mercredi 29 mai 2019

Les armes d'hast à l'époque des Mousquetaires

Après les épées et les armures j'avais envie d'être complet sur l'armement du XVIIème siècle, l'époque de la Trilogie des Mousquetaires d'Alexandre Dumas. Je vais donc vous parler des armes d'hast de cette époque, finalement les plus utilisées sur les champs de bataille (à l'exception des armes à feu dont je ne parlerai pas car elles sortent de l'objet de ce blog et mes compétences en la matière sont très limitées).

Très simplement, j'entends ici par armes d'hast toute arme dotée d'un long manche de bois, de la pique au bâton en passant par la hallebarde, la pertuisane, la demi-pique et l'esponton. Il s'agit des armes maniées par les fantassins exclusivement (je ne parlerai pas ici des quelques réintroductions de la lance auprès des cavaliers), elles sont toutes les descendantes des armes inventées au milieu ou à la fin de Moyen-Âge voire bien avant mais nous verrons ici leur forme et leur maniement au XVIIème siècle.

Comme les précédents cet article sera abondamment illustré de photographies d'armes étant parvenues jusqu'à nous ou de gravures et dessins d'époque.

Encore une image tirée du Traité des Armes de Louis de Gaya, sieur de Tréville (1678) qui montre la plupart des armes d'hast en usage au XVIIème siècle

Des armes diversifiées...

La pique d'infanterie

Il s'agit clairement de l'arme blanche la plus utilisée dans toutes les armées des XVIème et XVIIème siècles. Les piquiers écossais du XIVème, mais surtout les Suisses du XVème siècle suivis par les Lansquenets germaniques puis les Tercios espagnols au XVIème siècle ont rendu ordinaires les carrés de piquiers sur les champs de bataille. La pique est une arme assez simple : un long manche mesurant au moins trois mètres de long et pourvu d'un fer à l'un des bouts et d'un talon pointu à l'autre bout. La pique prend surtout son sens lorsqu'elle est maniée en groupe, dans une formation dense sur plusieurs rangs, impénétrable pour la cavalerie et même l'infanterie ennemie.

Pique du XVIIème siècle dans les collections du Musée de l'Armée - Paris
Deux soldats portant des piques - Stefano della Bella (entre 1620 et 1660)
Collections du Rijksmuseum d'Amsterdam
Gravure de Hendrik Jacobsz Soeteboom représentant des piquiers à la bataille (1658)
Collections du Rijksmuseum

La hallebarde

La hallebarde a probablement été inventée en Suisse au XIVème siècle. Il s'agit à l'origine d'un fer de hache solidaire avec une pointe fixés au bout d'une hampe d'environ 2 mètres. On lui a rapidement ajouté un crochet. Au fil des siècles la hallebarde n'a cessé d'évoluer, de s'affiner et l'arme du XVIIème siècle elle est bien plus légère que celle des origines, le fer de hache ayant énormément diminué tandis que les crochets sont plus importants. Les hallebardes étaient maniés par des bas-officiers (sous-officiers) ou des sergents mais également par des soldats spécialisés dans certaines armées, surtout les Suisses qui en faisaient un grand usage. Elles servaient également d'armes de cérémonie pour la garde ou l'escorte d'une personne de prestige.

Hallebarde du XVIIème siècle au musée de Leeds

Hallebarde du XVIIème siècle au musée du Louvre

Hallebarde du XVIIème siècle au musée du Louvre

La pertuisane

La pertuisane trouve ses origines dans l'Italie de la fin du Moyen-Âge. C'est une arme bien plus courte que la pique, d'une longueur de 2 mètres environ voire un peu plus. Elle se termine par une langue affûtée assez longue flanquée de deux petites côtés en croissant de lune ou en pointe. Ce fer est plus lourd que celui des piques, il permet à la fois d'estoquer aussi efficacement qu'une pique mais aussi de mieux porter des coups d'entaille et même de taille. La pertuisane était surtout portée par les sergents voire les officiers mais c'était également, encore plus que la hallebarde, une arme cérémonielle donnée à des gardes ou l'escorte d'une personne prestigieuse. En conséquence, la plupart des pertuisanes qui sont parvenues jusqu'à nous sont des armes souvent très ornementées.


Pertuisane du XVIIème siècle au Musée de Leeds
Pertuisane des Gardes françaises (17ème siècle) au Musée de l'Armée - Paris
Pertuisane du corps des arquebusiers de la ville de Lyon (vers 1650)

L'esponton, la demi-pique et le bâton à deux bouts

La demi-pique est simplement une pique plus courte, à peu près de la même taille que la hallebarde ou la pertuisane. L'esponton est également une pique plus courte avec la particularité que son fer est doté d'une plus longue emmanchure pour renforcer la hampe. L'esponton était porté par les officiers et était un symbole de leur commandement, il est donc souvent extrêmement décoré. Le bâton à deux bouts est, selon certains auteur, un autre nom de la demi-pique. Notons que J. G. Paschen nous présente un bâton à deux bouts doté de deux fers de lance qui semblent identiques. Ces armes sont souvent confondues et appelées plus ou moins de la même façon à l'époque.


Fer d'esponton du régiment d'infanterie de Hautefort
Musée de l'Armée - Paris



Esponton 1600-1630 - musée de Leeds

Demi-pique ou bâton à deux bouts dans le traité de J. G. Paschen de 1673
[EDIT] Une petite remarque complémentaire :
Vers la fin du XVIIème siècle on commence à passer à abandonner les piques et les armes d'hast au profit de la baïonnette (régiment du Royal-Artillerie équipé en 1671 et ordonnance royale de 1703 en France qui remplace les piques par des baïonnettes). Il semble que les mots changent plus ou mons de sens et l'on appelle ainsi "pertuisane" ce qu'on appelait auparavant "hallebarde", réservant la hallebarde pour une arme plus petite.
De même on appelle parfois "pertuisane" ce qui serait plutôt un "esponton" ou l'inverse...
Rappelons-nous que le besoin de classification précise qui nous anime n'est pas aussi grand à l'époque et que les définitions étaient plus fluctuantes.


Extrait des Mémoires d'Artillerie de Pierre Surirey de Saint Remy (1696) où l'on voit qu'il appelle "pertuisane" ce que nous désignerions clairement comme une "hallebarde" (figure A).

... mais une escrime peu différenciée

Concernant le maniement des armes d'hast nous ne possédons pas autant de sources que pour la rapière, mais ces armes ont néanmoins fait l'objet de traités d'escrime et d'art militaire à l'époque. Nos sources sont de deux nature : des traités d'escrime qui étaient forcément destinés aux gens pratiquant régulièrement l'escrime et s'y formant et capables de les acheter (même imprimés, les livres restaient chers à l'époque) et, et c'est une nouveauté à l'époque, des traités d'arts militaire destinés à la formation en masse des troupes.

Quelques caractéristiques communes

Les armes d'hast ont toutes en commun d'être des armes redoutables et économiques. Elles peuvent toutes profiter d'une allonge que ne possèdent pas les autres armes. Et si l'on passe l'allonge il est toujours facile de faire glisser la hampe vers l'arrière pour raccourcir l'arme et rester à portée. Elles sont considérées comme facile à manier pour un débutant qui parviendra toujours à être dangereux. Elles sont également des armes très efficaces en combat de groupe et, à quelques exceptions notables (la légion romaine notamment), elles ont été l'arme principale des infanteries de toutes les époques.

Le Bũech von fechter Vnnd Ringstückhen zũ Ross vnnd Fuoß (1623) illustre comment raccourcir sa prise lorsque l'adversaire s'est rapproché
Matt Easton, fondateur du groupe Schola Gladiatoria pointe cependant quelques désavantages aux armes d'hast : le bois de la hampe bien qu'épais pourrait être endommagé assez vite par des tranchants, la main avancée est relativement exposée aux coups, que l'adversaire peut la saisir relativement facilement à la main (contrairement à une lamé aiguisée) et qu'elles sont encombrantes, empêchant de faire autre chose lorsqu'on les tient.

 Matt Easton nous parle des désavantages de armes d'hast (en anglais)

Dans les traités d'escrime

Les quelques traités d'escrime parlant des armes d'hast sont allemands (Joachim Meyer et Jakob Sutor Von Baden qui s'en inspire ainsi que l'anonyme du Bũech von fechter Vnnd Ringstückhen zũ Ross vnnd Fuoß) ou britanniques (G. Silver et J. Swetnam) et plutôt du début de la période voire très légèrement antérieurs (même si on retrouve des techniques de bâton dans les traités britanniques du XVIIIème siècle ce qui semble indiquer une continuité de la pratique). L'escrime aux armes d'hast est présentée à la fin des traités, pour les allemands on suppose que cela serait en raison de sa difficulté.

Page du traité de Jakob Sutor Von Baden New Kůnstliches Fechtbuch (1612)

L'arme d'entraînement pour toutes les armes d'hast est le bâton long, les allemands utilisent également à l'occasion des hallebardes de bois. Contrairement à beaucoup de techniques de bâtons plus tardives on trouve ici beaucoup de coups de bout exploitant l'estoc des armes d'hast. La plupart des gestes sont communs aux demi-piques, pertuisanes et hallebardes même si ces dernières favorisent le contrôle de l'arme adverse. Les techniques sont complexes avec des battements, dégagements, contre-dégagements etc. Il s'agit d'une escrime de jeu mais aussi destinée à des gens qui ont le temps de s'y former et d'en assimiler les subtilités.

Techniques de bâton selon J. Meyer par le MEMAG

Notons aussi que G. Silver nous parle des crochets d'une arme qui a presque disparue au XVIIème siècle : la guisarme dont sa variante préférée est le "forest bill" ou "welsh hook". Il préconise d'utiliser ce crochet pour saisir le cou ou la jambe de l'adversaire, voire de lui arracher brutalement son arme en tirant. Au vu des hallebardes du XVIIème siècle cette technique leur est tout à fait applicable. Une technique de crochetage similaire est proposée également chez Jakob Sutor Von Baden.

Crochetage de cheville à la hallebarde dans le traité de Jakob Sutor Von Baden


Concernant la prise de la hampe, les allemands nous en proposent deux. La première oppose les deux pouces, elle se retrouve beaucoup dans les traités plus anciens, elle est moins naturelle, donne plus de force pour écarter l'arme adverse mais moins de précision en estoc. Dans la seconde les pouces sont dans le même sens, prise plus naturelle. Les britanniques semblent n'utiliser que cette seconde prise.

Pour ce qui est de la garde, celle-ci varie, la pointe haute, basse, à la verticale... La jambe gauche est le plus souvent devant, mais pas toujours (notamment chez Swetnam) la main droite sur la queue de l'arme et la gauche plus haut (on inverse si on est en garde jambe droite devant).

Deux gardes du bâton différentes chez J. Swetnam The Schoole Of The Noble And Worthy Science of Defence (1617)


Gardes horizontales (qui semblent assez archaïques) dans le Bũech von fechter Vnnd Ringstückhen zũ Ross vnnd Fuoß (1623)

Dans les traités militaires

Contrairement aux traités d'escrime les traités militaires ont une vocation pratique, directe et ils sont destinés à un entraînement de masse, rapide de gens souvent sans expérience. Les techniques sont souvent réduites à l'essentiel et Jacques de Gheyn II l'explique ainsi :
Comme donc nostre intention ne passe point plus avant, que pour enseigner les Soldats inexperimentez, & renforçer, par inspection & leçon la memoire de ceulx qui sont desia expers, ainsi personne ne trouvera estrange, qu’en la representation des Piques, nous n’y avons mis aultre chose, que ce, que (pour l’usage dicelles) semble estre le plus necessaire à la guerre, paßant pardessus beaucoup de façons, qui si practiquent, par maniere de paßetemps, & ne servent de guerres, en l’exercice militaire.
 Jacques de Gheyn II - Maniement d’Armes d’Arquebuses, Mousquetz, et Piques. - 1609 (traduction française d'époque)

L'une des positions de piquier issue du traité de Jacques de Gheyn II (1609)
Dans ces traités pour la pique la jambe gauche est toujours devant, la main droite au bout de l'arme et la gauche en soutien, la prise se fait le plus souvent avec les pouces parallèles. Il faut bien comprendre ces traités dans leur contexte militaire, ils ne sont pas destinés à des affrontement à un contre un mais à des combats de carré de piquiers contre un autre carré ou un groupe de soldats. Chaque soldat doit donc être tourné dans le même sens, droitier ou gaucher et la coordination est aussi essentielle que la maitrise des mouvements de base. Ainsi les exercices présentés ne se pratiquent pas avec un adversaire en face (même si c'est l'objectif final), il s'agit essentiellement de répéter les gestes de maniement qu'on vous donnera l'ordre d'exécuter, du moins pour la pique qui vraiment l'arme de masse.

Un autre position de piques chez Francesco Fernando Alfieri - La picca (1641)

Le jeu est plus libre pour la pertuisane et la demi-pique, ce sont le plus souvent des armes de chefs et elles sont amenées à être utilisées de plus près, parfois au coeur de la mêlée, entouré d'ennemis, ou du moins dans des formations plus ou moins disloquées. N'oublions pas qu'étant des armes de gardes  de prestige on peut aussi être amené à s'en servir dans un autre contexte que la bataille. La position des jambes et des mains peuvent changer et l'on s'autorise même à faire tournoyer le bâton à deux bouts (chose impossible avec une pique ou une pertuisane. Avec les hallebardes ces armes servaient également lors des sièges pour attquer les murailles et les brèches où leur longueur relativement réduite était plus adaptée.
 
Quelques position à la pertuisane chez Johan Georg Pascha (édition de 1673)

Ces techniques où l'on fait tournoyer la demi-pique ne sont pas très éloignées des techniques de bâton français
Johan Georg Pasha (édition de 1673)

 Concernant les hallebardes Louis de Gaya nous parle lui aussi de l'intérêt de leurs crochets :



"La Hallebarde est encore une arme bien commode, principalement lors qu'on en vient aux mains. Sa Hampe n'est pas si grosse ny si haute que celle d'une Pertuifane, & son fer n'est pas si large ny si long ; mais il est garny de petits crochets qui fervent à arracher les facines les paniers & les gabions , & à s'attacher à ce qu'on trouve , lors qu'on monte à l'assaut ou à l'escalade."
Louis de Gaya, Sieur de Tréville - Traité des armes - 1678
Signalons également le Kriegsbuch de Wilhelm Dilich très intéressant malheureusement ni transcrit ni traduit à ce jour qui nous montre l'opposition entre hallebarde et pique et l'intérêt de contrôler l'arme adverse avec le fer de la hallebarde.

Kriegsbuch de Wilhelm Dilich (1689)
 

Contextes et scénarios possibles en escrime de spectacle

Comme pour les armures ces armes sont souvent très liées à un contexte militaire. C'est particulièrement vrai en ce qui concerne la pique qui est une arme destinée d'abord à être utilisée en groupe et beaucoup moins pratique individuellement. Donc, à moins que vous ne disposiez de dizaines de combattants, vous pratiquerez probablement peu cette arme dans des scénarios d'escrime de spectacle. Cependant une gravure de Jacques Callot faisant partie de sa série sur Les grandes misères et malheurs de la guerre nous montre des soldats en train de piller, dont des piquiers en armure. Dans ce contexte pourquoi pas mais bon...


Détail d'une eau-forte de Jacques Callot de la série Les grandes misères et malheurs de la guerre (1633)
 
Les pertuisanes, les hallebardes et les demi-piques sont beaucoup plus intéressantes puisqu'elle eprmettent des scénarios d'attaque d'escorte, de gardes d'un trésor ou encore des scénarios d'escarmouches entre soldats. Ces armes ne seront donc pas toujours opposées à des armes du même type et il ne faudra pas oublier de tenir compte de leur avantage d'allonge, surtout face à des épées ! Tout ce que j'ai dit sur leurs désavantages (relatifs) devra aussi être exploité. Je récidive également sur mes scénarios urbains faisant intervenir le guet ou la milice...

Oui j'adore les peintures des milices d'Amsterdam, ici la compagnie du 8ème district
Bartholomeus van der Helst - 1640-1643 - Rijksmueum d'Amsterdam

Enfin, pouvant être de simples bâtons elle seront maniées comme tels par des voyageurs ayant été formés à l'escrime ou ayant une expérience militaire. Cela multiplie les scénarios possibles.

Les armes d'hast sont relativement rares en escrime de spectacle et, quand on en trouve, elle sont rarement utilisées en mettant en valeur leurs avantages (notamment la différence d'allonge). Pourtant trois ou quatre soldats armés de hallebardes ou de pertuisanes ont tout de suite beaucoup d'allure et le défi de franchir l'allonge de leurs armes est une base très intéressante pour construire un combat.

dimanche 19 mai 2019

Les armures à l'époque des Mousquetaires

Après avoir vu les autres épées à l'époque des Mousquetaires d'Alexandre Dumas je me suis dit que je pourrais faire également un focus sur les armures. Nous imaginons déjà cette époque sans armures, avec uniquement des vêtements chamarrés... ou du cuir viril pour les versions plus récentes (il faudra un jour que l'on m'explique cette obsession actuelle des vêtements de cuir dans les films médiévaux ou de l'époque moderne). Or, si c'est bien ce qui se porte dans le civil (et la majorité des intrigues de la trilogie des mousquetaires se déroule dans un contexte civil, siège de La Rochelle excepté), ce n'est pas le cas dans tout ce qui touche au domaine militaire. Les moins connaisseurs seront donc peut-être étonnés d'apprendre que l'on portait encore des armures de plates à l'époque d'Athos Porthos et Aramis !

N.B. : Si vous avez besoin d'un rappel sur la résistance des armures aux coups d'épées et autres je vous invite à relire cet article que j'ai publié il y a déjà plus d'une année.

Armures de Richelieu (à gauche) et de Louis XIII (à droite) lors d'une exposition au musée de l'Armée de Paris

 

Les meilleures armures de métal de l'Histoire

On associe bien souvent l'armure de plates au Moyen-âge mais c'est aux XVIème et XVIIème siècles qu'elle est la plus aboutie. Elle équipe toujours les hommes d'armes, cavaliers lourds descendants des chevaliers mais pas toujours de noble naissance. Ceux-ci ont des armures complètes (même si les grèves et solerets ne se trouvent plus que sur les armures de prestige des hauts nobles), bien articulées et dont la cuirasse protège contre les balles de mousquet, la dossière contre celles de pistolet, armes à feu qui avaient fait des ravages dans leurs rangs au siècle précédent (dont le plus célèbre héros de son temps, le chevalier Bayard). On parle ainsi de cuirasses "à l'épreuve" car on y tire réellement une balle de mousquet pour valider cette protection avant de la vendre. La conséquence de cette invulnérabilité aux armes à feu est l'augmentation du poids des armures, si les armures de la fin du Moyen-âge pouvaient peser 25 à 30 kg, celles du XVIIème siècle dépassent souvent les 40 kg. Leurs porteurs étant montés ce poids n'était pas insupportable mais nécessitait tout de même une bonne condition physique ! À l'époque le casque presque universellement usage chez les cavaliers est la bourguignotte à laquelle on peut ou non rajouter une protection faciale.

Charge de Cavalerie , huile sur toile par Jan Martszen de Jonge,(1629)

Armure d'homme d'armes vers 1630 au musée de Leeds
Celle-ci aurait été offerte au Shogun du Japon par la Compagnie des Indes Néerlandaise et récupérée au XIXème siècle

Il s'agit ici des armures de la cavalerie lourde mais même la cavalerie dite "légère" de la première moitié du XVIIème porte normalement une demi-armure, c'est à dire la même sans les jambes, et sans gantelets pour pouvoir tirer à la carabine ou au pistolet. Dans les faits, celle-ci était déjà beaucoup plus allégée, en ne laissant le plus souvent que la cuirasse à l'épreuve et un casque ouvert voire moins. Les cavaliers légers pouvaient porter également la bourguignotte, souvent ouverte, mais également d'autres casques. Ainsi anglais portaient à la place le "lobster pot" un casque plus ouvert et articulé avec deux barres pour protéger le visage des coups de taille, les chevau-léger français ont également porté le chapeau d'armes ou chapeau de fer, un casque encore plus léger.

Les mousquetaires, en tant que membres d'un corps de cavalerie dérivé des chevau-légers, étaient d'ailleurs probablement censés porter ce type d'armure à la guerre. Leurs rivaux, les Gardes du Cardinal étaient soit des gens d'armes armés du harnois complet, soit des chevau-légers portant la demi-armure.

Demi-armure (vers 1620) dans les collections du musée de Leeds
[EDIT] Je ne peux résister à l'envie de vous rajouter cette armure de mousquetaire noir de la maison du Roi avec ses dorures
Musée de l'armée - Paris
Le terme "mousquetaire noir" indique l'époque où il y a deux compagnies de mousquetaires, soit à partir de 1663. Les décorations en or pourraient indiquer que l'armure a plus une destination de parade que de guerre où la décoration risquerait de souffrir mais elle est probablement fonctionnelle (on ne fait pas d'armures non fonctionnelles à ces époques).

Notons toutefois que le prix des armures a beaucoup baissé par rapport à celles des chevaliers. Les armures des Princes et des Grands sont encore faites sur mesures, finement adaptées à l'anatomie de leur porteurs et sont souvent décorées jusqu'à devenir de véritables œuvres d'art (mais toujours fonctionnelles). En revanche, les armures de la troupe sont fabriquées en série dans les manufactures royales et le plus souvent distribuées plutôt que vendues aux soldats. Il en résulte une certaine uniformisation même si il n'y a pas d'armure règlementaire à l'époque mais simplement un règlement militaire qui impose un niveau d'équipement minimal (et parfois maximal). C'était la condition pour équiper les immenses effectifs de la Guerre de Trente ans (1618-1648) !


Bouguignotte (vers 1600) au Musée de l'Armée de Paris
Lobster tail pot de dragon (harquebusier) anglais - 1645- musée de Leeds
Chapeau de fer à nasal, compagnie des chevau-légers de la Maison du roi (acier cuivre et laiton) vers 1650
Musée de l'armée - Paris


Des cavaliers qui s'allègent

Malgré tout on observe tout au long du siècle une forte tendance à l'allègement des armures voire à leur abandon de la part des cavaliers (mais aussi des fantassins). Plusieurs ordonnances, lettres, injonctions répétées tout au long du siècle sont prises pour obliger les cavaliers à porter leurs armures. Or en Histoire on sait que si une interdiction déjà existante est répétée c'est qu'elle n'est pas ou peu appliquée. Le roi et les officiers semblent insister pour que les cavaliers portent au moins leurs cuirasses et dossières à l'épreuve qui réduisent considérablement les pertes humaines dans une bataille. Ainsi, en 1638 Louis XIII passe une ordonnance punissant de mort celui qui se présente non armé (cad sans armes offensives et défensives) à la revue des troupes :
"... le Roy ayant reconnu que le soin que la cavalerie françoise avoit, par le passé d'estre toujours armée, luy a causé les grands avantages qu'elle a remportez en beaucoup de rencontres sur celle des ennemis et que le mépris qu'elle fait à présent d'avoir et de porter ses armes aux occasions qui se présentent pourroit estre grandement préjudiciable à ses affaires s'il n'y estoit pourveu. Sa Majesté enjoint très expressément à tous capitaines, officiers et soldats de sa cavalerie d'estre à l'avenir armez en toutes leurs marches, factions, combats et autres actions et occasions de guerre. Et pour leur en donner moyen, elle fera présentement fournir à ses propres cousts et dépens des armes à tous les chevaux légers ausquels il n'en aura pas esté distribué depuis cette campagne... Veut et ordonne sa Majesté qu'aucun soldat non seulement ne puisse estre passé à la monstre sans estre armé au moins d'une cuirasse, d'un pot et de deux pistolets, mais aussi que s'il s'y présente sans armes après qu'il les aura reçues et que la présente aura esté publiée, il soit arresté sur le champ pour estre puny... de mort."
Ordonnance royale du 2 septembre 1638 (citée par Clément Bosson)
Les sources semblent indiquer que cette ordonnance fut suivie d'effet pour une ou deux décennies d'autant que les ennemis Espagnols et Allemands semblaient avoir quant à eux conservé leurs armes défensives. Malgré tout la tendance à l'allègement se poursuit tout au cours du siècle, tendant à ne plus porter que la cuirasse et la dossière (le minimum dans l'ordonnance citée) et un casque. Avec sa création d'un corps de dragons à l'armure allégée Cromwell avalisait ainsi un usage des soldats.

Ce tableau de Peter Meulener (1602-1654) nommé Combat de cavalerie et exposé au musée de Besançon nous montre un affrontement de cavaliers très allégés. On remarquera les buffletins, les simples cuirasses et les chapeaux.
D'autant qu'on voit se répandre chez les cavaliers une armure plus légère : le buffletin. Il s'agit d'un épais vêtement de cuir de bison européen ou de grands cervidés (jusqu'à plus d'1/2 cm d'épaisseur pour un poids de 2 à 3 kg), avec ou sans manches porté sur les autres vêtements et sous une éventuelle cuirasse. Les buffletins apparaissent au début du XVIIème, probablement dans les îles britanniques, mais ils ne sont largement répandus qu'à partir du milieu du siècle. Ils protègent assurément contre les coups d'épée de taille, probablement les pistolets, les flèches des Indiens d'Amérique et peut-être les estocs, voire les balles de mousquet en fin de trajectoire. J'émets personnellement un doute sur l'estoc (car une lame bien pointue pénètre vraiment très bien beaucoup de choses) et le mousquet, d'ailleurs ce sont des balles de mousquet qui ont tué le roi de Suède Gustave Adophe à la bataille de Lützen en 1632.

Voici ce que disait Louis de Gayasur le buffletin :

"Quoique les buffles ne soient proprement que des habillements de cavaliers, nous pouvons aisément les mettre au nombre des armes défensives, plus qu'ils peuvent aisément résister à l'épée, lorsqu'ils sont d'une peau bien choisie"
Louis de Gaya - Traité des armes (1678)
Buffletin porté par Gustave Adoplhe, roi de Suède. On remarque bien le trou causé par la balle.
Photo du musée de livrustkammaren

Cette armure plus légère devint la protection la plus portée par les cavaliers et même les seigneurs anglais du milieu du XVIIème siècle qui nous ont souvent laissé des versions décorées. À vrai dire, au milieu du XVIIème siècle, buffletin signifiait cavalerie légère. Il s'agissait malgré tout d'une armure coûteuse qui était plutôt payée à ses hommes par leur commandant qu'achetée par eux-même. Elle se porte soit seule soit avec une cuirasse ou un simple gorgerin d'acier.

Buffletin, chapeau d'armes et colletin (vers 1630) dans les collections du Musée de l'Armée

Équipement défensif complet de dragon anglais (harquebusier) anglais (1631-1670): bufffletin, cuirasse & dossiere, lobster pot et gantelet.
Sa singularité ici est le long gantelet protégeant le bras gauche avec lequel on peut parer des coups.
Malgré tout les chefs de guerre, notamment les français, continuaient de porter de lourdes armures en campagne pour se prévenir des tirs ou des éclats. Ainsi le tableau représentant Richelieu en armure au siège de la Rochelle n'est pas une fiction (n'oublions pas qu'Armand Jean du Plessis de Richelieu avait eu une éducation militaire, étant à l'origine destiné aux armes et non à la robe). De même, plus tardivement, l'armure de Vauban porte de nombreuses traces d'agressions, fruit de son commandement au plus près lors des sièges (lui-même avait été blessé à six reprises).

Ce célèbre tableau de Paul-Henri Motte n'est pas de l'époque mais de la fin du XIXème siècle (1881). Il montre un Richelieu en armure ce qui est historiquement correct (même si il devait aussi très probablement porter une bourguignotte au lieu de d'un calotte rouge cardinal)
 

Des fantassins parfois bien protégés

Même l'infanterie n'était pas sans armure à l'époque. Comme je l'ai succinctement expliqué dans mon article sur les épées, les fantassins de l'époque se répartissaient entre les corps de piquiers et les arquebusiers et mousquetaires. Les arquebusiers et mousquetaires ne portaient en général pas d'armure quoiqu'ils pussent porter un casque (a priori un morion ou un cabasset) dont l'usage s'est raréfié de plus en plus au cours de la période pour être remplacé par un simple chapeau.  Pour ce qui est des piquiers, si les rangs du milieu ou de l'arrière ne portaient pas plus qu'un simple casque (là encore un morion, un cabasset ou une bourguignotte), ceux de l'avant portaient une armure de fantassin. Cette armure consistait en au moins un casque ouvert, une cuirasse avec dossière et presque toujours des lames de métal protégeant les cuisses et fixées à la cuirasse. Parfois des spalières et des protections de bras ou d'avant-bras complétaient cette armement.


armure de piquier (1630-1670) dans les collections du musée de Leeds

Ces armures étaient également des armures de munitions de produite en séries et distribuées aux soldats. Contrairement à celles des cavaliers elles n'étaient pas à l'épreuve des armes à feu. Le fantassin était en général de plus basse extraction que le cavalier et le poids de la cuirasse à l'épreuve aurait probablement été un problème pour des troupes à pied. Néanmoins on peut estimer que les piquiers en armure allaient probablement à la guerre avec au moins une dizaine de kilogrammes d'acier sur le dos. N'oublions pas non plus que dans les premiers rangs des piquiers on pouvait également trouver des hallebardiers, des joueurs d'espadon ou des fantassins équipés de boucliers.

Enfin, le buffletin semble s'être lui aussi répandu chez les fantassins, surtout les anglais, sans toutefois devenir prépondérant comme dans la cavalerie légère.

Morion hollandais - 17ème siècle- collections du Rijksmuseum d'Amsterdam

Cabasset italien - fin du XVIIème siècle


Comme déjà expliqué le nombre de piquiers a diminué peu à peu au profit des mousquetaires et a définitivement disparu lors de l'adoption de la baïonnette à la fin du XVIIème siècle. À cette époque les fantassins avaient également abandonné leurs armures.


Cette gravure de Salomon Savery est faite d'après une œuvre de Pieter Jansz Quast datée entre 1625 et 1635, on y voit bien le piquier en faction et son armure le protégeant des coups d'estoc au tronc et des coups de taille à la tête.

 

Que faire de cela en escrime de spectacle ?

Voir des combattants en armure est toujours impressionnant pour un public. L'armure rajoute un vrai côté martial, elle fait du bruit et plait toujours. Le public aime toujours les armures même si il a de forte chances de vous appeler "chevalier" dans votre armure de piéton... Malheureusement ce n'est pas si évident d'être crédible dans un combat impliquant des armures tout en étant sécurisé.

Tout d'abord les armures ne sont pratiquement portées que dans un contexte de guerre ce qui limite les scénarios. Il est peu probable qui vous ayez assez de monde pour représenter l'affrontement d'un carré de piquiers avec des cavaliers, sauf si vous tournez un film et que vous avez du budget. Vous pouvez toujours mettre en scène de escarmouches, des embuscades, de la poursuite, du pillage, les scènes de ce genre n'ont, hélas, pas manqué durant la Guerre de Trente ans qui fut aussi l'équivalent de nos guerres de religion pour le Saint Empire germanique. Un autre possibilité, concernant les armures de fantassins, est de les faire porter par des miliciens du guet patrouillant dans les rues, demi-pique ou hallebarde à la main (pour séparer des Mousquetaires et des Gardes du Cardinal ?).

Compagnie de milice du XIème district d'Amsterdam connue comme "La maigre compagnie
Huile sur toile par Frans Hals et Pieter Code (1637) exposée au Rijksmuseum d'Amsterdam

Vous vous trouverez cependant en face d'un second obstacle : où porter les coups ? Si dans certaines fêtes actuelles on s'affronte en se donnant des coups d'épée sur les armures, on le fait justement parce que cela ne fait pas mal ! Même face à un combattant en armure de fantassin on est obligé de modifier beaucoup son escrime pour être efficace. Cela conduit donc avec une arme de pointe à porter des estocs à la partie la plus fragile et la moins protégée : le visage ! La chose est très fortement déconseillée en escrime artistique, interdite par le règlement de la FFE et pratiquée uniquement pas des escrimeurs très expérimenté qui se connaissent bien... ou par des inconscients. Pour les coups de taille il faudra aussi viser le cou, rarement protégé par les armures de fantassin du moins (sauf les bourguignottes portées par tous les cavaliers) ou les membres. On peut aussi donner des coups de dague aux parties non protégées, aux jointures des armures etc. Face à un buffletin on évitera les coups de taille inefficaces et on ne fera que de l'estoc, même si l'on n'a qu'une courte épée de fantassin. Dans tous les cas affronter un adversaire en armure est un défi de construction pour un combat de spectacle.

 Je vous laisse cependant avec cette scène finale tirée du film Capitaine Alatriste (2006) reconstituant de façon réaliste le combat des tercios espagnols à la bataille de Rocroi (1648).



Bibliographie succincte :

- Clément Bosson  "La fin de l'armure"  in Genava (1962)
- Breiding, Dirk H. “Fashion in European Armor, 1600–1700.” In Heilbrunn Timeline of Art History. New York: The Metropolitan Museum of Art, 2000
- Article "Dutch cuirassier armour" sur le site de Royal Armouries (musée de Leeds)
- Keith Dowen : "The seventeth century buff-coat" Journal of the Arms and Armours Society, vol XXI, mars 2015
- Article anonyme sur l'histoire des armures du site de Médiévart.

vendredi 10 mai 2019

Les autres épées à l'époque des Mousquetaires

Depuis Alexandre Dumas le mousquetaire est assimilé systématiquement à un noble, membre d'un régiment d'élite combattant à la rapière. Je ne m'étendrais pas dans cet article sur le fait que l'on parle ici d'un corps très particulier, celui des Mousquetaires de la maison militaire du roi de France, un constitué de jeunes nobles qui étaient souvent appelés par la suite à devenir officiers dans d'autres régiments (Cet article assez bien fait résume assez bien l'histoire de ce corps).

L'intrigue des Trois Mousquetaires  est située par Dumas en 1625, même si les personnages historiques qui ont inspiré les siens ont plutôt vécu vingt après. La suite du roman, Vingt ans après, se situe donc en 1645 et le dernier épisode, Le Vicomte de Bragelonne entre 1660 et 1666. Nous sommes à l'époque où, partout en Europe, la rapière s'est imposée comme l'arme du duel et on la trouve également comme arme secondaire sur les champs de bataille. C'est également l'époque qui nous a livré le plus de traités sur cette arme (EDIT : Marc-Olivier Blattlin a écrit ici même un article sur cette arme que je vous invite à lire également).

Cependant, elle n'était pas, et de loin la seule épée en activité durant cette première moitié du XVIIème siècle et c'est de ces épées un peu oubliées dont je vais vous parler dans cet article. D'abord pour mieux resituer la réalité historique, ensuite parce que ce sont aussi des armes intéressantes et qu'elles peuvent apporter de la variété dans un spectacle de combat du XVIIème siècle. Et parce que j'avais envie de vous montrer plein d'armes et de combattants de l'époque, cet article est très abondamment illustré.

Précision : je ne parlerai pas ici de l'épée de côté que les contemporains nomment à l'époque "épée" ou "rapière" car, du moins au début de la période, nous sommes à une époque où cette arme évolue et la différence entre ce que nous appelons "rapière" et "épée de côté" n'est pas nette, de nombreuses armes présentant des caractéristiques intermédiaires. Je ne veux ici présenter que des épées clairement différentes de la rapière.

Deux pages du Traité des armes par Louis de Gaya, sieur de Tréville (1678) présentant diverses épées.
Notons que la Sica (A) n'est pas une arme de l'époque et que l'épée de rencontre (B) est une épée de cour, arme très réecnte en 1678 et qui n'existait pas encore à l'époque des Mousquetaires d'Alexandre Dumas

 

Les braquemarts, coutelas, dussacks et autres épées de fantassins

L'infanterie, reine des batailles déjà à cette époque se divisait principalement entre les carrés de piquiers, armés de piques (et souvent d'autres armes comme les hallebardes) et les bandes d'arquebusiers et de mousquetaires armés de l'arquebuse ou du lourd mousquet. Ces mousquetaires roturiers et fantassins ne doivent pas être confondus avec notre corps de mousquetaires du Roi, un corps de cavaliers légers mais armés eux aussi du mousquet. Outre leurs armes principales, ces fantassins ont une arme secondaire, au cas où ils se retrouveraient au contact de l'ennemi pour les arquebusiers et mousquetaires ou au cas où la distance serait trop courte pour combattre à la pique.

Si ces armes pouvaient être des rapières pour certains arquebusiers et mousquetaires, cette arme n'aurait aucune efficacité dans une formation dense de piquiers. Ceux-ci portaient donc une courte épée comme arme secondaire qui pouvait être de formes très diverses. Les lames pouvaient être droites ou plus ou moins courbes comme pour les dussacks ou tessaks. Les gardes plus ou moins enveloppante et portectrices. Les termes eux-même sont rarement précis, en français on parle de braquemart, braquet voire coutelas pour désigner ces armes courtes. En anglais on utilise les termes de cutlass, hanger ou backsword (qui désigne toute épée à un seul tranchant).


Coutelas (hanger) dans la collection du musée de Leeds (1600-1625)

Coutelas (hanger) dans la collection du musée de Leeds.
Sur le côté de la poignée sont inscrits une date et le nom de son propriétaire : '1647 GERRARD SKRYMSHER'
Toutes ces armes ont en commun d'être relativement courtes (60 à 80 cm a priori) et de pouvoir se manier d'estoc et surtout de taille. La taille étant en effet plus facile pour un novice mal formé. N'oublions pas que nous sommes à la période de la Guerre de Trente ans qui a vu s'affronter des armées de centaines de milliers d'hommes, mettant l'Europe à feu et à sang et qu'il fallait armer et entraîner en masse des recrues jamais entraînées à l'escrime. Notons qu'il s'agit de la même arme qui a été utilisé sur les navires à la même époque ou un peu après. Je vous renvoie donc à ce que j'ai dit du sabre d'abordage et du dussack au sein de mes précédents articles (cliquez sur les liens).

Ajoutons qu'il existait encore dans la première moitié du XVIIème siècle des corps de fantassins équipés d'épées et de boucliers en acier, même si cette technique tombait de plus en lus en désuétude au XVIIème siècle avec l'augmentation du nombre de tireurs sur les combattants au contact (au XVIème siècle on était à environ un tiers d'arquebusiers pour deux tiers de piquiers, proportion qui est inversée au miniumum au milieu du XVIIème siècle).

Fantassin dans Le maniement d'armes de Nassau avec rondelles, piques, espée et targes; representez par Figures par Adam van Breen (1618) :
"8. Comme il se couvrira bien soy-mesme: par ainsi il luy faudra tenir la Targe devant soy, contre le genoüil gauche, & au dessus contre la mesme espaule, pour la tenir bien ferme de ce costé là, à l’encontre l’Estocq, ou la taille: Et au costé ou flane droict il se soustiendra aussi avec la garde de l’Espée, jusqu’à tant qu’il s en puisse servir."
Cette arme n'était pas qu'une arme militaire, elle était également fréquemment portée dans la rue et l'escrime au dussack que nous ont laissé de nombreux traités allemands est d'abord une escrime de défense personnelle [EDIT : c'était le cas pour le messer 150 à 200 ans avant dont dérivent la plupart des techniques de dussack, cependant l'escrime au dussack des traités du XVIIème siècle est d'abord une escrime destinée à des affrontements "pour le sport"]. Nous sommes à une époque où presque tout le monde (du moins les hommes) se promène armé dans les rues ou sur les routes. Un exemple extrême est celui de la Norvège où le roi Christian IV promulgua en 1604 de nouvelles lois appelées “Den norske Landslov” dont l'une d'elle imposait à chaque fermier un armement en fonction de la taille de sa ferme. Chaque année les fermiers devaient les apporter à une assemblée nommée Våpenting, cette assemblée ne fut abolie qu'à la fin du XVIIIème siècle. Les Norvégiens importèrent massivement de Suisse des tessaks qui devinrent rapidement les armes les plus répandues dans le pays (voir les articles sur les sites Norwegian military small arms et Atlanta Freichechter).

Tessak issu des collections du musée norvégien de Maihaugen (Lillehammer)
Comme je l'ai déjà évoqué pour le sabre d'abordage le maniement de ces armes peuvent se faire selon les principes allemands du dussack dont nous trouvons encore quelques traités au XVIIème siècle ou selon ceux de la backsword britannique. L'école allemande (Jacob Sutor Von Baden, Theodor Verolinus) est très inspirée des traités de Joachim Meyer du siècle précédent et présente une escrime avec peu de prises de travail au fer et une position des jambes très "médiévale", la jambe en avant étant celle inversée avec le côté d'où l'on va frapper [EDIT : ce n'est plus vraiment le cas pour le dussack de Joachim Meyer et ses successeurs] l'on frappe soit soit en avançant la jambe gauche (en demi-passe avant dirait-on en langage moderne) soit en rassemblant ses jambes et en réavançant sa jambe d'arme.

L'école britannique (George Silver, Joseph Swetnam, Pallas Armata) présente, quant à elle, une escrime avec des engagements de fer, la jambe armée toujours en avant, des attaques par demi-fentes et des parades en opposition.

Pour ce qui est de l'épée et du bouclier il faut aller piocher dans les traités espagnols et italiens qui y consacrent souvent un petit chapitre ou dans les manuels d'instruction hollandais. Néanmoins les sources sont assez pauvres sur le sujet car les traités d'escrime étaient d'abord à destination de la noblesse qui s'était massivement convertie à l'escrime à la rapière.

Extrait du New Kůnstliches Fechtbuch de Jakob Sutor Von Baden (1612)
Concernant leur rôle en escrime de spectacle, on imagine facilement ces épées comme celles des ruffians, des brigands, soldats déserteurs et tout un tas de personnages peu recommandables issus du peuple. Cela peut être aussi l'arme d'un fidèle suivant d'un ou d'une noble. C'est évidemment une arme de soldat et elle a sa place dans les mains de ceux-ci, y compris ceux du guet bourgeois, de la milice locale. Dans un contexte plus populaire également des scénarios peuvent se jouer entre petits bourgeois ou paysans s'affrontant avec ces armes courtes et faciles à manier.

Bien que située un peu après notre période cette gravure de Jan Luyken (1685) illustre bien l'utilisation de cette arme par des ruffians.
(collections du Rijksmuseum)


Les fortes épées, schiavone, broadswords et autres épées de cavaliers

Les cavaliers ont toujours eu des armes plus longues que les fantassins pour pouvoir frapper depuis leur cheval. Ainsi l'épée chevaleresque est issue de la spatha, arme des cavaliers romains (elle-même dérivée des épées gauloises). Ses descendantes du XVIIème siècle en ont gardé la longue lame (environ 80 cm) relativement large, capable de faucher un fantassin depuis un cheval, elles y ont ajoutée des gardes plus ou moins couvrantes pour protéger la main qui ne porte plus de gantelets pour pouvoir tirer au pistolet. Pendant la Guerre de Trente ans (1618-1648) les cavaliers en viennent à plutôt utiliser la tactique de la caracole qui consiste à passer en ligne devant l'ennemi pour décharger ses pistolets. Durant les guerres de la Révolution anglaise (1642-1651) Cromwell remet à l'honneur les charges de cavalerie et crée également un corps de dragons ("harquebusiers" en anglais) plus légèrement armurés et combattant aussi bien à cheval qu'à pied.

Trois cavaliers, gravure de l'atelier de Jacob de Gheyn II (1640 probablement d'après une gravure de 1599) dans les collections du Rijksmuseum


Reconstitution d'un harquebusier (dragon) de l'armée de Cromwell (armes et armures issues des collections du musée de Leeds)
La plus ancienne, et l'une des seules à ne pas être spécifiquement une épée de cavalier est la schiavona, arme italienne qui équipait notamment la garde des doges de Venise et en usage du XVIème au XVIIIème siècle. C'est une épée à panier très couvrante et très protectrice. Les Britanniques étaient également très amateurs d'épées à panier. L'épée de l'époque est nommée mortuary sword, même si les traités parlent de broadsword. Aux Pays-Bas apparaît dans les années 1640 un autre type de ces épées qui fut ensuite nommée épée wallone, c'est une épée plus simple quoiqu'elle protège bien la main et qui fut rapidement utilisée dans tout le monde germanique et adoptée probablement bien plus tard par la cavalerie française, dans le dernier quart du 17ème siècle. On a moins de spécificités (ou de connaissances) sur les épées françaises de l'époque et même le terme de "forte épée" est peut-être un peu postérieur à notre période historique.

Schiavona du XVIIème siècle sur le site European swords


Mortuary sword (1630-1670) dans les collections du musée de Leeds


Épée dite "wallonne"1650-1660 dans les collections du Rijksmuseum

Concernant la façon de manier ces armes, les traités d'escrime sont peu bavards. Seuls les britanniques consacrent des chapitres particuliers à ces armes qu'ils différencient de la rapière mais pas des des épées plus courtes. Les autres nations n'en parlent pas et l'on ne sait si les escrimeurs germaniques utilisaient des techniques issues du maniement du dussack avec ces épées, par défaut d'autre source des escrimeurs de spectacles pourront d'en inspirer. Quant à la schiavona on devra probablement s'inspirer des techniques d'épée de côté du XVIème siècle qui utilisent aussi bien la taille que l'estoc.

Le Pallas Armata, traité anonyme publié en 1639 , est l'un des rares à donner des techniques spécifiques à la broadsword
Pour ce qui est de l'utilisation de ces armes en escrime de spectacle elle est un peu plus limitée. En dehors des britanniques qui semblent faire une certaine résistance vis à vis de la rapière (George Silver avait probablement fait des émules), la plupart des nobles et des bourgeois ne s'en servaient qu'à la guerre. On peut cependant toujours en trouver chez les anciens cavaliers (déserteurs ou vétérans). Enfin, dans la série The Musketeers (2014-2016), le choix a été fait d'équiper le personnage de Porthos d'une épée à panier à la lame plus large que les rapières de ses compagnons afin de souligner le côté brutal du personnage. C'est un effet qui peut en effet être intéressant pour souligner un personnage.

Howard Charles dans le rôle de Porthos dans The Musketeers avec son épée à panier

 

Les espadons, Zweihänders, spadoni, montantes et autres très grandes épées

[Edit : après discussion avec un Marc Olivier Blattin qui connait bien de la question cette section est très imprécise et fait appel à des conceptions parfois dépassées. Je vous invite à lire son article au sein de ce blog qui fait le point sur le sujet]

Un processus d'allongement continu des épées était en place depuis au moins le XIVème voire le XIIIème siècle, il aboutit dans la première moitié du XVIème siècle à d'immenses épées mesurant 1,50 à 2m et pesant de 2 à 5kg. Celles-ci sont encore en usage jusqu'à la fin de la Guerre de Trente ans et disparaissent progressivement au cours de la seconde moitié du XVIIème siècle, au point que le terme "espadon" en français en était venu, dés le deuxième tiers du XVIIIème siècle, à désigner les fortes épées dont nous venons de parler plus haut.

Zweihäder au musée de Dresde -fin XVIème, début XVIIème S.

Ces très grandes épées, que l'on nomme en français espadons, Zweihänders en allemand (et en anglais), spadoni en italien et montantes en espagnol et portugais, n'étaient pas des épées destinées aux nobles en armure complète comme c'était le cas des épées longues. C'était d'abord des épées de guerre maniées d'abord par les lansquenets allemands, et par les meilleurs d'entre eux, ceux que l'on appelait "doubles soldes". Il s'agit donc d'abord d'une épée de bataille, on lui évoque souvent un rôle dans le fait de dégager les piques adverses mais c'est douteux, néanmoins elle sert à faire de la place autour de soi par un mouvement continu de moulinets. Louis de Gaya, sieur de Tréville dans son Traité des armes de 1678 évoque son rôle dans la défense des brèches et des murailles :
" L'Espadon est une manière d'épée, dont la lame taillante des deux cotez, est extrêmement longue & large, & dont le manche, que je n'oiserois jamais appeller poignée, à cause qu'il a bien un pied & demy de haut est fait en croix. On ne peut s'en servir qu'avec les deux mains, à une brèche, ou derrière une palissade, Je n'ay jamais tant vu d'Espadons que chez les Hollandois. Les rempars de toutes leurs Villes en estoient garnis de six pas en six pas , avec une pareille quantité de massuës : & à voir ce grand preparatif, on auroit crû qu'ils auroient eu de furieux desseins, & la meilleure envie du monde de se bien défendre. Mais il y a toutes les apparences qu'ils n'avoient mis là ces armes, que pour l'embellissement de leurs parapets."
Louis de Gaya, Traité des armes - 1678

Mais l'espadon, notamment au XVIIème siècle a également un usage civil : c'est une arme de garde du corps qui, outre son aspect impressionnant, est capable de tenir en respect plusieurs adversaires (le temps que le Guet arrive ?). Les quelques traités du XVIIème siècle qui nous donnent des techniques pour cette arme l'évoquent ainsi et expliquent même comment faire des moulinets dans une rue étroite. À noter que cette épée ne se porte pas à la ceinture avec un fourreau mais nue et droite à la main.

Voici comment bien porter une spadone - Francesco Fernando Alfieri L’arte di ben maneggiare la spada (1653)

Pour ce qui est de son maniement justement, les traités qui en parlent spécifiquement sont ceux du portugais Diogo Gomes de Figueyredo (traité de 1651) et de l'italien Francesco Fernando Alfieri (traité de 1653). Ils évoquent des moulinets continus dans un ballet de fer irrégulier très difficile à passer mais qui demande une excellente condition physique pour le maintenir. La forme de nombreuses Zweihänders montre aussi clairement qu'elles étaient faites pour être maniées également en demi-épée, au combat rapproché. Étonnamment nous ne possédons pas de traité allemand spécifique à cette arme alors qu'elle est très probablement née en terre germanique. Cependant j'émettrais ici une hypothèse qui est que le style d'épée longue de la fin du XVIème et du début du XVIIème siècle, mis en place notamment avec Joachim Meyer (n'oublions pas que ses ouvrages ont été imprimés, diffusés et ont eu suffisamment de succès pour lui obtenir une place de Maître d'armes auprès d'un Prince) est un système qui s'adapte assez bien à l'espadon. Il n'y a pas d'estoc et beaucoup de grands mouvements d'épées continus, avec des enchaînements de coups (même si ils peuvent être vus aussi comme des feintes). On suppose souvent que l'entraînement à l'épée longue qui a perduré encore au XVIIème siècle dans les salles d'armes du monde germanique n'était plus qu'un résidu "sportif", mais peut-être préparait-il tout de même ses escrimeurs à manier les grandes épées de leur siècle. N'hésitez pas à en discuter en commentaire.

Sparring à l'épée longue de Joachim Meyer par le groupe d'AMHE Escrime médiévale 17, les amples mouvement pourraient-ils s'adapter à des armes encore plus longues et un peu plus lourdes ?



Enfin, pour ce qui est de l'utilisation de ces armes dans des scénarios d'escrime de spectacle, à moins de vouloir présenter un contexte militaire, c'est la piste du garde du corps qui a le plus important potentiel. Il faudra néanmoins faire cela avec des escrimeurs expérimentés car l'arme, une fois lancée, est très difficile à arrêter. Une dernière possibilité est le solo où, de par ses chorégraphies de moulinets et de mouvements, l'arme s'adapte particulièrement à cet exercice esthétique !


  Démonstrations de techniques et de diverses situations lors d'un festival

 

En guise de conclusion

Mon idée ici était d'abord de vous montrer que le XVIIème siècle ne se résume pas qu'à la rapière et que d'autres armes pouvaient présenter un potentiel intéressant en escrime artistique. Vous le savez, j'aime la variété des armes, des techniques, des époques, des situations. Des armes différentes permettent de présenter d'autres techniques, mais aussi des scénarios impliquant d'autres couches de la population sans compter des défis intéressants. N'oubliez évidemment pas de réfléchir lorsque vous opposez des armes différentes (voir mon article sur le sujet).

En complément je vous invite également à consulter l'article sur les armures à la même époque.