lundi 17 décembre 2018

Monter un combat de Noël ?

C'est Noël et on vous a peut-être demandé de présenter un spectacle. L'ambiance du moment m'a donné envie de m'interroger sur ce qu'on pourrait faire spécifiquement pour Noël avec l'escrime de scène. Quels scénarios, quels personnages ? Alors évidemment c'est trop tard pour cette année (si vous êtes capable de monter un combat en aussi peu de temps soit vous êtes inconscients soit vous êtes vraiment très très forts), mais ça vous donnera peut-être des idées pour l'an prochain.

Le Père Noël affrontant Scrooge (le méchant du Chant de Noël de Dickens)

Les caractéristiques d'un combat de Noël

Noël est une fête familiale, il y aura donc très probablement des enfants à ce spectacle ce qui suppose un spectacle adapté à tout public. C'est également une fête joyeuse, où doit régner le fameux "esprit de Noël", un esprit de partage et de bonté. Pour un type de spectacle qui met en scènes des gens qui s'affrontent avec des armes le plus souvent mortelles c'est déjà un certain défi ! On évitera donc les combats trop sanglants, idéalement personne ne meurt voire personne n'est vraiment gravement blessé.
De même, cela doit finir bien, pas de mort double, de victoire des méchants, de regrets infinis... Les gentils doivent gagner, à moins que les méchants ne fassent amende honorable et cessent d'être méchants. Les scénarios comiques sont les bienvenus et les drames sont à manier avec précaution. D'une manière générale cela doit être distrayant et moral.
Enfin, une dernière caractéristique : le combat doit être relativement simple et assez court pour des raisons très pragmatiques. En effet, la rentrée des clubs est en septembre et Noël  trois mois et demi plus tard. Avec la rentrée, les nouveaux, les vacances vous aurez probablement difficilement plus de deux mois pour bosser ce spectacle. À moins d'être d'un très bon niveau ou de pouvoir s'entraîner de nombreuses heures par semaine c'est très peu, et il est donc fortement conseillé de ne pas viser trop haut sous peine de présenter quelquechose de pas fini. Il vaut mieux un bon combat court et intense qu'une ébauche brouillonne !

Quelques thématiques possibles


La thématique du père Noël (et de ses lutins) 

Les personnages sont le Père Noël et sa femme (ou sa fille) mais aussi ses lutins, ses rennes et le méchant père fouettard (et son fils si l'on suit Jacques Dutronc). Les lutins fabriquent des cadeaux que le Père Noël va déposer devant la cheminée ou sous le sapin la nuit de Noël quand les enfants dorment. Le père fouettard est là pour punir les enfants qui n'ont pas été sages, on peut éventuellement imaginer qu'il s'oppose au père Noël. D'autres méchants sans cœur pourraient en vouloir au père Noël, par exemple si ils n'ont pas eu de cadeaux étant petits, il finiront pas entendre raison et fêter Noël avec une famille qui partagera ses cadeaux avec eux (oui c'est gnangnan mais c'est Noël hein !). Les lutins ne peuvent être un peu turbulents et se chamailler entre eux jusqu'à vouloir se taper dessus.
Enfin, vous pouvez toujours faire un hommage à l'Étrange Noël de M. Jack où les créatures d'Halloween débarquent dans le monde de Noël.

Le Père Noël capturé par le hobgobelin de la Hobgoblin beer (brasserie Wytchwood)

 

La thématique chrétienne

On l'oublie parfois mais Noël est à l'origine une fête chrétienne célébrant la Nativité de Jésus, fils de Dieu. Il naît dans près de Bethléem, ville d'origine de Joseph et où il était allé recenser sa famille. une étable selon les Évangiles canoniques (les textes officiellement approuvés par l'Église), ou dans une grotte dans les Évangiles apocryphes (les récits de la vie de Jésus rejetés par l'Église mais importants dans les premiers siècles du christianisme). L'âne et le bœuf sont également des détails des Évangiles apocryphes récupérés ensuite par l'Église. Viennent ensuite les scènes de l'Adoration des Bergers (Luc 2 : 8-20) et de l'Adoration des Mages (Mathieu 2 : 1-12). Les Mages sont des sages ou des prêtres venus d'Orient, peut-être de Médie, de Perse ou de Babylone.
Que faire de tout cela ? Le Nouveau Testament, contrairement à l'Ancien Testament, n'est pas très riche en récits de combats, mais l'on peut toujours imaginer des méchants soldats Romains voulant empêcher la progression des Mages ou des Bergers, à moins d'aller vers plus de fantastique et d'allégorie avec des démons guidés par Satan voulant leur dérober leurs trésors.

L'adoration des bergers par Carlo Crivelli (vers 1480)

La thématique des contes de Noël du XIXème siècle

Le conte Un chant de Noël de Charles Dickens a donné lieu à de nombreuses adaptations télévisuelles mais également des créations originales où un avare ou un méchant atteint une forme de rédemption à Noël en réalisant que l'argent n'est pas tout dans la vie. On place souvent ces récits au XIXème siècle, probablement le pire siècle pour la condition ouvrière. Si on ajoute ou ou plusieurs hommes de main peu scrupuleux on peut ainsi facilement mettre un peu de combat dans ce genre de récit et en faire un spectacle d'escrime. Pour les techniques et les armes on piochera allègrement dans la self-défense des époques Victoriennes et Edwardienne ou de la Belle époque française (par exemple le traité d'Émile André ou celui de celui de R. G. Allanson-Winn et C. Phillipps-Wolley). On utilisera ainsi cannes, cannes-épées, bâtons, gourdins, matraques, couteaux, parapluies, boxe, voire boxe française, lutte ou ju-jitsu pour notre combat. Mais à la fin les gentils seront récompensés, les pauvres auront à manger et de quoi se chauffer et, éventuellement, le ou les méchants trouveront de la chaleur dans leur cœur.

Illustration du conte de Dickens par Arthur Rackam (1915)

Deux scénarios "clef en main"

Voici deux scénarios tout droit sortis de mon imagination tordue. Vous pouvez les utiliser tels quels ou les déformer/adapter à l'envie, ils vous sont livrés généreusement ! Simplement, si jamais vous le faites vous pouvez toujours me le dire, ça me fera plaisir, et si vous filmez je serai curieux de regarder.

Chamaillerie de lutins

Deux lutins ou lutines (des escrimeurs plutôt de petite taille ou même des enfants si vous avez une section enfant) sont en train d'emballer des cadeaux de Noël sous la supervision du Père Noël (le plus grand et le plus imposant de vos membres). Celui ci s'absente pour aller vérifier l'attelage de ses rennes (parce qu'il a entendu Rodolphe, son plus vieux renne, oui celui avec le nez rouge, l'appeler ?), à moins que la mère Noël n'ait besoin de lui... enfin il s'absente un moment quoi !
Les cadeaux à emballer sont des rapières, l'un des lutin lit les noms des destinataires : d'Artagnan, Cyrano de Bergerac, Julie d'Aubigny, Athos, Porthos, Aramis.... Les lutins commencent à regarder les rapières, à jouer avec et à faire semblant de se combattre (ils attaquent l'épée). L'un d’eux fait une vraie attaque et blesse légèrement l'autre qui s'énerve et l'attaque à son tour. Le combat débute alors, il doit être un peu burlesque avec (selon votre envie et vos capacités) des chutes/roulades, un coup sur les fesses, une gifle qui fait sauter le bonnet, du tirage de cheveux/barbichette... Comme les lutins ne savent pas vraiment se battre on peut même accepter les coups de tailles avec des rapières à lame triangulaire (je suis sympa, c'est Noël). Bien sûr personne n'est gravement blessé et encore moins tué, mais n'hésitez pas à ce que les deux soient également ridicules.
Le Père Noël finit par revenir et calme tout le monde en les tirant par les oreilles leur ordonnant de se remettre au travail.

Le Père Noël et ses lutins par Steve Juvertson

 Variantes : À la fin le Père Noël peut combattre un peu pour les séparer (je le vois bien armé d'un bâton). Les épées peuvent être des épées longues destinées à Aragorn, Eowyn, Boromir ou Roland, Jeanne d'Arc, des chevaliers de la Table Ronde... ou d'autres armes destinées à des combattants légendaires, on peut même opposer des armes différentes. On peut aussi transformer ce combat en combat de groupe avec plus de deux lutins. Dans tous les cas cela finit toujours de la même façon !

Le partage de Noël

Un jeune couple d'ouvrier sans le sou, Maurice et Lucette, se demandent comment ils pourront payer leur loyer et acheter des cadeaux de Noël à leurs enfants. Ils sont tristes, se lamentent, pleurent. On frappe à la porte et arrive M. Monneville, leur propriétaire (bourgeois avec un chapeau haut-de-forme) et son homme de main, le méchant Edgard (vêtu comme un ouvrier voire un Apache de Paris). Ils réclament les mois de loyer de retard avec les intérêts et le couple demande un délai. Edgar s'énerve et commence à casser des choses dans la modeste maison, balancer de la vaisselle par terre etc.
Maurice intervient et s'ensuit une bagarre avec Edgard qui prend un méchant coup de poing. Edgard sort alors un couteau ou attrape sa canne et attaque Maurice. Ce dernier se défend avec un gourdin, un tisonnier ou une canne. Edgard commence à prendre le dessus, Lucette intervient avec un balais (ou simplement le manche) qu'elle manie comme un bâton. Sur ce M. Mondeville l'en empêche avec sa canne-épée. Edgard finit par mettre Maurice à terre tandis que M. Monneville maîtrise Lucette.
Il ordonne alors à Edgard de lui faire mal "pour lui donner une bonne leçon", Lucette se jette entre les deux, suppliant d'épargner son mari, qu'on ne tue personne le jour de Noël. Edgard se fige et dit qu'il n'a jamais fêté Noël, qu'il a grandit à l'orphelinat et n'a jamais eu de famille pour partager ce moment. Lucette le plaint et lui dit que si il veut bien être miséricordieux il pourra avoir le Noël en famille dont il rêve.
M. Monneville s'énerve et dit que Noël est une fête inutile. Edgard le désarme et le maîtrise. Le bourgeois éclate alors à son tour en larmes en disant qu'il n'a jamais eu de cadeaux pour Noël, qu'il a été élevé par un vieil oncle acariâtre qui ne lui offrait jamais de cadeaux. Maurice et Lucette lui proposent alors de partager le peu qu'ils ont. M. Monneville décide de leur offrir le loyer et d'aller acheter des cadeaux aux enfants. Le couple l'invite également à la fête et tout le monde est heureux !

Famille ouvrière à Berlin vers 1900

Variantes : M. Monneville est une veuve, Mme Monneville et elle se bat au parapluie. Les enfants sont présents et prennent part au combat, Edgard peut alors avoir un acolyte pour faire le nombre en face. On peut transposer ça aux XVIIème ou au XVIIIème siècles voire au Moyen-Âge mais il faudra alors plus de références au christianisme (extrêmement présent dans la société à ces époques).

Edit : pour les combats au XIXe siècle n'hésitez pas à relire aussi cet article.


Voilà, j'espère vous avoir au moins amusé et que cela pourra peut-être vous inspirer par la suite.

samedi 8 décembre 2018

Faut-il abandonner les rapières à lame triangulaire ?

Allez, mettons les pieds dans le plat et penchons-nous sur nos pratiques. J'ai commencé comme vous avec ce type d'arme mais je me suis, depuis, posé beaucoup de questions. Et sous ce titre un peu polémique je veux ici faire un point sur cette arme propre à l'escrime artistique et surtout sur son maniement le plus fréquent à base de coups de taille (dont les origines ont en grande partie été étudiées dans cet article de Michaël Müller-Hewer et dont je parle également ici).

Des armes pratiques...

D'où viennent ces armes ? D'où vient la pratique de monter une lame triangulaire similaire à l'épée sportive (quand cela n'en est pas une) sur une garde de rapière (ou parfois d'épée de cour mais là c'est déjà plus logique) ? Probablement des débuts de l'escrime artistique au XXème siècle et de l'influence de l'épée et du sabre sportifs sur celle-ci. Ce type d'arme a été conservé et est parvenu dans nos salles d'armes en participant à des dizaines de films et des centaines de représentations théâtrales, c'est que ces armes ont tout de même quelques avantages.

Rapière à lame triangulaire et coquille en bol typique de l'escrime artistique française
(en vente chez Planète Escrime)
Tout d'abord, et c'est probablement leurs origines, elles permettent un maniement qui n'est pas trop éloigné des armes sportives et donc plus facilement assimilable par un enseignant ou un élève déjà formé à l'épée-fleuret-sabre.

Ces armes sont aussi plutôt légères et sont adaptées à tous les escrimeurs et escrimeuses, même les moins forts physiquement. Pas besoin de gagner en force pour pouvoir les manier correctement et effectuer avec tous les mouvements de taille et d'estoc ! De même, leur légèreté les rend assez peu dangereuses sur un coup de taille mal retenu, on risque le plus souvent un coup de fouet, un bleu, mais pas la fracture ou la commotion cérébrale comme cela pourrait être le cas avec des lames plus lourdes. Là encore elles sont intéressantes pour les débutants. Leur légèreté permet également de pouvoir faire des mouvements complexes, d'aller vite, ou de rattraper plus facilement un tempo qu'une arme plus lourde dont il faut gérer l'inertie.

Ensuite, malgré leur légèreté ces armes ont un aspect d'armes et non d'outils d’entrainement. De plus, le public est tellement habitué à voir des coups de taille portés avec ces armes qu'il les pensera réellement dangereux dans une sorte de fiction consentie et entretenu par des centaines de représentations.

 Les trois mousquetaires réalisé par Bernard Borderie en 1961
La chorégraphie a du mouvement, du panache, mais on est loin du réalisme avec ces grands coups de taille

Enfin, autre avantage non négligeable, ces armes sont très faciles à trouver et relativement bon marché. On peut même adapter des lames d'escrime sportive vendues peu chères pour baisser encore le prix. Pour le débutant qui n'est pas encore assez dévoré par la passion pour se ruiner en costumes et en armes ou pour un club qui doit pouvoir équiper une partie de ses escrimeurs c'est non négligeable !

...mais pas vraiment idéales

 Malheureusement l'utilisation de rapières à lame triangulaire présentent quelques inconvénients de taille.

Tout d'abord il ne s'agit pas vraiment d'une arme historique. Les rapières historiques ont pu avoir des lames de formes très différentes, à section plate, ovale, en croix ou même triangulaire, les lames étaient relativement fines mais pas au même point qu'une lame d'escrime moderne. On peut donc considérer que nos lames triangulaires sont probablement trop fines, même probablement les lames dites "mousquetaires". On a donc une arme un peu étrange avec une garde assez massive et une lame très fine. Ceci ne vaut évidemment pas pour les épées de cour dont une bonne partie avait des lames triangulaires.

Rapière historique (1625-1645) avec garde "à la Pappenheim" conservée au Musée de Leeds
Mais le principal problème reste qu'une lame à section triangulaire est une lame dédiée à l'estoc et inefficace ou presque pour porter des coups de taille. Même avec un coup de taille très puissant comme le quarterblow décrit par J. Swetnam (et qu'on n'est pas censé porter si l'on a pas une arme dans l'autre main pour se protéger) on fera au pire une belle entaille, rien qui n'invalidera l'adversaire. Il est résulte que les seuls coups intéressants sont de petites attaques au visage ou au cou, mais l'essentiel des coups devront être des coups d'estoc. Or cela rend tout de suite l'arme plus compliquée pour les débutants. Les coups d'estoc sont toujours forcément un peu plus dangereux que les coups de taille, même si ils visent le nombril et sont effectués hors distances. Ils sont aussi un peu plus compliqués puisqu'ils nécessitent de mieux maîtriser les distances d'attaque et de parades et, pour rendre le combat intéressant, des techniques comme le dégagement ou le coupé. Utilisée selon sa logique propre, l'arme à lame triangulaire n'est donc plus tout à fait l'arme idéale pour le débutant !

Quant à la légèreté elle peut également être un inconvénient. Elle en fait des armes très rapides et fines, difficiles à voir pour le public. Il en résulte que de nombreux escrimeurs exagèrent leurs mouvements pour que le public puisse mieux voir et comprendre ce qui se passe et pour que les mouvements de lame ne soient pas trop rapides (ce qui arriverait si ils étaient effectués avec les doigts ou le poignet). Utiliser des lames plus lourdes et plus larges (donc plus visibles) permettrait de combattre avec des mouvements plus réalistes et à une vitesse restant malgré tout facile à suivre pour le spectateur. La lame triangulaire amplifie donc la sensation d'irréalité et d'exagération du combat.

Des alternatives possibles ?

On peut donc légitimement se poser la question des alternatives aux rapières à lames à section triangulaire. Dans l'idéal on recherche une arme et une technique historiques, pas trop lourde, peu dangereuse et pas trop compliquée à manier pour un débutant, on recherche aussi idéalement une arme pas trop chère et pas trop difficile à trouver. Enfin il faudrait qu'elle puisse évoquer une ou plusieurs périodes parlant au grand public. On examinera ici quelques candidats possibles.

Le sabre et le sabre d'abordage

J'ai déjà évoqué le sabre d'abordage dans mon article sur les armes des pirates. Il partage avec le sabre des techniques dont les bases sont assez faciles à assimiler pour un débutant et encore plus pour un escrimeur moderne. Les sabres sont des armes destinées essentiellement aux frappes de taille auxquelles on mêle quelques estocs ce qui convient assez bien aux débutants et à une escrime spectaculaire. On y mêle également facilement du corps à corps ce qui est toujours intéressant.

Sabre de bord dit "Louvois" au Musée national de la Marine
Les sabres sont souvent d'un poids raisonnable et peuvent être plus ou moins bien équilibrés selon les modèles. Cela peut les rendre difficile à manier par les escrimeurs les plus frêles et demander un peu d'adaptation pour certains autres. De plus, les blessures liées à un coup mal maîtrisé peuvent être plus dangereuses qu'avec une lame triangulaire, il faut donc être plus attentif et passer plus de temps à apprendre à maîtriser ses coups.

Pour ce qui est des personnages et époques on est surtout au XIXème siècle pour le sabre d'officier ou de cavalier et au XVIIIème voire au XVIIème pour les sabres des pirates et des flibustiers. Les combats ou duels de cavaliers ou d'officiers de l'armée parlent à l'imaginaire et les pirates encore plus. De ce point de vue les sabres sont donc des candidats très intéressants !

Pour ce qui est du prix et de la disponibilité il n'est pas toujours évident de trouver un sabre adapté à l'escrime de scène à des prix raisonnables. Il faut souvent aller sur des sites anglo-saxons et être prêt à émousser les pointes.
Combat au sabre présenté par la troupe d'escrime scénique russe "Volte"
Championnats du monde 2016 - médaille de bronze

L'épée de côté

Le terme "épée de côté" est une traduction de l'italien "spada da lato" qui désignait l'épée que les nobles (et certains bourgeois) portaient au côté durant la Renaissance. En Espagne elle était nommée "espada ropera" ("épée de robe"), terme qui a donné le mot "rapière" qui était d'ailleurs souvent le nom par lequel on désignait ces épées à l'époque. Le XXIème siècle éprouve le besoin de distinguer ce épées de celles qui leur ont succédé et donc d'utiliser un terme différent. Ces armes sont plus ou moins les ancêtres de ce que nous nommons, nous, rapières, et les techniques de maniement des rapières en sont héritées. Ainsi l'escrime italienne à la rapière a d'abord été conçue pour des épées de côté et a évolué avec les armes qui s'allongeaient, il en va plus ou moins de même pour la Destreza.


Épée de côté au musée de Neuchâtel. Photo par Rama
Concrètement il s'agit d'une épée à une main d'une longueur d'environ 1 mètre (les épées à une main médiévales étaient en général un peu plus courtes) et d'un poids allant de 0.75 à 1.7 kg. La main bénéficie en général d'une protection plus ou moins élaborées, au moins des anneaux parallèles à la lame permettant de la crocheter avec l'index ou l'index et le majeur et créant un ricasso. C'est une arme équilibrée, maniable (sauf pour les versions les plus lourdes), permettant de frapper d'estoc et de taille et d'utiliser des techniques complexes qui ont été développées pour elles.

Même les versions les plus légères pourraient, tout comme le sabre, être un peu lourdes pour certains escrimeurs débutants. De plus, tout comme le sabre, l'arme est plus lourde donc plus dangereuse et plus difficile à stopper ce qui est évidemment un problème pour les débutants.

En revanche la plupart des techniques utilisées en escrime de spectacle devraient pouvoir fonctionner avec cette arme. Et si l'on veut y mettre plus d'historicité on a le choix entre les techniques italiennes (beaucoup d'estoc et de vivacité), espagnoles (technicité de la Destreza) et allemandes (beaucoup plus de coups de taille) voire françaises avec le traité de d'Henri de Saint Didier (1573).

Désarmement tiré du traité d'Henri de Sainct-Didier (1573)
Concernant les rôles et les périodes on a une période s'étalant essentiellement sur tout le XVIème siècle voire le début du XVIIème et donc en France aussi bien la Renaissance française que les sombres Guerres de religion ce qui laisse présager de nombreux scénarios possibles ! Les personnages sont plutôt des nobles ou des bourgeois, des héros de romans aux beaux vêtements qui font facilement rêver.

L'épée de côté pourrait donc être une très bonne alternative. Cependant il est plus difficile de se procurer ces armes à des prix corrects et adaptées à notre pratique. La problématique sur ce point est assez similaire à celle qui concerne les sabres.

Le dussack, le messer et le fauchon

Ces armes sont différentes mais dérivent les unes des autres. Le messer (littéralement "couteau" en allemand) est une forme de fauchon, cette arme secondaire des fantassins du Moyen-âge et qui devient celle de beaucoup de ceux de la fin de Moyen-Âge, le dussack (braquemart en français) étant celle Renaissance et du Grand Siècle (voir l'article de Roger Norling). Le dussack désigne également, dans les manuels d'escrime de l'époque, l'arme d'entraînement en bois (parfois recouverte de cuir) pour utiliser ces techniques.

Dussacks en bois inspiré des illustrations des traités de Joachim Meyer
Disponibles sur la boutique etsy Korgorusha

Même si d'autres auteurs ont pu écrire avant lui sur cette arme, c'est Hans Lecküchner en 1478 qui en a donné les techniques les plus variées. En adaptant l'escrime à l'épée longue de Johannes Lichtenauer à cette arme (voir l'article d'Olivier Dupuis "Des couteaux à clous ou pourquoi l’épée seule est si peu représentée dans les jeux d’épées et livres de combat au Moyen Âge" dans l'ouvrage dirigé par Daniel Jacquet L’art chevaleresque du combat - Éditions Alphil-Presses universitaires suisses - 2012). Il a posé les fondements d'une escrime qui a ensuite été reprise dans les traités de dussack des XVIème et XVIIème siècles. Il s'agit d'une escrime avant tout de taille avec quelques estocs. Les coups sont souvent amples et les parades exécutées en mouvement (parades du tac). Il s'y ajoutent des saisies et des prises jusqu'au milieu du XVIème siècle ce qui amène de la variété dans les techniques et de l'engagement dans le combat. Cela peut être assez spectaculaire, moins technique que la rapière historique mais cela parle immédiatement au spectateur. En revanche c'est très différent de l'escrime moderne : les pieds sont inversés comme en escrime médiévale, les gardes sont très spécifiques et les parades détournent l'arme adverse plutôt qu'elles ne la contrent.

Technique de prise avec messer issue du traité de Lecküchner
Ces armes ne sont pas excessivement lourdes (mais toujours, comme pour le sabre et l'épée de côté, un peu lourdes pour les escrimeurs les moins robustes) et les versions en bois ont l'avantage d'être peu dangereuses (car le tranchant est plus large). On peut imaginer commencer avec des combats d'entraînement en utilisant des armes en bois puis passer à l'acier. Si l'on est prêt à acheter plusieurs armes et costumes on pourra même utiliser cette base technique pour des combats de plusieurs époques allant du Moyen-âge au XVIIème siècle voire aux pirates.

Si cette multiplicité d'époques est intéressante l'utilisation de ces armes peut être moins intéressante du point de vue des scénarios possibles. Tout d'abord les débutants auront peut-être plutôt envie d'un combat bien sanglant plutôt que d'un combat d'entraînement (ils n'ont pas encore tout exploré et peuvent vouloir du sang). Ensuite ces armes sont surtout des armes de défense portées par de simples soldats ou, au mieux, des bourgeois. Les nobles et les héros portent des épées et l'on est donc cantonné aux rôles populaires qu'on ne peut pas puiser dans la plupart des romans d'aventures. Si cela peut être vu comme une intéressante justice sociale cela peut aussi parler beaucoup moins aux escrimeurs et au public.

Pour ce qui est des disponibilités et du prix, il n'est pas trop difficile de se procurer ou de fabriquer des dussacks en bois à un faible prix. Les fauchons médiévaux se trouvent également facilement chez la plupart des vendeurs d'armes médiévales. C'est en revanche plus compliqué de se procurer des messers ou des dussacks en métal, mais pas impossible non plus.


Pour conclure ?

On constate que les rapières à lame triangulaires ont encore quelques avantages comme celui de leur légèreté qui les rend adaptées aux débutants et aux escrimeurs les moins robustes. Elles ont donc encore probablement de belles années ou décennies devant elles. Cependant il existe tout de même de bonnes alternatives plus historiques et réalistes qui gagneraient à être plus utilisées, surtout par les escrimeurs expérimentés désireux de plus de réalisme. Ajoutons également une dernière alternative : le duraluminium qui permet de résoudre le problème du poids tout en gardant une forme historique !

Sabre en duraluminum disponible chez Armes Garcia

samedi 24 novembre 2018

Monter un combat de pirates - flibustiers et corsaires

Cet article est complément à mes deux articles (1ère partie2nde partie) concernant les combats à l’époque de la piraterie. Il vous sera utile si vous souhaitez monter un combat naval aux deux périodes proches que sont la Flibuste et les Corsaires des guerres napoléoniennes (les exploits de Surcouf et de ses hommes notamment).

Les tactiques, les techniques de combat, les costumes et les armements sont très proches mais il y a néanmoins quelques différences. À noter que si vous voulez évoquer des périodes encore plus proches comme par exemple l’épopée de Jean Bart et des corsaires de Dunkerque (entre 1672 et 1697) vous n’avez rien à changer, les costumes et armes sont les mêmes à des détails infimes.

Affiche du film Surcouf, le tigre des 7 mers  de Sergio Bergonzolli (1966)

 Monter un combat de flibustiers

Contexte historique

Pour l’histoire de la flibuste je vous invite à lire l’excellent site de Raynald Laprise, je tâcherais ici d’en faire un très rapide résumé. Les corsaires français et anglais ont d’abord accompagné les corsaires hollandais (les « gueux de mer ») lors de la Guerre de trente ans pour piller les navires espagnols dans les Caraïbes. En 1629 ils ont investi la petite île de la Tortue (Tortuga en espagnol) au nord-ouest de l’île d’Hispaniola (actuellement la Tortue fait partie de l’état d’Haïti) et l’on utilisée comme base pour mener leurs raids. Après avoir été attaquée et parfois reprise (et abandonnée) par les Espagnols, la petite île s’est peu à peu imposée comme repaire de flibustiers, ainsi que se sont appelés ces hommes, à mi-chemin entre les corsaires et les pirates. Parallèlement une petite colonisation par des planteurs de tabac s’est mise en place à la Tortue et, l’Ouest d’Hispaniola étant étant abandonnée par les Espagnols, des boucaniers français se sont installés pour y chasser les bœufs sauvages (pour la peaux) et le cochons sauvages (pour la viande).

L'île de la Tortue au XVIIème siècle
En 1654 Cromwell, qui vient gagner la guerre civile anglaise, met en place le « Western design », une politique maritime agressive. Il envoie dans les Caraïbes une flotte avec une bonne partie des hommes de son ancienne armée (la « New model army ») pour conquérir Hispaniola. L’aventure n’est qu’à moitié couronnée de succès puisqu'entre 1655 et 1658 les Anglais s’emparent de l’île de la Jamaïque à la place, moins peuplée et moins riche. On tente de faire des colons de ces soldats mais la plupart préfèrent rejoindre les rangs de la flibuste, c’est ainsi que l’île de la Jamaïque devint la seconde base de la flibuste et même plus importante que la Tortue.

La flibuste connut sa décennie de gloire dans les années 1660 où les flibustiers les plus audacieux allèrent jusqu’à prendre des villes pour les piller ou rançonner ses habitants. Une des plus célèbres est la prise de Maracaïbo en 1666 par l'Olonnais. Puis dans les années 1670-1680, les gouvernements français et anglais décidèrent de mettre un terme à la flibuste en normalisant la Tortue et la Jamaïque. Cette entreprise fut menée par d’anciennes gloire de la flibuste : de Grammont pour la France et Henry Morgan pour l’Angleterre. Ils parvinrent en grande partie à éteindre la flibuste même si, à l’occasion de la guerre de succession d’Espagne, celle-ci reprit un peu de vigueur.

L'Olonnais, peut-être le plus célèbre des flibustiers
Les Flibustiers pillaient les navires espagnols en vertu d’une commission délivrée par le gouverneur de la Tortue ou de la Jamaïque qui les y autorisait au nom du roi. On retrouve un mécanisme proche de celui des corsaires sauf que ces commissions étaient, au regard du droit national, d’une qualité juridique douteuse (elles relevaient surtout de l’initiative de ces gouverneurs et ne suivaient pas les règles habituelles en matière de guerre de course). Néanmoins elle leur permettait de revendre légalement les biens pillés à la Tortue ou à la Jamaïque et de trouver des armateurs pour leurs navires. Néanmoins les flibustiers avaient mis en place un partage des biens inédit qui n’existait pas chez les corsaires (chez qui l’essentiel du butin allait à l’armateur). Ils ont inventé la chasse-partie où la part du capitaine est seulement le double de celle d’un homme ordinaire, où l’armateur a un certain nombre de parts de butin et où un système de compensation (une sorte de « sécurité sociale » avant l’heure) est donné aux hommes en cas de blessure ou d’invalidité. Avec les Boucaniers ils ont constitué une sorte d’ensemble nommé « les frères de la côte », témoignage d’un sentiment d’appartenance commun de ces hommes. Beaucoup de flibustiers étaient d’anciens boucaniers réputés pour leur habileté au tir.

Spécificités par rapport à l’âge d’or de la piraterie

Pour ce qui est des costumes celui des marins était déjà sensiblement le même : culottes, chemise, bonnet et un éventuel gilet. Pour ce qui est des gens un peu plus fortunés (ou des flibustiers ayant réussi) on oublie le tricorne et l’on préfère un large chapeau (à plumes?) et la redingote n’avait pas encore été inventée et les gens de bien portent des vestes aux manches ouvertes ou à manches courtes et des demi-capes. Nous sommes à l’époque de Louis XIV, mais dans le monde plus fruste des Caraïbes...

Pour ce qui est de l’armement les sabres ont peut-être des gardes plus enveloppantes venant du dussack, notamment en forme de coquilles saint-jacques (sabres produits par la compagnie des Indes néerlandaise). Tout ce que j’ai dit sur leur maniement est globalement identique. On trouve également des haches et des poignards, les nobles pouvant éventuellement avoir une main-gauche à grands quillons. En revanche la Baïonnette n’existait pas ou n’avait probablement pas gagné les Caraïbes et les soldats espagnols étaient encore sur le modèle des Tercios, divisés entre piquiers et mousquetaires. On imagine que sur un navire les piques étaient plutôt des demi-piques et notons également qu’une partie de ces piquiers pouvaient porter une armure protégeant le tronc et les cuisses et un casque (de type cabasset, bourguignotte ou morion). Si l’on choisit cette option cela changera fortement les coups que porteront nos flibustiers (il est inutile alors de vouloir porter un coup au crâne ou au tronc) et donc la physionomie du combat.

Dussack du XVIIème siècle
Une autre différence concerne les nobles et officiers qui ne portent pas d’épées de cour (pas encore inventées) mais des rapières. Les espagnols combattent selon leur école nationale et les français et anglais selon leurs écoles respectives descendantes de l’école italienne. Des officiers ou des nobles anglais pourraient préférer une broadsword (du type « mortuary sword ») à la place. Mais là encore il s’agit d’une très petite minorité, De Grammont est l'un des très rares nobles connus parmi les capitaines de la flibuste si ce n'est le seul, les flibustiers ordinaires combattent au sabre, à la hache, au poignard et au pistolet. Enfin, notons que certains soldats espagnols sont armés de montantes, de très grande épées à deux mains (plus d’1m50) destinées à dégager l’espace autour de soi et maniées selon des techniques très particulières et très différentes de l’épée longue, ce sont également des armes de garde du corps. Figueiredo, auteur d’un traité de montante, nous précise que cette arme est utile pour dégager le pont d’une galère, de là à supposer qu’on en trouvait également sur les navires sillonnant les Caraïbes... C'était certainement rare mais cela peut être intéressant en spectacle.

Monter un combat de corsaires napoléoniens

Contexte historique

Sauf si vous êtes dunkerquois, le mot de corsaire évoque très probablement pour vous les exploits de Surcouf et des corsaires français durant la longue période des guerres napoléoniennes. La France fut en guerre contre l’Angleterre presque continuellement de 1793 à 1814. La guerre de course se développa particulièrement à cette époque et notamment durant la période allant de 1803 à 1810 où les corsaires français firent des merveilles. L’Angleterre réagit en prenant plusieurs mesures : convois obligatoires pour les marchands, bombardement systématique de tous les ports commerçant avec la France et escadres ou flottilles anti-corsaires. La course française devint beaucoup moins rentable et même souvent déficitaire à partir de 1811 même si les corsaires naviguèrent durant tout le reste de la guerre. Il s’ensuivit deux décennies de combats entre les corsaires français et les navires anglais, notamment ceux de la Compagnie des Indes Orientales, avec quelques exploits légendaires comme la prise du Kent (40 canons et 437 hommes) par Surcouf sur la Confiance (24 canons et 160 hommes) en 1800.

Cet historique doit beaucoup au petit livre de 'l’universitaire Patrick Villiers Les Corsaires (éd. de 2007).
EDIT : je vous invite également, pour cette époque, à jeter un œil à mon article concernant le manuscrit du Lt Pringle Green.

Prise du Kent par la Confiance en 1800 (tableau de L. Garneray 1835)
Les corsaires, si ils étaient des hommes audacieux, n’avaient pas la liberté des flibustiers et des pirates. Ils étaient payés par l’armateur même si une petite partie du fruit du butin leur revenait pour les motiver. C’était également des hommes attachés à un port, avec parfois une famille. Ils pouvaient aussi ne pas être corsaire toute leur vie et retourner à une vie de marin plus ordinaire par la suite. Cela nous limite surtout aux scénarios Français contre Anglais (marchands ou Royal Navy) et rend plus compliqués les scénarios impliquant des histoires personnelles entre corsaires. Enfin, avouons-le il est difficile de ne pas verser dans un certain chauvinisme bien franchouillard avec cette époque, ces corsaires courageux défiant les navires de commerce anglais bien armés et la chasse par la Royal Navy.

Un ancien officier du Kent aurait renconté Surcouf et lui aurait fait remarquer la chose suivante : «Enfin, Monsieur, avouez que vous, Français, vous battiez pour l'argent tandis que nous, Anglais, nous battions pour l'honneur…» 
La réponse prêtée à Surcouf : «Certes, Monsieur, mais chacun se bat pour acquérir ce qu'il n'a pas.»

Spécificités par rapport à l’âge d’or de la piraterie

Pour ce qui est des costumes, celui des corsaires et des marins des navires marchands était probablement assez proche de ce qui se portait un siècle auparavant. Là encore les vêtements des gens de bien (nobles et bourgeois) diffèrent : la redingote est coupée différemment, on commence à porter le pantalon et le tricorne a cédé sa place au bicorne ou à d'autres chapeaux plus pratiques. Notons par contre que les marins des marines de guerre (et donc de la Royal Navy) portent désormais des uniformes (très simples), évidemment aussi, l’uniforme de gardes de marine anglais est différent lui-aussi. Au niveau de l’armement également, on dispose de sabres réglementaires pour les deux marines, ils sont distribués au moment de l’attaque aux marins. Le sabre français est surnommé « cuiller à pot » du fait de sa garde très enveloppante. Il est porté par la marine régulière, les corsaires s’arment à leurs frais mais ils achètent également aux manufactures d'État. Son maniement reste le même.

Sabre "cuiller à pot" français

Sabre d'abordage britannique
On retrouve également toutes les autres armes (poignard, hache, piques d’abordage et lutte) même si les officiers commencent à préférer le sabre à l’épée de cour (qui existe encore). Une précision concernant la boxe cependant, il s’agit d’une spécificité britannique et donc seuls les marins anglais pourront donner des coups de poings issus de la boxe. À l’époque la boxe française n’existe pas (elle a été créée peut-être par Charles Lecour vers 1830-1840 en intégrant justement les coups de poings de la boxe anglaise) et si on pratique la « savate » dans les faubourgs parisiens et le « chausson » dans le port de Marseille on est en fait plus proche de démonstrations d’esbroufe que du sport de combat. De plus nous n’avons aucune occurrence de pratique à Saint-Malo ou dans les ports de l'Atlantique, mais si vous maîtriser ces coups de pieds et que vous voulez vous faire plaisir, pourquoi pas, surtout si vous avez un accent marseillais ou des faubourgs parisiens !

La bataille finale sur film Master and commander de Peter Weir (2003).
Évidemment les Français sont les méchants !

Voilà pour ce complément. Si il me semblait indispensable dans mes deux premiers articles de me concentrer sur une période précise, je trouve également intéressant de pouvoir étendre la période temporelle à des époques où les données du combat sont similaires. En espérant toujours vous être utile...

samedi 10 novembre 2018

Monter un combat de pirates - 2nde partie : armement et techniques de combat

Il s'agit de la seconde partie de mon article sur les combats de pirates. Après avoir vu le contexte, les scénarios et les costumes en première partie nous abordons ici l'armement et les techniques de combat. Je rappelle que je concentre toujours mon propos sur l'âge d'or de la piraterie soit le premier quart du XVIIIème siècle même si la thématique nous oblige à élargir un peu plus la période pour trouver des sources. Les deux traités qui reviendront le plus souvent sont ceux du français Pierre Jacques François Girard de 1735 et du Capitaine anglais John Godfrey de 1747.

Armes servant à la marine dans les Mémoires d'Artillerie de Pierre Surirey de Saint Remy (1696)
A : épée montée, B :  fourreau d'épée, C : pommeau, D: corps de la garde de l'épée, E : garde d'épée F : poignée torse, G : virolle, H : crochet de fourreau, I : bout de fourreau d'épée, K : sabre de cavalier à deux tranchants, L : sabre ou lame courbe & à dos, M : corps de la garde du sabre.

Manières générales de combattre des pirates (et de leurs ennemis)

Il convient d'abord d'essayer d'évaluer le niveau de connaissance de l'escrime des pirates. J'ai dit, dans la première partie que les pirates étaient d'anciens marins ou d'anciens corsaires. Rappelons-nous que les mers n'étaient pas sûres à l'époque et que c'est pour cela que tous les navires avaient des canons et des armes. Il n'est donc pas impossible de supposer que certains marins puissent connaître au moins des rudiments de combat. Pour ce qui est des corsaires et autres flibustiers rappelons-nous que leur objectif était de prendre le navire adverse et non de le couler et qu'ils étaient donc rompus à l'abordage. L'abordage impliquant le combat rapproché il est fort probable qu'ils connaissaient quelques techniques ou astuces pour vaincre. Les pirates de Nassau sont les héritiers des flibustiers de la Jamaïque issus de l'armée de Cromwell un demi-siècle plus tôt.

Bernesson Little dans son article sur le sabre d'abordage nous indique que le capitaine corsaire  Duguay-Trouin engagea un prévôt d'armes pour former son équipage à la fin du XVIIème siècle. Il évoque également Jacob de Bucquoy, prisonnier du pirate John Taylor, qui indique que l'équipage s'entraînait régulièrement à l'escrime et fait remarquer que les pirates étaient bien mieux entraînés et disciplinés que les équipages de la Compagnie des Indes néerlandaise (Jacob de Bucquoy - Zestien Jaarige Reize Naa de Indiën, Gedaan Door Jacob de Bucquoy, 1757, page 69). La survie des pirates dépendant en grande partie de leurs qualités de combattants il est donc tout à fait probable qu'ils savaient se battre et que certains s'entraînaient régulièrement.

En revanche même si quelques escrimeurs bien formés ont pu leur donner des leçons on peut aussi supposer que leurs façons de combattre étaient peu académiques. Même les duels ne sont pas aussi bien codifiés que chez les nobles et au combat l'important c'est de survivre. Avec des armes souvent courtes, un espace réduit, les pirates devaient très probablement facilement mêler leur escrime de techniques de lutte ou de coups de poing, s'aider d'une arme de main gauche (poignard, hache ou crosse de pistolet). Il ne faut donc pas hésiter à rechercher toutes les fourberies possibles lorsqu'on crée sa chorégraphie, cela montre également le côté sans pitié de ce monde.

Enfin si l'on veut combattre dans un espace réduit il est possible de prendre beaucoup moins d'espace en remplaçant les retraites lors des parades par une simple demi passe arrière voire un mouvement de bassin accompagnant la main qui pare. Les armes étant tranchantes on n'est pas non plus obligé de donner de grand coups très armés, mais cela est valable un peu partout...

Le sabre d'abordage

L'arme

À tout seigneur tout honneur, l'arme mythique des pirates et des corsaires est le fameux sabre d'abordage. Mais qu'était-il réellement ? Nommé cutlass ou hanger dans la langue de Shakespeare il est nommé en français sabre d'abordage, sabre de bord ou coutelas. L'appellation cuiller à pot est valable aussi mais uniquement pour le sabre réglementaire de l'époque napoléonienne, les pirates n'en ont donc jamais manié (laissons les aux corsaires de Surcouf). Ce sabre trouve son origine dans l'arme secondaire que portaient les fantassins des 17ème et 18ème siècle en plus de leur arme principale (en général une pique, un mousquet ou un fusil à baïonnette). À vrai dire c'est souvent exactement la même arme même si la compagnie des Indes néerlandaises en a fabriqué pour ses marins ou si Louvois a fait créer un modèle réglementaire pour l'infanterie de marine française.

Sabre de bord dit "Louvois" au Musée national de la Marine

Concrètement il s'agit d'un sabre court avec une lame de 50 à 70cm peut-être, à la lame relativement large, plus ou moins courbe et ne comportant qu'un seul tranchant. La garde est très variable mais protège le plus souvent la main qui le tient. Comme fréquemment à l'époque les modèles sont extrêmement variables aussi bien en ce qui concerne la garde que l'équilibre de l'arme que encore la longueur et la courbure de la lame.
neu1
Sabre d'abordage vers 1720
(chez Paul M. Ambrose Antiques)

Il s'agit d'une arme robuste, pouvant être utilisé dans un petit espace encombré (le pont avec de multiples cordages, les coursives, les ponts inférieurs du navire) et faite pour être maniée principalement de taille. C'est une arme facile à prendre en main et un novice peut facilement tuer quelqu'un avec. C'était probablement une arme assez répandue sur les navires et donc chez les pirates mais également les marins de la navire marchande et, en arme secondaire, chez les soldats de marine.


Sabre d'abordage italien vers 1750
(chez Tortuga trading)
Il faut également lire l'article très complet de Bernesson Little sur cette arme (en anglais).

Manier un sabre d'abordage

Nous sommes confrontés à un problème : les "traités" spécifiques au maniement de cette arme datent du XIXème siècle. De plus ce sont des manuels d'instruction militaire destinés à former rapidement des marins. Le plus ancien est le Naval cutlass exercice de Henry Angelo the younger mais il date de 1813. Il est très court (une affiche) mais reprend très largement des techniques de sabre développées par son père et mêlant broadsword dite écossaise et sabre hongrois. Il reprend la terminologie du sabre et de la broadsword avec les gardes qui sont également des positions de parade.
Naval Cutlass Exercice par H. Angelo (1813)
Le plus proche en temporalité est le traité de John Godfrey de 1747. Celui-ci traite de l'épée de cour et de la backsword (ainsi que de la boxe dont il est un des plus ancien traité). Or la backsword est bien cette courte épée à un seul tranchant qui est l'arme secondaire des fantassins, notre arme quoi ! Son traité est proche des techniques de broadsword même si il tente de faire la connexion avec les postures et les techniques d'épée de cour (smallsword en anglais). D'une manière générale on trouve dans des traités du XVIIème les techniques de backsword être présentées avec celles de broadsword, au point que ces techniques sont probablement légitimes pour manier ces armes. On pourra donc utiliser le traité de Zacharie Wylde de 1711, celui de Thomas Page de 1747 (traduit en français par Sébastien Ventroux et Éric Lebeau) ou même celui d'Henry Angelo et de son fils de 1798.

Il s'agit donc d'une arme faite pour frapper d'abord des coups de taille et d'entaille en profitant de la courbure de la lame pour faire des blessures plus graves. Elle peut aussi donner des coups d'estoc mais le plus souvent l'estoc se fera après avoir paré ou en seconde intention, après que l'adversaire a paré en opposition. Certaines lames trop courbes peuvent avoir du mal à faire des estocs. En principe plus la lame est équilibrée vers l'avant, moins elle est faite pour l'estoc, cependant je déconseille en escrime artistique d'avoir une arme trop équilibrée vers l'avant car il sera plus difficile d'arrêter  un coup si nécessaire.

Pour ce qui est des techniques spéciales ou des associations avec d'autres armes le Lieutenant Pringle Green (encore lui) nous montre l'importance des gardes pendantes intérieures et extérieures (inside hanging et outside hanging guards correspondant pour nous à une prime et une seconde) contre les fusils à baïonnette (ou les piques d'abordage du coup). EDIT : voir mon article sur le sujet

Outside hanging guard (parade de seconde) pour contrer un fusil à baïonnette
 -manuscrit de William Pringle Green (1804) -
L'association avec le pistolet est également traitée par le même manuscrit, le pistolet déchargé et tenu par le canon sert alors d'arme secondaire pour parer et permettre des ripostes plus rapide ou assommer au corps à corps. Dans son traité de 1653 Charles Besnard, fondateur de l'école française fustige ceux qui combattent à la courte épée et au pistolet notamment sur le fait que ce sont des armes facile à apprendre.
"Voilà ce qui font aujourd’hui nos combattants du pistolet et petit couteau et à pied, qui sont armes dont toutes sortes de personnes se peuvent servir sans apprentissage, et desquelles le plus franc coquin, peu tuer le plus grand, le plus vaillant, et le plus adroit homme qui se puisse rencontrer sur la terre"
Charles Besnard 1653
Utilisation du sabre et du pistolet en main gauche
 -manuscrit de William Pringle Green (1804) -
On peut aussi facilement imaginer une autre arme telle que le poignard ou la hache dans la main gauche et il faudra alors inventer des techniques cohérentes pour être crédible.

Par ailleurs si j'ai parlé des techniques de broadsword britanniques il existe une autre école pour manier ce type d'arme : les techniques de dussack des contrées germaniques. Le dussack (ou tessack, dusage...) ainsi qu'il pouvait être appelé dans les contrées germaniques. Le manuscrit le plus récent est celui de Theodor Verolinus en 1679. Les principales différences résident dans la position les mouvements des pieds (à la broadsword le pied en avant est celui du côté de l'arme [et on attaque en demi-fente] comme en escrime moderne, au dussack cela dépend si l'arme est tenue à gauche ou à droite comme en escrime médiévale) on met le plus souvent le pied armé devant sauf quelques exceptions, et on attaque soit en "demi-passe avant" soit en rassemblant le pied arrière et en refaisant un pas]. Les gardes au dussack ne sont pas des positions de parade (protégeant un côté) mais des positions permettant aussi bien l'attaque que la défense et les parades sont le plus souvent des parades du tac avec le dos de l'arme tandis que les parades de broadsword sont plutôt des parades d'opposition.

Cela donne un style très différent, plus en mouvement qui peut également être intéressant pour des pirates (mais peut-être moins bien adapté à un navire ?). Nous ne savons pas comment combattaient les marins hollandais ou scandinaves très nombreux sur les mers (et donc chez les pirates) mais il n'est pas impossible que leurs techniques de combat (si ils en avaient) viennent du dussack. En spectacle cela donnera un style contrastant fortement avec les techniques de sabre plus "classiques" à nos yeux.

Illustration issue du traité de Theodor Verolinus (1679)
Enfin un dernier point sur la tenue de l'arme. Bernesson Little s'interroge longuement sur le fait de mettre ou non le pouce en opposition sur la poignée. Cela se fait systématiquement ou presque en dussack (à part sur certaines gardes) et souvent en sabre. Sur ce point Godfrey nous renseigne en nous disant que beaucoup prennent leur backsword avec une prise "globulaire", formant un anneau avec le pouce et la main mais il déconseille cette prise en préconisant de mettre le pouce en opposition ce qui donne plus de contrôle sur l'arme. Si vous êtes puriste tenez votre arme en fonction du niveau de connaissance du combat de votre personnage mais comme il y a peu chances que quiconque le remarque faites comme vous le sentez le mieux !
J'ai déjà eu l'occasion d'en parler mais les Flibustiers de Lémurie, un groupe d'AMHE situé à Mayotte étudie spécifiquement les techniques de sabre d'abordage.
 Duel pirate dans la série Black Sails avec une broadsword contre un sabre d'abordage
Je trouve que l'esprit de ce que devait être un combat de pirates est assez bien rendu
(même si les derniers coups sont trop armés)

Les autres armes des pirates (et de leurs ennemis) :

Le poignard

Les poignards de l'époque sont extrêmement simples, courts, sans quillons ou presque, ce sont des armes facilement dissimulables. J'ai peu d'informations sur leur diffusion à bord des navires mais il est certain que les britanniques possédaient des naval dirks, poignards spécifiquement conçus pour les marins. Arme d'assassin, le poignard se dissimule facilement mais il peut également être un couteau servant à couper les cordages et qu'on emploie au combat.


Naval dirk du 18ème siècle, au vu de la décoration il s'agit évidemment d'une arme d'officier
(chez The saleroom)
Au niveau des techniques de combat, l'arme, qui était longtemps une arme secondaire importante des nobles des XVème et XVIème siècle, a été abandonnée en grande partie par ceux-ci aux XVIIème et XVIIIème siècles, sa place est donc très réduite dans les traités d'escrime. Cependant il est peu probable que le poignard ait cessé d'être utilisé dans les rixes de rues et de tavernes, c'est à dire des endroits fréquentés par nos pirates ! On trouve cependant parfois quelques techniques décrites dans des manuels du XVIIème et du XVIIIème siècle, le plus souvent elles viennent de manuels italiens de la fin de la Renaissance. En français on indiquera trois techniques présentées par André Desbordes à la fin de son traité de 1610.

"Premierement tu mettras ton pied droit devant le gauche, tenant lœil sur la pointe du pougnart de tou ennemy, de maniere que tu luy donneras une estoquade en la main du dedans afin qu’il pare, d’autant qu’en parant tu auras le temps de luy oster son pougnart avec ta main gauche, en passant du pied gauche, puis tu le frapperas ou l’occasion se presentera."
André Desbordes (1610)
Le poignard peut également être utilisé arme secondaire dans la main gauche. On parera avec moins souvent qu'avec une main-gauche car la lame est courte, la garde n'a pas de quillons et protège mal la main. Mais on s'en servira éventuellement pour écarter une lame adverse ou alors on tentera de se rapprocher en contrôlant la lame adverse pour donner un coup de poignard.

La hache de bord

Il s'agit à la fois d'un outil et d'une arme. Elle est en principe courte et menue d'un fer de hache d'un côté et d'une pointe de l'autre. À noter que ce sont les haches des marins qui ont donné leur forme aux tomahawks utilisés ensuite par les Amérindiens. Comme on la trouve fréquemment sur les navires on s'en sert également au combat.

Hache de bord du 18ème siècle chez Invaluable
Concernant le maniement de cette arme nous ne possédons aucun traité la mentionnant. On trouve bien des vidéos de combat au tomahawk mais leurs auteurs n'expliquent pas d'où vient leur savoir et elles sont assez pauvres en techniques et se contentent surtout de montrer des frappes (qu'un escrimeur trouvera logiquement) et, parfois, quelques saisissements. La hache souffre, par rapport au sabre, d'un déficit d'allonge et de maniabilité. Elle a plus d'inertie, elle est plus courte, mal adaptée à la parade et, les combattants ne portant pas d'armures, sa puissance de frappe supérieure n'est pas vraiment utile. De même, le fer de hache sert normalement à crocheter mais le coutelas est une arme courte à lame courbe et l'efficacité d'un tel crochetage est donc très réduite.

On doit donc, en combattant à la hache, compenser en étant plus vif, en combattant avec plus d'esquives et en étant capable d'entrer très vite dans la distance pour mêler lutte et combat armé. On voit que ce n'est pas évident mais cela a un potentiel certain en spectacle. Cependant la hache a un inconvénient supplémentaire pour l'escrime de spectacle : du fait de son inertie elle est difficile à arrêter et nécessite un escrimeur avec une bonne poigne. Il peut donc être intéressant d'utiliser une arme avec un fer en duraluminium pour cette arme spécifiquement.

La pique d'abordage

Il s'agit plutôt d'une demi-pique, une lance relativement courte (celles qu'on a conservées mesurent dans les 2m50) par rapport aux piques des piquiers du XVIIème siècle. Je n'ai pas réussi à trouver des attestations sûres de son utilisation durant la période qui nous intéresse mais celle-ci est certaine au tournant des années 1800. De telles demi-piques existaient à l'époque mais étaient-elles utilisées à bord des navires ? Je suis preneur de toute source en ce sens. La pique sert essentiellement à repousser les abordages, c'est une arme utilisée par les marins, pas par les soldats de marine qui ont des fusils à baïonnette.

Pique d'abordage du XIXème siècle
(sur le blog historic-marine-france)
Pour ce qui est des techniques de maniement on pourrait utiliser tout ce qui se fait pour la lance mais il ne faut pas oublier que cette arme sert principalement pour les abordage et probablement peu en dehors. Les marins ou pirates qui les manient ont donc probablement des notions très sommaires de leur maniement et on évitera toute technique un peu trop subtile pour dégainer le sabre à la place !

Le fusil à Baïonnette

    "on a cru pouvoir suppléer au défaut des piques par la bayonnette au bout du fusil. Cette arme est très moderne dans les troupes. [...] Les soldats [du Régiment Royal-Artillerie] portoient la bayonnette dans un petit fourreau à côté de l'épée. On en a donné depuis aux autres Régiments pour le même usage, c'est-à-dire, pour la mettre au bout du fusil dans les occasions."

R.P. Daniel, 1721, p. 592
Les troupes de fusiliers armés de fusils à baïonnette remplacent la combinaison mousquetaires/piquiers des XVIème et XVIIème siècles en les fusionnant. Les soldats disposent ainsi à la fois d'un fusil et d'une lance, même si celle-ci est bien plus courte que la pique et plus lourde que la demi-pique. Comme leurs homologues terrestres, le fusil à Baïonnette arme également les troupes de marines du XVIIIème siècle. C'est d'abord l'arme des ennemis des pirates mais il n'est pas impossible que certains de ceux-ci aient pu également se procurer ces armes somme toutes assez communes dés cette époque.

Exercice de la baïonnette chez Pierre Jacques François Girard (1736)
Sur son maniement la baïonnette est proche de la lance, sauf que son poids permet moins d'agilité technique. En revanche, sa crosse autorise des coups bien plus puissant qu'une lance. Nous ne possédons pas de manuel d'époque puisque l'escrime à la Baïonnette est une escrime de guerre et que nous n'avons pas de manuels d'escrime à l'attention des soldats avant le XIXème siècle (en dehors d'exercices d'enchaînement surtout destinés à la parade). Nous pouvons nous référer aux deux auteurs les plus anciens sur le sujet : Alexandre Müller (manuels de 1828 et 1835) et Joseph Pinette (manuels de 1832 et 1848). Ces deux auteurs s'opposaient fortement à l'époque. On considère généralement les techniques de Müller comme plus archaïques et destinées au combat en formation dense tandis que celles de Pinette sont plutôt destinées à un combat de tirailleurs. Je vous invite par ailleurs à lire cet article de Julien Gary sur le sujet.

Comme dit précédemment il me semble dommage si l'on a quelques soldats de marines ainsi armés de ne pas faire une petite ligne même de trois ou quatre soldats se protégeant les uns les autres. Enfin on s'intéressera également à toutes les techniques opposant une lame à une arme d'hast pour trouver des idées de techniques d'opposition parce c'était probablement la situation la plus rencontrée.

Opposition fusil à baïonnette contre sabre (de cavalerie)
Par la Salle Saint-Georges

L'épée de cour

L'épée de cour est ce que nous appelons souvent improprement "rapière" dans nos salles d'armes. Elle possède une lame très fine qui peut être plate ou triangulaire et qui alors se rapproche assez de nos lames d'épées modernes. La lame mesure entre 70 et 90 cm, plus courte qu'une rapière, et la coquille est très réduite, le plus souvent en forme de "huit". C'est une arme rapide et vive, conçue pour le duel, presque totalement inefficace en coups de taille mais aux estocs mortels. C'est également une arme qui demande d'être maniée par quelqu'un formé à l'escrime. Dans le contexte qui nous occupe cela la réserve aux officiers ou autres nobles passagers, donc aux ennemis des pirates. Ceux-ci n'auront probablement que faire de cette arme raffinée dont ils ne perçoivent pas forcément le potentiel mortel. Face à un adversaire armé d'un sabre court l'épéiste devra jouer son allonge supérieure, garder à tout prix la distance et éviter au maximum le jeu au fer.

Épée de cour française vers 1720
(chez Magazin royal)
À l'époque et contrairement à la seconde moitié du XVIIIème siècle, on utilise encore très couramment la main gauche pour écarter une arme après une parade. Pour l'épée de cour les manuels d'escrime de l'époque sont foisonnants et l'on a que l'embarras du choix. Deux d'entre eux retiennent un peu plus mon attention. D'abord celui de Pierre Jacques Girard de 1736 qui a l'intérêt de présenter des défenses contre les sabres (on utilise plus souvent le terme d'"espadons" à l'époque) et donc des techniques de sabre contre épée de cour, mais également des ruses de guerre, des techniques contre l'épée-dague, contre les piques ou d'autres armes. De plus Pierre Jacques Girard était officier de Marine ! Le second est celui de Philibert de La Touche de 1670 qui a la particularité de présenter des coups de taille (appelés estramaçons) à la fin de son traité.

Sabre contre épée de cour dans le traité de P.J.F. Girard (1735)

Boxe et lutte : le combat à mains nues

Avant le XVIIIème tous les traités évoquant le combat à mains nues traitent de lutte et n'impliquent jamais de coups de poing. On voit occasionnellement des coups de pied dans le combat armé mais je n'ai pas trouvé d'attestation de la pratique du combat aux poings (ou avec les poings en complément de la lutte). Cependant le XVIIIème siècle voit la naissance de la boxe en Angleterre et le premier champion de boxe (à poings nus à l'époque) reconnu est James Figg en 1719. La majorité des pirates étant britanniques et la boxe étant à l'origine une pratique des classes populaires on peut supposer qu'un certain nombre d'entre eux en connaissaient des rudiments. On pourra donc utiliser indifféremment des coups de boxe anglaise ou des techniques de lutte en complément du combat à l'arme blanche.

Technique contre un adversaire armé d'un couteau chez Nicolaes Petter
Le premier ouvrage traitant de techniques de boxe est celui du Capitaine Godfrey en 1747 cité précédemment. Pour la lutte on pourra utiliser l'ouvrage du néerlandais Nicolaes Petter de 1674 présentant des techniques de self-défense traduites en français par le libraire Isaac Severinus en 1712. Un autre ouvrage de l'époque est celui de l'anglais Zacharie Wylde de 1711. On n'oubliera cependant pas que certaines techniques de lutte seront invisibles pour un public un peu loin du spectacle et qu'il faut privilégier les techniques les plus visuelles et spectaculaires.

Et les rapières ?

Même si il est courant en escrime artistique de faire combattre des pirates avec des rapières, à la vérité cela a dû rarement se produire. Au début du XVIIIème siècle Français et Anglais combattent à l'épée de cour (ou au sabre) et, dans les Caraïbes seuls les Espagnols portent encore des rapières. Comme les épées de cour, ces armes nécessitent un escrimeur initié et elles ne sont donc portées que par les officiers espagnols. Leurs lames sont plates et extrêmement longues, une illustration du traité de Pierre Jacques François Girard en fait même une représentation un peu caricaturale avec une lame véritablement démesurée !

Espagnol et sa rapière démesurée chez P. J. F. Girard (1735)

L'escrime espagnole à la rapière est très différente des autres escrimes. Elle suit les principes de la Verderada Destreza. C'est une escrime assez statique reposant sur une position de base assez droite, le bras allongé avec beaucoup de jeux avec le fer, des déplacements en cercle impliquant tout le corps et, à l'origine, pas de fentes. Les versions les plus nobles utilisent des formes géométriques pour décrire les actions, divisent la lame en dix niveau de force et de faiblesse (quand ailleurs on a "fort-faible" ou "fort-moyen-faible"). Au XVIIIème siècle les Espagnols pratiquent encore cette école mais ont appris à se défendre contre l'escrime italienne notamment et ils ont ajouté quelques techniques à leur escrime comme les fentes ou l'utilisation de la main gauche. Les traités de l'époque sont ceux de Manuel Cruzada y Peralta (1702) et de Nicolas Rodrigo Noveli (1731) mais là encore, le traité de P.J.F. Girard présente des techniques espagnoles utilisées contre les épées de cour qu'on peut en partie transposer contre les sabres d'abordage.

Pour conclure

J'ai essayé d'être la fois exhaustif et le plus synthétique possible dans ces deux articles et, même en se limitant à une période précise, c'est assez long. J'espère que ces articles pourront vous être utiles dans vos préparations de combat. Je réfléchis à leur donner peut être un ou deux compléments mais vous aurez la surprise !

Edit : article complémentaire sur les flibustiers et les corsaires napoléoniens