lundi 26 octobre 2020

Monter un combat de la fin du Moyen-Âge - ébauche

La fin du Moyen-Âge, c'est à dire les XIVe et XVe siècles sont probablement ceux dont nous avons le plus de représentations ces vingt dernières années. C'est ce "Bas" Moyen-Âge qui a le plus servit d'inspiration pour les mondes médiévaux-fantastiques. C'est le Moyen-Âge des armures de plates, des robes sophistiquées, des tournois flamboyants et courtois, des villes opulentes, des palais de pierre, de la majorité de ce qui reste de nos châteaux-forts, des cathédrales gothiques flamboyantes etc. Il est donc assez logique de vouloir y placer des combats, d'autant que les traités d'escrime qui nous sont parvenus ne remontent pas avant le début de cette période et que c'est, par conséquent, la période médiévale dont nous connaissons le mieux (ou le moins mal) l'escrime. 
 
L'article qui suit est une ébauche d'étude sur ce que nous devrions connaître pour monter un combat se déroulant à cette époque. S'agissant d'une ébauche je dois donc prévenir qu'il y a forcément de larges généralisations et que je fais souvent fi de nombreux détails et complexités propres à toute période de l'Histoire. Mais brosser un tableau général me semble intéressant, j'aurai peut-être l'occasion, selon mes envies, d'étudier plus finement tel ou tel détail dans des articles futurs.

Tournois dans un manuscrit de la fin du XIVe siècle
Besançon BM MS.677 Fleurs des chroniques (1384-1400)

Le contexte historique : l'Europe à la fin du Moyen-Âge

L'Europe de l'époque est déjà en pleine mutation. Tout d'abord on doit rappeler qu'il s'agit d'une période de guerres et de maladie. Le XIVe siècle est celui de la Peste Noire qui tua environ un tiers de la population européenne de 1347 à 1351 et connut de nombreuses résurgences par la suite. C'est aussi, en France, l'époque de la Guerre de Cent ans (1337-1453) au sein de laquelle ont vit également la guerre civile française entre les Armagnacs et les Bourguignons (1407-1435) et, à la fin de la période les affrontements réguliers ou par alliés interposés entre Louis XI et Charles le Téméraire (1465-1477) pour finir en Angleterre par de la Guerre des Deux Roses (1455-1485). L'époque est troublée et l'heure n'est pas à l'optimisme en général, ce qui se ressent dans l'Art.
 
Les habitants de Tournai enterrant les morts de la Peste Noire en 1353.
Miniature de Pierart dou Tielt dans le Tractatus quartus bu Gilles li Muisit (Tournai, c. 1353) ms. 13076 - 13077 fol. 24v.

Cette époque est aussi celle de la fin de la féodalité. Au début du XIVe siècle les armées sont encore constituées de vassaux du Prince quoique payés pour être là (c'était le cas dés la fin du XIIe siècle) mais l'on voit se développer les bandes de mercenaires ainsi que le début d'une armée de métier, d'abord au sein des troupes anglaises puis dans le Royaume de France sous le règne de Charles V. À la fin de la période, le développement des "Grandes Bandes d'artillerie" sonna le glas des châteaux-forts à hautes murailles. Toutes ces innovations coûtant cher les États se réformèrent pour mieux collecter l'impôt et augmentèrent considérablement la charge fiscale sur leurs sujets.

Cette Europe est aussi celle des villes et du développement urbain lié au commerce. La bourgeoisie nait véritablement à l'époque et prend de plus en plus de place dans la gestion des villes. Dans la même idée le clergé n'a plus le monopole de l'instruction et l'érudition se diffuse également chez les nobles et chez les hauts bourgeois. En ville il devient fréquent de savoir lire et écrire ce qui amorce une différence entre ville et campagne qui ne cessa se s'accentuer jusqu'au début du XXe siècle. Tous les prémisses de la Renaissance sont déjà là et l'on a d'ailleurs coutume de dire qu'en Italie celle-ci commence dés la fin du XIVe siècle.

Banquet et tournois au début du XVe siècle illustrant le luxe de la noblesse de l'époque
Les Très riches heures du duc de Berry - Janvier (entre 1412 et 1416)

L'armement à la fin du Moyen-Âge

Je ferais ici une ébauche rapide de l'armement que l'on peut trouver à l'époque. Mais il faut tout d'abord parler d'une arme qui apparaît ou du moins se développe au XIVe siècle et qui a été appelée à avoir un grand succès dans les traités d'escrime des trois siècles suivant : l'épée longue. Ce terme est un traduction de l'allemand "Langschwert" qui ne désignait d'ailleurs pas l'arme mais les techniques du jeu long avec l'épée. Les contemporains l'appelaient simplement "épée" ou "épée à deux mains", éventuellement "épée bâtarde" ou "à une main et demi" (à vérifier si ces termes ne datent pas du XIXe siècle). Il s'agit d'une épée mesurant le plus souvent entre 1m20 et 1m40 pour un poids autour de 1,5 kg et destinée à être maniée principalement à deux mains. L'effet de levier dû à la longue poignée la permet d'être bien plus maniable et rapide que tout autre arme de l'époque. C'est une arme plutôt coûteuse et maniée par les chevaliers et sergents d'armes quand ils se battent à pied (ce qui est la norme pendant la majeure partie de l'époque). Elle est maniée en armure à la guerre et sans armure à la ville ou à la campagne.

Elle n'est cependant pas l'arme la plus utilisée de l'époque qui est l'épée dite "armante" ou "chevaleresque" qui est l'épée à une main classique héritée des siècles précédents. Elle est encore maniée conjointement avec un bouclier même si ceux-ci sont de plus en plus petits au fur et à mesure que les armures se développent. À la ville on la manie sans bouclier ni armure ou avec un minuscule bouclier rond à manipule, une ou un "bocle". Utilisant les mêmes techniques que cette arme on trouve le fauchon ou le coutelas, sa variante à un seul tranchant, souvent courbe avec un contre-tranchant. Dans les villes allemandes (le nom allemand est "Messer") a en plus un "clou" sur le côté du dos de la main, une sorte de protubérance qui protège celle-ci mais surtout permet des techniques spécifiques.
 
Épée "à une main et demie" de la seconde moitié du XIVe siècle conservée au Musée de Leeds
Longueur : 123 cm, longueur de la lame : 96 cm, poids : 1,7 kg
 
On trouve également des dagues, le plus souvent sans quillons qui servent d'armes secondaires à la guerre. Les dagues "à rouelle", "à couillettes" ou les baselards (d'origine suisse) sont principalement utilisés d'estoc même si quelques techniques où l'on taillade subsistent.

À la guerre l'on utilise également des masses d'armes (toujours un symbole de commandement) ainsi que des haches et des marteaux de guerre efficaces contre les armures. À pied l'arme la plus efficace du chevalier était peut-être la hache de pas (voir mon article là-dessus) et, pour les piétons les différentes armes d'hast : hallebardes, guisarmes, couteaux de brèche, langues-de-boeuf etc. Notons que la fin du XVe siècle voit apparaître les unités de piquiers suisses suivis des Flamands et des autres Allemands, néamoins dés les tout débuts du XIIIe siècle les Écossais de William Wallace et de Robert le Bruce utilisaient une formation dense de piquiers nommée "schiltron".

Du côté des armures tout au long de la période on voit apparaître l'armure de plates complètes. Au début l'on a seulement des jambières d'acier avant d'ajouter des pièces aux bras, genoux et épaules et enfin la cuirasse. Le haugerbeon (cotte de mailles à manches courtes s'arrêtant au niveau des cuisses) est néanmoins porté durant toute la période, d'abord par les chevaliers en conjonction avec des protections pour les bras, puis par la plupart des piétons des armées mercenaires ou régulières. Notons qu'on porte toujours l'armure sur un gambison ou un doublet armant pour protéger des chocs et de la dureté de l'acier. Au niveau des casques les chevaliers et sergents montés abandonnent rapidement le grand heaume pour le bassinet à ventail (parfois le grand bassinet pour les plus riches) puis la salade. Les piétons quant à eux continuent de porter des chapels de fer mais portent également des bassinets ou des salades sans ventail ainsi que des barbutes, ouvertes ou fermées, des casques venus d'Italie et inspirés de la statuaire antique. Notons qu'en dehors des archers du guet personne ne porte d'armure en dehors de la guerre ou des tournois.

Armure gothique de la fin du XVe S. (1475-1485) telle qu'on pouvait en porter durant la Guerre des Deux Roses.
Dans les collections du Musée de Leeds.

Les types de combats possibles

Maintenant que nous avons survolé un peu l'époque on peut se demander quel scénarios imaginer, quels ressorts dramatiques crédibles on peut mettre en place pour un combat se déroulant à la fin du Moyen-Âge. 
 
Si il n'y a plus, à l'époque, de guerres féodales limitées, la Guerre de Cent ans regorge de coups de main, de chevauchées (le mot d'époque pour dire "raid de pillage") ou de ravages de bandes de mercenaires sans emploi (les fameux "Routiers"). Bref, la "petite guerre" était une réalité de l'époque qui peut donner lieu à pas mal de scénarios avec des personnages plus ou moins armurés (du chevalier ou sergent d'armes en armure quasi-complète à l'archer ou l'arbalétrier sans armure). De là on peut imaginer plein de choses : des affrontements entre Français et Anglais (ou Aquitains vassaux du Roi d'Angleterre) aux paysans résistants vaillamment à des Routiers ou sauvés par des troupes régulières. Les combattants peuvent se rencontrer au détour d'un chemin ou se tendre des embuscades, fuir une bataille perdue (Crécy ou Azincourt ?) etc. Au passage n'oubliez pas que, durant la majorité du conflit les combattants anglais portent la croix de Saint-Georges (rouge, en principe sur fond blanc) tandis que les français arborent la croix de Saint-Michel (blanche, normalement sur fond bleu).
 
Les Guerres civiles ou querelles de grandes familles sont aussi l'occasion d'assassinats au coin d'un chemin ou d'une ruelle, avec ou sans armures. Ainsi la querelle entre Armagnacs et Bourguignons commence le 23 novembre 1407 par l'assassinat du Duc Louis d'Orléans, frère du roi Charles VI en plein Paris par les hommes de main de Jean Sans Peur, duc de Bourgogne. Celui-ci fut à son tour assassiné lors d'une entrevue diplomatique sur un pont avec le Dauphin le 10 septembre 1419 à Montereau. Guerres internes et querelles l'émaillent, dans le même ordre d'idée la Guerre des Deux Roses ne fut pas moins sanglante et pleine de pillages et de massacres.
 
Assassinat de Jean sans Peur au Pont de Montereau. Abrégé de la Chronique d'Enguerrand de Monstrelet. Maître de la Chronique d’Angleterre, enlumineur. Bruges, vers 1470-1480

On ne pourra pas non plus oublier tous les affrontements courtois, c'est à dire pour la gloire, aux armes émoussées. Ainsi les tournois se structurent tout au long de la période et se "civilisent" pour devenir de plus en plus festifs et raffinés. La mêlée est de moins en moins présente et l'on voit apparaître les joutes et les affrontements à pied, parfois avec les combattants séparés par une barrière. Dans les villes de l'espace germanique et des Flandres les Fechschulen voient s'affronter des bourgeois sans armure dans des combats proto-sportifs, c'est d'ailleurs l'une de nos principales sources sur l'escrime ! N'oublions pas, dans un contexte souvent spectaculaire mais plus meurtrier, les duels judiciaires encore en vigueur à l'époque.
 
Dans un autre contexte tous les affrontements locaux en civil sont possibles. N'oublions pas que la plupart des gens vont et viennent armés au moins d'une dague quand ce n'est pas une épée, un fauchon parfois assortis d'un bocle ! Les sources judiciaires (notamment les lettres de rémissions où l'intéressé invoque la clémence du tribunal) regorgent de querelles de jeu, de taverne, de rue où l'on s'affronte volontiers au poing, à coup de pierre lancée (très fréquent et en fait très naturel) ou en sortant les armes. L'époque était violente et les techniques de défense personnelle que l'on trouve parfois au détour d'un traité de l'époque en témoignent également. Le même type de rixe à la campagne impliquant poings, lutte, bâtons, gourdins voire faux ou faucille est tout à fait envisageable lui aussi.
 
Bagarre de femmes avec des gourdins tirée d'un manuscrit du XIVe S
Descriptio quarumdam constellationum et planetarum quantùm ad eorumdem proprietates et hominum nativitates : accedunt figurae.
 
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Pour conclure ce survol on voit tout le potentiel que peut donner cette époque assez pessimiste et violente pour des combats de spectacle. On fera remarquer que les vêtements plus travaillés et les armures de plates ajoutent un véritable plus par rapport aux époques médiévales précédentes moins extravagantes. Le pourpoint a plus de classe que la cotte et les armures de plates enflamment bien plus notre imaginaire que les hauberts de mailles ! Enfin, d'un point de vue de l'historicité de l'escrime, c'est une époque pour laquelle nous sommes bien mieux renseignés que pour les précédentes qui nécessitent bien plus de recherches en l'absence de livres de combat. Faites-vous donc plaisir à faire revivre cette époque !

vendredi 2 octobre 2020

Armes insolites : le balai

Cette fois-ci nous allons aborder une arme insolite que nous possédons tous dans notre maison, notre appartement ou même notre salle d'armes : le balai. Ne me dites pas que vous n'avez jamais mimé de frapper quelqu'un avec un balai, si vous ne l'avez pas déjà fait (on espère avec seulement les poils) ! Le balai est de toutes les scènes de ménage (dans tous les sens du terme d'ailleurs), il est l'outil de la servante, du grouillot ou de l'épouse (l'Histoire n'est, hélas, que trop sexiste). C'est tout cet univers que nous allons explorer en commençant par l'outil, comment il est représenter, comment on peut le manier et jusqu'à réfléchir à des scénarios possibles.

Caricature des pertes françaises au cap de la Hogue (1692) : un Français agenouillé implore un marin hollandais armé d'un couteau et d'un balai, à droite un Anglais menace un Jacobite avec une hache.
Collections du Rijksmuseum d'Amsterdam

Les formes du balai dans l'Histoire

Un balai c'est évidemment un manche, en bois ou autre avec une tête composée de poils plus ou moins longs et plus ou moins souples destinés à rassembler la poussière ou à frotter le sol. De nos jours il existe de multiples formes de balai destinés à autant d'usages différents. Je me suis donc demandé quelles pouvaient être les formes anciennes de l'outil, celles qu'on pourrait utiliser pour des combats de l'époque des Mousquetaires ou de celle des chevaliers. Et là je dois bien constater qu'il est difficile de trouver des choses sérieuses ou même moins sérieuses sur l'histoire de l'objet. Le monde universitaire n'a pas semblé s'y intéresser et tout ce qu'on trouve c'est l'histoire de l'invention du balai de sorgho au XIXe siècle ce qui n'est pas d'une très grande utilité pour nous. De plus très peu de pièces d'époque ont survécu.
 
Balais vers 1700 : à gauche balais miniatures (18,5 cm), à droite balai ouvragé en acajou (126 cm)

Heureusement l'iconographie est là pour nous aider et même les pièces de musée. Un petit tour sur mon site favori du Rijksmuseum d'Amsterdam (qui propose gratuitement des images en 4K utilisables pour tous les usages) et sur d'autres sites permettent de se faire une rapide idée des formes de l'objet (rapide car une véritable étude demanderait une documentation autrement plus fournie). On constate moins de diversité qu'à notre époque.
 
"La Naissance de Jupiter" - Histoires de Troyes (BNF Fr. 59, fol. 1) - 2nde moitié du XVe siècle
 
Le balai peut être fait de fagots (on en utilise encore de nos jours pour balayer dehors) ou d'autres poils de nature indéterminée, probablement de la paille ou d'autres plates à tiges. Selon les balais les poils semble plus ou moins souples et plus ou moins fournis. On observe également quelques balais plus semblable à des brosses souvent rondes. On peut trouver aussi des sortes de balayettes sans manches mais on sort là de notre arme insolite qui, elle, possède un manche. Bref une petite diversité et des formes assez peu différentes des nôtre si ce n'est que l'on ne voit pas vraiment ces balais en forme de "T" si courants à notre époque.

Gravure d'une série en douze parties avec des vendeurs ambulants d'après un dessin de Boucher et imprimé par Le Bas et Ravenet (vers 1700)

Le balai comme arme

Intéressons-nous ensuite au balai représenté comme arme dans les images et les gravures qui nous sont parvenues. On constate que celui-ci est essentiellement représenté dans deux contextes différents.

Le premier est celui de scènes où une ou plusieurs femmes humilient un homme. L'image a le plus souvent une connotation morale et l'homme se fait chasser d'un lieu mal famé à coups de balai, de gourdin et d'autres armes improvisées et humiliantes. On va en trouver quelques variantes de scènes de ménage où la femme manie le balai, ou encore de rixes généralisées où se mêlent balais, gourdins, chopes et autres armes improvisées.

Le fils prodigue chassé des prostituées - Crispijn van de Passe (I) d'après Merten de Vos (1580-1588)
 

Le second contexte nous présente alors le balai dans les mains des hommes. Et là il s'agit de ridiculiser la scène. Le plus souvent ces hommes sont des paysans révoltés ou en milice, le dessinateur se moque alors de leur valeur militaire en leur attribuant des balai comme armes voire en les faisant combattre avec en lieu et place de vraies armes. Ces balais peuvent se mêler avec d'autres outils paysans ainsi qu'avec l'inévitable gourdin. Le balai peut également être représenté pour ridiculiser l'ennemi comme cette caricature de la bataille navale de la Hougue où un marin Hollandais, armé d'un couteau et d'un balai voit un Français lui remettre son épée (une véritable arme associée aux gens bien nés). 

Dans tous les cas on joue sur l'idée que le balai n'est pas une vraie arme et on ironise sur son porteur ou sur celui qui se fait vaincre par un outil aussi inoffensif !

Caricature représentant l'expulsion des jésuites du sud des Pays-Bas, octobre-novembre 1828.
Jean-Baptiste Madou (1828) - dans les collections du Rijksmuseum d'Amsterdam

Le maniement du balai

La question qui suit consiste à se demander comment manier cette arme insolite qui n'est même pas vraiment une arme. Si nous avons, de façon improbable, un traité d'escrime nous décrivant des techniques pour la faux et la faucille nous n'en avons aucun qui s'intéresse au balai. Les seules sources facilement accessibles sont iconographiques (les autres seraient des sources judiciaires ou, pour le XIXe siècle, la rubrique "faits divers" des quotidiens). Or les gravures et dessins nous représentent essentiellement deux coups : un grand coup de taille de haut en bas (le plus fréquent) et un coup d'estoc depuis la hanche. Ces deux coups frappent avec la partie molle du balai et humilient plus qu'ils ne blessent. Hélas, avec ces techniques on tient à peine 10 ou 20 secondes de combat !

Encore une représentation du fils prodigue chassé par des prostituées, cette fois-ci par Jacques Callot (1635)
Dans les collections du Rijksmuseum d'Amsterdam
 

Il est donc indispensable, si l'on veut faire durer un peu notre combat, d'aller piocher des techniques ailleurs. Si l'on examine nos balais on s'aperçoit que deux ou trois armes pourraient nous aider : le bâton, la hache de pas et la hallebarde. Toutes sont pourvues d'un long manche et d'une tête. La tête ici est un fagot de branches ou de tiges végétales mais il s'agit tout de même d'une tête. Le paradoxe est qu'elle sera moins dangereuse que la queue du balai alors que c'est d'habitude l'inverse. On peut donc allègrement piocher dans les techniques de frappe et de moulinets utilisées pour ces armes. Il ne faut pas hésiter à faire sans cesse coulisser l'arme entre ses mains pour parer ou frapper avec l'un ou l'autre côté, de taille ou d'estoc. Notons que les coups de taille se doivent d'être amples, comme des coups de bâton, puisqu'il faut de l'élan pour faire mal avec la queue ou fouetter avec un minimum de force avec la tête du balai.

Pour manier notre balai on peut piocher dans les techniques de bâton français par exemple...

Si le balai est en forme de "T" ou avec un plateau de bois on peut même utiliser les techniques de crochetage de la hache et de la hallebarde pour attraper la jambe ou la nuque de son opposant. On peut également parer directement avec la tête du balai en opposition frontale à un coup de taille, la lame va alors se ficher dans les fibres. Enfin, comme la tête n'est pas dangereuse on peut sans danger attaquer à la tête sans risquer grand chose, de même on peut repousser l'attaquant par un coup d'estoc dans la poitrine sans lui faire mal ; des choses qui seraient impossibles avec un simple bâton et encore moins avec une lance ou une hallebarde.

Une technique de crochetage à la hallebarde dans le traité de Joachim Meyer de 1570 tout à fait réutilisable avec un balai !

Le balai dans vos spectacles

Il reste à déterminer quels scénarios on peut mettre en place pour présenter des combats au balai. Comme je l'ai déjà fait remarquer cette arme n'en est pas vraiment une, certes un coup de la queue du balai peut probablement faire mal mais dans l'ensemble ce n'est pas vraiment une arme dangereuse ni même capable de neutraliser un ennemi. C'est d'ailleurs sur cet aspect que jouent les dessins de combat mettant en scène des balais : la victime d'un balai est ridiculisée, tout comme celui qui le prend pour une véritable arme. Tout cela appelle irrémédiablement à un combat comique, ou du moins une scène comique dans un combat plus long. Le balai fera presque systématiquement rire, il étonnera, semblera décalé et insolite dans un combat.

Émeute des croquemorts le 31 janv 1696 à Amsterdam, outre les gourdins et autres outils on aperçoit plusieurs balais - Laurens Scherm (1702 ou 1725-1733)
 

On notera deux types de scénarios : des miliciens/révoltés/enfants qui prennent des balais pour de vraies armes ou des serviteurs, mais plus probablement des servantes, des épouses voire des "filles de mauvaise vie", qui chassent un ivrogne ou un importun à coups de balais. Ainsi, la plupart du temps, les combats opposeront un ou une protagoniste armé d'un balai à un ou une autre armé d'une autre arme, probablement une arme de défense personnelle portée en permanence au côté comme une épée de cour, une rapière, un sabre court ou un poignard. Dans la logique scénaristique l'ivrogne/importun a toutes les chances de perdre face au porteur ou à la porteuse de balai. À l'inverse, le milicien d'opérette armé de son balai rencontrera logiquement la dureté de la vie... et de l'acier ?


Après la pluie vient le soleil par Gustaaf Leonardus Adolf Amand (1867 - 1894) nous montre encore une fois le balai entre les mains de la femme.
 

Le combat au balai sera probablement assez court aussi car, même si on peut trouver beaucoup de coups en allant les piocher dans d'autres armes, l'effet de surprise et de décalage ne durera pas éternellement et on imagine mal 2 ou 3 minutes de chorégraphie contre un balai. En revanche un passage de combat au balai au sein d'une scène plus longue peut tout à fait s'imaginer, soit pour ajouter un élément incongru dans un combat sérieux, soit pour la surenchère comique et un glissement de plus en plus grand vers l'absurde. Dans tous les cas c'est une arme qu'il n'est pas très compliqué de manier si on a quelques bases ailleurs et avec laquelle on peut bien s'amuser !

Et sinon, une bonne bagarre de taverne avec un balai dedans ça vous dit ?
Lutte paysanne par Cornelis van Caukercken d'après Jan Miense Molenaer (1640-1680)

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Pour conclure j'espère vous avoir une fois de plus donné des idées comme c'est souvent le cas pour mes articles sur les armes insolites. On ne voit pas tant que ça de combats comiques et ceux-ci ne sont pas une excuse pour faire n'importe quoi. Il faut bien le faire pour que le résultat n'en soit que meilleur : utiliser des techniques qui seraient violentes avec un bâton ou une hache créeront encore plus d'effet qu'une pseudo frappe bâclée. Bref, faites travaillez votre imagination et amusez-vous !!!

EDIT : on m'a signalé cette excellente vidéo du CNEA et de la Cie Diapason où l'on trouve un passage de combat au balai dans un combat de taverne