver vos compagnons de jeu parce que sinon vous n'aurez plus personne avec qui vous amuser, vous voulez aussi très probablement éviter les complications légales et il est même possible que votre morale vous dicte de ne pas tuer un être humain. Rappelons d'ailleurs que, contrairement à ce que nous montrent le cinéma et les séries, les anciens s'entraînaient également avec des armes non tranchantes et souvent en bois, ils voulaient eux aussi, pouvoir poursuivre l'entraînement ou ne pas mourir pendant celui-ci....

Donc, si nous simulons un combat autre qu'un combat d'entraînement ou de compétition proto-sportive l'épée de l'épéiste est sensée être tranchante, au moins sur sa dernière moitié ou son dernier tiers (la partie avec laquelle on frappe). Or l'arme en face est un bâton en bois et le bois, eh bien ça se coupe pas mal. Alors certes une épée n'est pas un outil de bûcheron, pas une hache ni même une serpe ou une machette, mais malgré tout elle tranche pas mal et la hampe d'un bâton n'est pas très épaisse. Il donc très probable que, dans le cas d'un coup d'épée un tant soit peu armé auquel on opposerait horizontalement un bâton ce dernier soit en grande partie tranché. Alors certes, l'épée ne tranchera peut-être pas en deux le bâton car celui-ci est fait d'un bois bien dur, mais elle en tranchera probablement suffisamment pour le briser ou l'affaiblir suffisamment pour qu'il soit inutilisable.

Cette parade fonctionne contre un bâton, pas contre une épée (brouillon de Paulus Hector Mair)
 Vous me suivez ? Vous voyez donc pourquoi cette parade est ridicule ? Sans effets spéciaux on ne peut même pas l'exploiter scénaristiquement. Ajoutons qu'évidemment cette réflexion est valable pour d'autres types de parades d'opposition contre un coup diagonal ou horizontal. Elle est valable également avec des armes d'hast, même si elles ont des hampes souvent plus larges mais qui seront très probablement affaiblies par le choc. Seules des armes comme les espontons ou les haches de pas qui ont de longues langues métalliques sur la hampes (vous avez compris maintenant qu'elles ne sont pas là pour décorer ?) peuvent supporter ce genre de chocs.


 Je partage rarement des vidéos de Skallagrim mais celle-ci a l'intérêt de vous prouver qu'une épée ça coupe vraiment pas mal le bois, surtout les branches peu épaisses

Se défendre de façon crédible contre un coup d'épée

Tout d'abord une remarque : si votre bâton est suffisamment long, c'est plus souvent l'épéiste qui devra se défendre contre vous que l'inverse. Ainsi que je l'ai expliqué dans un précédent article l'allonge est quelquechose d'essentiel et, a priori, le bâtonniste l'a de son côté et c'est lui qui attaquera, soit parce qu'il a l'allonge, soit parce que l'épéiste entre dans sa zone de contrôle alors qu'il n'est pas encore à portée. Néanmoins si l'épéiste se débrouille bien il pourra porter des coups contre lesquels il faudra bien se défendre.

Javeline contre épée selon Paulus Hector Mair (années 1540)


Tout d'abord esquiver en reculant semble une option très logique et intéressante : elle est simple et permet au bâtonniste de reprendre son avantage d'allonge. C'est plus ou moins ce que semble suggérer les quelques techniques de Paulus Hector Mair opposant une épée longue à une javeline, une lance ou une hallebarde. Notons même qu'il propose même très souvent de simplement ré-attaquer après une parade de l'épéiste, au risque d'une double touche (illustrée même sur certaines techniques) ! Garder la distance est évidemment la chose la plus logique à faire dans ce genre de combat.

La double touche est donc un risque dans ce genre de combat selon Paulus Hector Mair

Si l'on veut cependant parer (parce qu'il est difficile de reculer par exemple) c'est possible mais il faudra veiller à le faire correctement. Plutôt qu'une parade d'opposition il faut faire une parade du tac, celle où l'on frappe l'arme adverse plus ou moins perpendiculairement pour la faire dévier de sa trajectoire. Cette parade permet de frapper le plat de l'épée avec le bâton plutôt que de rencontrer le tranchant de celle-ci. On dégage ainsi l'arme adverse et on se met en position favorable pour frapper à son tour, notamment avec la queue du bâton. On peut même entrer en lutte ainsi (l'épéiste passant alors lui aussi en demi-épée).

Une autre solution, plus compliquée en escrime de spectacle parce qu'elle peut faire mal, consiste à avancer sur la parade pour faire une parade en opposition sur l'avant-bras ou le poignet de l'adversaire. Il est ainsi stoppé, se fait mal et l'on peut ainsi poursuivre, très probablement par des techniques de corps à corps avec bâton (voyez par exemple les traités d'Antonius Rast et de Paulus Hector Mair). Martialement c'est évidemment risqué mais cela peut être efficace. À réserver donc plutôt aux personnages experts de leur art ou très téméraires donc ("artiste", "athlète", "vieux briscard" mais aussi "brute" dans ma typologie des combattants).


Une des techniques de corps à corps au bâton chez Paulus Hector Mair

Voilà, j'espère vous avoir convaincu malgré la véhémence du titre, mais je dois avouer que je suis vraiment las de voir ce genre d'incohérence dans vos vidéos même si, comme à mon habitude, je ne dénoncerai pas, mais vous vous reconnaîtrez ;-)

Allez, pensez que votre bâton est fragile mais qu'il a des choses intéressantes néanmoins. Réfléchissez à votre combat, à sa cohérence, puis bossez-le bien !



dimanche 7 juillet 2019

Le 1 vs 1 vs 1 en escrime de spectacle et pourquoi je n'aime pas ça

Discutons ici d'un type de scénario qu'on rencontre assez souvent en escrime artistique : le combat à plus de deux adversaires où chacun combat pour lui-même contre les deux autres. Ce que l'on surnomme parfois un "truel". Quand on se retrouve à trois pour créer un combat c'est malheureusement trop souvent le choix que l'on fait. Or, la plupart du temps, je pense que c'est un mauvais choix et qu'il aurait été plus judicieux de faire un deux contre un par exemple. Je vais donc expliquer pourquoi.
Précision : ce que je dis pour le 1 vs 1 vs 1 vaut évidemment pour la même situation avec plus de monde (à 4, 5 ou plus)

Qui des trois pirates aura la clef ?
dans Pirates des Caraïbes 2 - Le secret du coffre maudit (2006)

Une situation très improbable

Quel scénario va donner une telle situation ? On peut toujours imaginer une histoire à la Battle Royale mais si on est dans une aventure c'est déjà beaucoup moins probable. La plupart du temps même si on a trois protagonistes il y a peu de chances qu'ils soient tous trois au même endroit. Et si cela arrive, la plupart du temps deux d'entre eux auront déjà fait alliance, ou feront alliance les uns avec les autres, comme des Pirates rivaux qui s'allieront spontanément contre la Royal Navy si celle-ci arrive lorsqu'ils s'expliquent.

La situation la plus logique est donc une alliance, au moins temporaire, quitte à s'expliquer après (ou voler l'objet convoité). Le fait de combattre à trois en ayant deux ennemis eux-même ennemis est compliqué et dangereux et on tentera de l'éviter d'autant qu'on est bien plus efficaces à deux contre un. En fait même dans le film Battle Royale on voit des alliances...

Malgré tout on retrouve cette situation dans un certain nombre de films d'aventure avec un scénario plus ou moins alambiqué et plus ou moins de talent. Mais même là cela donne rarement des combats exceptionnels.

Lorsque les Gardes du Cardinal arrivent, les duellistes pourtant ennemis s'allient !

Courte analyse martiale

La principale critique que je ferais de ces combats n'est pas si la crédibilité de la situation mais sur celle du combat lui-même. Après tout on peut être dans du film d'aventures avec multiples rebondissements un peu artificiels et pourquoi pas une situation à trois. Mais martialement on est face à quelquechose de très compliqué.

Pour bien comprendre on partira d'une base réaliste (mon adage est de toujours partir d'une base réaliste et d'ensuite décider ce qu'on accepte d'irréaliste dans la chorégraphie), et on fera une analyse martiale de la situation : Vous êtes en face de deux ennemis armés tout comme vous d'une arme de corps à corps équivalente, vous savez qu'ils se détestent et vous avez des chances de connaître leur niveau d'escrime. Pour plus de clarté le premier ennemi sera une femme et le second un homme.

Vous savez que si vous attaquez l'un d'entre eux (l'homme par exemple), l'autre pourra vous attaquez vous ou votre opposant dans le dos et que vous serez donc très vulnérable à ce type d'attaque. L'attitude la plus logique est donc de ne pas bouger et d'attendre l'opportunité de frapper quelqu'un dans le dos ou sur le côté pendant qu'il ou elle est occupé.e à se battre. N'importe qui d'un peu censé fera la même analyse et si on est malin on poussera les adversaire à s'attaquer.

Mais il faudra bien que quelqu'un attaque et si c'est vous vous pouvez toujours mettre deux-trois cartes de votre côté. Ainsi, si vous avez une armure ou un bouclier il sera déjà beaucoup plus difficile pour la femme de vous attaquer efficacement pendant que vous affrontez l'homme, le coup devra être plus précis, donc il sera moins spontané et vous aurez un peu plus de temps pour voir venir, surtout si vous bougez souvent ! Bouger souvent, comme dans un combat à deux contre un est également recommandé, cela laisse moins de temps à la troisième pour préparer un coup contre vous.

De même, toujours, en encore plus, comme dans un combat à deux contre un, vous essayerez de mettre votre adversaire entre vous et la troisième afin qu'elle ne puisse pas vous attaquer. Dans un duel à trois c'est d'autant plus efficace que c'est votre ennemi qui se retrouvera dos face à elle et qu'il a de grandes chances d'y passer !

Comme dans un combat à un contre deux vous éviterez de vous retrouver longtemps en lutte sous peine d'être particulièrement vulnérable. En revanche, repousser l'ennemi vers l'autre, le projeter ou le faire tomber à terre sont autant de situations vulnérables où l'autre pourrait bien l'achever ou qui vous permettrait d'en profiter !

Enfin si vous connaissez le niveau d'escrime de vos adversaires vous aurez tout intérêt à attaquer le plus faible avec votre botte secrète la plus vicieuse pour l'éliminer rapidement avant que la troisième ne revienne et en profite.

Ce combat à trois de Pirates des Caraïbes 2 ne s'en sort pas trop mal en bougeant beaucoup et en consistant surtout en cours duels

Des combats confus

Malgré toute cette analyse je pense qu'il est très difficile de rendre lisible et compréhensible ce type de combat. Même assez bien fait on a toujours une impression de confusion. En effet, les phases de combat vont forcément vite puisque la troisième va toujours se précipiter pour en profiter et qu'il va falloir la déjouer, parce que ça va forcément bouger dans tous les sens.

La plupart de combats que je vois ressemblent donc à un grand chaos plus proche d'une partie de Mario Smash Bros que d'un affrontement d'escrime. Les coups volent un peu partout, ça bouge mais au final si il y a un vainqueur on a plus l'impression qu'il l'est par chance que par sa valeur de combattant. 

Il faut dire que si l'on veut respecter un peu de martialité il est assez compliqué de créer un tel combat et que, même ainsi, ça va être très compliqué de faire comprendre au public ce qui se passe. On pourrait éventuellement jouer sur la roublardise de l'un des combattants mais ce n'est pas tellement exploité (souvent parce que le héros est censé être brave et courageux et non pas gagner par ruse en donnant un vilain coup dans le dos au bon moment).

Pour un meilleur spectacle je vous invite donc à éviter ce type de scénarios et à faire plutôt des deux contre un, beaucoup plus facile à créer, plus faciles à comprendre, plus crédibles et tout aussi intéressants (notamment dans la gestion de l'espace par celui qui est seul). Et si vous voulez vraiment faire un duel à trois ou plus travaillez le, réfléchissez le longtemps à l'avance et sachez que vous vous lancez dans un défi beaucoup plus compliqué qu'il n'y paraît !

Au revolver, Sergio Leone se sort très bien d'un duel à trois... en trichant !