lundi 11 mars 2019

Arrachons les barbes avec Paulus Hector Mair

En attendant des articles plus sérieux en préparation, j'ai décidé de vous présenter une technique insolite et amusante tirée du traité de Paulus Hector Mair (dont je vanterai un jour tout ce qu'il peut apporter à l'escrime de spectacle). La principale originalité de cette technique est en effet de tirer la barbe de l'adversaire pour gagner un avantage. Nous allons donc la voir précisément et je vous donnerai même quelques pistes pour l'utiliser.

Illustration de la technique dans la version latine de Opus Amplissimum de Arte Athletica

La technique

Cette technique nous est décrite par Paulus Hector Mair dans ses célèbres traités Opus Amplissimum de Arte Athletica (années 1540), véritable somme sur l'escrime allemande du milieu du XVIème siècle. Il s'agit d'une technique d'épée-bocle, l'épée pouvant en fait être aussi bien une épée à une main médiévale qu'un messer ou une épée de côté. Comme beaucoup de techniques chez Paulus Hector Mair, elle n'a pas été créée par lui. On en trouve trace en 1512 dans les dessins de l'atelier d'Albrecht Dürer pour son traité d'escrime et on retrouve le même dessin dans un manuscrit de Lienhart Sollinger, contemporain de Paulus Hector Mair. Cependant, seul P.H.Mair l'accompagne d'un écrit explicatif que je vous donne avec sa traduction en français (c'est une traduction personnelle dont j'ai conscience de la très grand perfectibilité, n’hésitez pas à m'en proposer une meilleure, je l'intégrerai à la place) :
Item schickh dich also mit Disem stuckh. trit mit deinnem lincken schennckel hinnein vnnd pind Im an sein Rappier klingen. stat er dan_ auch mit seinem linckhen fuosz gögen dir vnd pindt auch gleich mit dir an dein klingen. so fasz dein Rappier zu deinner runndellen Inn dein lincke hand zusamen. Inndem fall Im mit deiner rechten handInn seinen Bart.

greifft er dir also ein. vnnd fast dich bey deinnem Bart. vnnd will mit seinner linckhen hand oben auf sein rechte fallen. das er dir deinen bart mit gwallt vnndersich auszreist. so fall Im mit deinner linckhen hand Inn seinen rechten arm. Inndem wind Im sein hand ausz deinnem Bart. vnnd haw Im nach seinnem haupt. 

hatt er sich also von dir gewunden. vnnd hawt dir nach deinem haupt. so nimb dein rapier behind wider Inn dein rechte hand. vnnd versetz Im den haw mit deinner Rundellen. Indes trit damit zuruckh. vnnd stich Im nach seiner prust. Nimpt er dir den stich ab mit seiner rundellen so haw dich mit ainem zwirch haw von Im zuruckh.
Paulus Hector Mair  Opus Amplissimum de Arte AthleticaTranscription : Pierre-Henry Bas

Ainsi tiens-toi comme dans cette pièce. Avance avec ta jambe gauche et lie la lame de sa rapière. Il se tient lui aussi avec sa jambe gauche vers toi et lie lui aussi ta rapière. Alors, rassemble ta rapière avec ton bocle, pendant ce temps, attrape sa barbe avec ta main droite.

Te tient-il par la barbe et veut, avec sa main gauche, appuyer sur sa main droite afin qu'il puisse tirer ta main vers le bas avec puissance. Alors, tombe sur son bras droit avec ta main gauche et écarte-le de ta barbe puis frappe le près de sa tête. 

S'est-il ainsi blessé et te frappe-t-il à la tête, alors fait revenir rapidement ta rapière dans ta main droite et déplace sa frappe avec ton bocle. En même temps fait une retraite puis estoque le à la poitrine. Si il déplace ton estoc avec son bocle, alors frappe le avec un coup latéral en t'écartant de lui. 
Traduction : Capitaine Fracasse (ayez pitié de mon allemand)
On voit ici que, comme c'est traditionnel chez cet auteur, on a une technique, son contre, et le contre du contre produisant ainsi un enchaînement très pratique pour l'escrimeur artistique. Paulus Hector Mair nous propose, en ayant les deux épées liées, de prendre la lame de la sienne avec son bocle (on retrouve cela plusieurs fois dans son traité), ce qui libère la main droite pour des saisies. Au lieu de tenter une prise de lutte, d'attraper l'épée ou le bocle adverses, celle-ci va saisir la barbe de l'adversaire et tirer dessus le plus fort possible en appuyant avec l'autre bras (aïe !). Le contre consiste à écarter le bras adverse avec sa main gauche (on s'arrache alors probablement de nombreux poils de barbe), éventuellement en lâchant son propre bocle (comme dans plusieurs illustrations) et à frapper ensuite à la tête avec son épée. L'autre pare alors avec le bocle et récupère son épée dans la main droite tout en reculant. Puis il frappe d'estoc (pour tenir l'autre à distance ?) et si son attaque est parée avec le bocle (qu'on a lâché avant non ?) il recule encore en frappant un coup latéral pour se mettre en sécurité.

Illustration de la technique par l'atelier d'Albrech Dürer (1512)

Utiliser la technique dans un scénario

Bon, nous avons une technique d'épée-bocle du XVIème siècle, éventuellement utilisable aux XIVème et XVèmes siècles mais difficilement avant ou après. Comme on l'utilisera principalement pour un combat comique, avec probablement un moindre souci d'historicité, on peut s'amuser à l'adapter à d'autres époques. Pour commencer, on peut quasiment la transposer telle quelle à pratiquement tous les combats à l'épée et au bouclier (on tente en scottich broadsword-targe des Hightlanders ?).

Pour les armes à une main il faudra adapter et maintenir l'arme adverse en se rapprochant et en l'écartant avec la main non armée pour garder un minimum de crédibilité. On peut imaginer la même chose avec l'épée à deux mains. Et pour parer la riposte (3ème partie), on devra probablement soit esquiver et riposter ensuite d'estoc, soit parer en tenant l'épée par la lame (parer avec la poignée peut-être ?) puis riposter en une sorte de coup de poignard... Bref, vous voyez l'idée quoi. Si vous êtes gaucher contre droitier il faudra également adapter certaines choses mais le principe est toujours d'attraper la barbe et de vouloir tirer dessus avec un bras et pousser vers le bas avec l'autre. 

On peut aussi imaginer que ça marche et que cela mette l'autre à terre, on peut alors le finir à coups de pieds ou l'humilier de tout autre façon qui amusera le public. On peut également utiliser une fausse barbe, soit pour faire semblant de l'arracher, soit pour jouer sur l'effet comique qui permet de démasquer un personnage déguisé (une femme déguisée en homme ?). Les deux personnages peuvent éventuellement tenter la technique à tour de rôle pour se venger l'un de l'autre ou pour révéler les personnages déguisés.

La technique telle qu'elle apparaît dans la version allemande de Opus Amplissimum de Arte Athletica

La technique ne doit, en principe, pas intervenir au début du combat mais plutôt au bout d'un certain temps. Elle doit en être un temps fort et on doit laisser le temps au public de l'apprécier ce qui peut supposer de marquer un mini temps d'arrêt au moment de la saisie de la barbe. Cela implique également de ne pas enchainer immédiatement une série de coups après mais de laisser une respiration, probablement une courte phase de dialogues lui permettant également de comprendre ce qui s'est passé. Si on démasque un personnage, c'est évidemment un moment important du scénario où un personnage rets révélé pour ce qu'il est (que le public ait la surprise ou que cela soit évidement depuis el début du combat pour tout le monde sauf son adversaire).

Parlons ensuite des personnages. Le barbu est clairement ridiculisé dans l'affaire, il doit donc avoir un personnage susceptible d'être ridiculisé. Cela peut aussi bien être un matamore prétentieux, un mari ou un père jaloux, un freluquet qu'on veut corriger etc. Seul peut-être un personnage déguisé ne sera pas forcément ridicule. Celui qui tire la barbe est soit fourbe (si il est un peu méchant), soit malin (si il est plutôt gentil), il est clairement moqueur et audacieux. On évitera donc les personnages trop pétris d'honneur.

Enfin le combat prend forcément place dans un registre comique. Même si la technique était (peut-être) on ne peut plus sérieusement présentée à l'époque elle fera forcément rire de nos jours et c'est bien pour cela que je vous la présente. Personnellement je la verrai bien dans le contexte d'un combat de Noël mais c'est moi ça... Je la vois difficilement dans un autre registre que le comique mais peut-être aurez-vous des idées ?

Illustration de la technique dans le traité de Lienhart Sollinger (années 1550)


J'espère que cet intermède vous aura divertis et que vous vous amuserez à placer cette technique dans quelques combats en vous vantant ensuite auprès des spectateurs que "Non non, c'est bien une technique historique qu'on trouve dans un traité du XVIème siècle !".

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